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Date : 20180711


Dossier : T-1827-17

Référence : 2018 CF 723

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

BRADLEY FRIESEN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Bradley Friesen est un pilote d’hélicoptère expérimenté qui est connu pour sa publication en ligne de vidéos du paysage de la Colombie-Britannique prises du ciel. Il s’est vu imposer une amende de 1 000 $ du ministre des Transports pour avoir contrevenu à l’article 602.01 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 [le Règlement]. Le ministre a conclu que faire glisser un hélicoptère entre des patineurs jouant au hockey sur le lac gelé Upper Consolation était [traduction] « négligent » et « aurait pu constituer un risque pour la vie ou les biens d’une personne ».

[2]  Un comité de révision du Tribunal d’appel des transports du Canada (TATC) a confirmé cette conclusion et l’amende imposée, mais cette décision a été infirmée par le premier comité d’appel.

[3]  Le procureur général du Canada a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du premier comité d’appel et le juge Richard Mosley a conclu qu’elle contenait deux erreurs déterminantes : i) le premier comité d’appel a commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve d’expert; et ii) il a également commis une erreur en concluant que la norme de diligence était celle « attendue d’un pilote d’hélicoptère expérimenté exécutant une manœuvre spécialisée en présence de personnes au sol » (Canada (Procureur général) c. Friesen, 2017 CF 567 [Friesen CF]). Par conséquent, le juge Mosley n’a pas jugé nécessaire d’examiner la manière dont le comité d’appel a traité la défense fondée sur la diligence raisonnable, car cet élément est intimement lié aux deux autres erreurs qu’il a jugées déterminantes. Il a ordonné qu’un autre comité d’appel revoie la conclusion du premier comité d’appel selon laquelle M. Friesen a exercé une diligence raisonnable une fois que les deux erreurs clés qu’il a trouvées ont été corrigées.

II.  Décision contestée

[4]  Un deuxième comité d’appel [qui sera ci-après appelé le comité d’appel] a rejeté l’appel de M. Friesen et a confirmé la décision et l’amende imposée par le commissaire. La seule question abordée par le comité d’appel était la défense fondée sur la diligence raisonnable soulevée par M. Friesen; le comité d’appel n’a pas réexaminé la preuve d’expert de M. Friesen et n’a pas non plus réévalué tous les éléments de preuve en appliquant la norme de diligence appropriée. Le comité d’appel a conclu que la défense fondée sur la diligence raisonnable n’avait pas été établie.

[5]  Le comité d’appel a noté que le conseiller chargé de la révision a accepté la preuve d’expert fournie par John Swallow, un pilote expérimenté de l’Aviation royale du Canada, qui a déclaré que, indépendamment de la manœuvre, M. Friesen avait pris toutes les mesures de sécurité applicables avant d’effectuer la manœuvre, mais a attribué à cette preuve d’expert un poids réduit. Le conseiller chargé de la révision a également constaté que, pour avoir une marge de sécurité suffisante, les joueurs de hockey devaient déterminer eux-mêmes s’ils devaient quitter leur position désignée pendant la cascade. Ayant ainsi transféré la responsabilité d’obtenir une issue sécuritaire sur les épaules des joueurs de hockey, M. Friesen a créé un risque de danger, ce qu’un pilote prudent et raisonnable ne ferait pas. Finalement, le conseiller chargé de la révision a conclu que le danger n’était pas suffisamment atténué par la diligence raisonnable de M. Friesen, puisqu’il n’a pas demandé d’être exempté de l’application du Règlement en demandant un certificat d’opérations aériennes spécialisées [COAS] et qu’il n’a pas créé un écart plus important entre les patineurs pour empêcher qu’il leur soit nécessaire de se déplacer, de leur propre initiative, pour éviter un risque pour la sécurité.

[6]  Le comité d’appel a ensuite proposé d’examiner la décision du premier comité d’appel et la décision de notre Cour dans l’affaire Friesen CF. En ce qui a trait à la norme de contrôle appliquée par le premier comité d’appel, le juge Mosley a conclu que le fait de caractériser le traitement de la preuve d’expert par le conseiller chargé de la révision comme une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte était une erreur. Il a également conclu qu’il était raisonnable pour le conseiller chargé de la révision, à titre de personne spécialisée dans les domaines de l’aéronautique et de la sécurité des transports, de faire un examen plus rigoureux de la preuve d’expert. Le premier comité d’appel n’aurait pas dû rejeter l’évaluation du risque faite par le conseiller chargé de la révision en se fondant sur son propre examen de la vidéo et des diapositives. De plus, le juge Mosley a conclu que le premier comité d’appel a commis une erreur en faisant passer la norme de diligence à celle d’un « pilote d’hélicoptère expérimenté exécutant une manœuvre spécialisée en présence de personnes au sol »? Le conseiller chargé de la révision a, à juste titre, appliqué la norme du « pilote prudent », qui dépassait en fait celle de la « personne raisonnable ».

