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Date : 20180528


Dossier : T-498-17

Référence : 2018 CF 550

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

WAYNE LOUIE, À TITRE INDIVIDUEL ET À TITRE DE MEMBRE DE LA BANDE INDIENNE DE LOWER KOOTENAY

demandeur

et

M. JASON LOUIE, À TITRE DE CONSEILLER EN CHEF DE LA BANDE INDIENNE DE LOWER KOOTENAY, ET SANDRA LUKE, À TITRE DE CONSEILLÈRE DE LA BANDE INDIENNE DE LOWER KOOTENAY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, visant la décision d’un arbitre de ne pas destituer les défendeurs de leurs postes de chef et de conseillère de la bande indienne de Lower Kootenay (la bande), aux termes de l’alinéa 31 p) du Lower Kootenay Band Custom Election By-Law (règlement électoral coutumier de la bande de Lower Kootenay) daté du 17 avril 2012 (le Règlement).

II.  Contexte

[2]  Le demandeur, Wayne Louie, est un membre de la bande. Le défendeur, M. Jason Louie, est chef de la bande et la défenderesse, Sandra Luke, est une conseillère de la bande.

[3]  En juin 2015, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé que cinq membres du conseil de bande, y compris les défendeurs, avaient manqué à leur obligation fiduciaire envers la bande (Louie v Louie, 2015 BCCA 247 [Louie v Louie]). La bande a reçu 125 000 $ d’un district régional pour l’utilisation d’une route sur sa réserve. À partir de ces fonds, les membres du conseil se sont payés 5 000 $ chacun, à l’égard de services rendus par eux par le passé à la bande. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que les membres du conseil avaient personnellement tiré profit de leur poste sans autorisation expresse de le faire et au détriment des membres de la bande. Elle a ordonné à chacun d’eux de rendre 5 000 $.

[4]  Subséquemment, le demandeur a plusieurs fois demandé aux défendeurs de se conformer à l’ordonnance de la cour en rendant les sommes dues. De plus, il a demandé aux défendeurs de se retirer du conseil. Les défendeurs n’ont fait ni l’un ni l’autre.

[5]  Le 3 août 2016, le demandeur a déposé un avis de demande à la Cour en vue d’obtenir une ordonnance de destitution des défendeurs de leurs postes. Une conférence de règlement des différends a eu lieu et il a été ordonné aux parties de suivre le processus d’arbitrage prévu au Règlement. Les dispositions pertinentes du Règlement sont jointes au présent jugement en tant qu’annexe.

[6]  En janvier 2017, le demandeur a déposé une pétition aux termes de l’alinéa 29 b) du Règlement pour obtenir la destitution des défendeurs de leurs charges respectives de chef et de conseillère. Le chef des opérations de la bande a nommé un arbitre aux termes de l’article 31 du Règlement afin d’établir si les défendeurs devaient être destitués de leur charge.

[7]  Une audience d’arbitrage a eu lieu le 21 février 2017. Le demandeur a fait valoir qu’à la lumière des événements décrits dans la décision Louie v Louie, les défendeurs ont perdu la confiance de la bande, ont contrevenu au droit coutumier de la bande ou ont manqué à leur serment de fonction et devraient par conséquent être destitués de leur charge conformément à l’alinéa 29 a) du Règlement.

[8]  Le 7 mars 2017, l’arbitre a rendu sa décision. Il a conclu que les défendeurs ne devaient pas être destitués de leurs postes : les défendeurs n’avaient pas perdu la confiance de la bande, n’avaient pas violé le droit coutumier et n’avaient pas manqué à leur serment de fonction. L’arbitre a également conclu que les exigences procédurales d’une pétition n’avaient pas été satisfaites, mais il a préféré rejeter la pétition sur le fonds.

[9]  Le 4 avril 2017, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’arbitre.

[10]  Les défendeurs font valoir que les divers documents et affidavits déposés par le demandeur sont inadmissibles parce qu’ils contiennent des renseignements dont ne disposait pas l’arbitre.

