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Date : 20180323


Dossier : T-430-18

Référence : 2018 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 mars 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

PREMIÈRE NATION ‘NAMGIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE et MARINE HARVEST CANADA INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

Table des matières

I. Introduction  2

I. Les parties  4

A. PREMIÈRE NATION ‘NAMGIS  4

B. Marine Harvest  6

C. Ministre  7

II. Morton c Canada (Pêches et Océans)  8

III. La politique sur le RVP  11

IV. Consultation  16

A. MPO  16

B. Marine Harvest  18

V. Preuve d’expert  19

A. Affidavits produits par la demanderesse  19

1) M. Richard Routledge, Ph. D.  20

2) Fred Kibenge, Ph. D.  22

3) Martin Krkosek, Ph. D.  25

B. Marine Harvest  29

1) Diane Morrison, Ph. D.  29

2) Vincent Erenst  30

VI. Questions préliminaires  32

VII. Questions en litige  32

VIII. Discussion  32

A. Question sérieuse à juger  33

B. Préjudice irréparable  33

C. Prépondérance des inconvénients  38

D. Engagement quant aux dommages-intérêts  42

IX. Conclusion  42

 

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par la Première Nation ‘Namgis en application des articles 373 et 374 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), afin d’obtenir une injonction interlocutoire contre le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (le ministre) et Marine Harvest Canada Inc. Plus précisément, il est demandé

  • d’enjoindre au ministre :
  • a) de ne pas délivrer le permis demandé par Marine Harvest en application de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 (le RPDG) en vue d’introduire, de libérer ou de transférer (permis de transfert) en milieu marin des poissons élevés en eau libre à l’installation aquacole de Marine Harvest de l’île Swanson, en Colombie-Britannique (installation de l’île Swanson), sans avoir au préalable fait de dépistage du réovirus pisciaire (RVP) ou de l’inflammation des muscles squelettiques et cardiaques (IMSC);

  • b) le cas échéant, de révoquer tout permis de transfert déjà octroyé

jusqu’à l’audition et au règlement de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente;

  • d’enjoindre à MarineHarvest :
  • a) de s’abstenir

  1. de demander, d’obtenir et, le cas échéant, d’utiliser un permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson;

  2. si un permis de transfert a été demandé ou obtenu, d’introduire, de libérer ou de transférer en milieu marin tout poisson élevé en eau libre à l’installation de l’île Swanson

jusqu’à l’audition et au règlement de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente;

  • de dispenser la demanderesse de fournir un engagement à payer des dommages-intérêts.

[2]  La requête en injonction fait partie de la demande générale de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse en application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, ainsi que de l’article 301 des Règles des Cours fédérales, à l’égard de la politique du ministère des Pêches et des Océans (MPO) de ne pas faire du dépistage du RVP ou de l’IMSC une condition de délivrance des permis de transfert (politique sur le RVP). Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite :

  • des déclarations portant que :
  • o la politique sur le RVP et les permis de transfert délivrés à l’installation de l’île Swanson aux termes de celle-ci sont déraisonnables ou illégaux;

  • o le Canada n’a pas rempli son obligation de consulter et d’accommoder la demanderesse avant d’adopter et de mettre en œuvre la politique sur le RVP et de délivrer des permis de transfert à l’installation de l’île Swanson, et devra à l’avenir s’acquitter de cette obligation avant de délivrer un permis de transfert;

  • o le Canada a adopté la politique sur le RVP et délivré des permis de transfert à l’installation de l’île Swanson aux termes de celle-ci sans prendre en considération l’incidence que pourraient avoir ces mesures sur le processus de réconciliation en cours entre lui et la demanderesse;

  • o le ministre doit exiger le dépistage du RVP chez les saumons de l’Atlantique d’élevage avant de délivrer un permis autorisant leur transfert;

  • o le transfert est interdit pour les saumons de l’Atlantique d’élevage dont le test de dépistage du RVP est positif;

  • une ordonnance :
  • o annulant la politique sur le RVP et toute décision subséquente de délivrer un permis de transfert à l’installation de l’île Swanson prise aux termes de celle-ci;

  • o obligeant le Canada à consulter la demanderesse pour toute question mettant en cause la politique sur le RVP ou l’octroi d’un permis de transfert à l’installation de l’île Swanson;

  • o enjoignant à notre Cour de conserver sa compétence sur les litiges qui pourraient survenir au cours d’une consultation entre le Canada et la demanderesse concernant la politique sur le RVP et l’octroi d’un permis de transfert à l’installation de l’île Swanson;

  • o interdisant au ministre de délivrer un permis de transfert à l’installation de l’île Swanson avant que le Canada se soit acquitté de son obligation de consulter et d’accommoder la demanderesse relativement à la politique sur le RVP et audit permis.

I.  Les parties

A.  PREMIÈRE NATION ‘NAMGIS

[3]  La demanderesse est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, et elle fait partie des « peuples autochtones du Canada » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), c 11. Don Svanvik, le conseiller en chef élu de la Première Nation ‘Namgis, a souscrit un affidavit dans lequel il parle de l’histoire, de la culture ainsi que des revendications de droits et titres ancestraux.

[4]  La demanderesse soutient que son territoire traditionnel englobe l’intégralité des bassins hydrologiques des rivières Nimpkish et Kokish au nord de l’île de Vancouver, les aires marines à l’intérieur et aux environs des îles Malcolm, Cormorant, Swanson, Hanson et Foster, ainsi que des archipels Plumper et Pearse (le territoire revendiqué). Selon la demanderesse, la rivière Nimpkish, au nord-est de l’île de Vancouver, se trouve au cœur de son territoire et la communauté lui accorde une très grande valeur.

[5]  Elle revendique des droits et titres ancestraux sur l’ensemble du territoire, et notamment des titres sur les terres, les eaux, l’air, les estrans et les fonds marins, de même que des droits de pêche, de chasse, de cueillette et d’intendance. En particulier, elle affirme que le saumon du Pacifique (rouge, kéta, rose, quinnat et coho) fait partie intégrante de son histoire et de ses traditions orales, de son mode de vie, de son économie, de sa culture, de ses cérémonies, de son alimentation et de son commerce.

[6]  En 1998, la demanderesse a entamé des négociations avec le Canada et la province de la Colombie-Britannique au titre du processus de la Commission des traités de la Colombie‑Britannique. Elle avait alors présenté des cartes du territoire revendiqué et des zones plus vastes de récolte des ressources. Le processus de négociations en est aujourd’hui à sa quatrième étape; l’accord de principe préliminaire expose les matières sur lesquelles les parties se sont engagées à négocier, y compris les pêches et les ressources marines; l’eau et les ressources hydriques; les titres, la compétence, la sélection et l’accès; la gouvernance; les accords financiers et fiscaux, ainsi que l’environnement.

[7]  En août 2004, la demanderesse a conclu avec le Canada une entente de pêche globale au titre de laquelle il lui accorde une aide financière en soutien à sa participation à la gestion des pêches sur le territoire revendiqué. En août 2015, la demanderesse a conclu un accord de contribution au titre du Fonds autochtone pour les espèces en péril par lequel le Canada s’est engagé à intégrer la demanderesse à l’effort de protection et de rétablissement des espèces aquatiques en péril.

[8]  Conformément à son plan d’intendance axé sur la protection et la préservation des populations de saumon sauvage dans le territoire revendiqué, et afin de lutter contre leur déclin marqué, la demanderesse a pris les mesures suivantes de conservation et de remise en état :

  • un moratoire volontaire sur les activités de pêche visant l’ensemble des espèces de saumon dans la rivière Nimpkish jusqu’au rétablissement des stocks à des niveaux suffisants pour leur exploitation durable;
  • l’établissement d’une écloserie de saumon kéta, rouge, coho et quinnat sur la rivière Nimpkish;
  • l’établissement d’une installation aquacole terrestre en parcs clos dans le cadre d’un projet pilote visant à faire la démonstration qu’une exploitation piscicole terrestre utilisant un système d’aquaculture en recirculation peut offrir une solution durable sur les plans économique et écologique.

[9]  Le chef Svanvik fait état dans son affidavit du fort déclin des populations de saumon sauvage dans le territoire revendiqué. Depuis les années 1950, la demanderesse compile ses propres statistiques sur la remontée des saumons dans la rivière Nimpkish. Elle figurait jadis parmi les rivières les plus saumoneuses de la Colombie-Britannique mais, depuis quelques années, les populations sont décimées. La demanderesse affirme que toutes les espèces ont atteint un seuil critique dans la rivière Nimpkish et qu’elles risquent de ne pas résister à la présence d’un nouveau facteur de stress.

B.  Marine Harvest

[10]  Marine Harvest est une multinationale du domaine piscicole. C’est l’une des quatre principales entreprises d’élevage de saumon en Colombie-Britannique. En novembre 2017, elle détenait 56 des 119 permis d’exploitation d’installation aquacole délivrés dans la province. Toutes ses installations sont autorisées à faire l’élevage du saumon de l’Atlantique.

[11]  Marine Harvest possède et exploite l’installation de l’île Swanson au titre d’un permis d’aquaculture valide du 10 juillet 2016 au 30 juin 2022.