[7]  En réexaminant l’affaire, le comité d’appel a accepté les conclusions de notre Cour dans Friesen FC et s’est estimé lié non seulement par la norme de diligence applicable, mais aussi par les conclusions du conseiller chargé de la révision selon lesquelles M. Friesen aurait fait preuve de négligence en contravention de l’article 602.01 du Règlement. Il a donc limité son examen à la question de savoir si la défense fondée sur la diligence raisonnable était ouverte à M. Friesen en application de l’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), c A-2, afin d’empêcher la contravention à l’article 602.01 du Règlement. L’article 8.5 est rédigé comme suit :

Moyens de défense

Defence

8.5 Nul ne peut être reconnu coupable d’avoir contrevenu à la présente partie ou aux règlements, avis, arrêtés, mesures de sûreté et directives d’urgence pris sous son régime s’il a pris toutes les précautions voulues pour s’y conformer.

8.5 No person shall be found to have contravened a provision of this Part or any regulation, notice, order, security measure or emergency direction made under this Part if the person exercised all due diligence to prevent the contravention.

[8]  Le comité d’appel a d’abord noté qu’en examinant l’exercice de diligence raisonnable, le conseiller chargé de la révision a mentionné le fait que M. Friesen n’avait pas demandé de COAS pour obtenir une exemption au règlement et qu’il n’avait pas créé d’écart assez important entre les joueurs de hockey pour éviter qu’ils aient besoin de changer de position pour échapper au danger. Le comité a également accepté les conclusions du premier comité d’appel selon lesquelles les précautions voulues s’entendent de la diligence raisonnable, ce qui n’équivaut pas à une garantie à l’encontre des erreurs, et la raisonnabilité est une question de fait qui dépend des circonstances.

[9]  Le comité d’appel a examiné tous les éléments de preuve et a accepté le témoignage du coordinateur de cascades expérimenté qui a confirmé que toutes les cascades comportent des risques. Il a également conclu que M. Friesen savait que sa cascade comportait certains risques.

[10]  Mais, plus important encore, le comité d’appel a conclu que, compte tenu des risques inhérents et malgré les mesures préventives prises par M. Friesen, un pilote prudent aurait cherché à consulter au préalable Transports Canada au lieu d’envoyer, après coup, une vidéo de la cascade et une liste des mesures de sécurité prises. Le comité d’appel n’a pas accepté les raisons fournies par M. Friesen pour expliquer pourquoi il n’avait pas demandé de COAS : il craignait que les COAS ne soient disponibles que pour les opérateurs commerciaux et il croyait que le retard que causerait le dépôt de la demande aurait rendu la cascade impossible, en raison de l’évolution des conditions météorologiques et de la glace. Le comité d’appel a conclu qu’un pilote prudent aurait pris cette mesure de précaution supplémentaire.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[11]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Le comité d’appel a-t-il fait défaut d’observer un principe de justice naturelle ou l’équité procédurale en refusant de permettre aux parties de présenter des observations au stade du nouvel examen?

  2. Le comité d’appel a-t-il commis une erreur en limitant son examen à la seule question de savoir si M. Friesen avait fait preuve de diligence raisonnable conformément à l’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique?

  3. Le comité d’appel a-t-il commis une erreur en concluant que la défense fondée sur la diligence raisonnable n’avait pas été établie par M. Friesen?

[12]  Bien que l’obligation d’équité procédurale s’applique différemment dans divers contextes administratifs (Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, aux paragraphes 36 à 39), la norme de contrôle pour ces questions est en règle générale celle de la décision correcte (Conseil du secteur du conditionnement physique, précité, aux paragraphes 34 et 35).

[13]  La norme de contrôle qui s’applique aux deux autres questions soulevées par la présente demande est celle de la raisonnabilité (Friesen CF, précitée, aux paragraphes 47 à 48).

IV.  Analyse

A.  Le comité d’appel a-t-il fait défaut d’observer un principe de justice naturelle ou l’équité procédurale en refusant de permettre aux parties de présenter des observations au stade du nouvel examen?