[11]  J’estime que l’affidavit du demandeur et les pièces qui y sont jointes sont admissibles. Cet affidavit décrit brièvement les événements ayant mené à l’arbitrage et au contrôle judiciaire. Les pièces sont une copie de la décision de l’arbitre, ainsi que les éléments de preuve produits lors de l’audience d’arbitrage.

III.  Norme de contrôle

[12]  L’interprétation et l’application du Règlement par l’arbitre sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Orr c. Première Nation de Peerless Trout, 2015 CF 1053, aux paragraphes 40 à 46).

IV.  Questions en litige

[13]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le Règlement est-il valide?
  2. La décision de l’arbitre était-elle raisonnable à l’égard des questions qui suivent :
  • 1) Sa conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas perdu confiance en la bande?

  • 2) Sa conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas violé le droit coutumier?

  • 3) Sa conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas manqué à leur serment de fonction?

  • 4) Sa conclusion à l’égard du fait que les exigences procédurales de la pétition n’avaient pas été satisfaites?

V.  Analyse

A.  Le Règlement est-il valide?

[14]  La demanderesse allègue que le Règlement est invalide, car il n’a jamais été inscrit auprès d’Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC). La véritable question qui se pose est de savoir si le Règlement correspond à la définition du droit coutumier et le peu d’éléments de preuve dont je dispose indique que c’est le cas.

[15]  La Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5 (la Loi sur les Indiens) n’établit pas de lignes directrices sur la façon dont une coutume électorale doit être établie (Bigstone c. Big Eagle, [1992] ACF n° 16 (1re inst.) [Bigstone], au paragraphe 19). La Cour a jugé qu’une coutume de bande n’est pas « figée dans le temps », mais qu’elle doit être généralement acceptée par les membres de la bande et faire l’objet d’un large consensus (Bande Indienne de McLeod Lake c. Chingee, [1998] ACF n° 1185 (1re inst.); Bigstone, au paragraphe 20).

[16]  La définition d’une coutume comporte deux éléments. Le premier porte sur des pratiques qui sont établies par des actes répétitifs dans le temps ou au moyen d’une mesure isolée comme l’adoption d’un code électoral. Le deuxième porte sur un élément subjectif qui renvoie à la manifestation de la volonté des personnes souhaitant l’adoption de règles relatives au mode d’élection des membres d’un conseil de bande d’être liées par une règle ou une pratique donnée (Francis c. Mohawk Council of Kanesatake, [2003] 4 CF 1133 (1re inst.), aux paragraphes 24 et 26).

[17]  Peu d’éléments de preuve ont été présentés à l’égard de la question de savoir si le Règlement constitue du droit coutumier, car cela ne semble pas être contesté. Toutes les parties mentionnent une assemblée de la bande ayant eu lieu en avril ou en mai 2012 pour réviser le code électoral.

[18]  Les faits pertinents montrent que la bande tient des élections et destitue les membres de son conseil de bande conformément à son droit coutumier codifié par le Règlement. Tant que le Règlement demeure acceptable aux membres de la bande et représente leur volonté, il n’est pas invalide simplement parce qu’il n’a pas été déposé auprès d’AANC. Les coutumes électorales ne sont pas des « règlements administratifs » au sens de l’utilisation de ce terme aux articles 81 à 86 de la Loi sur les Indiens. De façon générale, AANC ne s’implique pas dans les élections électorales et les différends sont résolus selon la coutume ou par les tribunaux.

[19]  Étant donné que plusieurs élections ont été tenues conformément au Règlement, que le demandeur a consenti à l’arbitrage conformément au Règlement et que l’arbitrage est terminé et les deux parties ont présenté des observations exhaustives à l’égard de la décision de l’arbitre, je conclus que le Règlement est valide et je vais procéder à l’examen du caractère raisonnable de la décision.

B.  La décision de l’arbitre était-elle raisonnable?

[20]  Bien que l’audience ait principalement porté sur la décision de l’arbitre concernant le serment de fonction et le manquement à l’obligation fiduciaire, j’examinerai les quatre questions soulevées par le demandeur à l’égard du caractère raisonnable de cette décision.