[12]  L’installation de l’île Swanson comporte des parcs en filet en milieu marin qui se trouvent à environ 19 km environ de l’embouchure de la rivière Nimpkish et 16 km de la communauté principale de la demanderesse. L’ensemencement en saumons d’élevage a commencé au début des années 1990. Depuis, Marine Harvest (et la société remplacée) exploite l’installation et l’approvisionne constamment en poissons, sauf durant les périodes d’inactivité de deux à six mois entre la récolte et le repeuplement.

[13]  L’installation de l’île Swanson est dépeuplée depuis la dernière récolte à la fin de 2017. Le 27 février 2018, Marine Harvest a demandé un permis pour transférer plus d’un million de saumoneaux de l’Atlantique entre son écloserie d’Ocean Falls, et son installation de l’île Swanson, en Colombie-Britannique.

C.  Ministre

[14]  Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer des licences d’exploitation aquacole en application du paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 :

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches – ou en permettre la délivrance –, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

[15]  La période de validité d’une licence d’exploitation peut courir sur plusieurs années au cours desquelles les stocks devront éventuellement être remplacés. Un permis sera requis avant de procéder au transfert, tel qu’il est prévu au paragraphe 55 (1) du RPDG :

55 (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque, à moins d’y être autorisé en vertu d’un permis :

a) de libérer des poissons vivants dans tout habitat du poisson;

b) de transférer des poissons vivants dans des installations d’élevage.

[16]  L’article 56 du RPDG limite le pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des permis de transfert et établit les conditions préalables à remplir :

56 Le ministre peut délivrer un permis dans le cas où :

a) la libération ou le transfert des poissons est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches;

b) les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces;

c) la libération ou le transfert ne risque pas d’avoir un effet néfaste sur la taille du stock de poisson ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poisson.

II.  Morton c Canada (Pêches et Océans)

[17]  Dans la décision Morton c Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575 [Morton], notre Cour s’est prononcée sur la délivrance par le ministre d’un permis d’aquaculture à Marine Harvest pour l’installation de l’île Swanson. L’article 3.1 du permis autorisait le transfert de poissons à l’installation dans certaines conditions :

[traduction]

3.1 […]

(b) le titulaire de permis doit avoir obtenu la confirmation écrite et signée, de la part du vétérinaire ou du personnel responsable de la santé des poissons de l’installation d’origine, indiquant que, selon son jugement professionnel :

(i) le taux de mortalité des stocks élevés à l’installation d’origine, à l’exception des œufs, au sein de tout stock élevé à l’installation d’origine, n’a pas dépassé 1 % par jour attribuable à des maladies infectieuses, pendant 4 jours consécutifs au cours de la période d’élevage;

(ii) le stock à transférer de l’installation d’origine n’affiche aucun signe de maladie clinique nécessitant un traitement;

(iii) aucun stock à l’installation d’origine n’a été atteint, pour autant que l’on sache, [d’aucune des huit maladies préoccupantes];

(iv) lorsque les conditions des sous-alinéas 3.1(b)(i) et/ou 3.1(b)(iii) ne peuvent être respectées, le transfert peut tout de même avoir lieu si le vétérinaire de l’installation a effectué une évaluation des risques, en examinant les registres sur la santé des poissons de l’installation, des rapports de diagnostic, une évaluation de la compartimentation des stocks et les mesures de biosécurité connexes et qu’il a jugé que les risques du transfert associés aux poissons étaient faibles.

[18]  Notre Cour a formulé plusieurs observations préliminaires. Elle a relevé notamment l’existence d’un corpus d’études scientifiques crédibles qui ont établi une relation de cause à effet entre le RVP et l’IMSC. Notre Cour a aussi souligné que même si ce lien avait été amplement et judicieusement remis en question par les scientifiques, le ministre n’avait pas péché par excès de prudence (Morton, aux paragraphes 45 et 46). De plus, l’incorporation du principe de précaution à l’alinéa 56b) du RPDG vise à anticiper et à prévenir les dommages même en l’absence de certitude scientifique qu’ils surviendront effectivement (Morton, aux paragraphes 97 et 99). Enfin, l’alinéa 56b) du RPDG favorise avant tout la conservation de la ressource, qui est l’obligation première du ministre sous le régime de la Loi sur les pêches (Morton, au paragraphe 56).

[19]  Notre Cour a conclu également que les conditions énoncées aux sous-alinéas 3.1(b)(i) et (iii) du permis sont raisonnablement compatibles avec l’alinéa 56b) du RPDG. La condition du sous-alinéa 3.1(b)(i) établit des critères clairs et objectifs régissant les transferts dont il peut être démontré qu’ils sont reliés aux obligations de l’alinéa 56b) du RPDG (Morton, au paragraphe 61). La condition du sous-alinéa 3.1(b)(iii) interdit quant à elle les transferts lorsqu’il est connu que les stocks présentent une maladie pouvant avoir un impact important sur les pêches (Morton, au paragraphe 69).

[20]  Toutefois, les conditions énoncées aux sous-alinéas 3.1(b)(ii) et (iv) du permis sont incompatibles avec l’alinéa 56b) du RPDG. La condition 3.1(b)(ii) établit une norme moins exigeante en stipulant que le transfert est autorisé pourvu que les poissons n’affichent aucun signe de maladie clinique nécessitant un traitement, et non qu’ils soient exempts de maladies et d’agents pathogènes (Morton, au paragraphe 63). La condition 3.1(b)(iv) autorise le transfert de poissons malades si le vétérinaire de l’installation évalue que les risques sont faibles, ce qui contourne les exigences de l’alinéa 56b) du RPDG et autorise des transferts dans des conditions moins exigeantes que celles que pose la loi (Morton, au paragraphe 71).

[21]  Il a été établi de plus que le ministre avait à tort délégué au titulaire du permis son pouvoir décisionnel relativement au transfert. Le délégataire peut conférer une partie de son pouvoir, mais il ne peut conférer un pouvoir discrétionnaire illimité à un sous-délégataire, et il doit, le cas échéant, conserver son pouvoir de supervision (Morton, au paragraphe 83). La condition 3.1(b)(iv) n’énonce pas de norme ou de critère objectif pour évaluer si les risques d’un transfert sont faibles, et elle autorise le transfert de poissons malades sans que le ministre soit au courant ni qu’il l’approuve ou le supervise (Morton, au paragraphe 88).

[22]  Enfin, les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) contredisent l’alinéa 56b) du RPDG pour ce qui concerne le principe de précaution. L’expression « pourraient nuire » n’exige pas une certitude scientifique ni que les dommages soient vraisemblablement attribuables au transfert. Dans le même ordre d’idées, le passage « de maladies et d’agents pathogènes » ne devrait pas être interprété comme exigeant un consensus scientifique selon lequel un agent pathogène (comme le RVP) est la cause de la maladie (comme l’IMSC) (Morton, au paragraphe 97).

[23]  Notre Cour a conclu par conséquent que les conditions énoncées aux alinéas 3.1(b)(ii) et (iv) étaient nulles et sans effet, et qu’elles devaient être dissociées du permis d’aquaculture délivré à Marine Harvest (Morton, au paragraphe 101).

[24]  En juin 2016, les défendeurs ont déposé un avis d’appel de la décision rendue par notre Cour dans Morton, mais ils s’en sont désistés en janvier 2017.

III.  La politique sur le RVP

[25]  Andrew Thomson, le directeur régional de la Direction de la gestion des pêches du MPO, a souscrit un affidavit dans lequel il expose les politiques ministérielles en matière de gestion de l’aquaculture, et notamment la politique en vigueur de ne pas exiger le dépistage du RVP ou de l’IMSC comme condition à la délivrance d’un permis de transfert.

[26]  À la suite de la décision de notre Cour dans Morton, le ministre a délivré un permis d’aquaculture modifié qui subordonnait le transfert de poissons à l’installation du titulaire à la présentation d’une demande de permis au Comité des introductions et des transferts (CIT) du MPO. Le CIT est composé de représentants de la Direction des sciences et de la Division de la gestion de l’aquaculture du MPO. Il a pour mandat d’évaluer les répercussions génétiques, écologiques et sanitaires des transferts proposés pour les poissons et leur habitat.

[27]  Dans le cadre du processus, les titulaires de permis d’aquaculture doivent présenter une demande d’introduction et de transfert ainsi qu’un formulaire d’attestation de la santé des poissons. Le formulaire est signé par le vétérinaire, un responsable de la santé du poisson ou le gestionnaire de l’installation d’origine pour attester que, selon son jugement professionnel :

  • le taux de mortalité attribuable à des maladies des stocks élevés à l’installation d’origine, à l’exception des œufs, n’a pas dépassé 1 % par jour pendant 4 jours consécutifs au cours de la période d’élevage;
  • le stock à transférer de l’installation d’origine n’affiche aucun signe de maladie clinique nécessitant un traitement, à l’exception de la saprolégniose;
  • aucun stock à l’installation d’origine n’a été atteint, pour autant que l’on sache, d’aucune des huit maladies préoccupantes.