[14]  M. Friesen soutient que le comité d’appel a violé un principe de justice naturelle et l’équité procédurale en ne permettant pas aux parties de déposer d’autres observations et de leur accorder une nouvelle audience. M. Friesen ne laisse pas entendre que le comité d’appel aurait dû tenir une audience de novo, mais il affirme qu’il aurait [traduction] « dû inviter les parties à présenter d’autres observations écrites ou peut-être d’autres éléments de preuve qu’elles souhaitaient ajouter au moyen d’affidavits ». Renvoyant implicitement à certains des facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées dans une affaire donnée (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 23 à 27), M. Friesen ajoute i) que la question en litige revêt une importance considérable pour lui, qui pourrait avoir une incidence sur sa réputation de pilote d’hélicoptère hautement qualifié et expérimenté; et ii) que les conseillers chargés de la révision du TATC et les comités d’appel exercent des fonctions quasi judiciaires, de sorte que les règles de justice naturelle s’appliquent à leurs procédures.

[15]  Premièrement, la sanction imposée à M. Friesen dans cette procédure est relativement mineure. Elle ne porte pas atteinte à son droit à la liberté, elle n’implique pas la suspension de son permis et elle n’a aucune incidence sur sa capacité à exercer sa profession.

[16]  Deuxièmement, le présent contrôle judiciaire constitue la quatrième occasion que M. Friesen a eue de présenter des observations écrites et verbales et de soulever tous les arguments qu’il a jugé pertinents pour défendre sa cause. Les motifs rendus par le conseiller chargé de la révision, par les deux comités d’appel et par notre Cour dans Friesen CF, démontrent tous que son témoignage a été évalué et que ses arguments ont été pleinement pris en compte. L’équité procédurale n’exige pas nécessairement que des observations écrites et verbales soient permises à chaque étape du processus administratif. C’est la procédure dans son ensemble qui doit plutôt être examinée afin de déterminer si l’équité procédurale a été respectée (Taïga Works Wilderness Equipment Ltd c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97, au paragraphe 39; Baker, précité, au paragraphe 21. En appliquant ces principes à la présente affaire, il devient clair que M. Friesen a eu amplement l’occasion de défendre sa cause pleinement et équitablement.

[17]  Troisièmement, il est vrai que l’article 14 de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, LC 2001, c 29 [la Loi], exige que le comité d’appel autorise les plaidoiries, mais M. Friesen a eu l’occasion de présenter des observations verbales. La décision faisant l’objet du présent contrôle était un réexamen de l’appel entendu par le premier comité d’appel. Le juge Mosley n’a pas ordonné au comité d’appel de reprendre l’audience de l’appel, mais seulement de réexaminer l’affaire en tenant compte des deux erreurs qu’il a désignées. En outre, la Loi envisage une certaine souplesse dans le processus et suggère implicitement que la proportionnalité devrait être envisagée :

Audiences

Nature of hearings

15 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le Tribunal n’est pas lié par les règles juridiques ou techniques applicables en matière de preuve lors des audiences. Dans la mesure où les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, il lui appartient d’agir rapidement et sans formalisme.

15 (1) Subject to subsection (2), the Tribunal is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting any matter that comes before it, and all such matters shall be dealt with by it as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit.

[18]  Pour ces motifs, je suis d’avis que le devoir d’équité procédurale devrait se situer à l’extrémité inférieure du continuum et que le comité d’appel n’a pas fait erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire de ne pas autoriser d’autres observations écrites et verbales. Il a agi au nom de la souplesse et de la proportionnalité.

B.  Le comité d’appel a-t-il commis une erreur en limitant son examen à la seule question de savoir si M. Friesen avait fait preuve de diligence raisonnable conformément à l’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique?

[19]  M. Friesen conteste le fait que le comité d’appel a limité son examen à la question de savoir s’il a invoqué la défense fondée sur la diligence raisonnable. Je suis d’accord avec lui pour dire que le comité d’appel avait pour tâche de réexaminer toutes les questions soulevées par l’appel à la lumière de la preuve présentée, sans répéter les deux erreurs relevées par notre Cour.

[20]  Le comité d’appel a commencé son analyse en déclarant ce qui suit :

[20] Puisque la Cour fédérale a accepté l’application de la norme de diligence du « pilote prudent » ainsi que les conclusions du conseiller en révision, après examen supplémentaire de la preuve, voulant que l’appelant ait été négligent en contrevenant à l’article 602.01 du RAC, nous limitons notre révision à la question de savoir si l’appelant peut invoquer la défense de diligence raisonnable [...]

