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Date : 20180618


Dossier : IMM-4173-17

IMM-4174-17

Référence : 2018 CF 632

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

MICHAEL MOSIAH BRADSHAW

NICOLE ANN MARIE BROWN-BRADSHAW ET BRIHANNA MICKAYLA BRADSHAW, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, MICHAEL MOSIAH BRADSHAW

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision d’une agente d’immigration principale (l’agente) refusant leur demande de dispense des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) pour des motifs d’ordre humanitaire, en application de l’article 25 de la Loi.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Premièrement, le comportement des demandeurs qui se présentent devant notre Cour n’est pas entièrement irréprochable, ne s’étant pas présentés pour l’exécution de la mesure de renvoi du Canada de la manière ordonnée. La Cour pourrait refuser de statuer sur la demande ou la rejeter pour ce seul motif. Même si le Canada tire de nombreux avantages du fait de l’immigration et offre plusieurs options en matière d’immigration légale, les personnes qui cherchent à immigrer au Canada sont tenues de respecter la loi et les processus établis. Bien que les demandeurs désirent faire leur vie au Canada et que leurs lettres d’appui, comme l’agente l’a reconnu, montrent qu’ils sont bien appréciés au sein de leur communauté, accueillir leur demande de contrôle judiciaire malgré leur conduite serait susceptible de déconsidérer le régime d’immigration et l’administration de la justice. Deuxièmement, même si la demande de contrôle judiciaire était examinée sur le fond, elle n’a pas de chance d’être accueillie. La décision de l’agente est à la fois juste et raisonnable, sur le plan de la procédure.

I.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur, Michael, son épouse Nicole et leur fille Brihanna sont citoyens de la Jamaïque (les demandeurs). La famille a également un fils âgé de deux ans, Jayden, qui est citoyen canadien.

[4]  Les demandeurs sont arrivés au Canada comme visiteurs en 2013. Ils n’ont pas tenté de prolonger leur statut de visiteur. Ils sont plutôt demeurés au Canada sans statut. Les demandeurs ont sollicité la résidence permanente en 2014, alléguant des motifs d’ordre humanitaire, et encore en 2015. Cependant, les deux fois leur demande a été refusée. Les demandeurs ont été déclarés interdits de territoire au Canada en août 2016, pour non-respect de la Loi et une mesure d’exclusion a été prise en décembre 2016.

[5]  En novembre 2016, les demandeurs ont à nouveau sollicité la résidence permanente alléguant des motifs d’ordre humanitaire, en présentant de nouveau le même matériel qu’ils avaient présenté lors de leurs demandes précédentes. En février 2017, après avoir retenu les services d’un nouvel avocat, ils ont actualisé leur demande et ont fait des observations additionnelles.

[6]  La présente demande pour motifs d’ordre humanitaires a été rejetée par l’agente le 30 août 2017.

[7]  Les demandeurs ont déposé de brèves observations complémentaires le 11 septembre 2017. Les demandeurs affirment qu’ils n’avaient pas reçu la décision du 30 août 2017 à l’époque. Étant donné que la décision avait déjà été rendue, l’agente a considéré les observations comme une demande de réexamen de la décision pour motifs d’ordre humanitaire. L’agente a examiné les observations actualisées et a conclu qu’elles ne justifiaient pas une modification de la décision initiale. Tant la décision du 30 août 2017 que la décision découlant de la révision font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]  Les demandeurs ont reçu l’instruction de se présenter pour leur renvoi du Canada le 30 décembre 2017. Ils ont présenté une requête en vue de surseoir à leur renvoi en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de la présente demande et en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de leur examen des risques avant renvoi (ERAR). Par une ordonnance datée du 20 décembre 2017, le juge Gleeson a rejeté la requête. Les demandeurs ne se sont pas présentés pour leur renvoi du Canada conformément aux directives le 30 décembre 2017.

II.  La décision faisant l’objet d’un contrôle

[9]  Les demandeurs ont soulevé trois motifs dans leur demande pour motifs d’ordre humanitaire : l’établissement, les conditions défavorables de leur pays et l’intérêt supérieur de leurs enfants.

[10]  En ce qui a trait à l’établissement, l’agente a noté que les demandeurs étaient au Canada depuis environ quatre ans. Les demandeurs adultes étaient employés pendant la majeure partie de cette période, même s’ils avaient travaillé sans permis de travail. L’agente a accordé peu d’importance à leur emploi au Canada pour cette raison. Les demandeurs adultes avaient également allégué qu’ils avaient récemment mis sur pied un service de traiteur, mais le seul élément de preuve déposé était la photocopie d’une carte professionnelle. L’agente a conclu qu’il n’y avait pas d’élément de preuve indiquant la viabilité de l’entreprise, ou d’élément de preuve démontrant que l’entreprise détenait un permis d’exploitation.

[11]  L’agente a reconnu que les demandeurs avaient tissé des liens personnels étroits avec les membres de leur communauté et qu’ils étaient appréciés, mais elle n’était pas persuadée que les liens étaient tels que la séparation aurait une incidence négative grave sur les demandeurs. L’agente a aussi conclu qu’ils pourraient être impliqués de la même façon dans la communauté jamaïcaine, particulièrement étant donné qu’ils avaient vécu toute leur vie en Jamaïque, mis à part les quatre dernières années.

[12]  L’agente a reconnu que les demandeurs envoyaient de l’argent aux membres de leur famille en Jamaïque, notamment pour le traitement du VIH du frère de Michael. L’agente a reconnu que cela améliorait les conditions de la famille des demandeurs en Jamaïque, mais elle a noté qu’aucun élément de preuve ne démontrait comment la famille avait composé avec la situation par le passé. L’agente a en outre conclu que le gouvernement jamaïcain et les organisations non gouvernementales (ONG) offraient des traitements et du soutien pour les gens atteints du VIH.

[13]  Relativement aux conditions défavorables du pays, les demandeurs ont fait valoir qu’ils seraient exposés à un risque élevé de crime et de violence en Jamaïque. Ils affirment que ce risque est particulièrement élevé puisque Michael est un ancien policier qui faisait partie d’une unité d’élite luttant contre les gangs et la violence armée (l’unité Street Crimes Task Force). Les demandeurs ont allégué que les membres de l’unité et leurs familles sont la cible des associés du crime organisé, même lorsqu’ils ne sont pas en service.

[14]  L’agente a accepté que Michael eût été un ancien policier, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve suggérant qu’il avait fait partie de l’unité Street Crimes Task Force. La preuve suggérait plutôt qu’il avait fait partie de l’unité Police Construction Unit. L’agente a noté : [traduction]

  Le formulaire Annexe A des demandeurs, déposé avec les demandes pour motifs d’ordre humanitaire, lequel indiquait que le demandeur principal avait travaillé dans l’unité Police Construction Unit de 2007 à 2013;

  Une lettre datée de janvier 2017, de la Jamaica Constabulary Force (JCF), laquelle indiquait que le demandeur principal avait servi dans la JCF de 2007 à 2013, « et avait servi en dernier dans l’unité Property Management Unit »;

  Des documents déposés par le demandeur principal démontrant qu’il avait participé à des cours de formation portant sur des questions d’ordre général en matière de construction.

[15]  L’agente a conclu que ces éléments de preuve étaient plus persuasifs que la revendication des demandeurs – appuyée par l’affidavit de Michael – voulant qu’il ait appartenu à une unité d’élite. L’agente a également conclu que la déclaration incohérente de Michael relativement à l’unité de la JCF dans laquelle il avait travaillé diminuait le poids accordé à sa preuve. L’agente a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour suggérer que la famille serait ciblée en raison de l’emploi antérieur de Michael dans la JCF.

[16]  L’agente a reconnu que le crime et la violence étaient présents en Jamaïque, mais elle a conclu que la preuve objective indiquait que la majeure partie de la violence se produisait entre membres de gangs. De plus, des éléments de preuve montraient que le gouvernement jamaïcain était capable et désireux de protéger ses citoyens de la criminalité.

[17]  Relativement à l’argument des demandeurs voulant que les conditions en Jamaïque ne soient pas favorables aux femmes, l’agente a noté la prétention de Nicole selon laquelle son cousin s’était exposé à elle lorsqu’elle avait huit ans, et qu’elle avait été témoin du viol de sa cousine lorsqu’elle était âgée de onze ans. Toutefois, l’agente a noté que Nicole a vécu en Jamaïque pendant 30 ans, qu’elle a terminé l’école secondaire, qu’elle a intégré le marché du travail et n’a pas indiqué d’autre cas de violence ou de discrimination fondé sur le sexe. L’agente a également reconnu que la violence familiale était un problème en Jamaïque, mais elle a noté que les demandeurs n’avaient précisé aucune menace de violence familiale. L’agente a conclu que leur risque allégué de violence fondée sur le sexe était purement conjectural.