[28]  De plus, le MPO effectue des inspections trimestrielles des écloseries qui coïncident avec le dépôt des demandes de permis de transfert entre les écloseries et le milieu marin. Si le MPO soupçonne la présence d’une maladie à déclaration obligatoire à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), il doit l’en aviser et procéder à des tests supplémentaires. Le MPO autorise le transfert seulement si les exigences de l’ACIA sont remplies, et il peut décider d’ajouter des conditions supplémentaires au permis. Si le MPO a des préoccupations au sujet d’une maladie dont la déclaration à l’ACIA n’est pas obligatoire, ses vétérinaires vérifient si des mesures d’atténuation ont été mises en place et peuvent recommander des restrictions relatives aux déplacements, l’ajout de conditions aux permis de transfert ou le rejet des demandes de transfert. Les vétérinaires du MPO peuvent aussi prendre en considération l’état de santé général des poissons dans la zone de surveillance visée par un transfert.

[29]  Au terme de son évaluation, le CIT fait connaître sa conclusion relativement à la demande. S’il recommande que la demande soit acceptée avec ou sans conditions supplémentaires, le gestionnaire régional, Programmes d’aquaculture du MPO délivre ou non un permis de transfert au vu de la recommandation.

[30]  Le MPO n’impose pas aux titulaires de permis d’aquaculture de faire le dépistage du RVP ou de l’IMSC aux fins de l’obtention d’un permis de transfert (politique sur le RVP).

[31]  En janvier 2017, le directeur général pour la région du Pacifique du MPO a signé un protocole d’entente recommandant le maintien de la politique ministérielle de ne pas exiger le dépistage du RVP et de l’IMSC avant le transfert de poissons au motif que ces maladies ne sont pas hautement préoccupantes en Colombie-Britannique (protocole d’entente de 2017). Étaient notamment joints en annexe au protocole d’entente de 2017 un résumé de l’interprétation du ministre de l’article 56 du RPDG (interprétation du ministre) et la réponse du Secrétariat canadien de consultation scientifique (réponse du SCCS).

[32]  Dans son interprétation, le ministre souligne l’importance du passage « protection et conservation du poisson » à l’alinéa 56b) du RPDG puisque tous les agents pathogènes sont potentiellement dommageables, mais pas systématiquement au point de compromettre les efforts de protection et de conservation. Autrement dit, l’alinéa 56b) du RPDG s’applique à des dommages potentiels sur une grande échelle, qui risquent de nuire à la diversité génétique, aux espèces ou aux écosystèmes d’un stock ou d’une unité de conservation à un point que la biodiversité ainsi que les processus d’évolution et de production naturelle ne peuvent être maintenus.

[33]  Dans sa réponse donnée en décembre 2015, le SCCS évalue les répercussions potentielles du RVP sur la côte ouest de l’Amérique du Nord. Cette réponse est fondée sur les avis de 16 collaborateurs et de 3 évaluateurs externes, et elle cite 38 références scientifiques. La conclusion est la suivante : il existe une très faible probabilité que le RVP, sans égard au stade de développement du saumon de l’Atlantique et du Pacifique d’élevage, ait des répercussions importantes sur les populations sauvages de saumon du Pacifique.

[34]  La réponse du SCCS comporte également des renseignements généraux sur l’IMSC. Il y est indiqué notamment que l’IMSC est l’une des quatre maladies salmonicoles les plus courantes en Norvège, et que le nombre de foyers a plus que doublé entre 2004 et 2012. Les signes cliniques, qui se manifestent habituellement de 5 à 9 mois après un transfert en milieu marin, englobent un comportement natatoire anormal, l’anorexie et un taux de mortalité pouvant aller jusqu’à 20 %. Ce diagnostic a été confirmé par l’observation au microscope de lésions des muscles cardiaques et squelettiques. Cette maladie est l’une de celles qui affectent le cœur et, dans les cas modérés à graves, les muscles squelettiques du saumon de l’Atlantique.

[35]  Le 9 mars 2018, le directeur, Gestion de l’aquaculture du MPO a maintenu la politique sur le RVP (décision de mars 2018). La décision était fondée notamment sur le protocole d’entente de 2017 et la réponse rapide préparée par le Secteur des sciences du MPO (la réponse rapide des Sciences).

[36]  La réponse rapide des Sciences a été achevée le 5 mars 2018. Ce type de rapport est utilisé si le SCCS n’a pas le temps de préparer une réponse. Dans ce cas-ci, la réponse rapide des Sciences visait à établir si les méthodes d’essai et de gestion du poisson du MPO reposaient sur les données scientifiques les plus récentes.

[37]  Selon la réponse rapide des Sciences, les dernières données publiées ont modifié de quatre façons la perspective scientifique quant au rôle du RVP dans le développement de la maladie :

  • Des données indiquent que l’infection au RVP peut être une cause directe de l’IMSC chez le saumon de l’Atlantique, mais il reste à comprendre pourquoi l’infection ne conduit pas à la maladie dans de nombreux cas.
  • En Colombie-Britannique, des cas de lésions apparentées à celles de l’IMSC chez le saumon de l’Atlantique d’élevage ont été officiellement associés à l’IMSC. De plus, l’infection au RVP diagnostiquée chez les poissons d’élevage en cause avait été contractée dans un réservoir marin puisqu’ils en étaient exempts avant leur introduction dans des parcs auparavant dépeuplés. Toutefois, aucune augmentation du taux de mortalité n’a été constatée malgré l’apparition de cas d’IMSC.
  • Le RVP a été dépisté chez un large spectre d’hôtes et sur de très grandes étendues géographiques. Il semblait infecter principalement les salmonidés, mais la sensibilité était variable selon les espèces de saumon. Le RVP a été dépisté chez 20 % des poissons, avec un taux de prévalence variant de 2 à 73 % selon le stock. Il a été établi que d’autres études étaient requises pour établir une corrélation entre la salmoniculture et la prévalence de l’infection au sein des populations de saumon sauvage.
  • Les données récentes ont corroboré l’hypothèse voulant que l’IMSC apparaisse lorsque les cellules infectées reconnaissent le virus et sont détruites par les lymphocytes T.

[38]  La réponse rapide des Sciences parvient à la conclusion que la détection du RVP ne constitue pas un déterminant suffisant de la maladie, car il n’est pas rare que des charges virales très élevées soient mesurées chez des poissons apparemment sains, qui ne présentent aucune maladie clinique. De plus, les récentes études ont corroboré et renforcé les conclusions précédentes :

  • Tant en Norvège qu’en Colombie-Britannique, des saumons de l’Atlantique ont été infectés au RVP par suite d’une exposition à une source marine du virus.
  • Le RVP est endémique chez plusieurs espèces de saumon du Pacifique dans la zone s’étendant de l’État de Washington à l’Alaska.
  • En Colombie-Britannique, l’occurrence sporadique de lésions types de l’IMSC chez le saumon de l’Atlantique d’élevage n’a pas entraîné de taux de mortalité élevés ni d’inquiétudes liées à la production.
  • Dans le monde, l’IMSC a seulement été observée chez des poissons d’élevage.
  • Dans de rares cas, le RVP peut contribuer à l’ictère chez le saumon quinnat d’élevage en Colombie-Britannique, mais il présente généralement un taux de virulence faible ou nul chez les espèces de saumon du Pacifique.

[39]  Le 9 mars 2018, comme il a été mentionné ci-dessus, le directeur, Gestion de l’aquaculture du MPO a passé en revue l’ensemble de ces données et confirmé le maintien de la politique ministérielle de ne pas faire du dépistage du RVP et de l’IMSC une condition à la délivrance des permis de transfert.

IV.  Consultation

A.  MPO

[40]  Selon la politique en vigueur, le MPO ne consulte pas les peuples autochtones au sujet des permis de transfert. M. Thomson s’exprime ainsi dans son affidavit :

[traduction]

À l’heure actuelle, le MPO ne fait aucune consultation et ne diffuse pas d’avis public au sujet des permis d’introduction et de transfert; il consulte les Premières Nations seulement à l’étape de la décision sur les permis d’aquaculture. Lorsque ces permis sont délivrés, il est tenu pour acquis que le transfert des poissons depuis et vers le site se fera dans le cadre des opérations courantes.

[41]  La politique est appliquée malgré la reconnaissance par des représentants de la Colombie-Britannique du bien-fondé de la revendication de la demanderesse relativement à ses droits de pêche ancestraux. Dans une lettre adressée à la demanderesse le 4 février 2011, le ministère des Ressources naturelles de la Colombie-Britannique affirmait ce qui suit relativement au changement des droits d’occupation des terres aux fins de l’exploitation d’une pisciculture :

[traduction]

Le Ministère entend aller de l’avant en tenant pour acquis, par suite d’une évaluation préliminaire, que la Première Nation ‘Namgis est entièrement fondée à faire valoir ses droits de pêche ancestraux dans le territoire revendiqué et, à titre secondaire, qu’elle est apparemment fondée à faire valoir son titre ancestral à l’égard de la zone visée par les droits d’occupation, laquelle comprend des terres submergées faisant l’objet de revendications concurrentes de la Première Nation. L’évaluation préliminaire a été faite au vu de renseignements fournis par la Première Nation ‘Namgis ainsi que de données raisonnablement accessibles.

