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Date : 20180501


Dossier : IMM-3880-17

Référence : 2018 CF 463

[TRADUCTION FRANÇAISE]

À Ottawa (Ontario), le 1er mai 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

BRANDON-RYAN MICHAEL TREVOR DANIELS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision datée du 21 août 2017 (la décision) rendue par une agente principale d’immigration (l’agente) de Citoyenneté et Immigration Canada par laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire (CH) présentée par le demandeur.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Afrique du Sud. Il est arrivé au Canada en 1995, autour de l’âge de six ans, accompagné de sa famille. La mère et les trois sœurs du demandeur sont toutes devenues citoyennes canadiennes. Malheureusement, son père est décédé en 2005.

[3]  Le demandeur affirme qu’à la suite du décès de son père, il a commencé à avoir des troubles comportementaux. À cause de mauvaises fréquentations tard dans son adolescence, le demandeur a été condamné pour séquestration en 2010. L’incident s’est produit alors qu’il accompagnait un ami dans un hôtel où cet ami a tenté de recouvrer de l’argent d’une femme. Le demandeur affirme qu’il a plaidé coupable parce qu’on lui a offert une entente de plaidoyer d’une peine déjà purgée en détention préventive, plus un jour d’emprisonnement.

[4]  Le demandeur s’est marié avec une citoyenne canadienne, Deandra Haynes, en janvier 2016. Ils ont une fille, Isabella, née le 3 décembre 2015. Mme Haynes souffre de diverses maladies mentales graves pour lesquelles elle a déjà été hospitalisée par le passé.

[5]  Compte tenu de sa condamnation criminelle, le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en 2015. Le demandeur a déposé une demande CH pour une dispense de l’application des exigences de la Loi en 2016.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]  L’agente a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une dispense de l’application des exigences de la Loi.

[7]  Après avoir examiné les antécédents du demandeur en fonction de sa demande CH, l’agente a évalué l’établissement du demandeur au Canada et a conclu qu’il mérite qu’on lui accorde un certain poids. Alors qu’elle admet que le demandeur réside au Canada depuis un certain temps, l’agente estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve concernant ses antécédents scolaires et professionnels. Le demandeur a indiqué qu’il a fait une demande d’inscription au collège George Brown, mais la preuve n’indique pas s’il a été admis. La déclaration de revenus de 2015 du demandeur indique qu’il a reçu de l’aide sociale, mais sa propre déclaration n’inclut aucun détail sur la manière dont il s’acquittait de ses obligations financières envers sa famille, à part la mention qu’il effectue des petits travaux pour gagner un revenu supplémentaire. Il affirme avoir été impliqué dans un grave accident de voiture en 2014 à la suite duquel il a été incapable de marcher pendant un certain temps. Cependant, le rapport d’accident de voiture présenté ne fournit aucun détail sur l’étendue des blessures du demandeur ni de quelle façon l’accident a affecté sa capacité à travailler. Des lettres de la mère et des trois sœurs du demandeur indiquent qu’il jouit du soutien d’une famille élargie au Canada, et démontre son désir de mener une vie plus productive. Selon l’agente, ses relations familiales ainsi que le temps qu’il a passé au Canada sont des facteurs auxquels on doit accorder un certain poids en raison de son établissement au pays.

[8]  L’agente accepte également le fait que l’épouse du demandeur a eu de graves problèmes de santé mentale par le passé et prétend avoir besoin du soutien du demandeur, mais conclut que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant le niveau d’interdépendance du couple. L’agente indique qu’un rapport d’état de santé du ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario, rédigé en 2014, indique que le pronostic de l’état de Deandra est inconnu et que son état peut se détériorer, demeurer le même ou empirer. L’agente déclare que la situation du demandeur et de sa famille a beaucoup changé depuis octobre 2014 et qu’il incombe au demandeur de fournir des renseignements à jour susceptibles d’avoir un effet sur sa demande. L’agente accepte également le fait que la mère de Deandra ne sera pas en mesure de lui offrir le soutien requis en l’absence du demandeur, mais conclut que, sur le fondement des lettres de soutien qu’elles ont soumises pour le demandeur, il serait raisonnable de présumer que la mère et les sœurs du demandeur seraient en mesure d’offrir le soutien nécessaire à Deandra si nécessaire.