1)  La conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas perdu confiance en la bande

[21]  Le demandeur ne conteste pas la conclusion de l’arbitre sur ce point. L’arbitre a donné trois raisons appuyant sa conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas perdu confiance en la bande. Premièrement, plusieurs membres de la bande qui ont signé la pétition ont omis d’assister à l’audience en dépit de l’exigence de le faire aux termes du sous-alinéa 29 d) (iii) du Règlement. Deuxièmement, lorsque les défendeurs ont été élus en 2014, il était bien connu qu’ils avaient utilisé les fonds de la bande pour se payer 5 000 $ chacun. Troisièmement, après la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Louie v Louie, une assemblée communautaire a eu lieu pour obtenir des directives de la communauté afin d’établir comment elle souhaitait que les cinq défendeurs de cette affaire aillent de l’avant. Seuls onze membres de la communauté étaient présents et la décision unanime des membres présents était d’effacer la dette. De plus, le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve expliquant pourquoi lui et ses sympathisants n’ont pas assisté à cette assemblée. La décision était raisonnable.

2)  La conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas violé le droit coutumier

[22]  Le demandeur allègue qu’une coutume existe faisant que des représentants élus ne peuvent pas profiter personnellement de l’argent de la bande. Il allègue que cette coutume a été établie en 1991 lorsque la bande a découvert que sa chef prenait pour son compte l’argent de baux et lui a alors demandé de démissionner, ce qu’elle a fait. Par conséquent, l’arbitre aurait dû destituer les défendeurs de leurs charges parce qu’ils ont violé cette « autre coutume de Lower Kootenay » conformément au sous-alinéa 29 a) (i) du Règlement.

[23]  L’arbitre a articulé la coutume alléguée ainsi : [traduction] « les représentants élus qui ont pris de l’argent à des fins personnelles doivent démissionner, si on le leur demande ».

[24]  L’arbitre a ensuite donné trois raisons pour expliquer pourquoi le demandeur n’avait pas établi de coutume s’appliquant pour justifier la destitution des défendeurs de leurs charges. Premièrement, il n’était pas clair si, en 1991, la chef croyait de bonne foi, mais erronément, que ses actions étaient légitimes, ce qui était le cas pour les défendeurs. Deuxièmement, il semble que la bande ait demandé de façon unanime que la chef démissionne en 1991, ce qui n’était pas le cas pour les défendeurs. Troisièmement, le Règlement avait pour objectif d’être un code exhaustif régissant la destitution des membres du conseil et il est différent de la coutume alléguée.

[25]  J’estime qu’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que la coutume ne justifiait pas la destitution des défendeurs de leurs charges

[26]  L’affidavit de Mme Mary Basil, la chef qui a démissionné en 1991, donne le plus de détails sur la coutume de la bande alléguée. Elle déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

Procédures relatives à la destitution de membres du conseil

Un membre du conseil doit démissionner pour les raisons qui suivent :

a. Il part pour plus de 6 mois et ne peut pas être présent ou participer aux assemblées du conseil; ou

b. Il a des démêlés avec la justice. À titre d’exemple, Wayne Louie a tiré sur un mouton de montagne ce qui lui a valu des problèmes; une assemblée de la bande a eu lieu et il a dû démissionner. L’assemblée de la bande a été appelée à se réunir par Bobbie Jacobs.

Le conseil n’avait aucun pouvoir décisionnel à l’égard de la destitution d’un membre individuel du conseil. Le processus de destitution d’un membre du conseil fonctionne comme suit :

a. Premièrement, une personne doit formuler une allégation contre un membre du conseil justifiant sa destitution et convoquer une assemblée de la bande pour obtenir le vote des membres sur la destitution de ce membre du conseil. À titre d’exemple, Wayne Louie a convoqué l’assemblée à l’égard de ma destitution et Bobbie Jacobs a convoqué l’assemblée pour destituer Wayne Louie.

b. Ensuite, la personne qui convoque l’assemblée doit faire une présentation aux membres lors de l’assemblée. Elle explique aux membres les raisons pour lesquelles un membre du conseil devrait être destitué; et

c. Finalement, les membres doivent voter sur cette question. Dans le cas où les membres votent pour la destitution, il est demandé à la personne de démissionner.

