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Date : 20180524


Dossier : T-1423-17

Référence : 2018 CF 539

Montréal (Québec), le 24 mai 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

STEVE LARRIVÉE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision en date du 8 août 2017 de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [Section d’appel] qui confirme une décision de la Section de première instance de la Commission nationale des libérations conditionnelles [la Commission] du 27 février 2017. Cette dernière refuse la demande de mise en liberté du demandeur, M. Steve Larrivée, et autorise son maintien en incarcération.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

[3]  Le contexte factuel suivant facilite la compréhension de la décision en cause.

[4]  L’historique criminel de M. Larrivée débute en 2007 lorsqu’il découvre que son ancienne conjointe et mère de son fils avait développé une relation affective avec un autre homme. Il développe alors des idées obsessives contre son ex-conjointe et le nouveau conjoint de celle-ci. Entre 2007 et 2010, M. Larrivée terrorise les deux en les harcelant, les menaçant et en commettant de nombreux méfaits à leur endroit. En 2008, il est inculpé et condamné pour avoir proféré des menaces contre son ex-conjointe. Il est soumis à des ordonnances restrictives qu’il ne respecte pas.

[5]  Le 3 mai 2012, M. Larrivée est reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de 4 ans et 5 mois pour des délits de méfait à l’égard de la sucrerie appartenant au nouveau conjoint de son ancienne conjointe, le harcèlement criminel et l’omission de se conformer à un ordre.

[6]  Entre 2013 et 2015, M. Larrivée – qui est alors détenu – continue d’entretenir des idées obsessives envers son ex-conjointe et son nouveau copain. Il multiplie également les procédures relativement à la garde de son fils. Le 23 octobre 2015, il est condamné à une peine d’emprisonnement de 2 ans pour avoir demandé à des codétenus d’aller mettre le feu à la résidence de son ancienne conjointe et de son nouveau conjoint et de commettre des voies de fait à leur endroit. M. Larrivée est déclaré délinquant à contrôler et soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée de trois ans.

[7]  Le 20 avril 2015, le plan correctionnel de M. Larrivée indique que celui-ci n’a pas d’empathie et de remords face aux conséquences subies par ses victimes. Il continue au contraire de croire que ses actes étaient justifiés. Le 21 septembre 2015, un rapport psychologique mentionne que M. Larrivée nie toute responsabilité face aux délits qu’il a commis. De plus, la psychologue ayant rédigé le rapport juge le risque de récidive de délits envers son ex-conjointe à élevé.

[8]  Le 29 janvier 2016, une Évaluation en vue d’une décision réitère le fait que M. Larrivée n’éprouve aucun remords envers les actes qu’il a commis et sur les conséquences de ces actes. M. Larrivée considère qu’il n’a pas le choix d’agir de la sorte afin d’assurer l’intérêt de son fils. Il continue d’être persuadé que ces actes ont permis de régler la situation et continue de poursuivre avec hargne ses démarches pour la garde de son fils. De plus, ses victimes craignent toujours qu’il s’en prenne à elles s’il est libéré.

[9]  Le 21 mars 2016, le Rapport de programme sur la participation de M. Larrivée au programme modéré de modèle de programme correctionnel intégré mentionne qu’il s’est très peu impliqué dans ce programme. Ainsi, il n’y a pas eu de progrès significatif dans sa condition et sa réflexion.

[10]  M. Larrivée se présente devant la Commission en mai 2016 dans le cadre d’une demande de semi-liberté, laquelle est refusée. Quelques mois avant son audience, M. Larrivée avait été transféré au Centre régional de santé mentale, lequel est situé à même l’Établissement Archambault médium, en raison de comportements à tendance suicidaire.

[11]  Le 19 janvier 2017, l’ex-conjointe de M. Larrivée envoie une lettre dans laquelle elle déclare craindre pour sa vie s’il était libéré.

[12]  Le 26 février 2017, une note de service sur le Sommaire du plan de traitement initial indique que M. Larrivée multiplie, depuis son incarcération, les démarches légales pour son droit parental à un point tel que son ancienne conjointe tente de le faire déclarer plaideur vexatoire.

[13]  Le 27 février 2017, M. Larrivée rencontre à nouveau la Commission, cette fois, dans le cadre d’une audience pour un maintien en incarcération. Celle-ci refuse sa mise en liberté et autorise le maintien en incarcération. La Commission est d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de croire que M. Larrivée commettra, avant l’expiration légale de sa peine, une infraction causant un dommage grave à une autre personne, plus particulièrement son ex-conjointe et son nouveau conjoint. Elle se dit convaincue que M. Larrivée avait peu cheminé, n’avait pas de remords et continuait de croire qu’il avait bien fait de commettre ses crimes.

[14]  Le 25 avril 2017, M. Larrivée porte la décision de la Commission en appel, par l’entremise de représentations écrites. Le 8 août 2017, la Section d’appel rejette la demande d’appel. Celle-ci conclut que l’analyse de la Commission est fondée sur de l’information sûre et convaincante dans le dossier de M. Larrivée et qu’il n’est pas déraisonnable pour la Commission de conclure que M. Larrivée satisfait les critères de maintien en incarcération.

[15]  M. Larrivée dépose la présente demande en contrôle judiciaire le 20 septembre 2017. Il soumet que les décisions de la Commission et de la Section d’appel sont entachées de vices de fond et de procédure de nature à les invalider.