[9]  Considérant l’intérêt supérieur de la fille du demandeur, Isabella, l’agente conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels elle serait touchée négativement par l’issue de la décision. Comme c’est le cas pour l’établissement du demandeur, la preuve ne démontre pas de quelle façon le demandeur subvient aux besoins financiers de sa fille. Il n’y a pas non plus suffisamment d’éléments de preuve objectifs quant à l’état de son épouse ou à l’effet que celui-ci a sur sa capacité à prendre soin de leur fille pour établir de quelle façon le demandeur intervient lorsque son épouse n’arrive pas à faire face. L’agente remarque également que la preuve ne démontre pas que le même niveau d’amour et de soins accordé au demandeur par sa famille ne serait pas accordé à sa fille.

[10]  L’agente tient compte aussi des antécédents criminels du demandeur et précise qu’en plus de sa condamnation de 2010 pour séquestration, il a été accusé de possession de cannabis et de possession aux fins de trafic en 2012. Même si la condamnation pour séquestration est survenue approximativement sept ans avant la décision et que les chefs d’accusation pour stupéfiants ont été retirés en 2014, l’agente conclut que le dossier criminel du demandeur ne milite pas en sa faveur dans sa demande CH.

[11]  Les conditions en Afrique du Sud militent en faveur du demandeur, mais l’agente estime qu’il ne s’agit que d’un seul facteur dans le cadre de l’évaluation et que la preuve est insuffisante pour conclure que toutes les régions de l’Afrique du Sud sont dangereuses. Le demandeur affirme qu’il n’a aucun lien important en Afrique du Sud puisqu’il n’y habite plus depuis plus de 20 ans. Et l’agente reconnaît que les éléments de preuve documentaire indiquent effectivement des situations d’arrestations arbitraires, de violence due à des groupes justiciers et émeutiers et des autorités agissant en toute impunité, qui font que le demandeur pourrait être confronté à des difficultés. L’agente remarque cependant que le demandeur est un adulte anglophone ayant une certaine expérience de travail et une scolarité qui pourraient l’aider à se réinstaller en Afrique du Sud.

[12]  Considérant tous ces facteurs et les soupesant entre eux, l’agente n’était pas convaincue qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier une dispense de l’application des exigences de la Loi.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[13]  Le demandeur soutient que la présente demande soulève les questions en litige suivantes :

  1. L’agente a-t-elle appliqué le mauvais critère en appréciant l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur?
  2. L’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur de l’enfant était-elle déraisonnable?
  3. L’agente s’appuie-t-elle de façon inappropriée sur des accusations criminelles contre le demandeur qui ont été retirées?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[14]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est claire quant à la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[15]  Le demandeur soutient que la norme de contrôle pour savoir si l’agente a appliqué le critère approprié en matière d’intérêt supérieur de l’enfant est la norme de la décision correcte. Voir Lopez Segura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894, au paragraphe 27 [Segura]. Le défendeur soutient que la décision de l’agente concernant la demande CH doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable. Voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 [Kanthasamy], Abeleira c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1008, au paragraphe 28, et Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18.

[16]  Je reconnais que la Cour a exprimé des opinions divergentes sur la norme de contrôle applicable au choix par une agente du critère juridique à respecter dans le cadre d’une demande CH. Voir Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, aux paragraphes 13 à 15 [Zlotosz]. Cependant, selon moi, bien que la décision Segura ait été rendue après Dunsmuir, l’idée que le critère à respecter dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant est une question de droit dissociée assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte a été supplantée par les principes de common law relatifs au contrôle judiciaire en évolution. Dans Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a conclu que l’existence d’une question certifiée ne changeait pas la norme de contrôle d’une décision dans le cadre d’une demande CH de la décision raisonnable à la décision correcte. Voir Kanthasamy, précité, au paragraphe 44. Malgré le fait qu’elle dicte largement l’approche appropriée à appliquer dans le cadre d’une demande CH, voir Kanthasamy, précité, au paragraphe 33, la Cour suprême a tout de même examiné la question en considérant l’application du critère explicité aux faits de l’affaire selon la norme de la décision raisonnable. Voir Kanthasamy, précité, au paragraphe 45; Roshan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1308, au paragraphe 6. Cette approche évite les formalités inutiles concernant l’utilisation des termes précis pour énoncer le critère. Compte tenu du fait que la question de savoir si le critère approprié a été appliqué impliquera presque toujours une évaluation de la manière dont ce critère a été appliqué dans les circonstances, comme c’est le cas en l’espèce, l’attention de la Cour doit être portée sur la véritable question en jeu. Voir la décision Segura, précitée, au paragraphe 29, et l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 145. L’examen par l’agente de l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris la question de savoir si l’agente a appliqué le critère approprié, sera donc effectué selon la norme de la décision raisonnable, quoique, même si je lui appliquais la norme de la décision correcte, le résultat serait le même.