[42]  De septembre 2017 à mars 2018, le Canada a reçu plusieurs lettres dans lesquelles la demanderesse lui exprimait son opposition à la salmoniculture en parc en filet sur le territoire revendiqué, ainsi que ses préoccupations quant à l’absence de consultation sur les demandes présentées au CIT et à la politique sur le RVP. Selon M. Thomson, le MPO n’a pas donné suite officiellement aux lettres de la demanderesse et lui a fait savoir qu’il ne fait pas consultation à propos des demandes présentées au CIT.

[43]  Le 28 février 2018, le MPO a informé la demanderesse qu’il avait reçu une demande en vue du repeuplement de l’installation de l’île Swanson. De l’information complémentaire sur le processus de demande lui a été transmise les 1er et 9 mars 2018. Le 12 mars 2018, le coordonnateur du CIT a discuté de la question au téléphone avec le chef Svanvik et lui a expliqué que la demande était à l’étude et que, même si sa politique de consultation était en cours de révision, le MPO ne prévoyait aucun changement. Aucune information n’a été communiquée concernant le RVP.

B.  Marine Harvest

[44]  Depuis mai 2016, Marine Harvest est en pourparlers avec la demanderesse au sujet de l’installation de l’île Swanson. Notamment, des rencontres ont été suggérées afin d’examiner les données, de discuter des plans de production et des questions d’intendance, de permettre à la demanderesse d’observer le fonctionnement de l’installation et de collaborer aux recherches. La demanderesse a fait savoir à Marine Harvest qu’elle accepterait une rencontre seulement pour discuter du démantèlement des parcs en filet. Elle a également observé qu’elle n’avait pas le personnel requis pour participer à des études collaboratives ou à des observations de l’installation.

[45]  Le 21 décembre 2017, des représentants de Marine Harvest ont avisé la demanderesse que le repeuplement de l’installation de l’île Swanson était prévu pour mars ou avril 2018. Le 7 février 2018, la demanderesse a reçu une lettre de Marine Harvest l’informant qu’elle s’apprêtait à commencer les préparatifs de l’installation en vue du transfert de saumoneaux. Toutefois, Marine Harvest n’a pas joint à la lettre certains documents réclamés par la demanderesse :

  • le permis de transfert;
  • la demande de permis de transfert;
  • les documents soumis à l’appui de la demande;
  • les résultats des tests de dépistage de maladies ou d’agents pathogènes chez les poissons qui devaient être transférés;
  • les évaluations des risques d’effets néfastes du transfert de poissons sur la taille des stocks ou sur les caractéristiques génétiques des poissons ou des stocks.

[46]  Le 13 février 2018, la demanderesse a écrit à Marine Harvest pour réitérer son opposition au transfert des saumoneaux à l’installation de l’île Swanson, de même que ses préoccupations concernant les risques de dommages irréparables de ce transfert. La demanderesse lui a alors demandé les renseignements suivants :

  • la date à laquelle MarineHarvest prévoyait présenter (ou avait présenté) sa demande de permis de transfert;
  • la trousse de demande qu’elle prévoyait soumettre (ou qu’elle avait soumise) au MPO;
  • la date à laquelle elle comptait commencer le transfert.

[47]  Dans sa réponse du 19 février 2018, Marine Harvest affirmait que les poissons seraient prêts pour le transfert à l’installation de l’île Swanson durant les deux dernières semaines de mars. Elle avisait en outre la demanderesse que [traduction] « les derniers tests de dépistage sur les saumoneaux destinés à l’installation [ont] confirmé qu’ils étaient sains et exempts des pathogènes testés, dont le RVP ». Aucun autre renseignement n’a été fourni concernant les tests de dépistage.

[48]  Dans sa réponse du 20 février 2018, la demanderesse réitérait son opposition au transfert proposé. Elle demandait également des précisions sur [traduction] « les derniers tests de dépistage effectués sur les saumoneaux ». Elle n’a pas reçu de réponse. Marine Harvest soutient maintenant qu’elle n’a pas communiqué cette information parce qu’elle n’avait pas conclu avec la demanderesse d’entente de partage l’obligeant à en préserver la confidentialité.

V.  Preuve d’expert

[49]  En raison de la nature urgente de la présente requête, aucun affidavit n’a fait l’objet d’un contre-interrogatoire, y compris ceux résumés ci-dessous.

A.  Affidavits produits par la demanderesse

1)  M. Richard Routledge, Ph. D.

[50]  M. Routledge, Ph. D., est professeur émérite au Département de statistique et d’actuariat, ainsi que membre associé du Département de biologie de l’Université Simon Fraser. Il est titulaire d’un doctorat en écologie statistique de l’Université Dalhousie, d’une maîtrise en statistique de l’Université de l’Alberta et d’un baccalauréat en mathématiques de l’Université Queen’s. Depuis 26 ans, ses recherches dans les domaines de la statistique écologique et de la biologie du saumon du Pacifique englobent notamment l’évaluation des risques des agents pathogènes pour la biodiversité, les pêches et les exploitations aquacoles en Colombie‑Britannique.

[51]  Dans son affidavit, M. Routledge conclut qu’un repeuplement de l’installation de l’île Swanson entraînerait probablement la transmission du RVP entre les saumons de l’Atlantique et les saumons du Pacifique tant des populations sauvages que de celles qui sont issues de l’écloserie de la demanderesse.

[52]  Il ajoute que Marine Harvest a admis que le RVP est présent dans toutes ses écloseries, sauf une. De plus, un ichtyopathologiste du Centre de santé animale du ministère de l’Agriculture de la Colombie-Britannique a confirmé que près de 80 % des saumons de l’Atlantique d’élevage sont infectés au RVP dans la province. Il a aussi corroboré les conclusions de M. Kibenge, exposées ci-après, et a indiqué que des conditions propices à la propagation rapide du RVP et de ses souches plus virulentes seraient présentes à l’installation de l’île Swanson lors du repeuplement.

[53]  Selon M. Routledge, les publications scientifiques recensées confirment que la proximité de parcs en filet augmente le taux d’infection au RVP chez le saumon du Pacifique sauvage. Il a corédigé un article revu par les pairs dans lequel il a été établi que 95 % des saumons de l’Atlantique d’élevage de l’échantillon étaient infectés au RVP, et que les taux dépistés chez les saumons du Pacifique sauvages dans le voisinage immédiat d’installations aquacoles (dans le détroit entre l’île de Vancouver et le continent) étaient nettement supérieurs (de 37 à 45 %) par rapport à ceux dépistés chez les saumons du Pacifique sauvages dans les zones plus éloignées de ces installations (5 %).

[54]  Ces taux ont été constatés dans les zones suivantes, qui se trouvent dans un rayon de 21 km de distance de l’installation de l’île Swanson :

  • l’embouchure de la rivière Nimpkish, la plus importante frayère de saumon naturelle dans le territoire revendiqué et lieu d’origine de la dévalaison des saumoneaux du Pacifique sauvages et d’élevage;
  • la baie Alder, le site de libération proposé pour le saumon du Pacifique élevé dans l’écloserie de la demanderesse;
  • les lieux de pêche du saumon de la demanderesse;
  • les lieux connus pour être fréquentés par le saumon du Pacifique sauvage dans les bassins hydrologiques de la rivière Nimpkish, du fleuve Fraser et du lac Sakinaw.

[55]  M. Routledge a conclu que vu les conditions à l’installation de l’île Swanson, le repeuplement en saumons non testés pour le RVP aurait probablement les conséquences suivantes :

  • l’introduction de saumoneaux infectés par le RVP dans les parcs en filet de l’installation de l’île Swanson;
  • la propagation rapide du RVP dans la population de saumons d’élevage à l’installation de l’île Swanson;
  • la propagation d’au moins 6,6 x 1016 particules de RVP par heure en provenance de l’installation de l’île Swanson;
  • la propagation du RVP provenant de l’installation de l’île Swanson à une distance pouvant atteindre 30 km en milieu marin;
  • la transmission entre le saumon de l’Atlantique d’élevage de l’installation de l’île Swanson et le saumon du Pacifique autant des populations sauvages que de celles qui sont issues de l’écloserie de la demanderesse.

2)  Fred Kibenge, Ph. D.

[56]  M. Kibenge est professeur de virologie et directeur du Département de pathologie et de microbiologie de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. Il est titulaire d’un doctorat en virologie animale de l’Université Murdoch en Australie, ainsi que d’un baccalauréat en médecine vétérinaire de l’Université Makerere en Ouganda. Spécialiste de la virologie vétérinaire, il a effectué trois études à titre de boursier postdoctoral dans ce domaine, et il est l’auteur de nombreuses publications sur la détection de virus chez le poisson et leur incidence en aquaculture. Il a été témoin expert pour la Commission d’enquête sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser (Commission Cohen).

