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Date : 20180522


Dossier : IMM-4400-17

Référence : 2018 CF 531

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

FATOUMA OMAR DOUALEH

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une citoyenne de Djibouti. Disant craindre un mari violent qu’elle aurait marié sous la pression de son père en mai 2015, elle a fui ce pays en novembre 2016 et demandé l’asile au Canada après avoir transité par les États-Unis desquels elle avait préalablement obtenu un visa. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de protection des réfugiés [SPR] n’a pas cru son histoire et a conséquemment rejeté sa demande d’asile.

[2]  Insatisfaite de la décision de la SPR, la demanderesse se pourvoit en contrôle judiciaire. Pour l’essentiel, elle reproche à la SPR d’avoir apprécié d’une manière déraisonnable la crédibilité de son récit. Elle lui reproche aussi de ne pas avoir, ce faisant, suffisamment tenu compte de la Directive no 4 sur les revendicatrices du statut de réfugiée craignant d’être persécutée en raison de leur sexe émanant de la Commission [la Directive no 4].

[3]  Les faits pertinents à la présente affaire peuvent se résumer comme suit. La demanderesse affirme avoir été mariée, sans son consentement, à un certain Samatar Hassan Awaleh [Samatar] le 15 mai 2015. Auparavant, elle était, dit-elle, en relation amoureuse avec un autre homme. Cela durait depuis trois ans mais, pour des raisons culturelles, elle n’osait pas le dévoiler à ses parents.

[4]  En avril 2015, sa mère lui aurait appris que son père aurait donné sa main à Samatar, qui serait un proche de la famille au pouvoir à Djibouti. Selon l’arrangement négocié, Samatar allait aussi adopter le neveu autiste de la demanderesse, Mourad. Après avoir résisté à l’idée de marier ce qui était pour elle un pur inconnu et s’être même enfuie de la maison pour échapper à son destin, elle aurait finalement accepté ce mariage de peur que son père ne la renie.

[5]  Les trois ou quatre premiers mois du mariage se seraient déroulés sans heurts. Les choses se seraient toutefois détériorées par la suite quand Samatar aurait commencé à prendre tout le salaire de la demanderesse, qui travaillait alors comme assistante comptable dans une entreprise de crédit, et à faire chambre à part. De la violence physique s’en serait suivie, la demanderesse affirmant même qu’à un certain moment, Samatar aurait menacé de la tuer. Il aurait aussi commencé à s’en prendre à Mourad.

[6]  En juin 2016, la demanderesse aurait communiqué avec une de ses sœurs qui vit au Canada et lui aurait raconté les sévices dont elle était victime de la part de son mari. Sa sœur lui aurait alors conseillé de quitter ce dernier et de fuir le pays. La demanderesse aurait entrepris des démarches pour venir rejoindre sa sœur au Canada quelques semaines plus tard en déposant une demande de visa américain. Ce visa lui a été octroyé le 18 septembre 2016. Elle aurait ensuite convaincu sa mère de prendre Mourad sous son toit parce qu’elle n’avait pas les moyens de l’amener avec elle au Canada. En apprenant que Mourad s’en irait vivre avec la mère de la demanderesse, Samatar aurait mis celle-ci à la porte. C’était là, selon la demanderesse, l’occasion idéale pour quitter le pays, ce qu’elle a fait le 3 novembre 2016 après que sa sœur lui ait acheté des billets d’avion.

[7]  Arrivée aux États-Unis le 5 novembre 2016, elle s’est rendue à la frontière canadienne une semaine plus tard pour y demander l’asile.

[8]  Le 14 septembre 2017, la SPR, jugeant la demanderesse non-crédible, a rejeté la dite demande. Ce constat de non-crédibilité repose sur les éléments suivants :

  1. La difficulté de la demanderesse, lors de son témoignage devant la SPR, à préciser, ce que le narratif au soutien de sa demande d’asile ne faisait d’ailleurs pas, ne serait-ce que le mois où se seraient produits les moments marquants de son récit ou encore à préciser le comportement de son mari à son égard au quotidien, la SPR devant s’y prendre à quatre reprises pour obtenir des détails à ce sujet;
  2. L’information contradictoire relative à l’identité et à la date de naissance de son mari révélée par le Formulaire de demande d’asile de la demanderesse [FDA], où son mari est identifié comme étant Samatar Hassan Awaleh, né en 1987, l’acte de mariage, où l’année de naissance indiquée est 1991, la demande de visa américain où le nom du mari est Samatar Hassan Hersi et sa date de naissance le 6 janvier 1984, et enfin la correction apportée par la demanderesse au FDA au début de l’audience devant la SPR où la date de naissance du mari a été changée pour le 12 février 1991; et
  3. La contradiction entre la déclaration de la demanderesse, dans le FDA, à l’effet qu’elle avait tellement peur de son mari qu’elle n’osait pas parler de sa situation à personne et la correction apportée au FDA au début de l’audience devant la SPR où elle affirme qu’il lui est arrivé d’aller voir une association de femmes à Djibouti pendant qu’elle était avec son mari.