[18]  En ce qui a trait à l’observation des demandeurs selon laquelle ils ne seraient pas en mesure de s’établir de nouveau en Jamaïque en raison de sa stagnation économique, l’agente n’était pas persuadée que les conditions étaient bien pires qu’en 2013 lorsque les demandeurs avaient quitté la Jamaïque, notant qu’ils avaient un emploi et qu’ils subvenaient adéquatement à leurs besoins.

[19]  L’agente a traité l’argument de Nicole selon lequel sa santé mentale serait exacerbée si elle retournait en Jamaïque. Les demandeurs ont présenté une lettre du médecin de famille de Nicole en Jamaïque indiquant qu’elle avait été traitée pour la gastrite et l’anxiété par le passé. Ils ont également fourni une lettre du Dr Agarwal, psychologue, datée du 12 janvier 2017, qui lui avait diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique (TSPT). L’agente a conclu que le ton de la lettre n’était pas objectif. Elle affirmait que [traduction] « Nicole ne peut pas obtenir la rémission [...] à moins qu’elle n’arrête de craindre de retourner à la [Jamaïque] ». L’agente a noté que le psychologue avait simplement recommandé que Nicole ne soit pas renvoyée à la Jamaïque. L’agente a également noté que la lettre était fondée, du moins en partie, sur le récit de Nicole du stress résultant de l’appartenance de Michael à une unité policière d’élite – une prétention que l’agente n’a pas acceptée. L’agente a en outre noté que Nicole n’avait consulté le psychologue qu’une seule fois et qu’elle n’avait pas reçu de traitement de suivi. L’agente a conclu que Nicole pouvait éprouver de l’anxiété en Jamaïque, mais qu’elle pouvait obtenir un soutien médical là-bas. Par ailleurs, le fait que Nicole ne recevait pas de traitement continu au Canada signifiait que son [traduction] « réseau de soutien médical » ne serait pas perturbé si elle était renvoyée.

[20]  En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a accepté le fait que les enfants sont heureusement établis au Canada. Toutefois, l’agente a conclu que l’école et les activités liées à l’église auxquels les enfants participent sont également disponibles en Jamaïque. L’agente a reconnu que Brihanna réussissait très bien à l’école et qu’elle étudiait notamment le français. Même si étudier le français à l’école n’allait probablement pas être une option si elle devait être renvoyée en Jamaïque, l’agente a noté que Brihanna pourrait utiliser d’autres ressources parascolaires si elle voulait apprendre le français.

[21]  Les demandeurs ont fait valoir que l’anglais de bonne qualité linguistique n’était pas utilisé dans les écoles de la Jamaïque. Ils ont présenté un article de 2011 du « Jamaica Gleaner » pour appuyer cet argument. L’agente a consulté le site Web du ministère de l’Éducation jamaïcain, lequel indiquait que l’anglais jamaïcain normal était la langue d’instruction courante dans les écoles de la Jamaïque.

[22]  Les demandeurs ont également fait valoir que les enfants n’auraient pas accès à de l’éducation postsecondaire, mentionnant un article de 2013 de Humanium, une organisation non gouvernementale. L’agente a accordé peu d’importance à l’article, mentionnant qu’elle ne considérait pas la source fiable. L’agente a préféré l’information actuelle figurant sur le site Web du ministère de l’Éducation qui affirmait que le gouvernement s’est engagé à fournir [traduction] « des occasions d’apprentissage continu et un accès à l’enseignement supérieur ». L’agente a également noté que les demandeurs adultes avaient été en mesure d’avoir accès à de l’enseignement professionnel et postsecondaire tout en vivant en Jamaïque. L’agente a constaté que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que les enfants n’auraient pas le même accès.

[23]  Quant à l’allégation des demandeurs selon laquelle les soins de santé étaient inadéquats en Jamaïque, l’agente a consulté les sites Web à jour du gouvernement, notant que les enfants avaient accès gratuitement à des soins de santé.

[24]  L’agente a examiné les conditions défavorables du pays alléguées par les demandeurs en fonction de [traduction] « l’intérêt supérieur des enfants ». L’agente a reconnu que les conditions en Jamaïque ne sont pas aussi favorables qu’au Canada et que le taux élevé de criminalité n’était pas idéal pour élever des enfants.

[25]  L’agente a aussi pris en compte le rapport du psychologue concernant Brihanna, lequel indiquait qu’elle était heureuse et bien adaptée, mais avertissait que des [traduction] « perturbations » dans l’environnement étaient susceptibles d’affecter le développement des enfants et de [traduction] « les rendre vulnérables à des problèmes de santé mentale ».

[26]  L’agente a noté qu’il lui était rare de conclure qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur des enfants de demeurer au Canada. Toutefois, elle a jugé que la préoccupation principale pour les enfants était une différence du niveau de vie. Elle a conclu que la mesure dans laquelle l’intérêt supérieur des enfants serait compromis, s’ils retournaient en Jamaïque, était modeste.

[27]  L’agente a conclu que l’importance attachée à l’intérêt supérieur des enfants, bien que positive, n’était pas suffisante pour [traduction] « faire pencher la présente demande » et elle conclut, d’après tous les éléments de preuve, que les circonstances ne justifiaient pas une dispense aux termes de l’article 25 de la Loi.

[28]  Comme il est expliqué précédemment, les demandeurs ont présenté d’autres observations le 11 septembre 2017, dont l’agente a traité comme une demande de réexamen de la décision du 30 août 2017. Ces observations comprenaient : la preuve que les demandeurs adultes avaient obtenu des permis de travail en juin 2017; le bulletin de deuxième année de Brihanna démontrant son succès à l’école; une lettre notant que Nicole avait présenté une demande d’admission pour un programme au Seneca College, mais qu’elle avait été refusée.

[29]  L’agente a conclu que les permis de travail récents n’avaient pas d’incidence sur l’analyse du degré d’établissement, car l’historique d’emploi des demandeurs adultes au Canada n’était pas autorisé, sauf pour ce qui est des derniers mois. L’agente a noté qu’elle avait déjà reconnu les réalisations de Brihanna à l’école dans la décision initiale et que les nouveaux renseignements ne modifiaient pas cette conclusion. Enfin, l’agente a conclu que la demande rejetée de Nicole au Seneca College ne démontrait en rien l’établissement actuel des demandeurs au Canada, mentionnant que des intentions pour l’avenir n’étaient pas des facteurs relatifs à l’établissement.

III.  Position générale des demandeurs

[30]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque concernant le système d’éducation jamaïcain et à l’égard de la disponibilité des traitements contre le VIH en Jamaïque. Les demandeurs affirment qu’ils auraient dû avoir la possibilité de répondre à ces renseignements. Les demandeurs affirment également que la conclusion de l’agente selon laquelle Michael ne faisait pas partie de l’unité Street Crimes Task Force portait sur la crédibilité, ce qu’il aurait dû avoir la possibilité d’aborder.

[31]  Les demandeurs font également valoir que la décision n’est pas raisonnable. Ils soutiennent que l’agente a erré comme suit : en concluant que Michael ne faisait pas partie de l’unité Street Crimes Task Force; en ne tenant pas compte de la preuve psychologique à l’égard de Nicole; en évaluant l’intérêt supérieur des enfants; en n’acceptant pas leurs observations actualisées.

[32]  Les demandeurs reconnaissent maintenant que leur comportement n’est pas irréprochable devant la Cour, étant donné qu’ils ne se sont pas présentés pour leur renvoi du Canada le 30 décembre 2017 de la manière ordonnée, et suivant l’ordonnance de la Cour datée du 20 décembre 2017, laquelle rejetait le sursis de leur renvoi. Les demandeurs affirment qu’ils ont des arguments solides, et que par conséquent, la Cour devrait statuer sur le fond de la demande de contrôle judiciaire malgré leur comportement.

IV.  La position fondamentale du défendeur

[33]  Le défendeur soutient que la demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être examinée ou qu’elle devrait être rejetée, car les demandeurs ne se sont pas présentés pour leur renvoi. Le défendeur affirme qu’il s’agit d’un affront à l’intégrité de notre système d’immigration et à l’administration de la justice de statuer sur le fond de la demande de contrôle judiciaire en de telles circonstances.

[34]  Le défendeur affirme que si la demande est examinée sur le fond, elle ne devrait pas être accueillie. La décision de l’agente est à la fois raisonnable et juste, sur le plan de la procédure.

V.  Les questions en litige

[35]  La question préliminaire consiste à savoir si la présente demande devrait être rejetée pour le motif de la théorie de la « conduite irréprochable ».

