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Date : 20180713


Dossier : IMM-4997-17

Référence : 2018 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ZARA JAMAL

ZAIN SULEMAN MUNAWAR

MAHAM MUNAWAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une affaire portant sur la crédibilité. Il est de mise de commencer avec certains témoignages de vive voix qui, selon moi, sont très révélateurs au sujet de la crédibilité des personnes qui demandent l’asile en l’espèce :

[traduction] « Si j’avais eu – nous avions eu tout autre incitatif ici au Canada – je suis un dentiste. 2012, la catégorie professionnelle était ouverte. J’aurais pu faire ma demande en tant que dentiste. C’est la façon la plus rapide de pouvoir immigrer. Nous aurions pu être ici sans avoir – à attendre cinq ans ici. Nous aurions pu procéder de cette façon. Ma famille est ici depuis 35 ans. Mes sœurs et mes frères vivent ici. Ses sœurs vivent ici. Nous n’avons même jamais pensé à cela, jusqu’à cet incident contre mon fils. Cela a fait déborder le vase...Nous n’avions pas – Je ne suis pas content de livrer de la pizza pour Domino’s ici. Qui va dans un autre pays pour – vous savez, déraciner toute la famille à l’âge de 50 ans? »

(Dr Munawar Jamal, Transcription de l’audience, page 243 du dossier certifié du tribunal (DCT)).

[traduction] « Lorsque nous sortirons, il y aura toujours une épée au-dessus de nos têtes. Pour le reste de nos vies. Et si ma mère quitte la maison pour faire des courses, ce sera peut-être la dernière fois que (inaudible). C’est la même chose pour mon père. C’est aussi le cas pour moi – ce sera possiblement la dernière fois que je verrai ma mère ou mon père. C’est vrai non seulement pour moi, mais également pour ma sœur ».

[Zain Munawar, Transcription de l’audience, pages 244 du DCT].

[2]  Zara Jamal (Mme Jamal), Zain Munawar (Zain) et Maham Munawar (Maham) (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens du Pakistan et ont présenté une demande d’asile en décembre 2012. Ils disent craindre d’être persécutés en raison de leur conversion au christianisme. Ils ont offert refuge à des membres de leur famille élargie. Zain a été battu à son école pour avoir prétendument blasphémé. Une fatwa (ordonnance religieuse) a été émise contre eux, encourageant les musulmans à tuer tous les membres de leur famille.

[3]  La demande des demandeurs a été entendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 17 octobre 2017, puis a été rejetée par une décision (la décision) rendue le 26 octobre 2017. La SPR a déterminé que le récit des demandeurs concernant leur persécution au Pakistan n’était pas crédible, puis a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Karachi ou Hyderabad. Devant la Cour, les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité, en déterminant que les demandeurs avaient une PRI au Pakistan, et en n’évaluant pas s’ils étaient des personnes à protéger conformément à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.  Faits

A.  Les demandeurs

[4]  Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan et sont de confession chrétienne. Avant leur départ vers le Canada, en novembre 2012, les demandeurs résidaient à Rawalpindi, au Pakistan. Mme Jamal a 47 ans. Son fils Zain et sa fille Maham sont âgés respectivement de 22 et 16 ans. Au moment du dépôt de leur demande d’asile initiale, les demandeurs étaient inscrits comme personnes à charge dans la demande du docteur Munawar Jamal (Dr Jamal). Depuis ce temps, Mme Jamal et le Dr Jamal ont connu une séparation acerbe. Par conséquent, le Dr Jamal n’est pas inclus comme partie dans ces procédures.

[5]  Les demandeurs affirment qu’ils ont commencé à avoir des problèmes au Pakistan en 2012 en raison de leur foi chrétienne. En février 2012, le mari de la cousine de Mme Jamal a été accusé de blasphème et leur famille a été ciblée. Mme Jamal a hébergé sa cousine et ses trois filles pendant 11 jours, jusqu’à ce qu’elles déménagent dans une résidence protégée d’un organisme non gouvernemental. Les membres de la famille de la cousine de Mme Jamal se sont enfuis vers d’autres parties du Moyen-Orient, et les demandeurs ont été accusés de les avoir aidés dans cette fuite.

