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Date : 20180514


Dossier : T-1323-17

Référence : 2018 CF 507

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

DWIGHT CREELMAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Dwight Creelman, est un détenu incarcéré à l’établissement de Warkworth, un établissement à sécurité moyenne situé dans le comté Northumberland, en Ontario. Il n’est pas représenté. Le 20 août 2015, M. Creelman a déposé un grief auprès du Service correctionnel du Canada [SCC] concernant un changement dans la façon dont ses prestations du Régime de pensions du Canada ont été traitées [la modification comptable].

[2]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du sous-commissaire principal du SCC qui a rejeté le grief de M. Creelman.

[3]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

[4]  Pour plus de clarté, l’intitulé de la cause désigne le demandeur comme étant « Creeman »; je note toutefois dans les observations que le demandeur est identifié comme « Creelman. » J’ordonne que l’intitulé de la cause désigne le demandeur comme étant « Dwight Creelman. »

II.  Faits

[5]  M. Creelman a eu 60 ans en avril 2015. À cette date, il a choisi de commencer à recevoir les prestations du Régime de pensions du Canada [RPC]. En août 2015, il a reçu une lettre du service des finances de l’établissement de Warkworth l’informant que l’administration centrale avait exigé qu’à compter du 1er septembre 2015, ses chèques de pensions ne soient plus répartis sur des périodes de paye de deux semaines. Ils seraient plutôt traités une fois par mois.

[6]  Concrètement, pour M. Creelman, cela signifiait qu’avant cette modification, la somme de 69 $ était déposée toutes les deux semaines dans son compte courant. Il s’agit du montant admissible maximal selon l’article 19 de la directive du commissaire no DC 860 intitulée « Argent des délinquants » [directive no CD 860 – Argent des délinquants]. Depuis la modification comptable, M. Creelman reçoit toutefois 69 $ dans son compte courant pour les périodes de paye qui coïncident avec le traitement de son chèque de RPC, et environ 37 $ pour les autres périodes de paye, étant donné le montant qu’il touche actuellement de son emploi à l’établissement. S’il arrivait qu’il soit dans l’incapacité de travailler (M. Creelman déclare souffrir de diabète de type 2 et de problèmes de santé connexes), il ne recevrait que 69 $ par mois dans son compte courant.

[7]  Le reste de son revenu est déposé dans son compte d’épargne dont l’accès est assujetti à un certain nombre de restrictions.

[8]  Sur réception de la lettre du service des finances, en août 2015, M. Creelman a déposé un grief au dernier palier auprès du SCC. Il a fait valoir que la modification comptable était arbitraire, puisque le revenu qui visait clairement à couvrir le mois entier était traité comme s’il ne couvrait qu’une période de deux semaines. Il a également soutenu qu’en raison du fait que son revenu de pension était traité différemment de ses autres sources de revenus, il était victime de discrimination en raison de son âge, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [LCDP]. Il a demandé le maintien de la pratique visant à répartir les chèques de pension entre des périodes de paye.

[9]  Le 28 août 2015, le SCC a envoyé une lettre à M. Creelman accusant réception du grief, ainsi qu’une réponse prévue pour le 22 décembre 2015 [TRADUCTION] « date qui se situe à l’intérieur des délais établis dans la directive du commissaire no DC 081 intitulée « Plaintes et griefs des délinquants » [directive no CD 081 – Plaintes des délinquants].

[10]  Bien qu’ils ne figurent pas au dossier, M. Creelman affirme avoir reçu huit avis de prorogation de délai. Il a finalement reçu une réponse le 7 juillet 2017.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Dans la décision attaquée, le sous-commissaire principal [SCP] a d’abord fait remarquer que la première étape de l’évaluation d’un grief dans lequel un cas de discrimination est allégué consiste à déterminer si l’allégation, dans l’éventualité où elle était fondée, répondrait à la définition de discrimination.

[12]  Ayant conclu que l’allégation de M. Creelman répondait effectivement à la définition, le SCP est passé à la deuxième étape de l’analyse consistant à déterminer si l’inconduite alléguée s’était réellement produite. À cette fin, le SCP :

  • A énoncé les diverses dispositions qui précisent la façon dont les retenues sur le revenu d’un détenu doivent être effectuées en ce qui a trait à la nourriture et à l’hébergement, ainsi qu’à d’autres dépenses (non souligné dans l’original).