[9]  La SPR s’est dite insatisfaite des explications fournies par la demanderesse lorsque confrontée à ces contradictions. En particulier, elle n’a pas retenu l’explication de la demanderesse voulant qu’elle n’ait pas vérifié le contenu de sa demande de visa américain, remplie par un tiers, avec toute l’attention voulue parce qu’une date butoir approchait. Étant donné l’importance primordiale de cette demande pour la demanderesse, qui souhaitait pouvoir fuir le Djibouti où elle disait craindre pour sa vie, la SPR a jugé qu’il était invraisemblable que la demanderesse ne vérifie pas l’exactitude de l’information inscrite à sa demande de visa avant de la signer. Elle a noté de plus que le nom et la date de naissance de son mari constituaient les seules informations erronées sur le formulaire de demande. Quant à la contradiction relative à l’affirmation au FDA qu’elle n’osait pas parler de ses malheurs à personne, la SPR a jugé les explications de la demanderesse incompréhensibles.

[10]  Je note que le défendeur est intervenu devant la SPR pour produire le formulaire de demande de visa américain signé par la demanderesse et lui signaler la contradiction en émanant quant à l’identité et la date de naissance du mari de la demanderesse.

[11]  Comme je l’ai indiqué précédemment, la demanderesse soutient que la SPR a erré à deux égards, soit, d’une part, en appréciant déraisonnablement sa crédibilité, et, d’autre part, en ne tenant pas suffisamment compte de la Directive no 4 dans son appréciation de sa manière de témoigner.

[12]  Sur la question de la crédibilité, la demanderesse soutient que la SPR s’est trop attardée sur des éléments périphériques du dossier, comme ses difficultés à décrire son quotidien avec son mari ou à préciser les dates ou les mois où les incidents marquants de sa relation avec ce dernier se seraient produits, insistant, à cet égard, sur le fait que les femmes ayant subi de la violence conjugale rencontrent souvent ce genre de difficultés lorsqu’elles témoignent. La SPR se serait ainsi livrée, selon la demanderesse, à une analyse microscopique de la preuve, négligeant ainsi les éléments-clés de la demande d’asile, soit les épisodes de violence allégués.

[13]  La demanderesse plaide également que la conclusion de la SPR relative à la preuve contradictoire concernant l’identité et la date de naissance de son mari ne tient pas compte du contexte dans lequel la demande de visa américain a été faite, soit celui d’une femme victime de violence conjugale pendant plus d’un an avant son départ pour le Canada.

[14]  Finalement, la demanderesse plaide que la SPR n’a pas fait preuve de la sensibilité requise par la Directive no 4 en évaluant son témoignage, notamment en ne tenant pas compte du contexte d’impunité qui sévit en matière de violence conjugale à Djibouti.

[15]  Malgré l’effort louable du procureur de la demanderesse à l’audience pour faire valoir le point de vue de sa cliente, je ne saurais faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

[16]  Il est bien établi que les décisions de la SPR de reconnaitre ou non à un demandeur d’asile la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger, notamment lorsqu’elles reposent sur une évaluation de la crédibilité du récit du demandeur, sont révisables suivant la norme de la décision raisonnable (Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au para 11; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 22 [Rahal]). Il s’agit là d’une norme déférente.

[17]  Ainsi, la Cour n’interviendra que si elle est satisfaite que la décision attaquée se situe hors du champ des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190). Il est utile de rappeler également que lorsque le fondement du rejet de la demande d’asile a trait à la crédibilité du demandeur, la Cour doit alors faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la décision de la SPR (Rahal au para 22; Aguebor c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 160 NR 315 au para 4, [1993] ACF no 732 (CAF)).

[18]  En l’espèce, j’ai de la difficulté à conclure, comme la demanderesse me prie de le faire, que la décision de la SPR requiert mon intervention. Avant de s’attarder au fond du récit de la demanderesse, encore fallait-il que la SPR soit convaincue de la crédibilité de cette dernière puisque c’est là la nature intrinsèque de son mandat. Or, il y avait au dossier, à mon avis, suffisamment d’éléments pour faire raisonnablement douter la SPR de la crédibilité du récit de la demanderesse. Son incapacité à indiquer même le mois où se seraient produits certains épisodes de violence conjugale ou à fournir spontanément une description de sa relation avec son mari au quotidien, la confusion entourant le nom et la date de naissance de ce dernier, un élément pourtant de la plus haute importance, et cet amendement tardif au FDA qui venait contredire une affirmation qui s’y trouvait déjà, pouvaient tous, à mon sens, légitimement soulever, dans l’esprit de la SPR, des doutes quant à la crédibilité de la demande d’asile.