[6]  Le 16 avril 2012, Zain a été violemment battu à l’école. Au cours de l’incident, Zain s’est disputé avec un des élèves de sa classe; lorsque Zain a lancé son cahier de note, un autre étudiant l’a accusé d’avoir été irrespectueux à l’égard d’un livre contenant les noms « Allah » et « le Prophète ». Zain a protesté en indiquant que ce cahier ne contenait pas ces noms, la dispute a ensuite dégénéré en une discussion sur le christianisme et le Christ, puis Zain s’est fait battre. Il a été hospitalisé et a souffert d’une fêlure au tibia, ainsi que de multiples contusions et lacérations. En conséquence, Zain et Maham ont été retirés de l’école et ont reçu des cours de la part d’un enseignant chrétien. Le père de l’un des garçons qui ont attaqué Zain est un membre de la « Red Mosque »; par conséquent, Mme Jamal craignait que Zain soit accusé de blasphème et poursuivi par les membres de ce groupe. Quoi qu’il en soit, les membres de la famille ont ultérieurement reçu des appels téléphoniques de menace et, ayant peur pour leur sécurité, ont fui leur pays pour venir au Canada en novembre 2012.

[7]  Au mois d’août 2016, le Dr Jamal a communiqué avec le frère de Mme Jamal, Haroon Samson (M. Samson), pour lui demander de vendre une terre qui appartenait au Dr Jamal à Islamabad. M. Samson a reçu une offre de Raja Ansar (M. Ansar) pour le terrain, laquelle était très basse. Cette offre peu élevée était apparemment motivée par le fait que M. Ansar savait pourquoi les demandeurs avaient quitté le Pakistan. M. Samson a découvert plus tard que M. Ansar est associé à un genre de « mafia des terres » qui recherche des propriétés inoccupées à Islamabad. Le 6 septembre 2016, M. Samson a fait visiter le terrain à un acheteur potentiel. À cette occasion, M. Ansar s’est présenté avec un groupe d’hommes. Quatre de ces hommes avaient une arme automatique sur eux. Les membres du groupe ont menacé les personnes présentes, puis forcé l’autre acheteur à quitter les lieux. Sous la menace, M. Samson a dû appeler Mme Jamal. M. Ansar l’a menacée au téléphone en lui disant : [traduction] « Maintenant, je vais vous montrer la vraie signification du terme « insécurité ».

[8]  Le 10 septembre 2016, l’ami de M. Samson, Rumman Ahmed (M. Ahmed), a découvert qu’une fatwa était affichée sur la maison familiale des demandeurs, laquelle contenant le texte suivant :

[traduction] « Nous tenons à informer toute la population que Zara Jamal, épouse du Dr Jamal, a insulté le Prophète au cours d’une conversation avec Ansar Raja. En raison de sa richesse et de son comportement [avec de hauts responsables], Zara Jamal, dans un élan d’orgueil et de folie, a insulté le Prophète (Que la paix soit avec lui). Par conséquent, tous les membres de la famille doivent être tués. »

[DCT, p. 206]

M. Ahmed a appelé M. Samson pour l’informer de cette fatwa. Ensuite, M. Samson a appelé la Dre Jennifer Bennet (Dre Bennet), une amie de la famille, pour qu’elle fasse une enquête plus approfondie à ce sujet. Plus tard dans la soirée du 10 septembre 2016, elle a pris une photo de la fatwa, l’a imprimée, puis s’est rendue le lendemain à Lahore pour remettre le document imprimé en main propre à M. Samson. Les demandeurs croient que M. Ansar a payé un religieux musulman pour qu’il émette la fatwa.

B.  Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Les demandeurs se représentaient eux-mêmes devant la SPR. La SPR a estimé que les questions déterminantes étaient la crédibilité et la possibilité de refuge intérieur (PRI).

