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Date : 20180510


Dossier : T-940-17

Référence : 2018 CF 500

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

DIVINE HARDWOOD FLOORING LTD.,

exerçant ses activités sous le nom de « DIVINE FLOORING »

demanderesse

et

D NINE FLOORING LTD.,

exerçant ses activités sous le nom de « D NINE FLOORING »

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Divine Hardwood Flooring Ltd. [Divine], dépose une requête devant la Cour visant à obtenir un jugement par défaut prenant la forme d’une mesure injonctive pour empêcher la défenderesse, D Nine Flooring Ltd. [D Nine], de continuer à contrefaire plusieurs de ses marques de commerce déposées et non déposées.

[2]  D Nine a bien reçu la déclaration de Divine, mais n’a présenté aucune défense. Dans les communications préalables qu’elle a eues avec l’avocat de Divine, D Nine a en outre refusé de cesser d’utiliser son nom commercial en l’absence d’une ordonnance de la Cour.

[3]  Lorsque cette requête a été présentée à la Cour le 18 avril 2018, deux représentants de D Nine étaient présents. La société n’était pas représentée par un avocat comme l’exige l’article 120 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, mais aux termes d’une exemption, un représentant a pu demander à la Cour si D Nine pouvait être entendue sur le fond malgré l’absence d’un avocat. L’avocat de Divine s’est opposé à la requête de D Nine, invoquant l’article 120 et le fait que D Nine n’était pas autorisée à s’adresser à la Cour sans avoir déposé de défense ou d’observations écrites.

[4]  Compte tenu de l’omission de D Nine et du fait qu’aucun avocat ne la représentait, j’ai refusé d’entendre les arguments de ses représentants. Toute autre décision aurait causé un préjudice important à Divine. L’audience s’est poursuivie : l’avocat de Divine a présenté ses arguments verbalement et la cause a été prise en délibéré.

[5]  Nonobstant le fait que D Nine n’a déposé aucune défense, je dois malgré tout déterminer s’il existe une prétention établie à première vue de contrefaçon ou de commercialisation trompeuse.

[6]  La preuve concernant les marques de commerce de Divine est clairement établie dans l’affidavit produit par cette dernière. Je conviens, compte tenu de ce qui suit, que Divine détient les droits sur les marques de commerce déposées suivantes : Divine Flooring, Divine Hardwood Flooring et, enfin, D Divine Flooring.

[7]  Dans son affidavit, le président de Divine, Carlos Soares, démontre également l’usage continu et répandu de plusieurs marques de commerce non déposées présentées ci-dessous :

[8]  Divine emploie toutes les marques susmentionnées dans l’affichage de son magasin, sur ses étiquettes dans ces nombreuses salles d’exposition et sur les produits qu’elle distribue aux clients et aux détaillants. Cet usage est illustré par des photos figurant à l’article 19 de l’affidavit de M. Soares.

[9]  La preuve révèle en outre que depuis 1999, Divine a beaucoup investi dans la promotion de ses marques de commerce en lien avec la fabrication, la vente et l’installation de revêtement de sol en bois dur haut de gamme, principalement en Alberta et en Colombie-Britannique et, dans une moindre mesure, dans d’autres régions du Canada et aux États-Unis.

[10]  On ne peut nier le fait que Divine vend du revêtement de sol et des services connexes à hauteur de dizaines de millions de dollars chaque année. Ce volume d’affaires est appuyé par des dépenses récurrentes et importantes en publicités, sur lesquelles l’on voit les différentes marques de commerce de Divine. Il en résulte un achalandage et une reconnaissance de marque considérables attachés à la marque de commerce déposée « Divine Flooring ». Cet achalandage s’étend jusqu’à Edmonton et ses environs, où Divine est bien implantée.

[11]  À titre de comparaison, la présence de D Nine à Edmonton semble plus modeste, l’entreprise venant tout juste d’y ouvrir un point de vente pour la vente et l’installation de revêtement de sol.