  • A souligné que la modification comptable a été apportée conformément à une directive de l’administration centrale.

  • A déclaré que la modification [TRADUCTION] « avait été apportée afin de simplifier le processus et d’assurer l’uniformité avec l’entrée d’argent, et qu’il a été conclu que cette modification ne contrevenait pas à la loi ni aux politiques relatives aux retenues » (non souligné dans l’original).

  • A conclu que, parce que le même processus d’entrée de chèques dans une seule période de paye est utilisé lorsque les délinquants reçoivent d’autres paiements forfaitaires (par exemple, lorsqu’un détenu exploite une entreprise ou reçoit de l’argent d’œuvres artisanales ou de travaux à forfait) [TRADUCTION] « rien n’indique qu’il y a discrimination dans ce cas-ci. »

[13]  La partie du grief de M. Creelman portant sur la discrimination a donc été rejetée.

[14]  Le SCP a par la suite examiné la question de savoir si la directive était arbitraire, et a déterminé qu’en raison du fait que la modification apportée à la façon dont les chèques de pension sont traités visait à simplifier le processus et ne contrevenait pas à la loi ou aux politiques relatives aux retenues, cette directive n’était pas arbitraire.

IV.  Cadre législatif

A.  Loi canadienne des droits de la personne

[15]  Les dispositions pertinentes de la LCDP sont les suivantes :

Motifs de distinction illicite

Prohibited grounds of discrimination

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

3 (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

Refus de biens, de services, d’installations ou d’hébergement

Denial of good, service, facility or accommodation

5 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

5 It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

a) d’en priver un individu;

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

B.  Gestion de l’argent des délinquants

[16]  L’article 78 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 [la Loi] permet au SCC d’effectuer des paiements et des retenues :

Rétribution

Payments to offenders

78 (1) Le commissaire peut autoriser la rétribution des délinquants, aux taux approuvés par le Conseil du Trésor, afin d’encourager leur participation aux programmes offerts par le Service ou de leur procurer une aide financière pour favoriser leur réinsertion sociale.

78 (1) For the purpose of

(a) encouraging offenders to participate in programs provided by the Service, or

(b) providing financial assistance to offenders to facilitate their reintegration into the community,

the Commissioner may authorize payments to offenders at rates approved by the Treasury Board.

Retenues

Deductions

(2) Dans le cas où un délinquant reçoit la rétribution mentionnée au paragraphe (1) ou tire un revenu d’une source réglementaire, le Service peut :

(2) Where an offender receives a payment referred to in subsection (1) or income from a prescribed source, the Service may

a) effectuer des retenues en conformité avec les règlements d’application de l’alinéa 96z.2) et les directives du commissaire;

(a) make deductions from that payment or income in accordance with regulations made under paragraph 96(z.2) and any Commissioner’s Directive; and

b) exiger du délinquant, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96z.2.1), qu’il verse à Sa Majesté du chef du Canada, selon ce qui est fixé par directive du commissaire, jusqu’à trente pour cent de ses rétributions et revenu bruts à titre de remboursement des frais engagés pour son hébergement et sa nourriture pendant la période où il reçoit la rétribution ou tire le revenu ainsi que pour les vêtements de travail que lui fournit le Service.

(b) require that the offender pay to Her Majesty in right of Canada, in accordance with regulations made pursuant to paragraph 96(z.2.1) and as set out in a Commissioner’s Directive, an amount, not exceeding thirty per cent of the gross payment referred to in subsection (1) or gross income, for reimbursement of the costs of the offender’s food and accommodation incurred while the offender was receiving that income or payment, or for reimbursement of the costs of work-related clothing provided to the offender by the Service.

[17]  Aux articles 17 à 19, la directive no CD 860 précise que 90 % du revenu du détenu, jusqu’à un montant maximum de 69 $ par période de paye, sera déposé dans son compte courant. La somme restante c'est-à-dire 10 % ou l'excédent de 69 $ selon le montant le plus élevé, sera déposée dans le compte d'épargne du détenu du détenu.