[57]  On a demandé à M. Kibenge d’évaluer quels seraient les effets pour les populations de saumons du Pacifique sauvages et d’élevage d’un repeuplement de l’installation de l’île Swanson avec des poissons non soumis au dépistage du RVP. Ses conclusions sont les suivantes :

  • Le RVP est présent chez le saumon de l’Atlantique d’élevage et le saumon du Pacifique sauvage en Colombie-Britannique. L’IMSC est aussi présente chez le saumon de l’Atlantique d’élevage, et il est raisonnable de s’attendre que le RVP cause l’IMSC ou des symptômes apparentés à celle-ci chez le saumon du Pacifique sauvage en Colombie-Britannique.
  • Le RVP peut se transmettre du saumon de l’Atlantique d’élevage au saumon du Pacifique sauvage et d’élevage. La plus importante source de RVP en milieu marin est le saumon élevé en parcs en filet.
  • L’installation de l’île Swanson représentera une importante source de RVP et elle est située à proximité d’habitats importants de populations de saumons du Pacifique sauvages et issus de l’écloserie de la demanderesse.
  • Le RVP a des effets néfastes sur la santé des saumons de l’Atlantique d’élevage et celle des saumons du Pacifique sauvages et issus des écloseries. Notamment, le RVP est associé à des effets comme l’ictère chez le saumon quinnat, et on pense qu’il pourrait avoir les mêmes effets chez d’autres espèces de saumons du Pacifique sauvages. Il est cependant difficile de vérifier cette hypothèse parce qu’il est pratiquement impossible de diagnostiquer la maladie et les effets néfastes dans ces populations étant donné que les poissons infectés disparaissent après leur mort ou sont éliminés par les prédateurs.
  • Le peuplement de l’installation de l’île Swanson en saumoneaux de l’Atlantique d’élevage transmettra le RVP aux saumons du Pacifique sauvages dans le territoire revendiqué, et les dommages causés aux poissons seront irréversibles.
  • On peut penser que la vérification et la surveillance des installations aquacoles de la Colombie-Britannique au titre du Programme de vérification et de surveillance de la santé du poisson (PVSSP) ne permettent pas une détection rigoureuse du RVP et de l’IMSC.

[58]  M. Kibenge est catégorique quant à la présence de l’IMSC chez le saumon de l’Atlantique élevé dans les installations aquacoles de la Colombie-Britannique. Il ajoute que des cas d’IMSC ont échappé aux tests de dépistage effectués dans une installation au titre du programme de vérification et de surveillance de la santé du poisson du MPO parce que les critères de diagnostic divergeaient de ceux qui sont recommandés dans les publications scientifiques. Il n’est pas rare que le programme donne lieu à des erreurs de dépistage des symptômes de l’IMSC.

[59]  Selon M. Kibenge, il est connu que le RVP cause l’IMSC chez le saumon de l’Atlantique, mais on en sait très peu sur la gravité et la prévalence, et sur sa transmission au saumon du Pacifique sauvage. Le diagnostic est en effet toujours difficile chez les populations sauvages. Cela dit, on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’infection au RVP chez le saumon du Pacifique sauvage provoque des maladies identiques ou similaires à celles qui sont observées chez le saumon de l’Atlantique.

[60]  Selon M. Kibenge, le peuplement de l’installation de l’île Swanson sans dépistage du RVP risque d’entraîner sa transmission entre le saumon de l’Atlantique d’élevage et le saumon du Pacifique sauvage. Les poissons infectés propagent rapidement le RVP en milieu marin. On pense que le RVP peut demeurer infectieux pendant longtemps dans la colonne d’eau, s’accumuler dans les parcs en filet et être transporté par les courants. Il existe donc un risque réel que les installations aquacoles contribuent à amplifier l’incidence de maladies et leur transmission, et en particulier à la propagation du RVP chez le saumon du Pacifique sauvage. M. Kibenge s’attend à ce que les saumons élevés dans les parcs en filet deviennent la source la plus importante de propagation du RVP en milieu marin en Colombie-Britannique. De même, il est probable que le RVP parcoure jusqu’à 30 km dans la colonne d’eau, et il existe donc un risque réel de propagation entre l’installation de l’île Swanson et une grande partie du territoire revendiqué et au sein des populations de saumon associées.

[61]  Les effets néfastes du RVP pour la santé du saumon de l’Atlantique d’élevage seront probablement similaires chez le saumon du Pacifique sauvage :

  • Chez le saumon de l’Atlantique, le RVP s’attaque aux globules rouges. La communauté scientifique croit qu’il ciblera aussi les globules rouges chez le saumon du Pacifique, ce qui a d’ailleurs été confirmé pour l’espèce coho.
  • On a observé que l’IMSC peut entraîner un taux de mortalité allant jusqu’à 20 % et un taux de morbidité de 100 % chez le saumon de l’Atlantique d’élevage.
  • MarineHarvest a régulièrement répertorié l’IMSC parmi les quatre principales causes de mortalité attribuable à une maladie infectieuse.
  • Il a été démontré que le RVP cause l’anorexie, la léthargie et un comportement natatoire anormal chez le saumon, ou qu’il est associé à ces troubles.
  • Les effets combinés du RVP et l’IMSC sont des dommages au cœur et une oxygénation réduite des cellules. Par conséquent, les capacités athlétiques des poissons infectés sont amoindries.
  • Le RVP est aussi associé à l’ictère, à la léthargie, à une faible croissance, à l’apparition de taches noires, à des symptômes associés à l’IMSC et à d’autres troubles cliniques.
  • Les événements stressants provoquent des effets néfastes sur la santé qui sont associés au RVP. Le MPO a constaté que les poux de mer, très problématiques dans le territoire revendiqué, rendent les salmonidés plus susceptibles à l’infection.
  • Les effets néfastes du RVP réduisent la capacité des poissons infectés d’échapper aux prédateurs et de frayer.

[62]  En conclusion, M. Kibenge exprime l’avis que le programme de vérification et de surveillance de la santé du poisson ne permet pas de détecter le RVP et de prévenir la propagation de l’IMSC dans les populations sauvages de saumon du Pacifique. Il s’est auparavant révélé inadéquat pour le dépistage de l’IMSC. C’est la conclusion expresse d’un rapport rédigé par 11 experts, dont 5 scientifiques qui travaillaient au MPO à l’époque, qui ont qualifié le programme d’inadéquat en raison de l’échantillonnage limité et des critères de diagnostic qui divergent de ceux qui sont recommandés dans la documentation scientifique. Il est fort probable qu’il ait donné lieu à une sous-estimation des cas d’IMSC dans les installations aquacoles de la Colombie-Britannique. Les critères employés par le MPO pour détecter les foyers d’IMSC contredisent ceux de l’Organisation mondiale de la santé animale. Les foyers non détectés accroissent le risque de propagation de l’IMSC et du RVP.

[63]  M. Kibenge parvient à la conclusion que le non-dépistage du RVP avant la libération de poissons en milieu marin augmentera sensiblement le risque que les populations sauvages soient infectées, au détriment de la santé des saumons du Pacifique sauvages.

[64]  Dans l’affidavit qu’il a déposé en réponse le 19 mars 2018, M. Kibenge conteste les résultats des tests de dépistage du RVP effectués par Marine Harvest. J’ai admis cet affidavit en preuve, mais il a peu pesé sur ma décision.

3)  Martin Krkosek, Ph. D.

[65]  M. Krkosek est professeur adjoint et titulaire de la chaire de recherche du Canada en écologie des populations au Département d’écologie et de biologie évolutionniste de l’Université de Toronto. Il agit également comme conseiller dans le cadre de l’évaluation de la salmoniculture menée par le commissaire à l’environnement et au développement durable du Bureau du vérificateur général du Canada. M. Krkosek est titulaire d’un doctorat en sciences biologiques de l’Université de l’Alberta et d’un baccalauréat en biologie et en mathématiques de l’Université de Victoria. Depuis 2003, ses travaux portent sur l’écologie des populations, et plus précisément des maladies infectieuses des poissons marins. Il a notamment étudié sur place les populations sauvages de saumon du Pacifique dans le territoire revendiqué, et publié des articles sur les incidences potentielles des exploitations aquacoles en milieu marin.

[66]  M. Krkosek a évalué comment l’absence de dépistage du RVP avant le repeuplement de l’installation de l’île Swanson pourrait se répercuter sur 69 populations de saumon rose, kéta, rouge, quinnat et coho qui frayent dans le territoire revendiqué ou migrent par celui-ci (les populations évaluées). Ses conclusions sont les suivantes :

[traduction]

  • La santé et la viabilité à long terme des unités de conservation et des populations sauvages de saumon du Pacifique susceptibles de fréquenter le territoire revendiqué se sont gravement détériorées :
  • o dans les populations évaluées, l’état de 41 populations ou unités de conservation d’espèces est préoccupant ou menacé (populations vulnérables) suivant les études du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) (17 populations), du MPO (21 populations) ou de M. Krkosek lui-même (4 populations);

  • o historiquement, le rôle de nombreuses populations évaluées était central dans des pêches commerciales et autochtones d’envergure qui sont dorénavant fermées ou restreintes.