[10]  Sur la question de la crédibilité, la SPR fait plusieurs observations : les demandeurs soutiennent que l’incident qui a entraîné leur venue initiale au Canada est le fait que Zain a été battu, qu’ils ont reçu des appels de menace après cet incident, qu’il n’y a eu aucune attaque physique contre la famille, que la cousine de Mme Jamal a reçu des menaces en tant que chrétienne convertie, que le Dr Jamal a eu une carrière fructueuse comme dentiste et que ses enfants fréquentent une école d’élite. La SPR conclut que les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve suffisants démontrant que leur vie était en danger lorsqu’ils ont quitté le Pakistan en 2012. En ce qui concerne les incidents survenus depuis 2012, la SPR conteste aussi l’affidavit souscrit par M. Samson parce que seule la première page du document est estampillée, et aucune date n’apparaît dans celui-ci. La SPR souligne que la lettre du pasteur de l’église de Rawalpindi contient seulement de l’information indirecte. En outre, la SPR note que les affidavits de M. Bennet et M. Ahmed contiennent également de l’information indirecte, et que le document de M. Ahmed n’est pas daté. La SPR termine son analyse de la crédibilité des demandeurs en soulignant qu’ils ont [traduction] « remis tous ces documents à la Commission le 6 octobre 2017, six jours ouvrables avant l’audience du 17 octobre 2017, et presque cinq ans après que les demandeurs aient déposé leur demande » (Décision, paragraphe 28). La SPR estime que cela soulève des doutes au sujet de la légitimité de la fatwa, et qu’en conséquence elle tire une conclusion défavorable à cet égard.

[11]  En ce qui concerne la PRI, la SPR estime que les demandeurs pourraient trouver refuge à Karachi ou Hyderabad. La SPR est d’avis que les persécuteurs allégués des demandeurs ne s’intéressent qu’à leur terre, et puisque celle-ci a déjà été prise, les demandeurs ne devraient courir aucun autre risque. Pour ce qui est du premier volet du critère relatif à la PRI, la SPR souligne que Karachi et Hyderabad sont de grandes villes comptant des populations importantes de chrétiens et qu’elles sont très éloignées de Rawalpindi; par conséquent, il n’existe pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés dans ces villes. En ce qui a trait au second volet, le tribunal souligne que le Dr Jamal est une personne instruite et qu’il serait en mesure de subvenir aux besoins de sa famille dans l’une ou l’autre de ces villes.

III.  Question en litige

[12]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SPR pour les trois motifs suivants :

  1. La SPR a tiré des conclusions déraisonnables concernant la crédibilité;
  2. La SPR a commis une erreur au cours de l’analyse de la PRI des demandeurs;
  3. La SPR a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse en application de l’article 97.

IV.  Norme de contrôle

[13]  La norme de contrôle qui s’applique en l’espèce à l’analyse de la crédibilité de la SPR est la décision raisonnable : Boztas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 139, aux paragraphes 4 et 5. La Cour doit respecter l’évaluation de la crédibilité de la SPR et ne doit pas intervenir, à moins d’être convaincue que les motifs de la SPR ne sont pas intelligibles, transparents et légitimes et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

V.  Analyse

A.  La SPR a tiré des conclusions déraisonnables concernant la crédibilité.

[14]  Les demandeurs affirment que la décision est déraisonnable pour les motifs suivants : 1) la SPR a mal interprété et énoncé les éléments de preuve, 2) la SPR a rejeté de façon déraisonnable des documents corroborants.

(1)  Éléments de preuve mal interprétés/énoncés

[15]  Les demandeurs allèguent que la SPR a fait un certain nombre d’erreurs d’une importance cruciale en énonçant de façon erronée les éléments de preuve, ce qui a entaché la décision. Par exemple, la SPR a affirmé incorrectement que le seul fondement à l’appui de leur demande en 2012 était l’incident à l’école touchant Zain, alors que les demandeurs ont fourni plusieurs motifs : l’expérience de la cousine de Mme Jamal; la peur d’être ciblés en raison de leur conversion de l’islam au christianisme; l’agression physique dont Zain a été victime à l’école; les appels de menace; le fait que des membres de la « Red Mosque » ont ciblé la famille; le fait que les enfants ont dû être retirés de l’école; l’augmentation du climat d’intolérance envers les minorités au Pakistan. À cet égard, les demandeurs soulignent que la SPR n’a posé aucune question au sujet des appels téléphoniques de menace, des allégations de blasphème à l’encontre de la cousine de Mme Jamal ou du climat de violence et de peur que vivait la famille au Pakistan.

[16]  En outre, les demandeurs allèguent que la SPR a commis une erreur en concluant que le Formulaire de renseignements personnels (FRP) ne mentionnait pas que les demandeurs étaient ciblés en tant que personnes converties au christianisme, et qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant qu’une organisation extrémiste participait à la persécution alléguée des demandeurs. Les demandeurs soulignent que ces deux affirmations sont incorrectes; le récit du FRP explique que les persécuteurs de la cousine de Mme Jamal savaient également que les membres de sa famille s’étaient convertis, et les demandeurs ont identifié les agents de persécution comme étant des extrémistes (comme des membres de la « Red Mosque » et du « Movement for Implementation of Muhammad’s Shariah »).