Compte courant et compte d’épargne

17. Quatre-vingt-dix pour cent du solde du revenu du détenu, une fois faites les retenues indiquées à la section Retenues de la présente politique, sera déposé dans son compte courant.

18. La somme restante (10 %) sera déposée dans le compte d’épargne du détenu.

19. Nonobstant les dispositions précédentes, si le revenu du détenu dépasse le niveau maximum de rémunération brute des détenus de 69 $ par période de paie, un montant maximum de 69 $ sera déposé dans son compte courant. Le solde sera déposé dans son compte d’épargne. Pour de plus amples renseignements, consulter la section Paiements aux détenus de la DC 730 – Affectation aux programmes et paiements aux détenus.

Current and Savings Accounts

17. Ninety percent of the balance of the inmate’s income, following the deductions outlined in the Deductions section in this policy, will be deposited in the inmate’s current account.

18. The 10% balance will be deposited in the inmate’s savings account.

19. Notwithstanding the above, where the inmate’s income exceeds the top gross inmate pay level of $69 per pay period, the amount to be deposited in the inmate’s current account will not exceed $69. The balance will be deposited in the savings account. For more information, refer to Payments to Inmates in CD 730 – Inmate Program Assignment and Payments.

[18]  Articles 26 à 33 de la directive no CD 860 – L’argent du délinquant est soumis à un certain nombre de restrictions d’accès aux fonds dans son compte d’épargne. Ces articles précisent la fréquence à laquelle un détenu peut avoir accès aux fonds de son compte d’épargne, ainsi que les circonstances dans lesquelles les sorties de fonds à partir du compte d’épargne seront autorisées. Ces dispositions imposent également des limites au montant pouvant être transféré du compte d’épargne au compte courant, pour une année donnée.

C.  Processus de grief et de consultation

[19]  L’article 74 de la Loi dispose que le SCC « [...] doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité. »

[20]  L’article 90 de la Loi établit une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants. Conformément à l’article 12 de la directive no CD 081 – Les décisions relatives aux plaintes et aux griefs des délinquants, liées à la discrimination, doivent être rendues dans un délai de 60 jours ouvrables.

V.  Questions en litige

[21]  La présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision était-elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

VI.  Norme de contrôle

[22]  Les allégations de manquement à l’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Moodie c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 87, au paragraphe 50; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43.

[23]  Plusieurs décisions de la Cour ont déterminé que les décisions rendues par le SCC sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, et que la Cour doit faire preuve d’un degré de déférence élevé en matière de grief du fait de l’expertise du SCC relativement à la gestion de détenus et d’institutions : voir les décisions Ewert c. Canada (Procureur général), 2018 CF 47, au paragraphe15; McMaster c. Canada (Procureur général), 2017 CF 25, au paragraphe 21; Skinner c. Canada (Procureur général), 2016 CF 57, au paragraphe 21 et Fischer c. Canada (Procureur général), 2013 CF 861, au paragraphe 22. Selon cette norme, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[24]  L’examen du caractère raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). Les motifs doivent comprendre « [...] tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire [...] » et [l]e décideur « n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement [...] » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]). Les cours de justice peuvent « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland Nurses, au paragraphe 15).

[25]  Néanmoins, il faut toujours de se rappeler que « [Dans le cadre du contrôle judiciaire], le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe para 47 (non souligné dans l’original)). Une décision dont les fondements sont indiscernables ne peut être maintenue : Edw. Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, aux paragraphes 121 et 122. Et, comme l’a mentionné récemment la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2 [Lukács] : « les motifs ont encore de l’importance » (au paragraphe 27). Par conséquent, bien qu’« une cour de révision puisse compléter les motifs donnés au soutien d’une décision administrative, elle ne peut faire abstraction des motifs effectivement fournis ou les remplacer » (au paragraphe 24).

VII.  Observations des parties

A.  Le demandeur

(1)   Discrimination

[26]  M. Creelman soutient que les gestes posés par le SCC sont discriminatoires et contreviennent aux articles 3 et 5 de la LCDP. Puisque l’« âge » est un motif de discrimination illicite, et puisque les prestations du RPC ne sont versées qu’aux personnes de 60 ans et plus, il affirme que la modification comptable est discriminatoire, car elle le prive d’un accès sans restriction à l’argent de sa pension de retraite, sa principale source de revenus.