  • La faiblesse de l’abondance et du rendement des populations vulnérables compromet considérablement leur capacité de survivre dans les conditions environnementales et biologiques défavorables actuelles, et encore moins de résister à de nouveaux facteurs de stress.
  • Le repeuplement en saumons de l’Atlantique infectés par le RVP à l’installation aquacole de l’île Swanson représente le plus important vecteur ou facteur de risque de décimation des populations menacées par une maladie infectieuse, car la population hôte réservoir (les saumons d’élevage) contribue au maintien de la charge virale et à la propagation à une population hôte sauvage en péril (la population décimée de saumons du Pacifique sauvage).
  • La propagation du RVP qui en résulte aux populations vulnérables aura fort probablement des conséquences graves :
  • o dégradation de la santé, de la survie et du succès de reproduction des individus des populations vulnérables, qui s’ajouterait aux causes existantes de mortalité ou d’échec de la reproduction;

  • o probabilité accrue de décimation des populations vulnérables en raison de l’accroissement de la mortalité ou des échecs de la reproduction imputables aux infections par le RVP;

  • o réduction de la taille des populations dans les unités de conservation uniques sur les plans génétiques, comportementaux et physiologiques;

  • o perte de la diversité génétique en raison du déclin ou de la décimation irréversible d’une population sur des centaines d’années, et potentiellement à jamais;

  • o risque accru de disparition locale de populations vulnérables déjà menacées de décimation et de récupération lente, voire nulle;

  • o perte de diversité génétique attribuable à la perte ou au déclin d’une unité de conservation qui réduira la biodiversité durable et, partant, la capacité d’adaptation à d’autres facteurs de stress importants comme le changement climatique, ce qui rendra les populations encore plus vulnérables à l’extermination;

  • o perte de ressources alimentaires cruciales pour les épaulards résidents du Nord et les épaulards résidents du Sud, qui constituent respectivement une espèce menacée et une espèce en voie de disparition au sens de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29.

[67]  M. Krkosek observe que les populations et les unités de conservation des cinq principales espèces de saumon du Pacifique qui fréquentent le territoire revendiqué sont à risque ou en mauvais état. En font partie les saumons rouges juvéniles provenant des bassins hydrologiques de la rivière Nipkish, du fleuve Fraser et du lac Sakinaw, classés comme étant « en voie de disparition » ou dans un état « préoccupant » par le COSEPAC, ou « en déclin » par le MPO. Les autres saumons qui fréquentent le territoire revendiqué comprennent l’espèce quinnat du fleuve Fraser, classée comme étant « menacée » par le COSEPAC, ou comme ayant le statut ambre ou ambre/vert selon le MPO, de même que les espèces kéta et rose, dont les populations étaient historiquement productives, mais dont la pêche est aujourd’hui fermée ou restreinte.

[68]  Parmi les plus vulnérables, huit sont considérées comme des populations locales du territoire revendiqué soit parce que leur bassin d’origine s’y trouve, soit parce qu’il est situé à proximité. En particulier, le MPO a établi que les stocks de deux populations locales de saumons rouges du territoire revendiqué sont « en déclin », et il a fréquemment ordonné que les pêches commerciales ou les pêches autochtones à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales soient restreintes ou fermées en raison de la faible abondance. De plus, le fort déclin de la population de saumon kéta de la rivière Nimpkish par rapport à ses niveaux historiques a conduit le MPO à imposer des restrictions afin de protéger et de reconstituer la population.

[69]  M. Krkosek constate une forte probabilité que le peuplement en saumons infectés par le RVP à l’installation de l’île Swanson aura les effets irréversibles suivants sur la santé des individus et les populations vulnérables :

  • perte d’individus infectés par le RVP qui ne pourront être remplacés;
  • perte de diversité génétique en raison de la décimation ou de la disparition de la population qui sera longue à rétablir, si rétablissement il y a;
  • risque accru de disparition locale qui sera longue à rétablir, si rétablissement il y a, des populations déjà menacées d’extinction.

B.  Marine Harvest

1)  Diane Morrison, Ph. D.

[70]  Mme Diane Morrison est directrice de la Santé du poisson et de l’innocuité alimentaire chez Marine Harvest. Elle est titulaire d’un baccalauréat en sciences de l’Université de Guelph et d’un doctorat en médecine vétérinaire du Collège de médecine vétérinaire de l’Ontario, qui est rattaché à l’Université de Guelph. Elle est autorisée à pratiquer la médecine vétérinaire en Colombie-Britannique.

[71]  Dans son affidavit, Mme Morrison décrit le processus de dépistage des problèmes de santé du poisson chez Marine Harvest. L’entreprise applique différentes procédures normalisées selon le type d’échantillonnage et de dépistage effectué, y compris pour le RVP. La procédure normalisée de dépistage du RVP, mise au point en collaboration avec le Centre de la santé animale de la Colombie-Britannique, est suivie depuis 2013, soit l’année de début du litige Morton. Depuis, Marine Harvest a volontairement surveillé la présence de RVP dans ses installations de production en vue d’enrichir les connaissances concernant son occurrence, sa prévalence et son importance.

[72]  Mme Morrison explique que le dépistage du RVP se fait sur une base individuelle. Tous les outils sont stérilisés avant le prélèvement d’échantillons du cœur qui sont placés dans des sacs de type WhirlPak, étiquetés individuellement, surgelés et envoyés au Centre des sciences en santé aquatique de la Colombie-Britannique (CAHS) aux fins d’analyse. Le CAHS se conforme aux directives de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et aux bonnes pratiques de laboratoire, et il détient une accréditation de niveau II de l’ACIA, ainsi qu’une accréditation relative au titre 50 du Service de la pêche et de la faune sauvage des États-Unis. Le dépistage du RVP se fait selon une méthode fondée sur l’amplification en chaîne par polymérase.

[73]  Le 19 décembre 2017, le personnel de Marine Harvest a constitué un échantillon aléatoire de 20 poissons prélevés à l’écloserie d’Ocean Falls, conformément au protocole d’échantillonnage pour le dépistage du RVP. Le 24 janvier, il a constitué un échantillon aléatoire de 19 poissons prélevés à l’écloserie d’Ocean Falls, conformément au protocole d’échantillonnage pour le dépistage du RVP. Le 7 mars 2018, il a constitué un échantillon de 36 poissons à l’écloserie d’Ocean Falls, dont 30 ont été prélevés aléatoirement et 6 parmi les mortalités récentes. Tous les échantillons ont été envoyés au CAHS immédiatement après leur prélèvement, et le test de dépistage du RVP était négatif dans tous les cas.

2)  Vincent Erenst

[74]  M. Erenst est directeur général de Marine Harvest et président de la BC Salmon Farmers Association. Il est titulaire d’un baccalauréat en biologie de l’Université de Groningen et d’une maîtrise en biologie de l’Université et du Centre de recherche de Wageningen, aux Pays-Bas. Il travaille dans le domaine de l’aquaculture depuis 35 ans.

[75]  Il explique dans son affidavit que près de 1 120 000 saumoneaux élevés à l’écloserie d’Ocean Falls seront bientôt prêts pour le transfert. Pour la majorité, Marine Harvest a engagé le processus de saumonification le 12 février 2018. Une fois prêts, les saumoneaux doivent être transférés des réservoirs d’eau douce aux installations d’élevage en eau salée, sans quoi la majorité périt.

[76]  Au cours des quatre semaines à venir, Marine Harvest compte transférer près de 1 950 000 saumoneaux à l’installation de l’île Swanson et à un autre site. Les deux sites seront prêts le 23 mars 2018. L’installation de l’île Swanson devrait recevoir 950 000 saumoneaux entre le 23 mars et le 5 avril. Si ses réservoirs ne sont pas libres, tous les saumoneaux devront être transférés à l’autre site. Une telle densité de peuplement est contraire aux bonnes pratiques aquacoles et se traduira par une réduction de la croissance des poissons ainsi que par un taux de mortalité accru.

[77]  M. Erenst estime que le transfert de 1 950 000 saumoneaux à l’autre site entraînera une perte de production de l’ordre de 1,85 million de dollars. Son calcul est le suivant : la croissance devrait diminuer de 10 à 20 % et la mortalité augmenter de 5 %, ce qui équivaudrait à une perte de production de 284 000 kilogrammes, à raison 6,50 $ le kilogramme. De plus, une injonction exposerait Marine Harvest à une perte de la capacité d’exploitation de l’installation de l’île Swanson.

[78]  M. Erenst ajoute que Marine Harvest a engagé jusqu’ici 250 000 $ pour préparer l’installation de l’île Swanson à recevoir les saumoneaux. Il en coûterait 200 000 $ de plus pour retirer le matériel si le site n’est pas empoissonné.

VI.  Questions préliminaires

[79]  Au début de l’audience, la demanderesse a sollicité l’autorisation de présenter les affidavits du chef Svanvik et de M. Kibenge en réponse à la preuve produite par les défendeurs le 18 mars 2018. Après l’audition de la plaidoirie de l’avocat quant à l’admissibilité de cette preuve, j’ai accueilli la preuve de M. Kibenge déposée en réponse, mais j’ai conclu que l’affidavit du chef Svanvik n’était pas admissible à titre de réponse.