[17]  Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la question de savoir si l’agente a examiné de façon inappropriée les accusations criminelles contre le demandeur qui ont été retirées doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Voir Kharrat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 842, aux paragraphes 15 à 16 [Kharrat].

[18]  Lorsqu’une décision est examinée en regard de la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]  Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VII.  ARGUMENTATION

A.  Demandeur

1)  Intérêt supérieur de l’enfant

[20]  Le demandeur soutient que l’agente a appliqué à tort la norme des difficultés indues pour conclure qu’il y avait une preuve insuffisante selon laquelle l’intérêt supérieur d’Isabella serait [traduction] « touché négativement par l’issue de sa demande de dispense ». Dans Kanthasamy, précité, au paragraphe 59, la Cour suprême du Canada a soutenu l’observation formulée par la Cour d’appel fédérale selon laquelle « [l] es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés », citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 9. Le demandeur dit que la bonne approche serait d’évaluer ce qui est actuellement dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’il n’était pas tenu de démontrer les difficultés que subirait son enfant s’il était renvoyé. Voir Judnarine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 82, au paragraphe 45; et Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 67.

[21]  Le demandeur soutient également que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par l’agente a déraisonnablement fragmenté l’analyse de la maladie mentale de Deandra de sa capacité à prendre soin de l’enfant sans le soutien du demandeur. Dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75 [Baker], le juge L’Heureux-Dubé a conclu que, « pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt ». Le demandeur mentionne que la Cour suprême a depuis précisé que, « [l]orsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant “directement touché”, cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse » : Kanthasamy, précité, au paragraphe 40. Il s’agit d’une évaluation contextuelle qui doit être appliquée de manière à « tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » : Kanthasamy, précité, au paragraphe 35. Et « [p]uisque l’enfant peut éprouver de plus grandes difficultés qu’un adulte aux prises avec une situation comparable, des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant » : Kanthasamy, précité, au paragraphe 41. La Cour a conclu que « pour être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent des visas doit montrer qu’il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l’enfant s’il est raisonnablement possible de le connaître » : Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165, au paragraphe 11.

[22]  Selon le demandeur, lorsque la preuve est examinée dans sa totalité, la conclusion de l’agente selon laquelle la preuve était insuffisante pour justifier le fait que sa fille serait touchée négativement à la suite de son renvoi est déraisonnable. L’agente tient compte des rapports médicaux sur l’état de Deandra lors de l’analyse de la relation de cette dernière avec le demandeur, mais exprime une préoccupation du fait que le rapport date de 2014. Le demandeur accepte également le fait que les rapports médicaux de Deandra n’abordent pas la question de savoir de quelle façon sa maladie mentale a un effet sur sa capacité à prendre soin de leur fille, mais il souligne que son affidavit décrit les difficultés de son épouse à effectuer des tâches quotidiennes, son manque de soutien familial et sa croyance selon laquelle elle ne serait pas en mesure d’élever leur fille sans le soutien du demandeur. L’affidavit du demandeur décrit le soutien qu’il apporte pour gérer les symptômes de son épouse et prendre soin de leur enfant. Il s’agit de documents établis sous serment qui doivent bénéficier de la présomption de véracité, puisque l’agente n’a donné aucun motif permettant de douter de la crédibilité du demandeur. Voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 RCF 302 (CA). L’agente n’a pas expliqué non plus pour quelle raison les affidavits étaient insuffisants pour établir le fait que Deandra continue à souffrir d’une grave maladie mentale et a besoin du soutien du demandeur. Ensemble, ces éléments de preuve démontrent que la fille du demandeur est une jeune enfant qui a une mère gravement malade, laquelle a besoin de l’aide du demandeur. La conclusion selon laquelle l’intérêt supérieur de sa fille ne serait pas touché négativement par son renvoi est donc déraisonnable.

[23]  Le demandeur dit également qu’il ne demande pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Le demandeur affirme plutôt que la conclusion de l’agente n’est pas justifiée de façon rationnelle du fait de l’approche fragmentée qu’elle utilise déraisonnablement.