[36]  Advenant que la demande soit examinée sur le fond, les questions en litiges sont les suivantes :

  • la question de savoir si l’agente a manqué à l’équité procédurale en : a) s’appuyant sur une preuve extrinsèque; b) en tirant des conclusions défavorables sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre;

  • la question de savoir si la décision de l’agente est raisonnable, ce qui suppose l’examen de ce qui suit :

  • o la question de savoir si l’agente a erré dans son appréciation des éléments de preuve et ses conclusions concernant l’emploi de Michael dans l’unité Street Crimes Task Force (groupe de travail sur les crimes de rue).

  • o la question de savoir si l’agente a erré dans son évaluation de la preuve psychologique;

  • o la question de savoir si l’agente a erré dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants;

  • o la question de savoir si l’agente a erré en faisant fi de la preuve à jour des demandeurs.

VI.  La norme de contrôle

[37]  La norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire comme une demande pour motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, au paragraphe 6, [2006] ACF no 1061 (QL); voir aussi Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 57 à 62, 174 DLR (4th) 193 [Baker]; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]).

[38]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit établir « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’examiner « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, et la Cour ne réévaluera pas les éléments de preuve.

[39]  Les questions de procédure doivent être examinées par un tribunal judiciaire selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339).

VII.  La question préliminaire : la présente demande de contrôle judiciaire devrait-elle être rejetée pour le motif de la théorie de la « conduite irréprochable »?

A.  Les observations du défendeur

[40]  Le défendeur note que la requête en sursis à l’exécution de leur renvoi du Canada des demandeurs a été rejetée par une ordonnance du juge Gleeson datée du 20 décembre 2017, lequel a conclu, entre autres choses, que les éléments de preuve ne démontraient pas une probabilité manifeste et non spéculative de préjudice aux demandeurs. Les demandeurs ne se sont pas présentés pour leur renvoi le 30 décembre 2017. Un mandat d’arrestation a été lancé contre eux le 2 janvier 2018. Ils demeurent en liberté au Canada.

[41]  Le défendeur note que les demandeurs n’ont pas révélé ou expliqué leur conduite illégale à la Cour. Le défendeur fait valoir que les demandeurs ne devraient pas recevoir de redressement discrétionnaire en équité de la Cour.

[42]  Le défendeur affirme que la conduite des demandeurs répondait au critère établi pour refuser un redressement en raison d’une conduite qui n’est pas irréprochable, établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2006 CAF 14, 263 DLR (4th) 51 [Thanabalasingham].

B.  Les arguments des demandeurs

[43]  L’avocat des demandeurs reconnaît que les demandeurs ne se sont pas présentés pour leur renvoi et que leur inconduite est grave, mais il affirme que la Cour devrait poursuivre l’audience de la demande sur le fond en raison de la solidité de la preuve et des intérêts en jeu.

C.  Les principes tirés de la jurisprudence

[44]  Récemment, dans Debnath c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 332, [2018] ACF no 330 (QL) [Debnath], la juge Strickland a examiné l’application de l’arrêt Thanabalasingham et la théorie de la conduite irréprochable en circonstances semblables. Dans cette affaire, les demandeurs ne s’étaient pas présentés à la date prévue pour leur renvoi à la suite du rejet de leur demande d’asile.

[45]  La juge Strickland a noté, au paragraphe 20, que les réparations sur contrôle judiciaire sont discrétionnaires et, selon le comportement d’un demandeur, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser, de juger ou de rejeter une demande. La juge Strickland a expliqué les principes et les critères clés à examiner aux paragraphes 21 et 22;

21  La décision de principe sur l’application de la théorie de la conduite irréprochable est l’arrêt dans Thanabalasingham. En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a examiné une question certifiée étant, lorsqu’un demandeur se présente devant la Cour sans une conduite irréprochable sur une demande de contrôle judiciaire, si la Cour devait, au moment de décider si le fond d’une demande devrait être examiné, tenir compte des conséquences que pourrait subir le demandeur si la demande n’est pas examinée sur le fond. La Cour d’appel fédérale n’était pas d’accord avec l’affirmation du défendeur dans ce cas, selon laquelle, s’il était établi qu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour ayant une conduite irréprochable, la Cour doit par conséquent refuser d’entendre ou d’accorder la demande sur le fond. La Cour d’appel fédérale a plutôt conclu que la jurisprudence suggérait, s’il est convaincu qu’un demandeur avait menti ou qu’il était autrement coupable d’inconduite, alors la cour de révision peut rejeter la requête sans instance pour déterminer le fond ou, même si une erreur susceptible de contrôle a été trouvée, refuser d’accorder une réparation. De plus :

[10]  Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

22  Les facteurs ne sont pas exhaustifs et ne sont pas nécessairement pertinents dans tous les cas.

[46]  La juge Strickland a noté, au paragraphe 24, de nombreux exemples de jurisprudences où la Cour avait conclu que la conduite d’un demandeur était suffisante pour rejeter la demande, mais avait néanmoins procédé à l’analyse de la demande sur le fond.

[47]  La juge Strickland a conclu, au paragraphe 28, qu’après la pondération des facteurs dans Thanabalasingham, y compris l’inconduite grave, et la faiblesse apparente des éléments de preuve, il était justifié d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de rejeter la demande pour défaut de conduite irréprochable. Toutefois, comme dans les exemples qu’elle a relevés, la juge Strickland a examiné la demande sur le fond dans l’éventualité où elle avait tort de conclure qu’elle serait rejetée au seul motif de la théorie de la conduite irréprochable.

D.  La demande de contrôle judiciaire pourrait être rejetée; le comportement des demandeurs n’est pas irréprochable devant la Cour.

[48]  En l’espèce, la Cour pourrait rejeter la présente demande sans examiner son bien-fondé.

[49]  À l’instar de la décision Debnath, l’inconduite des demandeurs est grave. En plus de leur défaut à se présenter à la date prévue de leur renvoi, les demandeurs ont présenté deux demandes préalables pour motifs d’ordre humanitaire qu’ils ont ensuite reconnu, comportaient de la désinformation à propos de leur situation d’emploi. En outre, les demandeurs n’ont pas offert d’explication pour justifier leur inconduite.

[50]  La dissuasion d’une telle inconduite par d’autres personnes est une considération importante. Bien qu’il existe de nombreuses options pour entamer des procédures d’immigration au Canada, la force de notre système d’immigration dépend de la conformité à la loi. Tolérer cette inconduite envoie le mauvais message à ceux qui respectent et observent la loi et qui « respectent les règles ».

[51]  Contrairement à l’opinion des demandeurs selon laquelle ils ont des éléments de preuve solides, je ne suis pas de cet avis, tel qu’expliqué ci-après. Une demande pour motif d’ordre humanitaire dispense de l’application des exigences de la Loi et est une mesure de redressement discrétionnaire. Il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agente. En l’espèce, l’agente n’a pas commis d’erreur dans sa décision. À mon avis, les facteurs susmentionnés justifient le rejet de la demande de contrôle judiciaire au motif que le comportement des demandeurs n’était pas irréprochable. Toutefois, j’ai suivi la même approche que la juge Strickland dans Debnath, et j’ai également examiné la demande sur le fond.

VIII.  L’agente a-t-elle manqué à l’obligation d’équité procédurale?

A.  Les arguments des demandeurs

[52]  Les demandeurs affirment que l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur une « preuve extrinsèque », sans leur donner l’occasion d’y répondre. Ils indiquent la référence de l’agente au site Web du ministère de la Santé jamaïcain concernant la disponibilité des traitements contre le VIH en Jamaïque, et l’autre élément de preuve du ministère de l’Éducation sur lequel l’agente s’est appuyée à l’égard de l’usage de l’anglais dans les écoles jamaïcaines et la disponibilité d’études postsecondaires.

[53]  Les demandeurs font valoir qu’il s’agissait d’information [traduction] « inédite et importante » sur laquelle ils n’auraient pas pu prévoir que la décision serait fondée (citant Lopez Arteaga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 778, 436 FTR 281).

[54]  Les demandeurs affirment en outre qu’ils n’auraient pas pu raisonnablement prévoir que l’agente s’appuierait sur des renseignements provenant du site Web du ministère de l’Éducation qui avaient été publiés dans le bulletin mensuel du ministère après que les demandeurs aient déposé leur demande en novembre 2016. Les demandeurs affirment qu’il aurait été facile pour l’agente de leur fournir ces renseignements et de leur donner du temps additionnel pour répondre aux préoccupations de l’agente à propos de leurs éléments de preuve.

[55]  Les demandeurs affirment également que le fait que l’agente se soit appuyée sur la preuve provenant du site Web est contraire à la politique du ministère d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) établie dans son manuel.