[27]  Il rejette la conclusion du SCP voulant que la modification comptable ne soit pas discriminatoire, parce que d’autres paiements forfaitaires, à savoir l’argent provenant d’œuvres artisanales, de travaux à forfait ou de l’exploitation d’une entreprise reçoit le même traitement. À l’audience, M. Creelman a expliqué que, contrairement aux paiements provenant d’œuvres artisanales ou de l’exploitation d’une entreprise, les prestations de pension sont les seuls types de revenus dans le cadre desquels le détenu ne peut pas planifier recevoir 69 $ d’argent de poche toutes les deux semaines.

[28]  Enfin, bien que cette question n’ait pas été soulevée dans le grief devant le SCC, M. Creelman soutient que la politique du SCC relative aux retenues est discriminatoire, parce que les paiements de pension sont assujettis à un taux de retenue de 30 %, tandis que le taux de retenue des autres sources de revenus est de 22 %.

(2)   Caractère arbitraire

[29]  En plus d’être discriminatoire, M. Creelman soutient que la décision de traiter les prestations de pension comme couvrant une période de paye de deux semaines est arbitraire, puisque ces prestations visent clairement à couvrir un mois de dépenses. Selon lui, les décisions du SCC portant sur la façon de traiter les prestations de pension ne sont guidées que sur les facteurs visant à maximiser les retenues, tout en restreignant l’accès des détenus à leurs fonds. Toujours selon M. Creelman, les prestations de pension sont traitées de manière contraire à l’article 19 de la directive no CD 860 – Argent des délinquants, qui décrit la façon de gérer les dépôts dans le compte courant.

[30]  M. Creelman soutient également que la modification comptable contrevient au paragraphe 78(1) de la Loi, qui prévoit : « procurer une aide financière [aux délinquants] pour favoriser leur réinsertion sociale. »

(3)   Équité procédurale

[31]  En dernier lieu, M. Creelman ajoute que la décision était inéquitable sur le plan de la procédure. Il affirme qu’il n’a jamais eu l’occasion de formuler des commentaires sur la modification comptable proposée, contrairement à l’article 74 de la Loi. Il formule également le reproche qu’il aura fallu presque deux ans pour traiter son grief.

B.  Le défendeur

[32]  À l’audience, l’avocat du défendeur n’a présenté aucune observation. Il a plutôt attiré l’attention de la Cour sur les paragraphes 16 à 18 du mémoire des faits et du droit du défendeur :

[16] [traduction] « La décision rendue sur le grief au dernier palier confirme une directive de 2013 de l’administration centrale du SCC à l’intention de tous les établissements hébergeant des détenus sous responsabilité fédérale sur la façon dont les chèques de pension devaient être entrés dans le système de paye des détenus.

[17] La décision du sous-commissaire principal comporte cinq pages. Elle énonce les faits et les questions en litige, et renvoie à la législation, à la réglementation et à la directive du commissaire qui s’appliquent. Dans la décision, on explique que la pratique révisée vise à simplifier le processus d’entrée des chèques dans le système de paye des détenus et à assurer l’uniformité avec l’entrée d’argent. On y explique également que la pratique révisée ne fait aucune distinction en raison de l’âge, puisqu’elle s’étend à toutes les sources de paiements forfaitaires réglementaires versés aux détenus, et non seulement aux chèques de pension.

[18] La décision du sous-commissaire principal était raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

[33]  Le défendeur n’a pas abordé les arguments du demandeur sur l’iniquité du processus.

VIII.  Discussion

A.  La décision était-elle raisonnable?

[34]  Dans un processus de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas d’examiner ou d’évaluer la légalité de la politique, mais plutôt de réviser la décision et de déterminer si cette dernière est raisonnable dans les circonstances.

[35]  D’entrée de jeu, je remarque que le demandeur a formulé des observations sur la discrimination en raison de l’âge; le demandeur ne semble toutefois pas avoir déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La cour peut néanmoins déterminer si le SCP a raisonnablement conclu que la modification comptable n’était pas discriminatoire.