2)  Accusations retirées

[24]  Le demandeur soutient que le poids accordé par l’agente aux accusations qui ont été retirées est également déraisonnable. Des accusations retirées « ne peuvent toutefois pas être utilisées comme seule preuve de la criminalité d’une personne », Sittampalam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 326, au paragraphe 50 [Sittampalam]. Comme le décrit la juge MacTavish dans Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, au paragraphe 35, « il faut établir une distinction entre le fait de se fonder sur le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous-tend les accusations en question. Le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction ne prouve rien : il s’agit seulement d’une allégation » (en caractères italiques dans l’original). Le demandeur dit que la référence faite par l’agente aux chefs d’accusation relatifs aux stupéfiants établis contre lui qui ont été retirés n’aurait pas pu tenir compte de la preuve relative aux chefs d’accusation puisque l’agente s’appuie seulement sur les notes inscrites au Système mondial de gestion des cas (SMGC).

B.  Défendeur

[25]  Le défendeur soutient que l’article 25 de la Loi représente un recours hautement discrétionnaire et extraordinaire qui exige une preuve suffisamment importante pour justifier la prise de mesures spéciales. Voir Ngyuen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 29. Le défendeur dit que les motifs de l’agente reflètent la preuve présentée par le demandeur et que les arguments de ce dernier servent simplement à demander à ce que cette preuve soit appréciée à nouveau.

1)  Intérêt supérieur de l’enfant

[26]  Le défendeur dit que la conclusion de l’agente selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant ne serait pas touché négativement par le rejet de la demande de dispense d’application de la Loi par le demandeur n’a pas été tirée selon le mauvais critère juridique. Dans Zlotosz, précité, au paragraphe 21, le juge Diner a conclu qu’une juste interprétation de Kanthasamy démontre qu’une évaluation des difficultés peut toujours faire partie de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, tant qu’elle n’est pas « utilisée comme un seuil qui nécessite que l’on démontre que les difficultés imposées à un enfant atteignent un niveau particulier ». Le juge Diner a ajouté que l’observation de l’agente selon laquelle les demandeurs dans Zlotosz n’ont pas réussi à démontrer que le fait que l’enfant serait « touchée de façon considérable et préjudiciable […] n’[équivalait] pas à apprécier ces éléments à travers un mauvais prisme comme cela est évoqué dans l’arrêt Kanthasamy », Zlotosz, précité, au paragraphe 22.

[27]  Le défendeur affirme qu’en l’espèce, l’évaluation faite par l’agente de l’intérêt supérieur de l’enfant s’appuie de façon raisonnable sur la preuve insuffisante. Le demandeur a affirmé qu’il veille à satisfaire les besoins financiers de sa fille, mais la preuve démontrait qu’il vivait de l’aide sociale et qu’il effectuait des petits travaux pour gagner un revenu supplémentaire. La preuve relative à ses tentatives de poursuivre ses études indique simplement une attestation de sa demande d’admission au collège George Brown ainsi qu’une demande envoyée par le collège pour obtenir de la documentation supplémentaire. Le défendeur affirme que l’agente a effectivement examiné l’affidavit de Deandra selon lequel elle continue de souffrir d’une grave maladie mentale et que le demandeur l’aide à élever leur enfant. Mais la preuve objective du niveau d’interdépendance entre eux était insuffisante, et les rapports de l’hôpital concernant l’état de Deandra dataient de 2014. La preuve démontre également que le demandeur a des proches qui sont prêts à lui offrir un soutien affectif et financier. L’agente conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que ce soutien ne serait pas apporté également à l’enfant du demandeur.

[28]  Le défendeur soutient que rien dans cette évaluation n’équivaut à un examen de la preuve, et qu’il était loisible à l’agente de prendre note du manque de preuve médicale actuelle. La conclusion de l’agente tient compte des préoccupations et de la preuve présentée par le demandeur, et est donc raisonnable. Voir par exemple Gayle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 867, au paragraphe 48.

2)  Accusations retirées

[29]  Le défendeur soutient également que l’évaluation faite par l’agente du dossier criminel du demandeur est raisonnable. L’agente reconnaît que les chefs d’accusation relatifs aux stupéfiants de 2012 ont été retirés, mais elle tient compte également de l’affirmation du demandeur selon laquelle sa condamnation de 2010 pour séquestration reflétait ses mauvaises fréquentations à ce moment-là, et qu’il était déterminé à apporter des changements dans sa vie. Le défendeur dit qu’il était loisible à l’agente de tenir compte des chefs d’accusation relatifs aux stupéfiants, non comme preuve des actes criminels du demandeur, mais de son comportement ultérieur à sa première condamnation. Voir Kharrat, précité, aux paragraphes 20 et 21, citant Sittampalam, précité, au paragraphe 50. Le défendeur soutient qu’il relevait donc du pouvoir discrétionnaire de l’agente de conclure que le dossier criminel du demandeur militait en sa défaveur.

