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Date : 20180502


Dossier : IMM-3924-17

Référence : 2018 CF 474

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 mai 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SIRAJI BASHIR HAJI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur présente une demande de contrôle judiciaire d’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) défavorable effectuée par un agent d’immigration principal (« l’agent ») en date du 12 juillet 2017.

[2]  M. Haji est un demandeur d’asile débouté. Il soutient que les autorités éthiopiennes l’ont ciblé en raison des liens qu’elles l’accusent d’entretenir avec le Front de libération national de l’Ogaden. La demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) parce qu’elle a été jugée non crédible, ce qui a été confirmé par la suite par la Section d’appel des réfugiés (SAR) et cette Cour (Haji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 868).

[3]  Pour appuyer sa demande d’ERAR, qui fait actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire, le demandeur a cherché à dissiper les doutes de la RPD quant à sa crédibilité. Il a soumis un nouvel affidavit signé au Kenya par sa conjointe, dans lequel elle a témoigné qu’elle a été [traduction] « ciblée » en Éthiopie en raison des allégations contre son conjoint et qu’elle a été [traduction] « détenue illégalement ». Elle a ensuite témoigné qu’elle avait [traduction] « fui pour assurer sa sécurité » et qu’elle vivait actuellement au Kenya comme réfugiée. L’agent a accordé peu de poids à l’affidavit puisque la conjointe du demandeur n’a pas fourni de détails sur le ciblage et l’arrestation, que ses allégations n’ont pas été corroborées par des éléments de preuve objectifs et qu’elle avait un intérêt dans l’issue de l’ERAR.

[4]  Après avoir examiné les observations des parties, j’estime que cette demande se résume à une question : lorsqu’il a examiné la preuve démontrant que la conjointe du demandeur a été détenue illégalement en Éthiopie en raison d’allégations contre le demandeur, l’agent était-il limité à deux options, soit accepter le fait établi ou rejeter l’élément de preuve en raison d’un manque de crédibilité?

[5]  Le demandeur soutient que l’agent est limité à ces options, ce qui signifie que la décision est fondée sur une conclusion déguisée sur la crédibilité et doit être rejetée. Je ne partage pas cet avis : un agent chargé de l’ERAR peut, comme dans l’affaire qui nous occupe, ne pas être convaincu par des éléments de preuve par affidavit sans en venir à une conclusion sur la crédibilité du déclarant, particulièrement l’affidavit d’un tiers, dont la valeur ne peut être établie directement. Par conséquent, je rejette la présente demande. Mes motifs sont énoncés ci-dessous.

II.  Norme de contrôle

[6]  Le demandeur fait valoir que l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité de sa conjointe, ce qui lui a permis d’esquiver la question à savoir si une audience devait se tenir conformément à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement). Le demandeur soutient que l’omission par l’agent d’examiner si une audience devait se tenir ou non est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, en s’appuyant sur la décision Zmari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132 [Zmari].

[7]  Le défendeur prétend que la question à savoir si la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte s’applique à l’omission par l’agent responsable de l’ERAR d’examiner si une audience orale devait se tenir n’est pas soulevée quant aux faits de la présente affaire, puisque l’agent n’a pas tiré de conclusion déguisée sur la crédibilité.

[8]  En réponse, le demandeur reconnaît que si la Cour conclut que l’agent n’a pas tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité, il n’avait donc aucune raison d’examiner la question à savoir si une audience devait se tenir ou non. En d’autres termes, s’il n’y a eu aucune une conclusion déguisée sur la crédibilité, la norme de contrôle s’appliquant à la question liée à la tenue d’une audience n’est pas pertinente.

[9]  Je m’appuie sur la formulation établie dans deux causes dans lesquelles la question a été abordée de façon approfondie : AB c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 629 [AB], qui s’appuyait sur la décision Ikeji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422 [Ikeji]. Dans ces affaires, on a conclu que la question à savoir si un agent chargé de l’ERAR a tiré une conclusion voilée sur la crédibilité doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Comme l’a conclu le juge Southcott :

15  Je suis d’avis qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable lorsque la question en litige est de savoir si un agent d’ERAR aurait dû accorder une audience, car la décision sur cette question repose sur l’interprétation et l’application de la loi qui s’applique aux agents. L’alinéa 113b) de la LIPR dispose qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires, et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002/227 (RIPR) indique que les facteurs applicables sont les suivants :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu'ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

16  En l’espèce, les arguments portaient sur le premier de ces facteurs, à savoir s’il existe des éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse principale et, plus particulièrement, si le raisonnement de l’agent, qui repose sur l’insuffisance des éléments de preuve, peut être plus justement qualifié de conclusion déguisée sur la crédibilité. Au paragraphe 20 de la décision Ikeji, la juge Strickland a énoncé que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions se rapportant à des conclusions voilées en matière de crédibilité, tout en signalant que bien que la jurisprudence soit divisée quant à la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience, elle conclut que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. La juge Strickland en est arrivée à cette conclusion parce qu’un agent tient compte des exigences prévues à l’alinéa 113b) de la LIPR et des facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR pour rendre une telle décision, ce qui est une question de fait et de droit.