[27]  Il était loisible à l’arbitre d’articuler la coutume comme il le voulait et de ne pas retenir, au cas où cette coutume existerait, qu’elle fait office de loi contre le fait de profiter personnellement de l’argent de la bande. Selon Mme Basil, dans le cas où l’on concluait qu’un membre du conseil avait personnellement tiré profit de l’argent de la bande, une assemblée était convoquée et les membres de la bande votaient pour ou contre le fait de demander à cette personne de démissionner. Il ressort qu’une personne pouvait conserver sa charge après avoir été trouvée coupable d’avoir personnellement tiré profit, si cette situation était conforme à la volonté des membres de la bande.

[28]  En outre, qu’une coutume existe ou non, celle-ci a été supplantée par le Règlement. Je suis d’accord avec la conclusion de l’arbitre selon laquelle le Règlement [traduction] « avait pour objectif de constituer un code exhaustif régissant la destitution des membres du conseil ». Il comporte une procédure exhaustive pour la destitution d’un membre du conseil qui présente des similitudes avec le processus décrit pas Mme Basil, mais qui assure l’équité procédurale.

3)  La conclusion à l’égard du fait que les défendeurs n’avaient pas manqué à leur serment de fonction

[29]  Le demandeur fait valoir que la conclusion de l’arbitre sur cette question infirme à toutes fins pratiques la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Louie v Louie. Il fait valoir que l’obligation fiduciaire d’un membre du conseil est intégrée au serment de fonction et qu’il n’était pas loisible à l’arbitre de faire fi de la conclusion de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Je suis d’accord.

[30]  Comme je l’ai déjà mentionné ci-dessus, le Règlement constitue un code exhaustif à l’égard de l’élection et de la destitution des membres du conseil; un serment distinct ne peut pas supplanter les modalités du Règlement.

[31]  L’arbitre a conclu que les défendeurs n’avaient pas manqué à leur serment de fonction. Même si la Cour d’appel de la Colombie-Britannique infère que les motivations subjectives d’un fiduciaire – qu’il ou elle ait agi de bonne ou de mauvaise foi – ne sont pas pertinentes à la conclusion d’un manquement à une obligation fiduciaire, il a conclu que ces considérations étaient pertinentes pour établir si une personne avait manqué au serment de fonction. Selon lui, les éléments de preuve démontraient que les défendeurs avaient agi honnêtement et de bonne foi.

[32]  L’arbitre n’a pas justifié ou motivé sa conclusion selon laquelle les motivations subjectives sont pertinentes pour établir si une personne a manqué au serment de fonction. Il cite les auteurs Edmund HT Snell et al, dans l’ouvrage Snell’s Equity, 32e éd. (London : Thomson/Sweet & Maxwell, 2010), à la page 189, ainsi que la décision Louie v Louie, au paragraphe 26 (citant l’ouvrage de Leonard I. Rotman intitulé Fiduciary Law, (Toronto : Thomson Carswell, 2005), à la page 303) à l’égard du principe selon lequel il incombe à un fiduciaire de rendre des comptes même si lui ou elle a agi honnêtement, ouvertement et de bonne foi. L’arbitre a ensuite déclaré :

[TRADUCTION]

En revanche, j’estime qu’un manquement au serment a rapport avec les motivations subjectives du fiduciaire et de la question de savoir si lui ou elle a agi de bonne ou de mauvaise foi. À mon avis, un manquement au serment exige un acte conscient ou délibéré de la part d’un conseiller qu’il ou elle doit savoir, ou devrait savoir, être contraire à l’objet de son serment.

[33]  Cette conclusion est déraisonnable. L’obligation fiduciaire des membres du conseil est intégrée au serment de fonction et aucune disposition des modalités du serment ne suggère que les membres du conseil sont tenus à une norme différente de celle d’un autre fiduciaire.

[34]  Un conseil de bande a une obligation fiduciaire à l’égard des membres de sa bande (à titre d’exemple, voir : Bande de la Première nation d’Annapolis Valley c. Toney, 2004 CF 1728 [Toney]; et Basil c. Moses, 2009 CF 741 [Basil]). En outre, dans les décisions Toney et Basil, la Cour a tenu les membres du conseil à une norme stricte selon laquelle « la question principale qui se pose n’est pas de savoir si ce dernier a été malhonnête ou s’il a agi de façon frauduleuse, mais plutôt s’il a agi dans le meilleur intérêt du bénéficiaire et sans conflit d’intérêts » (Toney, au paragraphe 29; Basil, au paragraphe 99).