[12]  Parmi les causes d’action que Divine intente contre D Nine, mentionnons la contrefaçon, la commercialisation trompeuse et la représentation trompeuse. Divine reproche notamment à D Nine d’avoir utilisé le nom commercial « D Nine Flooring » sur ses affiches, dans les médias sociaux, sur les étiquettes et dans les publicités. D Nine occupe le même créneau que Divine, quoique sur un territoire bien plus petit.

[13]  La question que je dois trancher est de savoir si les pratiques de marketing de D Nine viole le droit de Divine à l’emploi exclusif de ses marques de commerce.

[14]  Pour conclure qu’il y a eu violation d’un tel droit, il faut qu’il existe une confusion quant à l’origine des produits ou des services.

[15]  En application de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, Divine a droit à l’emploi exclusif, partout au Canada, des marques de commerce déposées en liaison avec les biens et les services concernés. Ce droit est réputé être violé notamment lorsqu’une partie vend, distribue ou annonce des produits ou des services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Voir l’alinéa 20(1)a) de la Loi.

[16]  Il ne fait aucun doute que D Nine vend des produits et des services associés aux marques de commerce déposées et non déposées de Divine. La question qui demeure est de savoir si l’emploi du nom commercial « D Nine » pourrait amener un client à confondre les produits et les services de D Nine avec ceux de Divine.

[17]  Pour déterminer si les activités promotionnelles de D Nine pourraient causer de la confusion avec les marques de commerce déposées de Divine, il faut se reporter au paragraphe 6(5) de la Loi, qui cite que le « tribunal [...] tient compte de toutes les circonstances en l’espèce, y compris » :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

c) le genre de produits, services ou entreprises;

 

(c) the nature of the goods, services or business;

 

d) la nature du commerce;

 

(d) the nature of the trade; and

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

[18]  Le critère à appliquer consiste à savoir si l’emploi du nom commercial « D Nine » dans la promotion de revêtements de sol pourrait causer de la confusion dans l’esprit d’un consommateur occasionnel pressé et se souvenant mal des marques de commerce de Divine. On n’attend pas d’un tel consommateur qu’il accorde beaucoup d’attention aux similitudes et aux différences entre les marques. Se reporter à l’affaire Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20, [2006] 1 R.C.S. 824.

[19]  Un aspect important de l’analyse est le degré de ressemblance entre les marques de Divine et les représentations commerciales de D Nine dans la présentation et le son. Les autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi favorisent largement Divine. Les marques de commerce de Divine se distinguent visuellement et certaines sont employées depuis 1999. Divine a en outre beaucoup investi pour créer un achalandage autour de ses marques de commerce et, compte tenu de la taille de l’entreprise, ces marques sont évidemment bien connues dans l’Ouest, en particulier à Edmonton. Les produits et les services associés aux marques de commerce de Divine ressemblent à ceux de D Nine.

[20]  La méthode reconnue en ce qui concerne la contrefaçon de marques de commerce non déposées est différente à un seul égard, à savoir que le tribunal doit examiner l’emploi réel des marques de commerce. En l’absence d’un tel usage, il ne peut y avoir contrefaçon d’une marque de commerce non déposée. Consulter l’affaire Marlborough Canada Limited c. Philip Morris Products S.A., 2012 CAF 201, aux paragraphes 55 et 56, 434 NR 207. En l’espèce, je suis convaincu qu’au moins trois marques de commerce non déposées de Divine (nommées au paragraphe 7 des présentes) ont été, et continuent d’être, utilisées dans son secteur commercial, notamment à Edmonton.

[21]  La marque et l’affichage de la défenderesse sont manifestement conçus pour profiter de l’image positive et de l’important achalandage dont la demanderesse profite à Edmonton. En effet, dans les images de marque de la défenderesse, la lettre « N » en majuscule dans le mot « Nine » ne sert qu’à créer de la confusion chez le client occasionnel, qui pourrait aussi bien voir « D Vine » ou « DiVine ». La confusion provient du fait que les deux derniers traits de la lettre « N » sont accentués de manière à créer l’impression qu’il s’agit d’un « V » précédé d’un « I » absent ou considérablement diminué. Voici un bon exemple provenant d’une étiquette d’un produit de D Nine :

[22]  Dans plusieurs des marques de commerce de Divine, on voit aussi un « D » en majuscule lié au terme « Divine Flooring ». Ces marques ressemblent beaucoup aux représentations commerciales de D Nine, laquelle met aussi l’accent sur le « D » en liaison avec le commerce du revêtement de sol.