VIII.  DISCUSSION

[30]  Le demandeur a soulevé trois principaux motifs d’examen et je vais les traiter dans l’ordre.

A.  Mauvais critère d’évaluation pour l’intérêt supérieur de l’enfant

[31]  Le demandeur affirme ce qui suit : [traduction]

40.  En l’espèce, l’agente a commis l’erreur semblable de mener l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant à travers un prisme de difficultés, puisqu’elle n’était pas convaincue du fait que le demandeur avait fourni suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels Isabella serait [traduction] « touchée négativement » par l’issue de la demande CH du demandeur. Le demandeur n’était pas tenu de démontrer qu’Isabella souffrirait (p. ex, que ses intérêts seraient touchés négativement) si le demandeur était renvoyé.

[32]  Il incombait au demandeur et/ou à ses conseillers de fournir à l’agente [traduction] « suffisamment » d’éléments de preuve à l’appui de sa demande d’exemption pour motifs d’ordre humanitaire, et toute insuffisance n’est pas la faute de l’agente.

[33]  En ce qui concerne les difficultés, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant faite par l’agente est la suivante :

[traduction]

En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, je suis consciente que ce facteur est important et qu’il convient d’y accorder une grande importance dans l’évaluation d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire; cependant, je sais également qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un facteur décisif. Dans la situation qui nous occupe, le demandeur a une fille âgée de 18 mois, Isabella, qui est sous la garde du demandeur et de sa mère. Le demandeur déclare qu’il prend soin d’Isabella lorsque Deandra éprouve des difficultés avec sa maladie mentale et qu’elle a besoin d’un soutien supplémentaire pour gérer ses symptômes. Le demandeur s’assure que sa fille bénéficie d’un environnement sécuritaire et chaleureux, par vive opposition avec sa propre vie turbulente sans père. Malgré les déclarations du demandeur, je ne suis pas [sic] convaincue que suffisamment d’éléments de preuve ont été présentés selon lesquels l’intérêt supérieur d’Isabella serait touché négativement par l’issue de sa demande de dispense. Le demandeur déclare qu’il veille à satisfaire les besoins financiers de sa fille, mais présente une preuve insuffisante sur la manière dont il y arrive. En ce qui concerne les problèmes de santé mentale de son épouse et la façon dont le demandeur lui offre un soutien lorsqu’elle est incapable de gérer ses symptômes, je remarque qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs concernant son état et les effets que celui-ci a sur sa capacité à prendre soin de leur enfant. Je constate également que le demandeur bénéficie de l’amour et du soutien continu de sa famille, comme l’indiquent les déclarations formulées dans leurs lettres et la volonté de la mère du demandeur de les accueillir chez elle. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que ce soutien ne serait pas accordé également à l’enfant du demandeur.

[34]  Il est clair que l’agente n’applique pas la norme des difficultés indues dans son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agente considère de quelle façon [traduction] « [les] intérêt[s] supérieur[s] de l’enfant serai[en]t touché[s] négativement par l’issue de la demande de dispense [du demandeur] », mais n’exige pas qu’un tel effet doive en arriver à un niveau de difficulté quelconque.

[35]  Si l’agente n’avait pas examiné l’effet négatif ou les difficultés possibles, elle aurait commis une erreur susceptible de contrôle. Ironiquement, lorsque le demandeur soutient que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agente est déraisonnable, il s’appuie sur une jurisprudence qui indique que les difficultés doivent être examinées. Il cite le paragraphe 74 de Baker, précité, qui indique ce qui suit :

74  Il en résulte que je ne suis pas d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shah, précité, à la p. 239, qu’une décision en vertu du par. 114(2) « relève entièrement [du] jugement et [du] pouvoir discrétionnaire » (je souligne). Le libellé du par. 114(2) et du règlement montre que le pouvoir discrétionnaire conféré est assorti de limites. Bien que je sois d’accord avec la Cour d’appel que la Loi ne donne au demandeur aucun droit à un résultat précis ou à l’application d’un critère juridique particulier, et que la doctrine de l’attente légitime ne commande pas un résultat conforme au libellé d’instruments internationaux, la décision doit être prise suivant une démarche qui respecte les valeurs humanitaires. Par conséquent, l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable. Même s’il faut faire preuve de retenue dans le contrôle judiciaire de décisions rendues par les agents d’immigration en vertu du par. 114(2), ces décisions ne doivent pas être maintenues quand elles résultent d’une démarche ou sont elles-mêmes en conflit avec des valeurs humanitaires. Les directives du ministre elles-mêmes soutiennent cette approche. Toutefois, la décision en l’espèce était incompatible avec cette approche.