[35]  Il n’y a aucun doute que cette obligation fiduciaire est intégrée aux « responsabilités » et aux « devoirs » des membres du conseil parce que ces termes sont utilisés dans le serment de fonction. En effet, le manuel du chef et du conseil de bande daté du 26 avril 2013 énonce à la page 4 que le chef et le conseil doivent assumer leurs obligations fiduciaires et légales, et qu’à titre de fiduciaires, ils ont une obligation fiduciaire d’agir dans l’intérêt supérieur de tous les membres de la bande.

[36]  Bien qu’une disposition du serment mentionne qu’un représentant élu doit exécuter ses devoirs [traduction] « avec fidélité, honnêteté, impartialité et au meilleur de ses capacités », le serment comprend d’autres dispositions autonomes qui exigent pour un représentant [traduction] d’« assumer les responsabilités de sa charge » et [traduction] d’« agir en tout temps dans l’intérêt supérieur de toute la communauté toujours dans l’intérêt supérieur de toute la communauté [...] en accomplissant ses devoirs ». Aucune disposition ne suggère que la mention distincte à l’honnêteté et à la bonne foi déroge de ces responsabilités et devoirs plus généraux dont l’obligation fiduciaire fait partie.

[37]  L’arbitre n’a donné aucune justification à sa conclusion selon laquelle le serment de fonction implique une norme différente pour les représentants élus que celle dont sont tenus les autres fiduciaires. De plus, dans la mesure où l’arbitre a cherché à appliquer une norme plus « flexible » pour conclure que les défendeurs n’avaient pas contrevenu à leur obligation fiduciaire, une telle conclusion est incompatible avec la décision Louie v Louie de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

[38]  La conclusion de l’arbitre était déraisonnable à l’égard de cette question.

4)  La conclusion à l’égard du fait que les exigences procédurales de la pétition n’avaient pas été satisfaites

[39]  Le demandeur fait valoir qu’il était injuste d’exiger que les 30 signataires de la pétition assistent à l’audience d’arbitrage. Tous les efforts ont été faits pour que les signataires réaffirment leur appui à l’audience. Cependant, certains signataires résident aux États-Unis ou dans la partie est du centre-ville de Vancouver. En outre, le chef des opérations a omis d’afficher un numéro de téléphone sur le site Web de la bande afin que les signataires participent à l’audience par téléphone. Finalement, aucune ligne directrice n’a été fournie par l’arbitre sur la question de savoir qui doit supporter les frais de transport des signataires à l’audience.

[40]  Lors de l’audience d’arbitrage le 21 février 2017, 19 des 30 signataires ont assisté à l’audience en personne, par téléphone ou par Facebook, pour confirmer leur compréhension de la pétition. Des personnes qui étaient absentes, sept personnes vivaient hors réserve (y compris deux personnes vivant dans la partie est du centre-ville de Vancouver et n’étant pas joignables par téléphone), voyageaient à l’étranger ou ont été portées malades. Les quatre autres personnes absentes vivaient sur la réserve se trouvant à proximité de l’endroit où a eu lieu l’audience d’arbitrage et aucune explication n’a été donnée à l’égard de leur absence.

[41]  Étant donné l’omission de l’ensemble des 30 signataires d’assister à l’audience, ainsi que l’absence d’explications, l’arbitre a conclu que le demandeur n’avait pas respecté le sous-alinéa 29 d) (iii) du Règlement.

[42]  L’omission des 30 signataires au complet de se présenter à l’audience est préoccupante. Le sous-alinéa 29 d) (iii) du Règlement exige clairement que tous les signataires d’une pétition confirment leur compréhension de la pétition à l’audience d’arbitrage qui s’ensuit. Comme l’a observé l’arbitre, le non-respect de cette disposition constitue [traduction] « plus qu’une simple irrégularité procédurale ». En outre, la Cour a jugé que les dispositions d’un code électoral coutumier qui traite de la destitution de sa charge d’un membre du conseil doivent être strictement interprétées en raison de leurs graves répercussions (Bugle c. Lameman, [1997] ACF n° 560 (1re inst.), au paragraphe 3; Basil, au paragraphe 64).