[Non souligné dans l’original.]

[21]  Le comité d’appel a déclaré qu’il limitait son examen à une seule question. Cependant, il n’est pas clair si c’est parce que le comité d’appel a jugé que la Cour avait tranché les deux autres questions dans le cadre d’une décision finale, ou s’il s’est contenté de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions du conseiller chargé de la révision qui avait examiné la preuve.

[22]  S’il s’agit du premier cas, le comité d’appel a mal interprété les motifs de la Cour dans Friesen CF. Le rôle d’une cour supérieure dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision administrative n’est pas de substituer sa propre décision à celle d’un décideur administratif, mais plutôt de vérifier la légalité et le caractère raisonnable de la décision rendue, et de renvoyer le dossier au décideur administratif si elle constate qu’une erreur a été commise et que la décision est illégale ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Yansane, 2017 C.A.F. 48, au paragraphe 15; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 C.S.C. 9, au paragraphe 47). On a demandé au comité d’appel de réexaminer l’affaire, mais de faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation de la preuve d’expert par le conseiller chargé de la révision et d’appliquer la norme de diligence appropriée.

[23]  Cependant, dans ce dernier cas, cela signifierait simplement que le comité d’appel a appliqué la norme appropriée lors de l’examen de la décision du conseiller chargé de la révision. Comme l’a indiqué le juge Mosley au paragraphe 57 de ses motifs : « [L]e traitement de la preuve d’expert constituait donc une question mixte de fait et de droit, qui aurait dû être examinée par le comité d’appel au regard de la norme de la décision raisonnable ». Il en était de même de la question plus générale de savoir si l’appelant avait fait preuve de négligence en contravention de l’article 602.01 du Règlement.

[24]  Compte tenu de la façon dont le comité d’appel résume ses conclusions à l’égard des deux questions, je choisis la dernière :

[27] Compte tenu des risques inhérents à la manœuvre d’hélicoptère et malgré les mesures préventives prises par l’appelant, un pilote prudent aurait tenté de consulter préalablement Transports Canada en ce qui concerne les mesures de sécurité applicables, en présentant une demande en vue d’obtenir un COAS. 

[25]  En ce qui concerne le poids accordé à la preuve d’expert par le conseiller chargé de la révision, M. Friesen a fait valoir de nouveau devant moi que c’était une erreur de substituer sa propre opinion à celle d’un expert qualifié. Il s’appuie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, où le juge Wilson affirme que le juge du procès qui préside une affaire criminelle commet une erreur en demandant au jury de faire complètement abstraction du témoignage d’un expert. Non seulement ce précédent est-il inapplicable à un décideur qui possède une expertise égale à celle du témoin expert, mais le juge Mosley a expressément conclu dans Friesen CF qu’il était raisonnable pour le conseiller chargé de la révision, étant lui-même expert dans les domaines de l’aéronautique et de la sécurité des transports, d’accorder moins d’importance au témoignage d’un expert qui a déclaré que la cascade du demandeur ne comportait absolument aucun risque.

[26]  Bien que je sois d’accord avec le demandeur que le comité d’appel a été chargé de réexaminer les questions de négligence et de défense fondée sur la diligence raisonnable, qui sont effectivement liées, je suis d’avis qu’il l’a fait, tout en faisant preuve de la déférence appropriée à l’égard des conclusions de négligence du conseiller chargé de la révision.

C.  Le comité d’appel a-t-il commis une erreur en concluant que la défense fondée sur la diligence raisonnable n’avait pas été établie par M. Friesen?

[27]  Le demandeur fait valoir que le comité d’appel a tenu compte de facteurs non pertinents ou a omis de tenir compte de facteurs pertinents lorsqu’il a conclu que le demandeur aurait dû demander un COAS afin d’invoquer la défense fondée sur la diligence raisonnable. Selon le demandeur, cette considération est dénuée de pertinence parce que le commissaire a conclu que : « [M. Friesen] aurait pu faire une demande de COAS et ne l’a pas fait ». En rendant cette décision, soutient le demandeur, le conseiller chargé de la révision a convenu qu’un COAS aurait pu être obtenu (ce qui n’a pas été établi dans la preuve) et qu’il avait exécuté la manœuvre de manière négligente. Si le défaut de demander un COAS est enlevé de l’équation, tout ce avec quoi le comité d’appel se serait retrouvé aurait été la preuve non contredite suivante :