[Non souligné dans l’original.]

[36]  À l’appui de son argument, le demandeur cite également la décision de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy, précité, laquelle indique au paragraphe 41 : « Puisque l’enfant peut éprouver de plus grandes difficultés qu’un adulte aux prises avec une situation comparable, des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant » (je souligne).

[37]  Le juge Diner a mentionné récemment dans Zlotosz, précité, que l’appréciation des difficultés est un des facteurs dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et que le fait de l’inclure à l’évaluation ne signifie pas qu’un agent considère l’intérêt supérieur à travers un prisme de difficultés :

[21]  Une appréciation des difficultés peut, par conséquent, faire partie d’une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, même si elle ne peut pas être utilisée comme un seuil exigeant que l’on démontre que les difficultés imposées à un enfant atteignent un niveau particulier. À mon avis, une juste lecture de l’arrêt Kanthasamy et de la jurisprudence de notre Cour qui l’interprète montre que l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’agente aurait appliqué un mauvais critère est non fondée. En effet, les difficultés qu’un enfant pourrait ou non éprouver peuvent justifier une décision favorable fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant (Kanthasamy, au paragraphe 41; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 287, au paragraphe 26 [Liang]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 12.).

[22]  En l’espèce, l’agente a souligné que les demandeurs n’avaient pas démontré que l’enfant serait [traduction] « touchée de façon considérable et préjudiciable ». Cela n’équivaut pas à apprécier ces éléments à travers le mauvais prisme, comme on l’évoque dans l’arrêt Kanthasamy. Il est parfaitement clair que, même si les demandeurs auraient préféré que l’agente en arrive à une conclusion différente, l’approche de l’agente était justifiable compte tenu du dossier de preuve présenté. La Cour d’appel fédérale a rejeté la notion selon laquelle l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant nécessite simplement que l’agent détermine si l’intérêt supérieur de l’enfant favorise un non-renvoi, comme cela sera presque toujours le cas (voir, par exemple, Louisy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 254, au paragraphe 11 [Louisy]; Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286, aux paragraphes 46 et 47; Nguyen, au paragraphe 7). Au contraire, la Loi énonce clairement qu’il incombe expressément au demandeur de fournir suffisamment d’éléments de preuve sur la base desquels il est possible d’exercer de manière favorable un pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’agente a appliqué une approche contextuelle concernant l’intérêt supérieur de l’enfant et a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni les éléments de preuve nécessaires.

[38]  En l’espèce, l’analyse effectuée par l’agente de l’intérêt supérieur de l’enfant respecte entièrement la jurisprudence de la Cour telle qu’elle a été énoncée par le juge Diner dans Zlotosz.

[39]  Par ailleurs, le demandeur dit que, si l’agente n’applique pas un critère de difficultés dans son analyse, elle évalue donc l’intérêt supérieur de l’enfant à travers un prisme de difficultés et n’apprécie pas la totalité des facteurs. Cependant, il y a très peu d’éléments de preuve au dossier quant aux besoins actuels et futurs d’Isabella. À cette étape de sa vie, elle a simplement besoin qu’on s’occupe d’elle. Dans le cas du demandeur, son épouse n’est pas en mesure de le faire sans sa présence et son aide. Pour cette raison, la majeure partie de la décision porte sur la preuve médicale et personnelle en ce qui concerne Deandra et les contributions du demandeur à la situation, en plus de l’implication des membres de la famille élargie.

[40]  Selon moi, à la lecture de la décision d’un point de vue global, il est clair que l’agente n’applique pas le mauvais critère dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et ne considère pas l’intérêt d’Isabella à travers un prisme de difficultés.

B.  Analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant déraisonnable

[41]  Le demandeur soutient également que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant en l’espèce est déraisonnable pour les motifs suivants :

[traduction]

55.  Le demandeur soutient que l’agente a procédé à un examen fragmenté de la preuve concernant la santé mentale de Deandra, de sa capacité à prendre soin d’Isabella et du fait qu’elle a besoin de l’aide du demandeur. L’agente aurait dû examiner tous les éléments de preuve pertinents ensemble. Les éléments de preuve pertinents sont composés de rapports de l’hospitalisation de Deandra en 2014, d’un rapport du ministère des Services sociaux et communautaires et d’affidavits de la part de Deandra et du demandeur.