[17]  En outre, les demandeurs mentionnent que la décision met l’accent sur l’absence de dommages physiques, en soulignant que l’analyse doit être orientée vers l’avenir et ne pas se limiter à une définition trop étroite de la persécution.

[18]  Le défendeur n’a pas répondu de façon substantielle à l’affirmation des demandeurs voulant que la SPR ait mal interprété ou énoncé les éléments de preuve. Le défendeur affirme que le récit du FRP des demandeurs indiquait que l’agression physique contre Zain était le fondement principal de leur demande, et souligne que pendant l’audience, les demandeurs ont répondu que l’événement avait été supprimé et qu’aucune attaque physique ne s’est produite, ce qui rend la décision de la SPR raisonnable. En outre, le défendeur souligne que la foi du Dr Jamal ne nuisait pas à sa carrière, et que, par conséquent, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les demandeurs couraient un danger lorsqu’ils ont quitté le Pakistan.

[19]  Je suis d’accord avec les demandeurs. La partie pertinente de la décision rappelle que [traduction] « [l]es demandeurs ont mentionné que l’incident survenu à l’école était le seul fondement de leur demande de 2012 » (Décision, paragraphe 19). Cette déclaration est une qualification erronée du témoignage de vive voix. Le fait que la SPR ait judicieusement choisi une partie du témoignage de vive voix afin de laisser à penser que le Dr Jamal convenait que la [TRADUCTION] « seule » motivation pour la demande de 2012 était l’incident de l’école est particulièrement troublant. Au cours de l’audience, la SPR a posé sa question pas moins de cinq fois avant d’obtenir la réponse qu’elle cite : [traduction]

COMMISSAIRE : Quel était le fondement principal de votre demande d’asile? L’incident unique qui s’est produit à l’école alors que votre fils s’est malheureusement fait battre?

[…]

COMMISSAIRE : Est-ce qu’il y a un autre fondement quelconque pour votre demande de 2012? 

DEMANDEUR : À part les, vous savez, les cas isolés de discrimination qu’une personne peut subir. 

[…]

COMMISSAIRE : Ainsi, il me semble que lorsque vous avez déposé votre demande initiale en 2012, le fondement de celle-ci était l’incident unique touchant votre fils. Est-ce que vous comprenez – Je veux m’assurer que vous comprenez bien ce que je dis? 

[…]

COMMISSAIRE : Le fondement de votre demande est cet incident unique touchant votre fils et une sorte de climat général de préjudice à l’encontre des personnes de confession chrétienne? Est-ce que c’est bien ça? 

DEMANDEUR : C’est plus qu’un climat de préjudice. 

COMMISSAIRE : Désolé, pouvez-vous répéter.

DEMANDEUR : C’est plus qu’un climat de préjudice. Il y a des meurtres. Des attentats à la bombe. 

COMMISSAIRE : Je veux simplement une réponse – répondez à ma question. Pour vous, le seul incident...

DEMANDEUR : Oui pour – oui. 

COMMISSAIRE : ... qui, qui a eu...

DEMANDEUR : Oui. 

COMMISSAIRE : ...un impact dans vos vies a été l’attaque contre votre fils.

DEMANDEUR : Oh oui. 

[Non souligné dans l’original]

[Transcription de l’audience, pages 227-230 du DCT].

Dans mon évaluation de la transcription, la SPR a tout simplement contre-interrogé le Dr Jamal afin qu’il donne une réponse particulière, malgré les tentatives répétées du Dr Jamal de préciser qu’il existait de nombreux facteurs expliquant le départ du Pakistan de la famille en 2012. Bien qu’il soit vrai dans les faits que le seul incident physique direct que la famille a subi avant son départ du Pakistan est l’agression physique contre Zain, c’est une qualification erronée du témoignage que d’affirmer que le [TRADUCTION] « seul fondement pour la demande en 2012 est l’incident survenu à l’école ». En outre, je trouve cette affirmation troublante parce qu’elle laisse entendre que la SPR exigerait qu’une persécution soit d’ordre physique pour qu’elle puisse servir à étayer une demande d’asile. Ce n’est pas ce que la loi prescrit.