1.  Le demandeur est un pilote d’hélicoptère expérimenté;

2.  Il avait exécuté des acrobaties en hélicoptère par le passé;

3.  Il a mesuré l’épaisseur de la glace sur les lieux de la manœuvre le jour précédant la manœuvre et le jour même de la manœuvre;

4.  Il a retenu les services de bons patineurs pour participer à la cascade, et avait veillé à ce que chacun d’entre eux (ainsi que le coordonnateur de la cascade) eut précédemment répété la manœuvre;

5.  Il a procédé à un exposé sur les mesures de sécurité pour les participants en ce qui concerne le fonctionnement de l’hélicoptère relativement au dérapage et à la cascade;

6.  Il a veillé à ce que du matériel de premiers soins soit disponible dans l’éventualité d’un incident.

[28]  Le demandeur affirme en outre que le comité d’appel a mal interprété les conclusions du conseiller chargé de la révision lorsqu’il a déclaré que le demandeur avait transféré la responsabilité d’obtenir une issue sécuritaire sur les épaules des joueurs de hockey. Selon le demandeur, le conseiller chargé de la révision a conclu qu’il y avait un écart suffisant entre eux pour que l’hélicoptère puisse passer, même si les patineurs n’avaient pas bougé. Leur éloignement vers les côtés, ainsi que leur décision de se déplacer avant que le demandeur ne leur donne le signal « break » afin qu’ils s’écartent, ne servaient qu’à augmenter la marge de sécurité pour les joueurs.

[29]  En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec le demandeur.

[30]  Le comité d’appel a examiné l’ensemble du dossier et a conclu, en appliquant la norme du pilote prudent, que la défense fondée sur la diligence raisonnable n’avait pas été respectée. Ce faisant, il a convenu que la diligence raisonnable s’entend de mesures raisonnables et des précautions voulues, et que la raisonnabilité est une question de fait qui dépend de toutes les circonstances. Les précautions doivent correspondre aux mesures prises par un professionnel raisonnable qui possède l’expertise appropriée pour effectuer l’activité en cause.

[31]  Le demandeur avait le fardeau de convaincre la Cour que cette conclusion n’appartenait pas aux issues possibles acceptables compte tenu des éléments de preuve dont disposaient le conseiller chargé de la révision et le comité d’appel.

[32]  À mon avis, la possibilité que le demandeur ait pu obtenir un COAS ne mène pas nécessairement à la conclusion que (i) un COAS aurait été obtenu; ou (ii) que la manœuvre ne pouvait pas, après coup, être considérée comme une négligence.

[33]  Lors de l’audience en révision, le témoin de Transports Canada a expliqué le processus d’obtention d’un COAS. Il a déclaré que le demandeur aurait pu en obtenir un s’il en avait fait la demande et que, s’il avait obtenu un COAS et s’il avait respecté les directives et les exigences qui y étaient stipulées, il n’aurait pas contrevenu à l’article 602.01 du Règlement.

[34]  Si le demandeur avait présenté une demande de COAS, celui-ci aurait pu être refusé, ou il aurait pu en obtenir un qui était conditionnel à la prise de mesures de sécurité supplémentaires, comme la nécessité de prévoir un écart plus grand entre les joueurs de hockey ou que ceux-ci s’écartent quelques secondes plus tôt. Une autre possibilité est que, si le demandeur avait obtenu un COAS conditionnel, il aurait pu ne pas remplir toutes les conditions prescrites.

[35]  Le défendeur souligne à juste titre que l’alinéa 602.14(2)b) du Règlement fait de l’utilisation d’un aéronef à moins de 500 pieds d’une personne une infraction de responsabilité stricte, sauf lors d’un décollage, d’une approche ou d’un atterrissage. On doit supposer que l’utilisation d’un aéronef à moins de 500 pieds d’une personne est intrinsèquement dangereuse, surtout quand ce n’est pas une nécessité.

[36]  À la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, il était raisonnable pour le comité d’appel de conclure que, puisque le demandeur n’est pas un expert dans tous les aspects de la sécurité aérienne, la demande d’un COAS aurait été pour lui une mesure supplémentaire raisonnable à prendre afin de minimiser les risques inhérents à sa cascade.

V.  Conclusion

[37]  Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et des dépens sont accordés en faveur du défendeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1827-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens totalisant 500 $ sont adjugés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1827-17

INTITULÉ :

BRADLEY FRIESEN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Ronald G. Pederson

Pour le demandeur

Craig Cameron

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RGP Law Group

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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