VII.  Questions en litige

[80]  Les questions suivantes doivent être tranchées :

  1. La demanderesse a-t-elle établi l’existence d’une question sérieuse à juger?
  2. La demanderesse a-t-elle établi qu’elle subira un préjudice irréparable si sa demande est rejetée?
  3. La prépondérance des inconvénients justifie-t-elle une injonction?
  4. Si une injonction est accordée, la demanderesse doit-elle fournir un engagement quant aux dommages-intérêts?

VIII.  Discussion

[81]  Les parties conviennent que le critère de redressement interlocutoire a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald], aux pages 347 à 349, et que ce critère comporte trois volets :

  • a) l’existence d’une question sérieuse à juger;

  • b) le fait pour la demanderesse de subir un préjudice irréparable si le redressement est refusé;

  • c) la justification d’un redressement selon la prépondérance des inconvénients.

[82]  Le critère est conjonctif, c’est-à-dire que ses trois volets doivent être remplis pour justifier une injonction interlocutoire. La question fondamentale consiste à déterminer si l’injonction serait juste et équitable compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire (Google Inc. c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, au paragraphe 25).

[83]  Par ailleurs, le paragraphe 373(2) des Règles des Cours fédérales porte que, sauf ordonnance contraire de la Cour, une partie présentant une requête en injonction interlocutoire doit s’engager à se conformer à toute ordonnance concernant les dommages-intérêts découlant de la délivrance de l’injonction.

A.  Question sérieuse à juger

[84]  Les parties reconnaissent l’existence de questions sérieuses à juger. De façon générale, ces questions touchent à l’obligation du ministre de réglementer les transferts de poisson, de consulter la demanderesse et de lui consentir des accommodements.

B.  Préjudice irréparable

[85]  À titre d’objection préliminaire, le ministre soutient que la requête constitue une tentative d’esquiver le contrôle judiciaire sous-jacent par une contestation de la politique sur le RVP et de l’analyse scientifique du MPO sur laquelle elle repose, ainsi que de l’interprétation que fait le ministre de l’aliéna 56b) du RPDG. Il renchérit que l’argument de la demanderesse comme quoi la consultation n’a pas été adéquate est également une tentative d’obtenir de la Cour une décision définitive sur une question que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire devra trancher au vu de l’ensemble du dossier.

[86]  Le ministre reproche enfin à la demanderesse d’avoir fondé la présente requête en injonction interlocutoire sur des témoignages d’experts qui constituent en fait une preuve extrinsèque à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, et demande à la Cour de la rejeter au motif de son inadmissibilité. Je ne suis pas d’accord.

[87]  Eu égard à la partie de la requête de la demanderesse concernant le caractère raisonnable de la politique sur le RVP ou de la décision de ne pas la consulter, il ne m’appartient pas de trancher ces questions ici et je m’en abstiendrai donc. Cette décision sera du ressort du juge saisi du contrôle judiciaire sous-jacent.

[88]  En revanche, il est de ma compétence, et je l’exercerai, de décider si la preuve mise à ma disposition tend vers une conclusion de préjudice irréparable et de prépondérance des inconvénients favorable à la demanderesse ou aux défendeurs et, ultimement, vers une injonction interlocutoire interdisant le transfert des poissons visés à l’installation de l’île Swanson. Le cas échéant, un redressement interlocutoire ne serait pas définitif et n’empièterait pas sur le rôle de la Cour quant aux questions soumises à son contrôle.

[89]  Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice et non à son étendue. Il s’agit d’un préjudice qui ne peut être quantifié sur le plan pécuniaire ou auquel il ne peut être remédié (RJR‑MacDonald, à la page 341). La demanderesse doit produire des éléments de preuve clairs et non conjecturaux du préjudice irréparable qu’elle subira si sa requête en injonction interlocutoire est rejetée (United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 [US Steel], au paragraphe 7). Il ne suffit pas de démontrer qu’un préjudice irréparable pourrait se produire, ni d’affirmer sans preuve qu’un préjudice irréparable se produira (US Steel, au paragraphe 7).

[90]  Cela dit, les cours d’appel canadiennes ont aussi conclu qu’une « preuve claire de préjudice irréparable n’est pas requise », et elles nous ont mis en garde contre l’imposition aux requérants de l’obligation d’établir avec un degré élevé de certitude qu’un préjudice irréparable est inévitable :

[traduction]

En conférant à un juge le pouvoir discrétionnaire d’accorder un redressement interlocutoire, l’issue recherchée perdrait « toute sa valeur », pour paraphraser le juge Diplock, s’il lui était loisible d’apprécier la prépondérance des inconvénients en tenant compte seulement de la certitude ou de la forte probabilité qu’un préjudice irréparable se produira.

Vancouver Aquarium Marine Science Centre v Charbonneau, 2017 BCCA 395, au paragraphe 59.

[91]  Sur la question du préjudice irréparable, les défendeurs soutiennent que :

  1. La Cour ne doit pas chercher à savoir si le ministre s’est conformé à l’arrêt Morton ou s’il a commis une erreur en adoptant la politique sur le RVP. Je partage cet avis.
  2. Le ministre a fondé cette politique sur les données scientifiques pertinentes qui étaient disponibles en janvier 2017 et de nouveau en mars 2018 et selon lesquelles le RVP n’est pas un agent pathogène susceptible de compromettre les efforts de conservation et de protection du poisson.
  3. L’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été établie, car MarineHarvest a testé trois échantillons dans la population de poissons en cause et n’a pas détecté de RVP.
  4. Les tests ont été effectués par une vétérinaire qualifiée et un laboratoire agréé indépendant.
  5. Il est prématuré de conclure que l’absence de consultation entraîne un préjudice irréparable.

[92]  Toutefois, il ressort ce qui suit des éléments de preuve dont la Cour a été saisie :

  1. La démarche préconisée par le MPO pour la gestion du transfert de saumoneaux de l’Atlantique aux installations aquacoles ne comporte aucune mesure de surveillance et ne repose sur aucun critère objectif de dépistage du RVP ou de l’IMSC chez les sujets transférés.
  2. Les stocks de saumons sauvages dans le territoire revendiqué et ceux qui migrent par celui-ci sont en fort déclin et sont exposés à un risque considérable.
  3. La pêche du saumon revêt une importance fondamentale pour les droits ancestraux revendiqués par la demanderesse, mais le ministre a refusé de la consulter au sujet de la politique sur le RVP, des permis de transfert et du risque auquel ils exposent les populations de saumon sauvage, ainsi que de l’intendance des pêches du saumon dans le territoire revendiqué.
  4. Les tests de dépistage effectués par MarineHarvest à trois occasions dans les stocks de saumons de l’Atlantique destinés à l’installation de l’île Swanson soulèvent d’importantes réserves, d’une part parce que les échantillons étaient très petits et, d’autre part, parce que le MPO n’a été mis au courant ni des résultats ni du protocole utilisé.
  5. La recherche a révélé que le RVP est directement lié à l’IMSC.
  6. Il a été établi que l’IMSC est associée à de forts taux de mortalité et de morbidité chez le saumon de l’Atlantique d’élevage en Norvège, et qu’elle a récemment été diagnostiquée chez le saumon de l’Atlantique d’élevage en Colombie-Britannique.
  7. Les témoins experts de la demanderesse ont conclu que le RVP peut être transmis du saumon de l’Atlantique d’élevage au saumon du Pacifique sauvage, et qu’il causera vraisemblablement l’IMSC chez le saumon du Pacifique sauvage. Ils ont aussi conclu que le saumon élevé en parc en filet est la principale source d’infection par le RVP en milieu marin.

[93]  À la lumière de la preuve dont je suis saisi, je conclus sans hésitation que la demanderesse a établi qu’elle était sérieusement exposée à un risque de préjudice irréparable sous plusieurs rapports : l’absence totale de consultation de la part du ministre au sujet du transfert de saumons de l’Atlantique dans le territoire revendiqué, malgré la reconnaissance antérieure de la revendication justifiée des droits de pêche ancestraux dans ce territoire; la preuve que les pêches du saumon revêtent une importance fondamentale pour la culture et le mode de vie de la demanderesse; l’exposition des pêches à un risque grave en raison du déclin des populations de saumon sauvage dans le territoire revendiqué; les récentes données scientifiques établissant un lien entre le RVP et l’IMSC, et le risque concomitant de maladie et de mortalité. Tout cela démontre la probabilité réelle, et non conjecturale, d’un préjudice irréparable pour la demanderesse.

[94]  Le risque pour le mode de vie, la culture et les traditions de pêche au saumon de la demanderesse, de même que l’absence de consultation constructive sur les permis de transfert et l’atteinte qui pourrait s’ensuivre aux droits ancestraux revendiqués sont particulièrement convaincants en ce qui a trait au préjudice irréparable.