[43]  En outre, l’arbitre était enclin à donner une certaine latitude à cet égard. Le 31 janvier 2017, trois semaines avant l’audience d’arbitrage, et à la demande des parties, l’arbitre a donné des lignes directrices concernant les exigences du sous-alinéa 29 d) (iii) du Règlement. Il a conclu que le défaut que chacun des signataires participe à l’audience, plus particulièrement dans le cas où il y aurait une bonne raison pour une personne de ne pas être présente, ne mènerait pas nécessairement au rejet de la pétition. Par conséquent, il a donné des instructions pour que certains signataires y participent par téléphone et il a alors fourni un numéro sans frais pour qu’ils appellent.

[44]  Toutefois, la conclusion de l’arbitre sur cette question laisse à désirer sur le plan de la précision et est entachée par sa conclusion selon laquelle les défendeurs n’ont pas manqué à leur serment de fonction. Il a affirmé ce qui suit : [traduction]

Bien qu’un pétitionnaire ait une certaine latitude, 11 signataires sur 30, dont quatre vivant à proximité n’offrant pas de justifications pour leur absence, ne constituent pas un nombre suffisant. Toutefois, je préfère disposer de cette pétition sur le fonds pour les motifs exposés ci-dessous et je la rejetterais en raison du non-respect du sous-alinéa 29 d) (iii) du Règlement uniquement à titre subsidiaire.

[Non souligné dans l’original.]

[45]  Il n’est pas clair si l’arbitre a donné toute son attention à cette question ou s’il serait arrivé à la même conclusion s’il avait conclu que les défendeurs avaient manqué à leur serment de fonction.

[46]  Dans les directives qu’il donne le 31 janvier 2017, l’arbitre était d’avis que les exigences procédurales du Règlement ne devraient pas faire obstacle à une pétition valable. Il a écrit : [traduction] « les rédacteurs du Règlement n’avaient certainement pas à l’esprit que l’absence à l’audience de seulement quelques signataires, par exemple, invaliderait tout le processus et empêcherait d’accorder la mesure de redressement dans le cas où les circonstances justifieraient de l’accorder ». Il a également tenu compte des coûts et du fardeau associés à la présence de tous les signataires à l’audience.

[47]  Bien que cette question n’entre pas en ligne de compte dans la décision définitive sur le fonds, la décision de l’arbitre n’est pas justifiée, transparente et intelligible et est déraisonnable.

[48]  Étant donné ma décision sur le caractère déraisonnable de la décision de l’arbitre concernant le serment de fonction et le manquement à l’obligation fiduciaire, cette question devrait être renvoyée à l’arbitre pour un nouvel examen en tenant compte de la présente décision et des motifs qui y sont exposés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-498-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre arbitre pour être examinée à nouveau en tenant compte de la présente décision et des motifs qui y sont exposés.

  2. Les dépens sont accordés au demandeur.

« Michael D. Manson »

Juge


ANNEXE

[traduction]

Règlement électoral coutumier de la bande de Lower Kootenay

27) SERMENT DE FONCTION

a)  Chaque candidat qui a été élu doit prêter serment de fonction devant le fonctionnaire électoral et les membres de Lower Kootenay en affirmant qu’il s’engage à ce qui suit :

i.  respecter et se conformer aux règlements de Lower Kootenay; exercer ses devoirs avec fidélité, honnêteté, impartialité et au meilleur de ses capacités;

ii.  assumer les responsabilités de sa charge et agir à temps plein à moins d’avoir une raison raisonnable de libérer le poste;

iii.  garder confidentiels les questions ou les renseignements qui sont, aux termes d’un règlement ou d’une politique, considérés comme étant confidentiels; et

iv.  agir en tout temps dans l’intérêt supérieur de toute la communauté de Lower Kootenay en accomplissant ses devoirs.