[23]  La similitude est manifeste dans les images suivantes :

[24]  L’impression générale qui se dégage des représentations commerciales de D Nine c’est qu’elles sont destinées à créer de la confusion sur le marché d’Edmonton et pourraient sans doute amener un client occasionnel à penser que les produits et les services sont ceux de Divine. Une preuve directe de cette confusion provient de la confession du propriétaire de D Nine selon laquelle des clients lui demandent régulièrement s’il y a un lien entre son entreprise et Divine.

[25]  M’appuyant sur ce qui précède, je suis convaincu que D Nine a contrefait les marques de commerce déposées et non déposées de Divine. En conséquence, Divine a droit à la réparation demandée. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de traiter des autres motifs de réparation invoqués par Divine.

[26]  Divine ne réclame pas de dommages-intérêts, mais elle a droit de recouvrer ses coûts, dont je fixe le montant à 2 500 $.


ORDONNANCE dans le dossier T-940-17

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La défenderesse, ainsi que ses dirigeants, ses administrateurs, ses employés, ses agents, ses successeurs, ses sociétés affiliées, ses filiales, toutes les sociétés qu’elle contrôle, et toute autre personne ayant une connaissance directe ou directement de l’injonction en l’espèce, ne doit plus, directement ou indirectement :

  • (i) contrefaire les marques de commerce déposées de la demanderesse, en contravention des articles 19 et 20 de la Loi;

  • (ii) utiliser les marques de commerce déposées ou non déposées de la demanderesse, ou toute autre marque de marque qui crée de la confusion avec les marques de commerce de la demanderesse;

  • (iii) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise en utilisant les marques de commerce de la demanderesse de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse lorsqu’elle a commencé à y appeler ainsi, en opposition à l’alinéa 7b) de la Loi;

  • (iv) faire passer ses produits ou services pour ceux de la demanderesse, ce qui contrevient à la common law et à l’alinéa 7c) de la Loi;

  • (v) montrer ou utiliser un site Web en liaison avec l’entreprise de la défenderesse sous le domaine www.dnineflooring.com ou montrer ou utiliser tout autre site Web sous un domaine créant de la confusion avec l’une ou l’autre des marques de commerce de la demanderesse;

  • (vi) utiliser, sans limiter la portée de ce qui précède, les noms ou les marques de commerce qu’elle a contrefaits;

  • (vii) utiliser les marques de commerce déposées de la défenderesse d’une manière qui entraîne la diminution de l’achalandage attaché aux marques de commerce déposées de la défenderesse, en contravention de l’article 22 de la Loi;

  • (viii) remplacer son nom de domaine au registre de « GoDaddy.com » pour « dnineflooring.com ».

  1. La défenderesse doit remettre à la demanderesse, ou détruire sous serment, ou rendre les produits, les étiquettes, les factures, les emballages, les affiches, le matériel publicitaire, des documents imprimés et les originaux ayant servi à la production de ces documents, qu’ils soient contrefaits ou non, qu’elle a en sa possession ou dont elle a la garde ou le contrôle et qui vont à l’encontre de toute injonction accordée aux présentes.

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT à la défenderesse de verser des dépens de 2 500 $ à la demanderesse.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-940-17

 

INTITULÉ :

DIVINE HARDWOOD FLOORING LTD.,

exerçant ses activités sous le nom de « DIVINE FLOORING » c.

D NINE FLOORING LTD., exerçant ses activités sous le nom de « D NINE FLOORING »

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 avril 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Vithoosan Vijayakumaran

 

Pour la demanderesse

 

John DiBerardino

Rene DiBerardino

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

 

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