56.  Lorsque tous les éléments de preuve sont évalués ensemble, il est clair que l’évaluation de l’agente est déraisonnable. L’agente avait la responsabilité d’être [traduction] « attentive, réceptive et sensible » à l’intérêt supérieur d’Isabella, et de tenir compte de son âge, de sa capacité, de ses besoins et de sa maturité. Isabella est une enfant en très bas âge dont la mère souffre de graves problèmes de santé mentale, laquelle a besoin de l’aide du père d’Isabella pour gérer ses symptômes et prendre soin d’Isabella. Compte tenu des rapports médicaux et des déclarations sous serment de Deandra et du demandeur, il n’était pas complètement déraisonnable pour l’agente de conclure que l’intérêt d’Isabella ne serait pas touché négativement par le renvoi du demandeur du Canada.

57.  De plus, l’agente ne mentionne pas pourquoi elle a conclu que la preuve sous serment présentée par Deandra et par le demandeur était insuffisante pour établir que cette dernière continue à souffrir d’une grave maladie mentale et a besoin d’aide et de soutien pour prendre soin d’Isabella. L’agente a commis une erreur en n’appliquant pas le principe dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), selon lequel les faits établis sous serment sont présumés véridiques à moins d’une raison valable permettant de douter de leur véracité. L’agente n’a formulé aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité de Deandra ou du demandeur en ce qui concerne les affidavits présentés à l’appui de la demande CH du demandeur. L’agente n’a pas expliqué pourquoi les déclarations sous serment de Deandra et du demandeur concernant la maladie mentale de Deandra et son besoin du soutien du demandeur étaient insuffisantes pour établir ces faits, et il n’y avait aucune raison permettant à l’agente de douter de ces déclarations.

[Souligné dans l’original.]

[42]  Par examen fragmenté, le demandeur semble vouloir dire que l’agente n’a pas examiné les rapports médicaux de Deandra avec les éléments de preuve dans les affidavits de Deandra et du demandeur. Il soutient que [traduction] : « [l]orsqu’ils sont lus conjointement, les rapports médicaux et les affidavits établissent clairement que Deandra a des problèmes de santé mentale graves et chroniques qui ont un effet sur sa capacité à prendre soin d’Isabella, et qu’elle a besoin du soutien continu de la part du demandeur pour prendre soin d’Isabella.»

[43]  Une simple lecture de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant susmentionnée indique clairement que l’agente a examiné à la fois la preuve relative aux problèmes de santé mentale de Deandra et les affidavits, et conclut [traduction] « qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs concernant son état et ses effets sur sa capacité à prendre soin de leur enfant », et en ce qui concerne les affidavits, elle conclut que [traduction] « [m]algré les déclarations du demandeur, je ne suis pas [sic] convaincue que suffisamment d’éléments de preuve ont été présentés selon lesquels l’intérêt supérieur d’Isabella serait touché négativement par l’issue de sa demande de dispense ». Encore une fois, le problème soulevé concerne l’insuffisance des éléments de preuve présentés par le demandeur à l’appui de sa cause. L’agente est clairement au courant de la preuve concernant les difficultés de Deandra à prendre soin d’Isabella puisqu’elle reconnaît la preuve selon laquelle le demandeur [traduction] « prend soin d’Isabella lorsque Deandra éprouve des difficultés avec sa maladie mentale et qu’elle a besoin d’un soutien supplémentaire pour gérer ses symptômes » et soulève également que les problèmes de Deandra à prendre soin d’Isabella doivent également être examinés dans le contexte du soutien disponible de la part de la famille du demandeur :

[traduction]

Je constate également que le demandeur bénéficie de l’amour et du soutien continu de sa famille, comme l’indiquent les déclarations formulées dans leurs lettres et la volonté de la mère du demandeur de les accueillir chez elle. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que ce soutien ne serait pas accordé également à l’enfant du demandeur.