[95]  Voici à cet égard un passage éloquent de l’arrêt Blaney et al. v Minister of Agriculture et al., 2004 BCSC 1764, aux paragraphes 62 et 63 :

[traduction]

62  Tout d’abord, il convient de rappeler l’obligation du gouvernement fédéral ou provincial de consulter les Autochtones sur les enjeux qui touchent leurs territoires. Le droit d’être consulté, dont l’analyse la plus récente est tirée de l’arrêt Haïda de la Cour suprême du Canada, ne confère pas à un groupe autochtone un droit de veto sur la gestion par un gouvernement quelconque des ressources relevant de sa compétence.

63  N’empêche, ce groupe doit impérativement se voir offrir la possibilité de participer à une consultation. S’il est démontré après‑coup que cette possibilité ne lui a pas été offerte, l’omission de prendre des mesures correctives immédiates ou d’empêcher toute nouvelle activité au titre du processus contesté ou des droits de délivrer des permis s’assimile ni plus ni moins à un sabotage du processus de consultation étant donné la probabilité que le préjudice qui pourrait s’ensuivre ne soit jamais réparé.

C.  Prépondérance des inconvénients

[96]  Une injonction provisoire ou interlocutoire vise à rétablir l’équilibre entre les droits des parties et l’équité de manière relativement immédiate (en quelques jours, semaines ou mois tout au plus), étant entendu que l’action en justice suivra son cours normal.

[97]  La prépondérance des inconvénients consiste à « déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond » (RJR-MacDonald, à la page 342). En plus du préjudice auquel chaque partie prétend être exposée, il faut tenir compte de l’intérêt public (RJR‑MacDonald, à la page 350).

[98]  Je conviens avec les parties que les trois volets du critère du redressement interlocutoire établi dans l’arrêt RJR-MacDonald sont liés, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas être appréciés de manière isolée. Ces trois volets constituent le cadre d’analyse de la Cour, qui ne doit jamais perdre de vue la justice et l’équité dans la situation en cause (Unilin Beheer B.V. c Triforest Inc., 2017 CF 76, au paragraphe 12; Mosaic Potash Esterhazy Limited Partnership v Potash Corporation of Saskatchewan Inc, 2011 SKCA 120, au paragraphe 26).

[99]  La demanderesse plaide que lorsque la Cour se demande laquelle des parties subira le plus grand préjudice en mettant en balance leurs droits et leurs intérêts, elle ne doit pas considérer que le gouvernement a le monopole de l’intérêt public (RJR-MacDonald, à la page 343). De plus, il se dégage un intérêt public fondamental de la réconciliation et de l’importance accordée par la Cour suprême du Canada à la consultation et aux mesures d’accommodement (Première nation Ahousaht c Canada (Pêches et Océans), 2014 CF 197, aux paragraphes 30 à 32).

[100]  La demanderesse fait aussi valoir ce qui suit :

  1. Le MPO et MarineHarvest étaient parfaitement au courant de ses préoccupations et de son opposition à l’égard du transfert en l’absence de consultation et de dépistage du RVP.
  2. Au moins un autre site pourrait accueillir les saumoneaux de l’Atlantique que MarineHarvest s’apprête à transférer.
  3. Les pertes économiques éventuelles sont de nature pécuniaire et pourraient être compensées par des dommages-intérêts.
  4. Actuellement, l’installation de l’île Swanson est vide.
  5. Les risques de préjudice pour la demanderesse et ses droits ancestraux, ainsi que pour les stocks de saumons déjà décimés l’emportent sur toute perte pécuniaire éventuelle ou l’intérêt public invoqué par le MPO ou MarineHarvest.

[101]  Le ministre est d’avis qu’une injonction porterait préjudice à l’intérêt public et entraînerait un préjudice économique pour le secteur aquacole dans la mesure où le MPO ne pourrait pas exercer son pouvoir législatif de gérer les pêches et de délivrer les permis de transfert.

[102]  Marine Harvest soutient que des dommages seront causés aux saumoneaux de l’Atlantique visés par le transfert s’ils ne sont pas libérés en milieu marin dans un délai qui se compte en jours. De plus, la présentation tardive de la requête par la demanderesse a exacerbé le problème à un point tel qu’un préjudice serait difficilement évitable.

[103]  Je conviens avec les avocats des parties qu’il s’agit d’une affaire inhabituelle quant aux faits. Quand elle est saisie d’une requête en redressement interlocutoire et si elle conclut à l’existence d’une question sérieuse et à la probabilité d’un préjudice irréparable, il n’est pas rare que la Cour apprécie la prépondérance des inconvénients après avoir appliqué les deux premiers volets du critère de l’arrêt RJR-MacDonald.

[104]  La Cour doit toutefois considérer ce qui constitue une issue juste et équitable selon les circonstances propres à chaque affaire. Ici, le statu quo, les éventuelles pertes économiques de Marine Harvest et le retard imputable à la demanderesse sont tous des faits qui favorisent Marine Harvest.

[105]  Relativement au statu quo, les faits militent pour Marine Harvest puisque, même si l’installation de l’île Swanson est vide, son exploitation est tributaire depuis de nombreuses années du transfert régulier de saumons de l’Atlantique (une récolte y a été effectuée en décembre 2017). Marine Harvest s’est conformée aux exigences du MPO relativement aux transferts de poissons durant cette période. Il est de peu d’intérêt de savoir si la politique sur le RVP du MPO est raisonnable, une question qui sera tranchée lors du contrôle judiciaire sous‑jacent. L’important est que Marine Harvest n’a pas outrepassé ses droits juridiques.

[106]  De plus, comme l’affirme M. Erenst dans son affidavit, un seul autre site pourrait accueillir les saumoneaux destinés à l’installation de l’île Swanson et dans lequel il est déjà prévu de transférer un grand nombre de saumoneaux. Si Marine Harvest se voit dans l’obligation de transférer les deux populations de saumoneaux au site de substitution, leur densité beaucoup trop élevée dans les bassins d’élevage ne respecterait pas les bonnes pratiques aquacoles, elle altérerait leur croissance et, potentiellement, elle provoquerait un taux accru de mortalité. Marine Harvest estime qu’il lui en coûterait près de 2,1 millions de dollars en dommages si elle inclut les coûts de préparation en cours à l’installation de l’île Swanson.

[107]  Elle fait valoir en outre que plusieurs semaines seraient nécessaires pour préparer un autre site à accueillir les saumoneaux en cause. Cette option n’est pas envisageable. Les poissons sont prêts pour un transfert et tout délai risque d’entraîner les effets indésirables susmentionnés.

[108]  Le dossier commande une décision immédiate, et cette urgence est due en grande partie au retard inexpliqué avec lequel la demanderesse a déposé sa requête. Dans son affidavit, le chef Svanvik confirme que la demanderesse a rencontré les représentants de Marine Harvest le 21 décembre 2017 et qu’ils lui ont fait part du projet de repeupler l’installation de l’île Swanson en mars ou avril 2018. La présente requête en redressement interlocutoire a été déposée le 9 mars 2018, soit quelques jours à peine avant la date fixée pour ledit transfert.

[109]  Certes, le ministre n’a pas consulté la demanderesse et a ce faisant bafoué ses droits ancestraux et l’intérêt public de la réconciliation, mais force m’est de rappeler que les groupes autochtones ne doivent pas entraver les tentatives de consultation de bonne foi (Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 42). Marine Harvest n’a jamais rompu le dialogue avec la demanderesse; elle a tout au plus refusé de lui communiquer certains renseignements, notamment la demande de permis de transfert et les méthodes de dépistage du RVP. Marine Harvest n’a pas été notifiée du dépôt imminent d’une requête en injonction interlocutoire. Si la requête avait été déposée peu de temps après la réunion du 21 décembre, ou si elle avait autrement été notifiée du projet de la demanderesse de solliciter une injonction, Marine Harvest aurait pu chercher d’autres solutions pour accueillir les saumoneaux.

[110]  Au vu de l’ensemble des circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise Marine Harvest et j’estime que l’injonction réclamée ne serait ni juste ni équitable.

[111]  J’ajouterai pour terminer que l’audition de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire devrait avoir lieu le plus rapidement possible. Les parties ont donc intérêt à demander au plus vite les ordonnances ou les directives voulues du juge responsable de la gestion de l’instance afin d’établir un calendrier pour une instruction accélérée du contrôle judiciaire.

D.  Engagement quant aux dommages-intérêts

[112]  Puisque je conclus que la prépondérance des inconvénients favorise les défendeurs et que je n’accorderai pas d’injonction interlocutoire, il est inutile que j’examine cette question.

IX.  Conclusion

[113]  La requête en injonction interlocutoire est rejetée. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-430-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête est rejetée.
  2. Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-430-18

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION ‘NAMGIS c LE MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE ET MARINE HARVEST CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 19 et 20 mars 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mars 2018

 

COMPARUTIONS :

Scott A. Smith

Paul Seaman

Sean P. Jones

Pour la demanderesse

Steven C. Postman

Lisa M.G. Nevens

Pour le défendeur,

MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE

LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

Christopher J. Watson

POUR LA DÉFENDERESSE,

MARINE HARVEST CANADA Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur,

MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

Mackenzie Fujisawa SRL

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE,

MARINE HARVEST CANADA Inc.

 

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