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Date : 20180511


Dossier : T-946-17

Référence : 2018 CF 504

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2018

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

BRADMAN LEE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Bradman Lee (le « demandeur ») interjette appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto datée du 8 septembre 2017 faisant droit à la requête de Sa Majesté la Reine et du ministre du Revenu national (les « défendeurs ») en vue de faire radier sa déclaration, sans autorisation de la modifier, au motif qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire et constitue un abus de procédures au sens de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »).

[2]  Dans le présent appel, le demandeur fait valoir que le protonotaire n’a pas compris les faits et a fait preuve de partialité en faveur des défendeurs.

[3]  Le demandeur est un contribuable canadien résidant en Ontario. Dans sa déclaration, il allègue que les défendeurs ont commis des fautes à son égard relativement aux cotisations d’impôt sur le revenu et de TPS établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) et de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15.

[4]  Dans son ordonnance, le protonotaire a examiné l’historique des recours entrepris par le demandeur devant la Cour de justice de l’Ontario, la Cour supérieure de justice de l’Ontario, la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour canadienne de l’impôt, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada.

[5]  Les procédures présentées devant les cours ontariennes étaient liées à déclaration de culpabilité du demandeur à des accusations d’avoir déposé des déclarations de revenus fausses et trompeuses, alors que les procédures devant la Cour de l’impôt et en appel devant la Cour d’appel fédéral concernaient des cotisations pour le paiement de la TPS. Le demandeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada tant à l’égard des procédures devant les cours de l’Ontario et de la Cour de l’impôt que de celles devant la Cour d’appel fédérale. Ces demandes d’autorisation ont été rejetées.

[6]  Le protonotaire Aalto a fait les remarques suivantes en se prononçant sur la requête des défendeurs visant à faire radier la déclaration du demandeur en l’espèce :

[traduction] Dans les circonstances de l’espèce, les faits allégués dans la déclaration ne peuvent être retenus comme véridiques à première vue puisque des conclusions claires et précises d’autres cours contredisent manifestement les propos retrouvés dans la déclaration. Il ressort nettement de l’historique des démêlés de M. Lee avec le système judiciaire que des conclusions claires et sans équivoque ont été rendues à l’égard de ce qui est survenu et qu’elles ont toutes fait l’objet de procédures d’appel. La doctrine de la chose jugée s’applique. Des décisions définitives et concluantes ont été rendues dans toutes ces affaires, à l’encontre des intérêts de M. Lee. Par conséquent, la déclaration est scandaleuse, frivole et vexatoire et constitue, comme il a été mentionné, un abus de procédures au sens des règles de la Cour. La déclaration ne fait valoir aucune cause d’action raisonnable et ne présente aucune chance de succès; l’allégation de poursuite abusive en est un exemple. Ce délit nécessite que le demandeur ait été reconnu non coupable des accusations portées contre lui, ce qui n’est clairement pas le cas en l’espèce. La déclaration est, en grande partie, fondée sur ces condamnations.

[7]  Le critère applicable à une requête en radiation d’un acte de procédure, à savoir s’il est évident et manifeste qu’un acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable, a été établi dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Il est par ailleurs précisé au paragraphe 24 de la décision Bérubé c. Canada, 2009 CF 43, que pour qu’une déclaration comprenne une cause d’action raisonnable, elle doit comporter les trois éléments suivants :

1.  alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action;

2.  indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits;

3.  préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder.

[8]  Le critère applicable à un appel d’une ordonnance d’un protonotaire est énoncé dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira v. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215. Une ordonnance d’un protonotaire ne sera annulée que si les conclusions factuelles présentent une erreur manifeste et dominante ou, pour les questions de droit ou de fait et de droit et qu’un principe de droit est en cause, la norme de la décision correcte s’appliquera.

[9]  La jurisprudence pertinente enseigne qu’une ordonnance portant sur une requête en vue de faire radier une déclaration fait intervenir l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[10]  Comme le protonotaire Aalto l’a noté, les défendeurs ont fondé leur requête en radiation sur l’article 221 des Règles. L’article 221 est libellé comme suit :

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[11]  Conformément à la décision dans l’arrêt Condon c. Canada, 2015 CAF 159, 474 N.R. 300, les allégations contenues dans une déclaration sont présumées véridiques. Toutefois, comme le protonotaire l’a souligné, les faits allégués [traduction] « ne peuvent être considérés comme véridiques que s’ils peuvent être prouvés ». Le protonotaire a jugé que la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable et, qu’en fonction des faits connus, elle était plutôt scandaleuse et vexatoire, et qu’elle constituait un abus de procédure.

[12]  Dans la décision Oleynik c. Canada (Procureur général), 2014 CF 896, la Cour a affirmé ce qui suit au paragraphe 23 :

[23] Remettre en instance essentiellement le même litige lorsque des tentatives antérieures d’obtenir un redressement ont échoué constitue un abus de procédure; voir la décision Black c NsC Diesel Power Inc. (syndic) et al, (2000), 183 FTR 301, au paragraphe 11. La Cour s’est déjà penchée, à deux reprises, sur le fond du litige dans la présente affaire.  Dans les deux cas, les demandes ont été rejetées; voir les décisions Oleinik c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2011 CF 1266, confirmée par Oleinik c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2012 CAF 229, et Oleinik c Commissaire à la vie privée (Can) (2013), 2013 CF 44, 425 FTR 228. L’action présentée par le demandeur en l’espèce constitue donc un abus de procédure.

[13]  À mon avis, le même principe s’applique en l’espèce.

[14]  Après avoir lu l’ordonnance du protonotaire Aalto, je suis convaincu qu’il n’a pas commis d’erreur en accueillant la requête des défendeurs.

[15]  Le protonotaire a déterminé que les allégations contenues dans la déclaration du demandeur renvoient à des questions ayant déjà été jugées et tranchées et ayant fait l’objet de tous les recours possibles en appel, y compris d’une demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada. Il a jugé que la présentation de ces allégations dans la déclaration va à l’encontre du principe de la chose jugée, comme l’a établi la juge Woods alors qu’elle était juge à la Cour canadienne de l’impôt.

[16]  Le protonotaire n’a pas commis d’erreur dans son appréciation des faits ou son application du droit. Il n’a pas non plus commis d’erreur en concluant que les questions soulevées par le demandeur dans sa déclaration avaient été jugées. Il n’a commis aucune « erreur manifeste et dominante » et l’appel sera par conséquent rejeté.

[17]  Les allégations de partialité du demandeur ne sont pas fondées. Le critère permettant de conclure à la partialité est élevé; voir l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, aux pages 394 à 395. La décision du protonotaire d’accueillir la requête en radiation n’est pas un exemple de partialité.

[18]  Les défendeurs n’ont pas réclamé les dépens de cette requête. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire et conformément aux Règles, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-946-17

LA COUR rejette l’appel de l’ordonnance. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-946-17

 

INTITULÉ :

BRADMAN LEE c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 11 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Bradman Lee

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Kaitlin Coward

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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