[56]  Les demandeurs ajoutent que si on leur avait présenté cet élément de preuve, ils auraient fourni d’autres éléments de preuve pour miner les prétentions officielles du gouvernement à propos de la force de ses systèmes de santé et d’éducation, mentionnant que le site du gouvernement ne serait pas objectif.

[57]  Les demandeurs affirment également que l’agente a tiré une conclusion défavorable à propos de l’implication de Michael dans l’unité Street Crimes Task Force, contrairement à sa déclaration sous serment attestant qu’il en faisait partie. Ils font valoir que si l’agente avait des doutes, une réponse aurait dû être demandée aux demandeurs (citant Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, au paragraphe 22, 247 FTR 147) et que son défaut de le faire est une violation de l’équité procédurale.

B.  Les observations du défendeur

[58]  Le défendeur affirme que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve suffisante et que l’agente avait dû effectuer des recherches indépendantes, ce qui ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

[59]  Le défendeur affirme que la preuve présentée par les demandeurs à propos de l’éducation et des soins de santé en Jamaïque était insuffisante et vétuste. Il était raisonnable pour l’agente de faire référence à des renseignements du gouvernement jamaïcain accessibles au public. Cette preuve n’était pas extrinsèque et n’avait pas à être divulguée, car les demandeurs auraient dû raisonnablement prévoir que l’agente pourrait faire référence à des sources réputées, officielles, à jour et accessible au public (De Vazquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 530, au paragraphe 28, 456 FTR 124 [De Vazquez]).

[60]  Le défendeur note également que les demandeurs ont soumis de nombreux éléments de preuve documentaire et qu’ils ont mis leur preuve à jour par d’autres observations, sans toutefois fournir une preuve suffisante et à jour concernant leurs prétentions à propos du système d’éducation ou du traitement contre le VIH.

[61]  Le défendeur conteste le fait que l’agente ait tiré une conclusion négative concernant la prétention de Michael à propos de son emploi au sein de l’unité Street Crimes Task Force. L’agente a plutôt raisonnablement conclu que Michael n’avait pas fourni une preuve suffisante. Le défendeur affirme que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve clairs et objectifs établissant le rôle de Michael au sein de la Task Force à quelque moment que ce soit, et même ses observations actualisées ne contenaient que de vagues énoncés non étayés faisant allusion à son rôle. Le défendeur note qu’il n’appartient pas à l’agente de conseiller les demandeurs quant aux lacunes que comportent leurs demandes et de fournir un [traduction« résultat intermédiaire ».

C.  Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale en raison d’une « preuve extrinsèque »

[62]  L’agente n’a pas erré en s’appuyant sur des renseignements à jour provenant de sites Web officiels du gouvernement. L’information fournie par les demandeurs afin d’appuyer leurs prétentions concernant le système d’éducation de la Jamaïque était vétuste et insuffisante. Il semble également que les demandeurs n’ont soumis aucune information à propos de la disponibilité des traitements subventionnés contre le VIH en Jamaïque. On ne peut pas reprocher à l’agente de chercher des renseignements publics actualisés sur un site Web du gouvernement, que les demandeurs auraient également consulté. Les demandeurs ne peuvent pas prétendre, sans preuve quelconque, qu’ils doivent rester au Canada afin qu’ils puissent envoyer de l’argent à leur frère pour des traitements contre le VIH en Jamaïque, et ensuite invoquer un manquement à l’équité procédurale parce que l’agente a tenté de valider leur prétention.

[63]  L’information provenant du site Web du gouvernement jamaïcain à laquelle fait référence l’agente, et sur laquelle elle s’appuie, ne fait pas automatiquement partie de la catégorie de la preuve extrinsèque qui crée une obligation de divulguer l’information et de fournir aux demandeurs la possibilité de répondre. La jurisprudence a évolué et elle établit maintenant qu’une approche plus contextuelle doit être utilisée pour examiner cette preuve.

[64]  Dans Majdalani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, 472 FTR 285 [Majdalani], la juge Bédard a analysé la jurisprudence sur la consultation de sites Web et de documentation accessible au public, pour évaluer les demandes pour motifs d’ordre humanitaire. La juge Bédard a noté que la jurisprudence antérieure à l’arrêt Baker prévoyait généralement que le demandeur devait être informé de toute information inédite et importante faisant état d’un changement dans la situation générale d’un pays susceptible d’avoir une incidence sur l’issue du dossier. Elle a noté que, dans la jurisprudence consécutive à l’arrêt Baker, les tribunaux ont dans l’ensemble adopté une approche plus contextuelle qui tient compte, notamment, de la nature de la décision et des répercussions possibles de la preuve sur la décision.

[65]  La juge Bédard a toutefois reconnu que l’approche de la preuve « inédite et importante » continue aussi d’être appliquée, précisant aux paragraphes 33 et 34;

[33]  Dans certains cas, la Cour a jugé que des renseignements accessibles au public, par exemple des documents consultables sur Internet et émanant de sources crédibles, fiables et bien connues, n’étaient pas considérés comme des « preuves extrinsèques » ou comme des renseignements « inédits et importants » (Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, aux paragraphes 39 et 40, [2008] ACF no 77; Pizarro Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 46, [2013] ACF no 692).

[34]  Dans d’autres affaires, la Cour a appliqué le critère de la preuve « inédite et importante » et a conclu que l’obligation de divulguer s’appliquait lorsque les renseignements contenus dans le document sur lequel l’agent s’était fondé n’étaient pas disponibles et n’auraient pas été facilement accessibles pour le demandeur ou lorsque cet élément de preuve n’était pas prévisible (Jiminez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1078, aux paragraphes 17 à 19, [2010] ACF no 1382; Stephenson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 932, aux paragraphes 35 et 39, [2011] ACF no 1156; Adetunji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 708, au paragraphe 38, [2012] ACF no 698).

[66]  La juge Bédard a également cité De Vazquez, où le juge de Montigny a expliqué, au paragraphe 28, « Cela dit, la nature « extrinsèque » d’une preuve – et l’obligation de la divulguer d’avance à un demandeur – n’est pas établie en fonction du document en soi, mais plutôt de la question de savoir si l’information que renferme le document devrait être connue par le demandeur, compte tenu de la nature des observations présentées ».

[67]  Dans De Vazquez, le juge de Montigny a conclu que le site Web auquel faisait référence l’agent fournissait de l’information générale que les demandeurs auraient pu trouver ailleurs et qui ne pouvait pas être caractérisée d’« inédite et importante faisant état d’un changement survenu dans la situation générale d’un pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier » (paragraphe 27, citant Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, 161 DLR (4th) 488 (CA)).

[68]  Dans Majdalani, la juge Bédard a adopté l’approche contextuelle et elle a précisé que l’obligation de l’équité procédurale devrait être évaluée en fonction des allégations du demandeur et du fardeau de la preuve. Dans cette affaire, elle a noté que les recherches effectuées par l’agente chargée d’évaluer la demande pour motifs d’ordre humanitaire, sur les options disponibles en matière de soins à domicile, étaient liées à l’allégation de la demanderesse qui prétendait devoir rester au Canada pour prendre soin de sa mère âgée, et que ce n’était qu’après avoir conclu que la preuve de la demanderesse était insuffisante relativement aux allégations que l’agente s’était tournée vers les sites Web, lesquels fournissaient des renseignements à propos d’autres options pour les soins de sa mère.

[69]  Il incombe en tout temps aux demandeurs de fournir suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire, y compris en ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants. La preuve qu’ils ont fournie au soutien de leur opinion selon laquelle leurs enfants ne pourraient pas être bien éduqués en Jamaïque était insuffisante et vétuste. L’agente a noté que l’article de 2011 paru dans Humanium n’était pas de source fiable. Le seul autre article déposé était l’article de 2013 paru dans « The Gleaner » qui, contrairement aux observations des demandeurs, n’établissait pas que l’anglais n’était pas la langue d’instruction dans les écoles jamaïcaines. Il se contentait plutôt d’indiquer que certains professeurs ne faisaient pas suffisamment d’efforts pour faire en sorte d’utiliser l’anglais et certains parlaient le créole jamaïcain.

[70]  Savoir si la Cour applique la jurisprudence qui établit que la preuve extrinsèque devrait être divulguée si elle contient de l’information « inédite et importante » qu’un demandeur ne pourrait pas raisonnablement prévoir, ou la jurisprudence qui soutient une approche contextuelle plus large, laquelle comprend l’examen de la nature des allégations des demandeurs et de la nature de la preuve, donne le même résultat en l’espèce. L’agente n’avait aucune obligation de divulguer l’information trouvée sur le site Web du ministère de l’Éducation ou sur le site Web du ministère de la Santé. Les demandeurs auraient pu anticiper qu’une telle information serait examinée, étant donné la nature de leurs prétentions, et ils auraient facilement pu accéder à la même information.