[19]  La SPR pouvait tout aussi raisonnablement douter des explications fournies par la demanderesse en lien avec cette confusion et cette contradiction. D’une part, il parait effectivement invraisemblable que la demanderesse n’ait pas vérifié une information aussi cruciale que l’identité de son mari-persécuteur lorsqu’elle a signé la demande de visa américain, surtout, comme le souligne la SPR, que tous les autres renseignements inscrits au formulaire étaient exacts. À tout le moins, il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR de conclure ainsi.

[20]  D’autre part, quant à l’explication fournie par la demanderesse à l’audience relativement à la contradiction résultant de l’amendement de dernière minute apporté au FDA faisant état du fait qu’elle se serait rendue voir une association de femme à Djibouti alors qu’elle avait déclaré dans son FDA n’avoir parlé à personne de sa situation, elle est effectivement, pour avoir pris connaissance des transcriptions de l’audience, difficile à saisir. Pour le procureur de la demanderesse, on ne saurait pénaliser sa cliente pour ce qui était après tout un effort de transparence. Or, même en acceptant qu’il puisse s’agir là d’un effort conscient de transparence, il en est résulté une contradiction pour laquelle la demanderesse n’a pu fournir d’explication satisfaisante. Encore une fois, je ne saurais dire que la SPR a commis ici une erreur affectant la raisonnabilité de sa décision.

[21]  Finalement, j’ai bien peur que la Directive no 4 ne soit d’aucun secours à la demanderesse dans les circonstances de la présente affaire. Le procureur de la demanderesse reconnait que cette directive ne permet pas de corriger des problèmes de crédibilité. En fait, bien qu’elle requiert que la SPR soit sensible à la réalité des revendicatrices d’asile qui ont subi des violences conjugales et qui, souvent, présentent, en raison de cela, des symptômes post-traumatiques pouvant affecter leur façon de témoigner, la Directive no 4 n’est pas là pour «pallier toutes les lacunes que peuvent présenter la demande ou la preuve » (Duran Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 354 au para 66), ni pour corroborer « un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus » Newton c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 182 FTR 294 au para 18, [2000] FCJ No 738).

[22]  J’estime ici que la SPR s’est montrée sensible à la situation de la demanderesse en lui donnant, notamment, le bénéfice du doute quant à ses difficultés à se souvenir des dates où se seraient produits les incidents marquants de sa relation avec son mari. D’ailleurs, dans des représentations écrites soumises à la SPR suite à l’audience, le représentant de la demanderesse a reconnu que la SPR « avait été très délicat(e) envers Mme Doualeh » (Dossier Certifié du Tribunal, à la p. 54).

[23]  Toutefois, il subsistait d’autres problèmes que la Directive no 4 n’a pas, aux yeux de la SPR, permis de surmonter. Même si un autre décideur aurait pu en venir à une autre conclusion, ce qui n’est pas le critère à satisfaire ici, je ne saurais dire que la SPR a commis une erreur révisable en concluant comme elle l’a fait tant dans son application de la Directive no 4 que dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse. En d’autres termes, il y avait un niveau de préoccupations lié à la demande d’asile de la demanderesse auquel il était raisonnable de penser que la Directive no 4 ne pouvait palier et qui justifiait, vu sous l’angle de la norme de la décision raisonnable, le rejet de la demande d’asile.

[24]  Ultimement, la demanderesse me demande de réévaluer le dossier et de substituer mes propres conclusions à celles de la SPR. Toutefois, et cela est bien établi, là n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’un contrôle judiciaire soulevant, comme ici, des questions mixtes de fait et de droit relevant de l’expertise du décideur administratif (Hamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 93 au para 7; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au para 54).

[25]  La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sera donc rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé la certification d’une question d’importance générale en vue d’un appel. J’estime aussi qu’il n’y a pas matière à certifier une question dans les circonstances de la présente affaire.

 


JUGEMENT dans IMM-4400-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4400-17

 

INTITULÉ :

FATOUMA OMAR DOUALEH c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 mai 2018

 

jugement et motifs :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Jacques Despatis

 

Pour la demanderesse

 

Me Charles Maher

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacques Despatis Law Office

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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