III.  Questions en litige

[16]  Les questions en litige sont les suivantes :

A.  La Section d’appel a-t-elle violé les règles d’équité procédurale en ne reportant pas l’audience, et ce, alors que le demandeur a consenti à procéder ?

B.  La Section d’appel a-t-elle rendu une décision déraisonnable ?

IV.  Les normes de contrôle

[17]  Les questions d’équité et de justice naturelle sont des questions de droit soumises à la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 12).

[18]  Quant aux questions ayant trait à la mise en liberté sous condition de personnes incarcérées, une importante déférence s’impose à la Cour relativement aux conclusions de faits de la Commission et à l’application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20, et de son règlement d’application. La norme de la décision raisonnable s’applique à ces questions (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 54-64).

V.  Analyse

A.  La Section d’appel a-t-elle violé les règles d’équité procédurale en ne reportant pas l’audience, et ce, alors que le demandeur a consenti à procéder ?

[19]  M. Larrivée soumet que la Commission a contrevenu aux règles d’équité en n’interrompant pas l’audience pour lui permettre de déposer un document qu’il qualifie d’important. Il soutient qu’il était du devoir de la Commission d’interrompre l’audience et de la reporter. Il maintient que la Section d’appel, qui a entériné les conclusions de la Commission, a également contrevenu à l’équité procédurale. M. Larrivée reproche à la Section d’appel de conclure dans sa décision que tous les documents avaient été partagés avec lui et qu’il avait, malgré les documents manquants, indiqué qu’il était prêt à procéder. Cette thèse n’a aucun fondement, pour au moins trois motifs.

[20]  En premier lieu, M. Larrivée et son assistante avaient été avisés avant l’audience des documents que la Commission entendait utiliser. Ils n’ont pas contesté la liste de documents et n’ont pas demandé un délai lors de l’audience afin de pouvoir déposer des documents supplémentaires.

[21]  En second lieu, M. Larrivée a accepté de poursuivre l’audience après avoir constaté que certains documents qu’il considérait importants n’avaient pas été déposés. Ceci était son choix. La Commission avait certes la discrétion d’ajourner l’audience; cependant elle n'était pas tenue d'intervenir compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

[22]  En troisième lieu, M. Larrivée n’a pas déposé de preuve, soit devant la Commission, la Section d’appel ou cette Cour, sur l’importance ou la pertinence des documents qu’il désirait déposer.

[23]  M. Larrivée n’a pas établi que la Commission a commis une violation à un principe de justice fondamentale. De plus, il était raisonnable pour la Section d’appel de conclure, compte tenu de la preuve au dossier, que tous les documents considérés par la Commission ont été partagés avec M. Larrivée.

B.  La Section d’appel a-t-elle rendu une décision déraisonnable ?

[24]  M. Larrivée reproche à la Commission d’avoir accordé trop d’importance à certains documents, d’avoir rendu sa décision avec des renseignements incomplets et d’avoir ignoré toute l’information pertinente. M. Larrivée reproche aussi à la Section d’appel de ne pas avoir tenu compte des observations de l’avocate de M. Larrivée ou d’expliquer pourquoi elles n’ont pas été retenues.

[25]  M. Larrivée n’a pas établi que la Section d’appel a ignoré ses prétentions écrites ou qu'elle n'en a pas tenu compte. Au contraire, les observations présentées en son nom sont abordées expressément dans les motifs.

[26]  M. Larrivée demande essentiellement à cette Cour de refaire l’évaluation faite par la Commission, et confirmée par la Section d’appel, quant à la force probante de chacun des éléments au dossier. Ce n'est, bien entendu, pas le rôle de la Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire d’apprécier de nouveau la preuve ou de substituer une conclusion à celle tirée par le décideur désigné.

[27]  Dans un contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si la décision fait parties des issues possibles. La preuve objective et fiable contenue au dossier démontre que M. Larrivée continue d’entretenir sa haine envers ses victimes. Il a peu cheminé, n’éprouve que très peu de remords et continue de croire que ses actes sont justifiés. De plus, il s’est très peu investi dans les différents programmes et sa participation à ceux-ci n’était qu’utilitaire. Il était donc raisonnable pour la Commission d’accorder plus de poids aux renseignements persuasifs et corroborés provenant du Service correctionnel qu’aux propos intéressés tenus par M. Larrivée pendant l’audience. De plus, sa conclusion que M. Larrivée présente un comportement violent persistant et que l’incarcération demeure la seule option possible dans son cas est inattaquable.

[28]  Je ne puis relever aucune erreur dans le traitement des éléments de preuve, soit par la Commission ou par la Section d’appel.

VI.  Conclusion

[29]  Puisque je souscris à l’essentiel des observations écrites déposées pour le compte du défendeur, que j’adopte et reprends à mon compte, je conclus que la demande doit être rejetée, avec dépens.


JUGEMENT AU DOSSIER T-1423-17

LA COUR STATUE que :

La demande soit rejetée.

Le tout avec dépens contre le demandeur de 300 $.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1423-17

 

INTITULÉ :

STEVE LARRIVÉE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Pierre Tabah

Pour le demandeur

Anne-Renée Touchette

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et associés

St-Jérôme (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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