[44]  Il est certainement possible d’être en désaccord avec le poids accordé par l’agente aux éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il n’est pas possible de dire qu’elle n’a pas examiné ces éléments de preuve en totalité lors de son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. La preuve médicale était ancienne (2014) et précisait que le pronostic de Deandra était inconnu. Par conséquent, l’agente a raisonnablement demandé une preuve médicale de l’état actuel de Deandra pour pouvoir évaluer adéquatement ses besoins et ses capacités à prendre soin d’Isabella. Une telle preuve n’a pas été fournie, il n’était donc pas déraisonnable pour l’agente de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs sur la façon dont la santé mentale de Deandra aurait un effet sur les besoins d’Isabella. Le demandeur ne peut pas blâmer l’agente pour son incapacité à fournir la preuve requise pour évaluer l’intérêt supérieur d’Isabella. L’agente a conclu que la preuve personnelle fournie par le demandeur n’a pas suffi à combler les lacunes. Mon examen des affidavits du demandeur et de Deandra me donne à penser qu’il n’était pas déraisonnable que l’agente ait besoin d’éléments de preuve médicale plus récents avant de pouvoir faire une évaluation complète de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[45]  Il est également clair que l’agente a jugé insuffisante la preuve sous serment présentée par Deandra parce que [traduction] « il n’y a pas de preuve objective suffisante concernant son état actuel ».

C.  Accusations retirées

[46]  Le demandeur dit que l’agente [traduction] « a de toute évidence tenu compte des accusations retirées dans son évaluation de la criminalité du demandeur » et qu’il est [traduction] « bien établi que c’est une erreur pour un décideur de prendre en compte des accusations qui ont été retirées dans l’évaluation de la criminalité ».

[47]  L’agente a évalué cette question comme suit :

[traduction]

J’ai également tenu compte du dossier criminel du demandeur et je remarque qu’il a été déclaré coupable de séquestration en 2010. La preuve issue du SMGC indique également qu’il a fait l’objet d’accusations de possession de cannabis et de possession en vue d’en faire le trafic en décembre 2012; cependant, ces accusations ont été retirées en octobre 2014 lorsqu’il s’est présenté au tribunal. Concernant la condamnation, [il] reconnaît avoir eu de mauvaises fréquentations qui n’ont pas eu une bonne influence sur lui. Il a déclaré vouloir améliorer sa qualité de vie ainsi que celle de son épouse et sa fille. Je remarque que l’infraction s’est produite il y a approximativement sept ans et que les accusations relatives aux stupéfiants ont été retirées, mais le dossier criminel du demandeur ne milite pas en sa faveur.

[48]  Lorsque je lis ce paragraphe, je constate que l’agente dit simplement que, même si les accusations relatives aux stupéfiants ont été retirées (et ne font donc pas partie du dossier criminel du demandeur), ce que contient ce dossier criminel (la condamnation pour séquestration de 2010) [traduction] « ne milite pas en sa faveur ». Il n’y a rien de déraisonnable ou d’inapproprié concernant cette conclusion. Le demandeur dit que la décision ne peut pas être lue de cette façon puisque l’agente a utilisé le terme [traduction] « et » dans sa conclusion :

[traduction]

Je remarque que l’infraction s’est produite il y a approximativement sept ans et que les accusations relatives aux stupéfiants ont été retirées, mais le dossier criminel du demandeur ne milite pas en sa faveur.

[49]  Selon moi, l’agente ne dit pas que les accusations relatives aux stupéfiants font partie du dossier criminel du demandeur; en fait, elle mentionne le fait qu’elles n’en font pas partie puisqu’elles ont été retirées. Il est difficile de croire qu’une agente qualifiée considérerait que des accusations retirées fassent partie du [traduction] « dossier criminel » d’un demandeur et en tiendrait compte pour conclure à une interdiction de territoire.

[50]  Il y a également une certaine pertinence découlant des accusations relatives au cannabis qui ont été retirées et de ce qu’elles démontrent du comportement du demandeur depuis sa condamnation. Sa preuve démontrait qu’il avait fait de mauvais choix qui l’ont mené à commettre une erreur et à faire l’objet d’une déclaration de culpabilité, mais qu’il était déterminé à apporter des changements dans sa vie. Le demandeur n’a présenté aucune preuve relative aux accusations relatives au cannabis ni la raison pour laquelle elles ont été retirées, qui atténueraient les doutes évidents relatifs à la question de savoir si son comportement et son jugement se sont améliorés d’une manière qui en feraient un facteur positif dans l’évaluation de la demande CH. Voir Kharrat, précité, aux paragraphes 20 et 21, et Sittampalam, précité, au paragraphe 50.

[51]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3880-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3880-17

 

INTITULÉ :

BRANDON-RYAN MICHAEL TREVOR DANIELS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Debbie Rachlis

Pour le demandeur

 

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Debbie Rachlis

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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