(2)  Rejet des documents corroborants

[20]  Les demandeurs font valoir que la SPR a rejeté déraisonnablement la preuve documentaire en laissant entendre que la preuve sur la fatwa avait été divulguée, par hasard, seulement quelques jours avant la tenue de l’audience. Les demandeurs indiquent que le moment de divulgation de la preuve n’est pas un hasard, mais plutôt une exigence de la SPR, et soulignent que la fatwa a été publiée en septembre 2016, et non pas peu de temps avant l’audience en 2017. Les demandeurs contestent également le fait que la SPR remet en doute la légitimité de la fatwa parce qu’elle ne contenait pas le nom de la personne qui l’a prétendument émise, en répliquant que la SPR ne fournit aucune référence crédible pour sa conclusion énonçant que [traduction] « seule une personne possédant l’autorité requise et la connaissance de la loi islamique peut émettre une fatwa » (Décision de la SPR, paragraphe 23). Les demandeurs font valoir qu’au lieu de simplement rejeter la fatwa en raison du manque de preuve documentaire associée au « Movement for Implementation of Muhammad’s Shariah », la SPR aurait dû informer les demandeurs de ses réserves à ce sujet.

[21]  En ce qui concerne les autres éléments de la preuve documentaire, les demandeurs ajoutent que la SPR a rejeté la preuve corroborante en spéculant sur les exigences techniques pour l’émission des fatwas et les affidavits du Pakistan, et en ne leur demandant pas plus de précisions au sujet de ces éléments de preuve. Les demandeurs reconnaissent que l’équité procédurale n’exigeait pas que la SPR leur fournisse un [traduction] « compte rendu détaillé » des faiblesses de la cause, mais qu’elle leur fasse part de ses réserves au cours de l’audience.

[22]  Le défendeur fait valoir que les réserves de la SPR au sujet de la preuve documentaire étaient raisonnables; il souligne les irrégularités alléguées dans les affidavits, et reprend la conclusion de la SPR indiquant que la fatwa ne contenait pas le nom de la personne qui l’a émise. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de donner peu de poids à ces documents.

[23]  Je suis d’accord avec les demandeurs quand ils mentionnent que la SPR a rejeté déraisonnablement la fatwa en la qualifiant de non crédible. Tel que l’ont soutenu les demandeurs, l’affirmation de la SPR quant à la personne qui doit signer une fatwa n’est étayée par aucun élément de preuve; il s’agit simplement d’une spéculation de la part de la SPR. Les demandeurs sont également justifiés de souligner que la SPR a également spéculé au sujet des exigences techniques pour les affidavits au Pakistan. Enfin, c’est une règle de droit bien connue que les réserves au sujet de la légitimité de la preuve documentaire doivent être communiquées au demandeur lorsque ces réserves seront ensuite utilisées pour rejeter un élément de preuve crucial : Sivaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 732, au paragraphe 50; Karadag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 353, au paragraphe 4; Angulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1131, au paragraphe 36. Pour ces motifs, l’analyse de la preuve documentaire de la SPR était déraisonnable; de plus, le fait que la SPR n’a pas informé les demandeurs de ses réserves au sujet d’éléments de preuve importants pour les demandeurs constitue un manquement à l’équité procédurale. Pour ce seul motif, la décision ne peut être maintenue.

VI.  Certification

[24]  La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions nécessitant une certification. Ils ont affirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[25]  Puisque j’ai conclu que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables concernant la crédibilité des demandeurs, il ne sera pas nécessaire que j’examine les deuxième et troisième questions. Notamment, la question de la possibilité de refuge intérieur est inextricablement liée aux problèmes de crédibilité soulevés en l’espèce, et cette question ne peut être résolue qu’après avoir réalisé les évaluations de crédibilité appropriées. L’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire aux fins de réexamen.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4997-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. LA COUR infirme la décision à l’examen, et l’affaire est renvoyée aux fins de réexamen à un tribunal différemment constitué.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad Ahmed »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4997-17

INTITULÉ :

ZARA JAMAL, ZAIN SULEMAN MUNAWAR, MAHAM MUNAWAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Celeste Shankland

Pour les demandeurs

Suzanne Bruce

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Lisa Rosenblatt

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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