[71]  Même si les sites Web ont été consultés après que les demandeurs aient déposé leurs observations, l’information à propos de la langue d’enseignement, l’enseignement postsecondaire et le traitement contre le VIH était de nature générale et ne montrait pas que la situation du pays avait changé seulement après le dépôt des observations des demandeurs.

[72]  L’information à propos du système d’enseignement de la Jamaïque peut avoir été affichée sur le site Web après les observations des demandeurs, toutefois elle ne contient pas d’information qui n’aurait pas pu être trouvée ailleurs et plus tôt. La preuve décrit l’état du système d’éducation de la Jamaïque en termes généraux. L’information décrit, entre autres, les initiatives d’alphabétisation lancées en 2009, ainsi que les taux d’inscription au primaire et au secondaire.

[73]  Par ailleurs, l’information à propos de la disponibilité des traitements contre le VIH en Jamaïque avait été affichée le 15 juillet 2015, bien avant que les demandeurs ne déposent leurs observations. Étant donné que les demandeurs ont affirmé qu’ils envoyaient de l’argent au frère de Michael pour ses traitements contre le VIH, ils auraient dû raisonnablement prévoir que l’agente examinerait l’information générale à propos des traitements subventionnés en Jamaïque, comme elle est documentée sur les sites Web officiels du gouvernement.

[74]  Enfin, je ne partage pas l’interprétation des demandeurs du manuel des politiques d’IRCC, « Considérations d’ordre humanitaire : recherche, juillet 2014 » concernant le moment où des documents externes devraient être divulgués. L’observation des demandeurs selon laquelle le manuel énumère le type de documents qui n’ont pas besoin d’être divulgués et que tous les autres documents devraient être divulgués n’est pas une interprétation raisonnable du manuel.

[75]  Le manuel, qui n’est qu’un guide, et qui n’usurpe pas la jurisprudence, prévoit que les documents externes sur lesquels l’agente envisage se fonder devraient être divulgués si [traduction] « on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur ait vu ou connaisse l’information, même si le document est publiquement accessible ». Il s’agit d’un principe général. Le manuel fournit ensuite une liste de documents qui n’ont pas besoin d’être divulgués, c.-à-d. sans tenir compte de la disposition générale. La liste fait référence à des documents précis provenant du Canada, du Royaume-Uni, des États-Unis, des Nations Unies et de certaines organisations non gouvernementales. Suggérer que la liste est exhaustive rendrait le principe général redondant.

D.  Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale découlant du défaut de l’agente de fournir l’occasion aux demandeurs de répondre aux préoccupations concernant la preuve

[76]  L’agente n’a pas tiré une conclusion défavorable concernant le rôle de Michael dans l’unité Street Crimes Task Force de la JCF. L’agente a plutôt conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer cette prétention. Par conséquent, la seule question est de savoir si cette conclusion est raisonnable, c.-à-d. justifiée en fonction de la preuve (comme je l’expliquerai plus loin).

[77]  En général, lorsqu’il a des doutes quant à la « crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis », un agent devrait informer un demandeur et lui fournir l’occasion de dissiper les doutes (César Nguesso c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 880, au paragraphe 63, [2015] ACF no 916 (QL) [César Nguesso], citant Baybazarov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 665, au paragraphe 12, [2010] ACF no 930 (QL) [Baybazarov]; lorsqu’un agent titre des conclusions de fait qui sont opposées aux observations présentées par le demandeur, les tribunaux ont traité la question comme une conclusion en matière de crédibilité (Scarlett c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1051, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1328 (QL) [Scarlett]).

[78]  En revanche, les demandeurs doivent fournir des éléments de preuve suffisants pour établir le bien-fondé de leurs demandes, et les agents ne sont pas tenus d’informer les demandeurs de l’insuffisance de leur preuve, ou qu’elle contient des contradictions. Autrement dit, les agents ne sont pas tenus de fournir aux demandeurs un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte leurs demandes afin qu’ils puissent y répondre (César Nguesso, au paragraphe 63, citant Baybazarov, au paragraphe 12).

[79]  Comme il a été précisé dans la décision Phara Delille c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 508, 52 Imm LR (4th) 133 [Delille] concernant les contradictions que l’on retrouve dans la preuve présentée, au paragraphe 48 :

[traduction] L’équité procédurale n’exige pas la tenue d’une entrevue lors de l’examen d’une telle demande. Il faut plutôt qu’il y ait une participation sérieuse au processus (Baker). Le caractère suffisant des éléments de preuve ne doit pas être complété par une entrevue. Il incombe à la demanderesse de présenter ses meilleurs arguments. Les contradictions que l’on retrouve dans la preuve présentée ne relèvent pas d’une question de crédibilité; elles concernent plutôt le caractère suffisant de la preuve.

[80]  Au paragraphe 50 de la décision Delille, la Cour a ajouté que l’agent réalisant l’examen d’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire n’est pas tenu de signaler les lacunes d’une demande, notant que [traduction] « l’insuffisance et la crédibilité sont deux notions distinctes » (citant Ibabu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, [2015] ACF no 1160 (QL)).

[81]  Contrairement aux observations des demandeurs, les faits ne sont pas analogues aux faits de la décision Scarlett où l’agent s’était fondé sur d’anciennes observations et avait rendu une conclusion opposée aux observations courantes. En l’espèce, les demandeurs connaissaient le contenu de leurs observations antérieures et ils les avaient soumis à nouveau à deux reprises. Contrairement à la décision Scarlett, les demandeurs avaient l’occasion de souligner tout renseignement erroné figurant dans leurs demandes antérieures. Les demandeurs ont reconnu que les formulaires de 2016-2017 étaient sensiblement les mêmes que leurs formulaires de 2014 et 2016, et le dossier le confirme. Les demandeurs ont présenté de longues observations (58 pages) en plus des formulaires, avec un long affidavit (23 pages), qui mentionnaient qu’il y avait des inexactitudes dans les formulaires précédents. Cependant, nulle part dans ces observations et cet affidavit les demandeurs ne déclarent-ils que l’emploi de Michael dans la JCF était décrit de façon erronée dans les observations antérieures ou ne précisent-ils le moment où il faisait partie de l’unité Street Crimes Task Force ou de l’unité Construction Unit (ou de l’unité Property Management Unit, PMU, comme il décrit aussi son emploi). Par ailleurs, le dossier indique que Michael, son ancien collègue et le surintendant adjoint de la JCF décrivent tous le rôle de la Task Force ou de l’unité différemment.

[82]  L’agente a examiné les contradictions dans la preuve des demandeurs, ainsi que l’absence de toute preuve objective appuyant les demandes des demandeurs. Les motifs de l’agente révèlent que sa conclusion porte sur le caractère insuffisant des éléments de preuve pour étayer la demande des demandeurs, plutôt que sur une conclusion implicite ou explicite en matière de crédibilité. Dans sa conclusion sur la présente section, l’agente note explicitement ce qui suit :

[traduction] Je trouve que ses déclarations incohérentes sur l’unité dans laquelle il travaillait pendant son emploi avec la JCF réduisent l’importance que j’accorde à sa preuve. Je conclus qu’il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour me persuader, selon la prépondérance des probabilités, que sa famille était ou sera raisonnablement ciblée par les membres de groupes criminels organisés ou d’autres criminels en raison de l’emploi antérieur du demandeur avec la JCF.

[83]  Les demandeurs affirment que s’ils avaient eu connaissance des préoccupations de l’agente, ils auraient fourni d’autres éléments de preuve objectifs. Toutefois, il incombait aux demandeurs de « se montrer sous leur meilleur jour » dans leurs observations à l’agente, plutôt qu’à l’agente de souligner les contradictions dans leur demande et de demander des éléments de preuve supplémentaires.

IX.  La décision est-elle raisonnable?

A.  Les arguments des demandeurs

(1)  Rôle dans l’unité Street Crimes Task Force de la JCF

[84]  Les demandeurs affirment que l’agente a erré en doutant de l’adhésion de Michael à l’unité Street Crimes Task Force même si ce n’était pas une conclusion en matière de crédibilité. Ils notent que l’agente s’est appuyée sur le formulaire Annexe A des demandeurs, qui avait initialement été déposé dans le cadre des demandes pour motifs d’ordre humanitaire précédentes, et qui avait été déposé à nouveau dans la présente demande. Les demandeurs expliquent qu’ils ont subséquemment retenu les services d’un nouvel avocat, fourni de nouveaux formulaires et fait d’autres observations qui disaient expressément que leurs observations précédentes contenaient des erreurs et des inexactitudes. Ils indiquent le formulaire actualisé de demande pour motif d’ordre humanitaire (annexe A) qui décrit l’histoire personnelle de Michael et les postes qu’il avait occupés au sein du gouvernement. Ils font valoir que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle Michael avait travaillé pour l’unité Street Crimes Task Force avant 2012, et qu’il avait travaillé pour l’unité Construction Unit par la suite. Ils ajoutent que la lettre de janvier 2017 du commissaire de police de la JCF affirmant que Michael [traduction« avait exercé ses dernières fonctions dans l’unité de construction » est conforme à leur demande.