17  Je souscris à cette analyse et je considère qu’elle s’applique particulièrement à la présente espèce, où la position des demanderesses sur la question de la tenue d’une audience repose sur l’argument selon lequel l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité. J’appliquerai donc la norme de la décision raisonnable aux deux questions en litige dans la présente demande. Je tiens cependant à signaler que mes conclusions, que je présenterai plus loin, demeureront inchangées même si la norme de la décision correcte est appliquée à la question de la tenue d’une audience.

[10]  Le raisonnement utilisé dans les décisions AB et Ikeji s’applique aux faits qui m’ont été soumis. Par conséquent, je vais examiner l’analyse effectuée par l’agent de l’élément de preuve soumis par la conjointe du demandeur selon la norme de la décision raisonnable. Je dois être convaincu que la décision est justifiée, transparente et intelligible, et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

III.  Discussion

[11]  Pour déterminer si l’agent chargé de l’ERAR a tiré une conclusion voilée sur la crédibilité, il faut examiner la question en détail (Zdraviak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305, au paragraphe 14 [Zdraviak]). Par conséquent, je vais extraire l’analyse effectuée par l’agent de l’affidavit de la conjointe :

Il est indiqué que la conjointe du demandeur ne fournit aucune preuve corroborante objective pour appuyer les affirmations dans son affidavit. Elle n’a pas fourni de preuve documentaire corroborante objective pour appuyer l’allégation que le demandeur a été mis sur une « liste noire », qu’il figure sur une liste de surveillant du gouvernement éthiopien, qu’elle a été détenue illégalement, puis s’est échappée, ou qu’elle a été ciblée en raison des allégations contre son conjoint. Elle n’a pas indiqué de quelle façon elle a été ciblée ni par qui. Elle n’a pas fourni de détails quant au moment de son arrestation, aux personnes qui ont procédé à cette arrestation, à la durée de sa détention et à la façon dont elle s’est échappée. Elle n’a pas expliqué comment elle a appris que son mari avait été mis sur une « liste noire » ou comment elle a su qu’il figurait sur une liste de surveillance du gouvernement. Par conséquent, j’accorde peu de poids à l’affidavit puisque les allégations ne sont pas corroborées par des éléments de preuve objectifs et que affidavit a été produit par une personne ayant un intérêt dans l’issue de l’ERAR.

[12]  Dans sa demande, le demandeur établit une distinction entre les expériences personnelles relatées par sa conjointe et les renseignements de l’affidavit qui ne la concernent pas personnellement. Il admet, par exemple, qu’il était loisible pour l’agent d’accorder peu de poids à l’allégation de la conjointe que le demandeur figurait sur une liste de noire et sur une liste de surveillance.

[13]  Toutefois, le demandeur soutient que les éléments de preuve concernant le ciblage, l’arrestation et la fuite de sa conjointe (des événements qu’elle a elle-même vécus) devaient être acceptés par l’agent ou rejetés s’ils sont jugés non crédibles (ce qui ne peut se produire à moins que l’agent examine la question à savoir si une audience doit se tenir). Selon le demandeur, cela s’explique par le fait que l’affidavit de sa conjointe bénéficiait de la présomption que le témoignage sous serment est véridique (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (Cour fédérale du Canada – Section d’appel QL)).

[14]  Le demandeur fait valoir que le manque de détails auquel l’agent fait référence n’est donc pas pertinent, y allant de la remarque suivante dans ses observations écrites : [TRADUCTION] «... en quoi la durée de l’emprisonnement ou le moyen utilisé pour s’échapper sont-ils pertinents, tant que l’agent a accepté, comme il devait le faire en l’absence d’une audience, que ma conjointe a été emprisonnée et qu’elle s’est échappée? » De même, il soutient que si l’agent avait cru sa conjointe, il n’aurait pas eu besoin de preuve corroborante. En résumé le demandeur soutient que les questions comme les détails, la corroboration et l’intérêt personnel relèvent de la crédibilité et non du poids accordé lorsqu’elles portent sur des événements qui sont arrivés à sa conjointe.