[36]  Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir, précité, le caractère raisonnable d’une décision tient à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. » En outre, comme l’a mentionné la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Lukács, précité : « les motifs ont encore de l’importance. » Lorsqu’ils motivent leurs décisions, les organismes administratifs doivent le faire de manière intelligible, justifiée et transparente. Le demandeur indique clairement dans son grief que la modification comptable a fait en sorte qu’en tant que prestataire d’une pension, il y avait moins d’argent déposé dans son compte courant. Cependant, dans sa décision, le SCP n’a pas directement répondu à cette allégation ayant un effet discriminatoire. Comme je l’ai déjà souligné, l’essentiel de la décision fait état de la législation et de la politique relatives aux retenues. Avec respect, la décision ne traite pas de la préoccupation de M. Creelman selon laquelle la modification comptable, donnant lieu au dépôt d’un montant réduit dans son compte courant, était discriminatoire.

[37]  La décision n’indique pas qu’en raison du fait que les paiements de pension reçoivent le même traitement que les autres paiements forfaitaires, la modification comptable n’est pas discriminatoire. Toutefois, en tirant cette conclusion, le SCP n’examine pas la question de savoir si la modification comptable a des effets discriminatoires. Par exemple, M. Creelman a soutenu devant la Cour que les paiements de pension sont les seuls types de revenus qui ne peuvent être gérés, de sorte que les dépôts sont effectués toutes les deux semaines dans le compte courant du détenu. Décider si tel est le cas ou non est difficile; il ne s’agit pas d’une affaire où la Cour peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 15), puisque le dossier n’indique rien au sujet des autres types de paiements forfaitaires. Puisque la Cour est incapable de discerner le fondement de la décision du SCP, la décision est déraisonnable.

[38]  M. Creelman a fait valoir que la modification comptable est arbitraire, puisqu’elle contrevient au paragraphe 78(1) de la Loi du fait qu’elle n’encourage pas la réinsertion sociale des délinquants. Avec respect, je suis en désaccord avec le demandeur sur ce point. La modification semblerait encourager la réinsertion sociale en aidant les délinquants à épargner de l’argent en vue de leur libération éventuelle. Cela dit, je remarque également que cette partie de la décision souffre de la même absence de motifs justifiés, transparents et intelligibles que la partie de la décision du SCP sur la discrimination, puisqu’elle n’aborde aucun des arguments soulevés par M. Creelman selon lesquels la modification est arbitraire.

[39]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.

B.  Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[40]  Le SCC ne s’est pas conformé à sa politique applicable en matière de traitement des griefs dans les délais établis. Prise isolément, la question du retard n’est pas un motif suffisant justifiant un manquement à l’équité procédurale. La question à se poser relativement au retard est de déterminer si le retard a causé des torts au demandeur : voir la décision MacDonald c. Canada (Procureur général), 2017 CF 1028, au paragraphe 21. La lettre du 28 août 2015, dans laquelle la directive no CD 081 – Plainte des délinquants était mentionnée, indiquait qu’une réponse était prévue pour le 22 décembre 2015, ce qui serait tombé à l’intérieur du délai prescrit. Cette réponse n’a été reçue qu’environ 1 an et demi plus tard, ce qui n’est pas acceptable. Ce retard n’équivaut cependant pas à un manquement à l’équité procédurale dans les circonstances. Par conséquent, je conclus que les droits du demandeur à l’équité procédurale n’ont pas été enfreints.

[41]  Le demandeur a soutenu que le SCC n’avait pas respecté le processus de participation sur des questions autres que des questions de sécurité conformément à l’article 74 de la Loi. Aucun élément de preuve n’a été soumis au SCP en ce sens. Je ne traiterai donc pas de cette question.

[42]  Je ne peux conclure que les droits du demandeur à l’équité procédurale ont été enfreints. Je conclus toutefois que la décision était déraisonnable pour les motifs exposés précédemment.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire pour réexamen.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1323-17

 

INTITULÉ :

DWIGHT CREELMAN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 mars 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 14 mai 2018

COMPARUTIONS :

Dwight Creelman

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Eric Peterson

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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