(2)  La preuve psychologique

[85]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve psychologique concernant Nicole. Premièrement, ils font valoir que l’agente n’a pas tenu compte de la gravité de l’état de Nicole lorsqu’elle a noté que cette dernière ne recevait pas de traitement pour sa condition au Canada. Ils affirment que cette approche est contraire au paragraphe 47 de l’arrêt Kanthasamy. Deuxièmement, les demandeurs prétendent que l’agente n’avait pas tenu compte de la lettre du médecin de Nicole en Jamaïque, laquelle indiquait qu’elle ne répondait pas au traitement et que c’était l’une des raisons pour lesquelles elle avait quitté la Jamaïque. Troisièmement, les demandeurs affirment que l’agente a erré en ne tenant pas compte de la lettre du Dr Agarwal parce qu’elle était fondée en partie sur le ouï-dire; plus particulièrement, le récit de Nicole de l’adhésion de son mari à l’unité Street Crimes Task Force comme étant la source de son anxiété. Ils affirment que cela est également contraire au paragraphe 49 de l’arrêt Kanthasamy.

(3)  L’intérêt supérieur des enfants

[86]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis plusieurs erreurs dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Premièrement, ils font valoir que l’agente n’a jamais évalué précisément les intérêts supérieurs de Jayden. Plutôt, l’agente n’a évalué que les intérêts de Brihanna en particulier, et « des enfants » en général. Ils affirment que cela était contraire à l’arrêt Kanthasamy, lequel indique que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant « doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (paragraphe 60).

[87]  Deuxièmement, les demandeurs affirment que l’agente s’est concentrée uniquement sur la question de savoir si les besoins fondamentaux des enfants seraient satisfaits en Jamaïque plutôt que sur les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils y étaient renvoyés, et les avantages pour les enfants de rester au Canada. Ils affirment que l’agente n’a pas traité leur preuve, notamment le rapport du psychologue pour Brihanna et une lettre de son professeur, laquelle montre qu’elle avait établi de « profondes racines » au Canada.

[88]  Les demandeurs soulignent également leurs autres observations, déposées le 11 septembre 2017, particulièrement le bulletin de deuxième année de Brihanna qui indique qu’elle [traduction] « avait établi d’importantes amitiés cette année » et qu’elle excellait à l’école. Ils affirment que l’agente a minimisé cette preuve d’une manière déraisonnable, ce qui démontre que l’agente n’était pas réceptive, attentive et sensible aux intérêts supérieurs de Brihanna.

[89]  Troisièmement, les demandeurs soutiennent que l’agente a fait fi des documents pertinents sur la situation du pays qui contredisent les conclusions de l’agente à l’égard de la situation des systèmes d’éducation et de santé, et du taux de criminalité de la Jamaïque.

B.  Les observations du défendeur

[90]  Le défendeur soutient que l’agente a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour établir que Michael faisait partie d’une unité d’élite, c’est-à-dire, l’unité Street Crimes Task Force. Le défendeur note que les demandeurs avaient soumis les mêmes formulaires à trois reprises et qu’ils n’avaient pas indiqué d’erreur concernant l’emploi de Michael. L’autre preuve n’est pas cohérente et elle ne confirme pas si Michael faisait partie d’une telle unité, ou à quel moment.

[91]  En ce qui a trait à la preuve psychologique, le défendeur soutient que l’agente n’a pas commis d’erreur en observant que Nicole ne recevait pas de traitement en santé mentale au Canada et que son renvoi du Canada ne perturberait pas de traitement. Le défendeur soutient aussi qu’il était raisonnable pour l’agente d’accorder peu d’importance à la lettre du Dr Agarwal puisqu’elle reposait sur le fait que le stress qu’éprouvait Nicole était causé, dans une certaine mesure, par l’emploi de son mari au sein de l’unité Street Crimes Task Force, emploi que l’agente avait conclu n’avait pas été établi.

[92]  Le défendeur affirme que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants réalisée par l’agente était approfondie. Il était raisonnable pour l’agente de mener une analyse relativement plus exhaustive à l’égard de Brihanna qu’à l’égard de Jayden âgé de deux ans, étant donné que les observations des demandeurs mettaient presque exclusivement l’accent sur les intérêts supérieurs de Brihanna.

[93]  Le défendeur affirme par ailleurs que l’agente avait manifestement examiné les avantages que rester au Canada aurait sur les intérêts des enfants, et elle avait reconnu qu’il était dans leur intérêt supérieur de rester.

[94]  La thèse du défendeur est que l’agente avait examiné tous les éléments de preuve pertinents dont elle était saisie, et avait raisonnablement conclu que l’importance de la preuve concernant les intérêts supérieurs ne justifiait pas d’accorder le recours exceptionnel demandé.

[95]  Le défendeur ajoute que l’agente a reconnu la nouvelle preuve présentée par les demandeurs en septembre 2017, mais qu’elle a raisonnablement conclu qu’elle ne modifiait pas la décision.

C.  La décision est raisonnable

(1)  L’objet d’une décision pour motifs d’ordre humanitaire

[96]  Les demandeurs allèguent plusieurs erreurs précises commises par l’agente. Toutefois, le point de départ pour déterminer si la décision de l’agente est raisonnable est de rappeler l’objectif d’une décision pour motifs d’ordre humanitaire.

[97]  L’article 25 prévoit qu’une dispense à certaines conclusions d’interdiction de territoire et à d’autres critères ou obligations de la Loi peut être accordée pour des motifs d’ordre humanitaire « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Cette réparation, qui dispense de respecter des exigences légales par ailleurs applicables, est discrétionnaire et est souvent caractérisée « d’exceptionnelle. ».

[98]  Il incombe en tout temps à un demandeur d’établir au moyen d’éléments de preuve suffisants que la mesure de redressement devrait être accordée. Les agents qui réalisent des évaluations pour motifs d’ordre humanitaire doivent tenir compte de tous les éléments de preuve dont ils sont saisis et de la jurisprudence applicable guidant l’évaluation, et être convaincus que la réparation est justifiée dans les circonstances de l’espèce.

[99]  Dans Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2017 CF 287, au paragraphe 23, [2017] ACF no 286 (QL), la juge Strickland a décrit en ces termes l’essentiel d’une décision pour motifs d’ordre humanitaire :

[23]  Le paragraphe 25(1) de la LIPR énonce que le ministre peut octroyer à un étranger le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables de la LIPR s’il estime que les considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Ce qui dispense un demandeur, en raison des difficultés, de l’obligation de quitter le Canada en vue de présenter une demande de résidence permanente au moyen des voies habituelles (Shrestha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1370, au paragraphe 11; Rocha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1070, au paragraphe 16; Basaki, au paragraphe 20). Une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 15; Semana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 15 [« Semana »]) et il incombe au demandeur d’établir qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est justifiée (Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 45; Adams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193, au paragraphe 29; Semana, au paragraphe 16; D’Aguiar‑Juman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 6, au paragraphe 9). [Non souligné dans l’original.]

[100]  Les demandeurs s’appuient en grande partie Kanthasamy. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a expliqué comment l’article 25 devrait être interprété et appliqué de façon plus souple. Toutefois, la Cour n’est pas allée jusqu’à conclure que chaque demande pour motifs d’ordre humanitaire doit être accordée lorsqu’elle comprend des enfants ou une preuve de l’incidence du renvoi sur l’état de santé mental, ce qui semble être la thèse des demandeurs.

[101]  La Cour suprême du Canada explique dans l’arrêt Kanthasamy que ce qui peut justifier une mesure de redressement aux termes de l’article 25 variera selon les faits et le contexte de chaque cas. Les agents qui prennent de telles décisions doivent véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à leur connaissance et leur accorder du poids (au paragraphe 25). Un aspect important de l’arrêt Kanthasamy est l’orientation précise donnée par la Cour pour éviter d’imposer un seuil de difficultés qui soient inhabituelles et injustifiées ou démesurées et « soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (au paragraphe 33) [italique dans l’original].