29) DESTITUTION DE LEUR CHARGE DES MEMBRES DU CONSEIL

a)  Un membre du conseil peut être destitué de sa charge pour l’une ou l’autre des raisons qui suivent :

i.  il ou elle a contrevenu au présent règlement ou à une loi de Lower Kootenay;

ii.  il ou elle a manqué à son serment de fonction;

iii.  il ou elle a perdu la confiance de la bande comme l’indique le dépôt d’une pétition aux termes de l’alinéa 29 b); ou

iv.  il ou elle a été reconnu coupable d’un acte criminel depuis son entrée en fonction.

b)  Les procédures visant à destituer un membre du conseil doivent être introduites par une pétition déposée auprès de l’arbitre et signée par un minimum de 30 électeurs à la date où la pétition est déposée.

c)  La pétition mentionnée à l’alinéa 29 b) doit aussi décrire les faits appuyant les motifs de destitution de la fonction de chef ou de conseiller et doit être accompagnée des documents l’appuyant.

d)  Sur réception d’une pétition, l’arbitre doit demander au conseil de convoquer une assemblée d’audience au cours de laquelle :

i.  la ou les personnes qui ont initié la pétition doivent en expliquer la raison

ii.  le conseiller qui fait l’objet de la pétition doit être autorisé à présenter sa cause

iii.  toutes les personnes qui ont signé la pétition doivent en confirmer leur compréhension

e)  L’arbitre doit rendre une décision dans les 15 jours de l’assemblée.

31) PROCÉDURE D’APPELS EN MATIÈRE D’ÉLECTION, REQUÊTES EN DESTITUTION ET APPELS À L’ÉGARD DE CHARGE À POURVOIR

a)  Lorsqu’aucun arbitre n’a été nommé un appel ou une requête doit être déposée auprès du chef des opérations qui doit, sur réception, demander au conseil de nommer un arbitre.

b)  Si le conseil n’a pas nommé un arbitre dans les dix (10) jours de la demande du chef des opérations aux termes de l’alinéa 31 a), le chef des opérations doit nommer un arbitre.

c)  L’arbitre peut, à sa discrétion, donner des directives à l’égard de ce qui suit :

i.  la fixation de la date, de l’heure et du lieu de l’audition de la requête ou de l’appel;

ii.  la désignation de la méthode privilégiée pour la prise de témoignage, à savoir par déclaration sous serment ou par témoignage écrit, ou les deux;

iii.  la désignation des personnes qui doivent recevoir notification et la façon d’effectuer la signification; et

iv.  le traitement des questions et des autres points qui ne sont pas autrement prévus au présent article.

d)  Une copie de l’avis d’appel ou de la requête et des documents sur lesquels il s’appuie doit être remise au membre du conseil dont l’élection fait l’objet de l’appel ou au membre du conseil pour lequel la destitution est demandée ou la personne dont la charge est déclarée libre.

[…]

j)  L’arbitre doit rendre une décision écrite avec motifs pour chaque appel ou requête.

[…]

p)  Si la requête concerne la destitution d’un membre du conseil aux termes de l’article 29, l’arbitre peut effectuer ce qui suit :

i.  confirmer la charge du membre du conseil; ou

ii.  destituer le membre du conseil de sa charge et déclarer la charge vacante.

q)  L’arbitre a le pouvoir d’ordonner qui doit payer les dépens, à qui et de quelle façon.

r)  L’arbitre doit fournir une copie de la décision au conseil et aux parties à un appel ou à une requête.

s)  La décision de l’arbitre doit faire l’objet des mesures qui suivent :

i.  elle doit être publiée dans le bulletin de Lower Kootenay posté aux électeurs ou dans un avis écrit distinct remis ou posté aux électeurs; et

ii.  elle doit être affichée dans un espace public du bâtiment de l’administration de Lower Kootenay.

t)  La décision de l’arbitre est définitive et sans appel.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-498-17

 

INTITULÉ :

WAYNE LOUIE c. M. JASON LOUIE ET SANDRA LUKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mai 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Wayne Louie

 

Pour le demandeur

Pour son propre compte

Jason Louie

Pour le défendeur

Jason Louie, pour son propre compte

 

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