[15]  Par conséquent, le demandeur soutient que l’agent a tiré une conclusion voilée sur sa crédibilité et aurait dû tenir compte de la question à savoir si une audience était nécessaire pour trancher ces questions. Le demandeur s’appuie sur les conclusions des affaires Zmari, Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 788 [Ruszo] et Balogh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 654 [Balogh].

[16]  Le défendeur conteste ces conclusions en s’appuyant sur la décision Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 [Ferguson], dans laquelle le juge Zinn soutient qu’il est loisible pour le décideur d’examiner la valeur des éléments de preuve sans d’abord considérer s’ils sont crédibles (au paragraphe 26). En outre, le juge Zinn note également que la preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante (au paragraphe 27). Le demandeur s’appuie également sur la décision Fadiga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1157, dans laquelle la Cour formule le principe selon lequel une déclaration non corroborée faite par une partie avec lien de dépendance présente peu de valeur (au paragraphe 26).

[17]  Le demandeur répond que les principes énoncés par le juge Zinn ne s’appliquent qu’aux preuves par ouï-dire et non aux éléments de preuve à la connaissance personnelle directe du déclarant.

[18]  Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation étroite de la décision Ferguson par le demandeur. Dans la décision Nakawunde c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 309, le juge Zinn a noté que « la Cour a, dans de nombreux cas, confirmé la décision d’un agent d’ERAR qui a conclu qu’un demandeur n’a pas fourni, au sujet de faits qui ne lui sont pas extérieurs, de preuves suffisantes » (au paragraphe 26).

[19]  Dans la récente décision Zdraviak, par exemple, le juge Gleeson s’est appuyé sur la décision Ferguson pour conclure qu’une déclaration sous serment soumise dans le cadre d’une ERAR n’est pas nécessairement suffisante, en elle-même, pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui y sont décrits :

17  À la lumière de cette évaluation de la preuve faite par l’agent, M. Zdraviak fait valoir que l’agent a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Pour souscrire à ce point de vue, il me faudrait conclure non seulement que la déclaration sous serment du FRP de M. Zdraviak doit jouir d’une présomption de véracité, mais qu’elle est également suffisante en soi pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui y sont décrits. Je ne puis accepter cet argument. Après avoir souligné la faiblesse de la preuve, y compris concernant tout indice facilement identifiable de l’origine ethnique alléguée de M. Zdraviak, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de déterminer ensuite si on avait satisfait au seuil de preuve requis. Cet exercice de pondération relève clairement du pouvoir de l’agent.

18  En l’espèce, l’agent n’a pas remis en question la crédibilité de M. Zdraviak, mais il a plutôt conclu que les éléments de preuve fournis, en tenant pour acquis qu’ils sont crédibles, étaient tout simplement insuffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Zdraviak était d’origine ethnique à moitié rome et juive ou qu’il serait perçu comme tel par les membres de la société hongroise. L’agent n’a pas commis d’erreur en examinant la question de pondération de la preuve avant de considérer la crédibilité (Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 (C.F.), au paragraphe 27).

[Non souligné dans l’original.]

[20]  Lorsqu’un déclarant omet de fournir des détails ou du matériel corroborant les faits, cela peut être un motif suffisant pour déterminer que la preuve est insuffisante, peu importe si les renseignements concernent personnellement ou non le déclarant. Par exemple, dans la décision Balogh, sur laquelle s’est appuyée le demandeur en l’espèce, le juge Southcott a examiné le traitement d’une déclaration d’un demandeur par un agent responsable de l’ERAR, y allant de la conclusion suivante « ...  l’agent a noté que [la demanderesse] avait fourni peu d’information sur [son ancien partenaire] ou sur la relation qu’elle entretenait avec lui, et peu d’éléments de preuve corroborant ces mauvais traitements. Tous ces facteurs peuvent mener à conclure à une insuffisance de la preuve. » (au paragraphe 30). De même, dans la décision Ikeji, l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse avait omis d’établir son orientation sexuelle en partie parce que son affidavit sous serment n’était pas suffisamment détaillé, sans tirer de conclusion défavorable concernant sa crédibilité (aux paragraphes 32 à 34).