[102]  Même si la Cour a noté la nécessité d’examiner tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents, elle a aussi reconnu, au paragraphe 23, que le processus de la demande pour motifs d’ordre humanitaire n’est pas un régime d’immigration de rechange et que certaines difficultés sont inévitables :

[23]  L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000), CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, no 3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson)). [non souligné dans l’original]

(2)  Le rôle de Michael dans l’unité Street Crimes Task Force de la JCF

[103]  La conclusion de l’agente selon laquelle la preuve était insuffisante pour établir que Michael faisait partie de l’unité Street Crimes Task Force est raisonnable. Malgré que les demandeurs aient vigoureusement soutenu que l’agente avait erré puisque l’affidavit de Michael et les nouveaux formulaires disent qu’il avait travaillé dans cette unité d’élite pendant un certain temps et ensuite avait travaillé plus récemment dans l’unité Construction Unit, que les observations précédentes ne disent pas du tout cela et en fait, que la preuve des demandeurs décrit en général l’emploi de Michael de manière très incohérente.

[104]  Les demandeurs affirment avoir indiqué les erreurs et les inexactitudes dans leurs observations à jour de février 2017. Cependant, les observations présentées à l’agente n’indiquent aucune erreur à l’égard de la description de l’emploi de Michael. En outre, le formulaire Annexe A pour motifs d’ordre humanitaire actualisé qui décrit l’histoire personnelle et l’emploi de Michael au gouvernement indique qu’il était dans la « JCF-PMU » (ce qui est l’unité Property Management Unit) jusqu’en 2012 et était dans l’unité « Construction Task Force ». Il s’agit là d’une autre description différente de celle de Michael, mais elle n’indique pas qu’il faisait partie de l’unité Street Crimes Task Force. La lettre de janvier 2017 du commissaire de la JCF ne fait pas du tout référence à l’unité Street Crimes Task Force. La lettre du surintendant adjoint de la JCF, datée d’octobre 2017, laquelle ne faisait pas partie du dossier dont l’agente était saisie, déclare que Michael [traduction] « était affecté à l’équipe de soutien opérationnel et à l’unité Street Crime Unit (unité des crimes de rue). Ces unités ont la responsabilité d’apporter un soutien opérationnel à d’autres secteurs au sein de cette division de police en particulier et elles ont également le mandat d’examiner les scènes de crime impliquant des criminels de ligne dure et de traiter d’autres crimes de rue ». Elle affirme également qu’il avait exercé ses dernières fonctions dans l’unité Property Management Unit. Bien que la lettre d’octobre 2017 fasse référence à une unité « Street Crime Unit », elle la décrit différemment de Michael.

[105]  En ce qui a trait de l’argument des demandeurs selon lequel une preuve corroborante ne devrait pas être écartée simplement parce qu’elle provient d’individus ayant un intérêt dans le litige (Cruz Ugalde c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 458, aux paragraphes 24 à 28, [2011] ACF no 647 (QL)), l’agente ne l’a pas fait. L’agente a noté que cette preuve n’était pas conforme aux observations précédentes des demandeurs et elle lui a raisonnablement accordé peu de poids.

[106]  La question de savoir si Michael faisait partie de l’unité Street Crimes Task Force, comme il l’affirme maintenant, est exagérée à mon avis dans le contexte de l’évaluation par l’agente de la question de savoir si une dispense pour motifs d’ordre humanitaire était justifiée. Comme mentionné ci-dessus, l’agente n’a pas erré en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer cette prétention. Toutefois, l’agente a accepté que Michael eût travaillé pour la JCF. Les observations pour motifs d’ordre humanitaires des demandeurs étaient fondées non seulement sur le risque ou les difficultés auxquels ils seraient confrontés en raison du retour de Michael à titre d’ancien membre de cette unité, mais à titre de policier. La conclusion de l’agente était qu’« il n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour me persuader, selon la prépondérance des probabilités, que sa famille était ou sera raisonnablement ciblée par les membres de groupes criminels organisés ou d’autres criminels en raison de l’emploi antérieur du demandeur avec la JCF » [italique ajouté].

(3)  La preuve psychologique

[107]  Le poids à accorder à un rapport psychologique ou à un rapport semblable doit être déterminé par l’agent. Un agent ne commet pas une erreur en ne tenant pas compte d’une preuve psychologique lorsqu’elle ne fait que réitérer les motifs que le patient attribue à son stress ou à son anxiété et qu’il tire ensuite une conclusion médicale selon laquelle le patient souffre de stress en raison de ces motifs. En l’espèce, Dr Agarwal, psychologue, a diagnostiqué à Nicole un TSPT d’après son compte rendu de son enfance en Jamaïque et ses inquiétudes concernant l’emploi de son mari en tant que policier. La recommandation de Dr Agarwal voulant qu’elle reste au Canada afin d’atténuer son anxiété est fondée, dans une certaine mesure, sur la raison qu’elle avait fournie pour son anxiété.

[108]  Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 49 de l’arrêt Kanthasamy pour affirmer que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de la lettre de Dr Agarwal, car elle était fondée sur le ouï-dire. Ce passage indique ce qui suit :

49  Et même si elle ne [traduction] « conteste pas le rapport de la psychologue », l’agente conclut que l’opinion [traduction] « repose essentiellement sur du ouï‑dire », car la psychologue [traduction] « n’a pas été témoin des faits à l’origine de l’anxiété vécue par la demanderesse ». Cette conclusion méconnaît une réalité incontournable, à savoir qu’un rapport d’évaluation psychologique comme celui soumis en l’espèce comporte nécessairement une part de [traduction] « ouï-dire ». Un professionnel de la santé mentale n’assiste que rarement aux événements pour lesquels un patient le consulte. La prétention selon laquelle la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne peut présenter que le rapport d’expert d’un professionnel qui a été témoin des faits ou des événements qui sous‑tendent ses conclusions est irréaliste et y faire droit entraînerait d’importantes lacunes dans la preuve. De toute manière, un psychologue n’a pas à être expert de la situation dans un pays en particulier pour donner son opinion sur les conséquences psychologiques probables d’un renvoi du Canada.

[109]  L’agente n’a pas suggéré que les rapports d’experts ne pouvaient être déposés que par les personnes qui avaient été témoins des faits sous-jacents. L’agente n’a pas non plus écarté la lettre de Dr Agarwal simplement parce qu’une partie de celle-ci était fondée sur le ouï-dire. Cependant, l’agente a justifié dans la décision qu’il y avait insuffisamment d’éléments de preuve selon lesquels Michael faisait partie de l’unité Street Crimes Task Force. Par conséquent, la conclusion connexe de l’agente selon laquelle l’opinion de Dr Agarwal était moins persuasive, car elle était fondée, du moins en partie, sur les problèmes causés par l’emploi stressant de son mari dans une unité d’élite, était également justifiée. L’agente a aussi mentionné plusieurs autres raisons pour accorder peu de poids à la lettre de Dr Agarwal.

[110]  La jurisprudence précise que le compte rendu d’événements à un psychologue ou à un psychiatre ne rendait pas ces événements plus crédibles et qu’un rapport d’expert ne peut pas confirmer des allégations de préjudice ou de risque(Rokni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 182 (QL), au paragraphe 16, 53 ACWS (3d) 371 (C.F. 1re inst.); Danailov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1019 (QL) au paragraphe 2, 44 ACWS (3d) 766 (C.F. 1re inst.) et Saha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 304, au paragraphe 16, 176 ACWS (3d) 499).

[111]  Dans la décision Czesak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1149, aux paragraphes 37 à 40, [2013] ACF no 1251 (QL), la Cour a exprimé des craintes quant aux rapports psychologiques qui se font les avocats sous la forme d’un avis et « lorsqu’ils seraient de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour ». Le tribunal a constaté que dans de tels cas, lorsqu’il n’était pas possible de sonder l’avis, peu de poids devait lui être accordé.

[112]  De la même façon, dans la décision Egbesola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, [2016] ACF no 204 (QL) [Egbesola], la Cour a noté au paragraphe 12 :

12.  Tels que présentés par le défendeur, les « faits » sur lesquels se fonde le rapport sont ceux qui ont été rapportés au Dr Devins par la demanderesse principale, et ne sont donc pas des faits jusqu’à ce que le tribunal les juge comme tels. Ce qui peut raisonnablement ressortir du rapport, c’est que la demanderesse principale souffre d’un trouble de stress post-traumatique, et qu’elle doit suivre un traitement médical pour cela.

[113]  Comme dans Egbesola, tout ce qui peut être retenu de Dr Agarwal est que Nicole souffre d’un TSPT.

[114]  Les demandeurs affirment également que l’agente a commis une erreur en écartant l’état de santé mentale de Nicole, car aucun traitement ou suivi n’était proposé, contrairement aux principes établis dans Kanthasamy. Je ne suis pas de cet avis. Le fait que les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 47 de l’arrêt Kanthasamy minimise le contexte pertinent et les paragraphes précédents et subséquents, lesquels notent que la préoccupation connexe et principale de la Cour était l’application du critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Là encore, le passage utilisé de l’arrêt Kanthasamy porte sur les faits de l’affaire.