[21]  À mon avis, les décisions Zmari et Ruszo ne sont d’aucune aide pour le demandeur, puisque les deux diffèrent sur le plan des faits. Dans la décision Zmari, non seulement l’agent responsable de l’ERAR a clairement remis en question la crédibilité, mais le demandeur n’a jamais demandé d’audience devant la SPR et n’a donc jamais eu l’occasion de répondre aux préoccupations concernant la crédibilité en l’espèce (aux paragraphes 18 et 20).

[22]  De même, dans la décision Ruszo, l’agent a rejeté les éléments de preuve en raison d’incohérences entre l’affidavit du demandeur et les autres éléments de preuve soumis (au paragraphe 18). Ainsi, contrairement aux faits présentés devant la Cour aujourd’hui, l’agent dans l’affaire Ruszo a tiré des conclusions classiques quant à la crédibilité. En l’espèce, toutefois, l’agent a déterminé que l’affidavit de la conjointe du demandeur avait peu de valeur probante, sans tenir compte de la crédibilité, en raison de son manque de détails, de l’absence de corroboration et de son intérêt dans l’ERAR. Il faut se rappeler que la valeur d’un affidavit de tiers fait sous serment afin d’appuyer une ERAR ne peut être établie par un agent. Par conséquent, je ne suis pas d’accord que l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité de la conjointe du demandeur.

[23]  Par ailleurs, même si la plus grande importance était accordée au dossier du demandeur et que l’on présumait que l’affidavit de la conjointe est suffisant pour démontrer les faits en l’espèce, ces faits proprement dits sont insuffisants pour établir le risque encouru par le demandeur en Éthiopie. L’affidavit n’indique pas quand, où et par qui la conjointe du demandeur a été arrêtée, quelles sont les allégations contre son conjoint ou quel est le fondement de sa demande d’asile au Kenya. Je ne suis pas d’accord avec l’argument du demandeur selon lequel ces liens importants sont implicites dans l’affidavit de la conjointe, pas plus que ne l’a été l’agent.

[24]  Je ne suis pas d’accord non plus avec l’autre argument du demandeur selon lequel l’agent a accordé un poids déraisonnablement faible à l’affidavit de sa conjointe. Premièrement, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de rejeter les éléments de preuve soumis par la conjointe puisqu’elle avait des intérêts dans l’ERAR. Toutefois, l’intérêt personnel de la conjointe n’était qu’un des nombreux facteurs sur lesquels l’analyse a été fondée. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de révision (Palanivelu c. Canada Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1044, au paragraphe 18 [Palanivelu]). Deuxièmement, le demandeur soutient que l’affidavit de sa conjointe était bel et bien corroboré par une copie de sa carte d’identité de réfugiée au Kenya. Toutefois, il est clair, à la lumière des motifs invoqués par l’agent, que les préoccupations concernaient les documents corroborant les détails de l’arrestation de la conjointe, et non son statut de réfugiée.

[25]  Le demandeur soutient également que l’agent devait trancher la question à savoir si ces nouveaux éléments de preuve suscitaient un doute quant aux conclusions défavorables sur la crédibilité tirées par la SPR. Toutefois, puisque j’ai conclu que l’agent a raisonnablement accordé peu de poids à l’affidavit de la conjointe, je n’ai pas à me pencher sur cette question : les éléments de preuve qu’elle a soumis avaient peu de valeur probante et n’auraient pu modifier les conclusions de la SPR.

[26]  Finalement, même si j’ai tort dans mon analyse et que l’agent a effectivement tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité de la conjointe, je n’interviendrais toujours pas dans la décision. La Cour a conclu qu’un agent responsable de l’ERAR n’a pas l’obligation de convoquer une audience orale pour déterminer les préoccupations de tiers concernant la crédibilité (voir Palanivelu, au paragraphe 21; Borbon Marte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, aux paragraphes 62-63). Cette décision est logique, puisque les tiers ne peuvent se présenter eux-mêmes dans le processus d’ERAR pour faire analyser les éléments de preuve.

[27]  Lors de l’audience relative à la présente demande, j’ai demandé à l’avocat du demandeur ce que le demandeur aurait pu faire, advenant qu’une audience orale ait été convoquée, pour soutenir la crédibilité de sa conjointe, puisque le demandeur lui-même ne pouvait aborder directement les faits en cause. Son avocat a répondu que l’agent pourrait utiliser les réponses du demandeur pour évaluer directement la crédibilité du demandeur. À mon avis, cette réponse se limite à soutenir l’avis de la Cour selon lequel une audience orale n’est pas requise lorsque la crédibilité d’un tiers est en cause.

[28]  Le demandeur soumet deux autres observations sur ce point. Premièrement, il affirme qu’en l’espèce, il y avait un lien direct entre la preuve soumise par sa conjointe et sa propre crédibilité, puisque sa crédibilité a été contestée en partie dans le cadre de la demande d’asile soumise antérieurement en raison retour de sa conjointe en Éthiopie. Toutefois, la question consiste à déterminer si les preuves, advenant qu’elles aient été suffisamment probantes, auraient nécessité une audience orale pour déterminer la crédibilité du demandeur, et non si une audience orale était nécessaire pour déterminer d’abord la crédibilité de la conjointe du demandeur.

[29]  Finalement, le demandeur s’appuie sur la décision Zmari, qui concluait que le décideur dans cette affaire avait des doutes déraisonnables quant à la crédibilité de la lettre du frère du demandeur, ce qui a renforcé la conclusion de la Cour qu’une audience aurait dû être convoquée dans ces circonstances (au paragraphe 22). Toutefois, je ne suis pas d’accord que la situation dans Zmari est comparable pour deux principales raisons.

[30]  Premièrement, comme nous l’avons mentionné précédemment, le demandeur dans l’affaire Zmari n’a jamais eu l’avantage d’une audience relative à sa demande d’asile, ce qui signifie qu’il n’a jamais subi d’évaluation du risque avant son ERAR, ce qui aurait permis de déterminer sa crédibilité. Ces éléments étaient importants pour l’analyse de la Cour (Zmari, au paragraphe 20). Deuxièmement, la crédibilité du demandeur lui-même était en cause (voir Zmari, au paragraphe 19), et c’est ce qui a mené la Cour à conclure qu’une audience orale était requise. Les commentaires de la Cour concernant la lettre du frère étaient secondaires.

[31]  Au lieu de Zmari, j’estime que l’analyse dans Firdous c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1261 [Firdous] aborde plus directement la question. Dans cette affaire, la demande d’asile du demandeur, comme en l’espèce, a également été rejetée par la SPR. Dans son ERAR, le demandeur dans l’affaire Firdous a soumis des éléments de preuve concernant une attaque alléguée subie par contre grand-père et survenue après la décision de la SPR. L’agent responsable de l’ERAR a accordé peu de poids à ces éléments de preuve, qui ont été jugés insuffisants.

[32]  Lors du contrôle judiciaire, la juge Mactavish a fait valoir qu’aucune entrevue avec le demandeur n’était nécessaire puisque la question portait sur la crédibilité de tiers. Il est bon de répéter ces paragraphes, puisque l’analyse de la juge Mactavish s’applique également à l’affaire qui nous occupe :

[9]  Cependant, Mme Firdous était au Canada au moment de l’agression alléguée et ne pouvait donc pas avoir eu directement connaissance de l’incident. En fait, son affidavit ne fait état d’aucun élément d’information qu’elle aurait pu ajouter relativement à l’agression dont aurait été victime son grand‑père. La crédibilité de Mme Firdous n’était pas en cause devant l’agent d’ERAR. La question en litige avait trait à la crédibilité de tiers. Une entrevue avec le demandeur d’ERAR n’est pas nécessaire dans de telles circonstances : voir Borbon Marte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, [2010] ACF no 1128, au paragraphe 62.

[10]  L’agent d’ERAR devait déterminer si Mme Firdous avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que l’agression avait bel et bien eu lieu. Une entrevue n’est pas non plus nécessaire lorsque la question en litige a trait au caractère suffisant de la preuve : voir Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, [2008] ACF no 1308.

IV.  Question à certifier

[33]  Le demandeur a proposé la question à certifier suivante :

Quelle est la norme de contrôle applicable pour déterminer si une audience orale est requise dans le cadre d’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) au sens de l’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 167 du Règlement?

[34]  Bien que je reconnaisse des divergences dans la jurisprudence portant sur ce point, je refuse de certifier la question du demandeur puisque, comme l’a admis l’avocat, la question de la norme de contrôle ne serait soulevée que si l’agent avait effectivement tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité. Comme j’ai conclu que l’agent n’a pas tiré de conclusion déguisée sur la crédibilité et que, même si j’avais tort et qu’une telle conclusion avait été tirée, l’article 167 du Règlement n’aurait pas été appliqué, aucune question ne sera certifiée en l’espèce.

V.  Conclusion

[35]  La présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3924-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3924-17

 

INTITULÉ :

SIRAJI BASHIR HAJI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Aliyah Rahaman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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