[115]  La Cour suprême du Canada souligne, au paragraphe 47 :

On comprend mal que, après avoir fait droit au diagnostic psychologique, l’agente exige quand même de Jeyakannan Kanthasamy une preuve supplémentaire quant à savoir s’il a ou non cherché à obtenir des soins ou si de tels soins étaient même offerts, ou quant aux soins qui existaient ou non au Sri Lanka. Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post-traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[Souligné dans l’original.]

[116]  En l’espèce, l’agente n’a pas contesté le diagnostic de TSPT. La préoccupation de l’agente portait sur l’opinion de Dr Agarwal, qui ne recommandait aucun traitement, mais seulement que Nicole ne soit pas expulsée du Canada vers la Jamaïque où [traduction] « ses expériences traumatiques d’origine sont survenues ». Ceci s’inscrit dans la décision que l’agente est chargée de rendre. L’agente n’a pas erré en concluant que le ton de la lettre n’était pas objectif.

[117]  Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, « ce qui justifie une dispense [aux termes de l’article 25] dépend des faits et du contexte du dossier ». Les faits dans la décision Kanthasamy diffèrent des faits actuels.

[118]  L’agente n’a pas fait fi de la lettre du médecin de Nicole en Jamaïque qui mentionnait qu’elle avait été traitée pour l’anxiété et la gastrite par le passé. De même, l’agente n’a pas erré en notant que son traitement ne serait pas perturbé si elle retournait en Jamaïque, car elle ne recevait pas de traitement ou de suivi au Canada et elle avait accès à des traitements en Jamaïque.

(4)  L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants

[119]  L’agente a réalisé une analyse approfondie de l’intérêt supérieur des enfants à l’égard des deux enfants. En ce qui a trait à la mesure dans laquelle l’agente a mis un accent accru sur Brihanna, cela est dû à l’accent que les demandeurs ont mis sur ses intérêts dans leurs observations à l’agente, lesquels ont été réitérés devant la Cour.

[120]  Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a énoncé les principes fondamentaux régissant l’obligation de l’agent de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants dans la prise de décisions pour motifs d’ordre humanitaire :

[P]our que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. (au paragraphe 75)

[121]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a réaffirmé que les agents doivent être réceptifs, attentifs et sensibles à l’intérêt supérieur d’un enfant et qu’il n’est pas suffisant de simplement affirmer que l’intérêt a été pris en considération.

[122]  La Cour a également rappelé que les enfants méritent rarement d’être exposés à quelque difficulté. Toutefois, la notion de « quelque difficulté » ne suffit pas, à elle seule, à justifier une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Ce libellé de « quelque difficulté » vient de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 9, [2003] 2 CF 555 (CAF) [Hawthorne], lequel propose également une orientation pour l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire. Le principe selon lequel un enfant mérite rarement d’être exposé à des difficultés n’est pas contesté; toutefois, la notion de « quelque difficulté » ne fournit pas un nouveau seuil à franchir pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant pour traiter une demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[123]  Tel que susmentionné, l’agente a accepté que les enfants soient heureusement établis au Canada, mais elle a conclu que l’école et les activités liées à l’église étaient aussi disponibles en Jamaïque. L’agente a reconnu que Brihanna réussissait bien à l’école et que d’autres moyens pouvaient être utilisés pour qu’elle continue d’étudier le français, si désiré. L’agente a abordé la préoccupation de l’anglais jamaïcain et de l’éducation postsecondaire et elle s’est fiée de façon raisonnable à l’information récente du site Web du ministère de l’Éducation. L’agente a également tenu compte du fait que les enfants ont accès à des soins de santé gratuits en Jamaïque. L’agente n’a pas fait fi de l’incidence des conditions défavorables du pays, y compris du taux élevé de criminalité, sur les enfants et elle a précisément noté que ces questions avaient été considérées par ailleurs en fonction de « l’intérêt supérieur des enfants ». L’agente a examiné les effets qu’un retour aurait sur les enfants, et tous les facteurs pertinents, notamment l’âge des enfants et leur capacité à s’adapter, leur famille proche et leur dépendance à l’égard de leurs parents, les conditions défavorables du pays et le système d’éducation.

[124]  L’agente n’a pas fait fi du rapport du psychologue concernant Brihanna qui indiquait qu’elle était heureuse et bien adaptée. L’agente a plutôt noté, en ce qui concerne l’intégralité de la preuve à l’égard de l’intérêt supérieur des enfants, qu’il lui était rare de conclure qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur des enfants de demeurer au Canada. Elle a conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne serait que modestement compris s’ils retournaient en Jamaïque. L’agente a raisonnablement conclu que le poids positif attaché à l’intérêt supérieur des enfants n’était pas suffisant pour [traduction] « faire pencher la présente demande ».

[125]  L’agent est réputé savoir que la vie au Canada offrirait à un enfant des possibilités qu’il n’aurait pas autrement (Hawthorne, au paragraphe 5), et que comparer la vie au Canada et la vie dans le pays d’origine ne saurait être déterminant lorsqu’il s’agit d’évaluer l’intérêt supérieur, parce que le résultat serait presque toujours en faveur du Canada (Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1292, aux paragraphes 29 et 30, [2006] ACF no 1613(QL); voir aussi Kobita c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1479, au paragraphe 44, 423 FTR 218).

[126]  Contrairement à l’allégation des demandeurs selon laquelle l’agente ne s’était concentrée que sur la satisfaction des besoins fondamentaux des enfants en Jamaïque, l’agente a examiné l’intérêt supérieur des enfants dans son ensemble, et elle a pris en compte la façon dont ils seraient satisfaits en Jamaïque et au Canada.

[127]  Je suis en désaccord avec l’argument des demandeurs voulant que l’agente ait fait fi de leurs nouvelles observations à l’égard de Brihanna. Le nouvel élément de preuve sur lequel ils se sont appuyés est un bulletin qui fournit des renseignements conformes aux éléments de preuve selon lesquels Brihanna réussissait à l’école. Suggérer que le bulletin et la lettre d’appui d’un professeur auraient dû toucher la décision de façon appréciable n’est pas persuasif. L’agente a conclu à bon escient qu’ils ne changeaient pas ses conclusions précédentes, lesquelles avaient donné un poids positif à l’intérêt supérieur des enfants, mais n’avaient pas abouti à une conclusion voulant qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire soit justifiée dans l’ensemble.

[128]  La conclusion de l’agente selon laquelle l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants n’était pas suffisante pour [traduction] « faire pencher la demande » afin de justifier une dispense est conforme à la jurisprudence qui établit que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est qu’un des facteurs, à considérer dans l’examen d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire, bien qu’il soit important.

[129]  Contrairement aux observations des demandeurs, l’agente a expressément abordé leurs nouvelles observations et a raisonnablement conclu que l’information additionnelle concernant Brihanna, leurs permis de travail récemment obtenus, et la demande de Nicole au Seneca College ne modifiait pas la décision.

X.  Conclusion

[130]  Les demandeurs mentionnent dans les observations pour motifs d’ordre humanitaire de 2017 que leurs demandes précédentes, lesquelles avaient été rejetées, étaient prématurées, car à ce moment-là ils étaient peu établis. Leur établissement se limite, en fait, à leur manque de respect des lois canadiennes en matière d’immigration. Les demandeurs ont prolongé sans autorisation leur visa de visiteur, n’ont pas tenté de prolonger leurs visas et ont travaillé au Canada sans permis de travail. Ils savaient qu’ils étaient interdits de territoire au Canada et étaient au courant de la mesure d’exclusion de 2016. Comme je l’ai mentionné, les demandeurs ne se sont pas présentés à la suite du rejet de notre Cour de leur demande en vue d’obtenir un sursis de leur renvoi en attendant la conclusion de la présente demande. Le fait qu’ils n’ont pas un « comportement irréprochable » permettrait à la Cour de rejeter leur demande sans examiner son bien-fondé. Néanmoins, la demande a été examinée pleinement et la Cour conclut que la décision de l’agente est à la fois juste et raisonnable sur le plan de la procédure.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-4173-17 et IMM-4174-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-4173-17

IMM-4174-17

 

INTITULÉ :

MICHAEL MOSIAH BRADSHAW, NICOLE ANN MARIE BROWN-BRADSHAW ET BRIHANNA MICKAYLA BRADSHAW, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, MICHAEL MOSIAH BRADSHAW c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

Pour les demandeurs

 

Manuel Mendelzon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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