Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180727


Dossier : IMM-254-18

Référence : 2018 CF 779

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 27 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SULING WU

QINGWEN HUANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par deux personnes chinoises formant un couple, qui allèguent que les autorités en Chine souhaitent les arrêter du fait qu’elles sont membres de la congrégation d’une maison-église non autorisée. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison d’un manque de crédibilité.

[2]  L’appel interjeté par les demandeurs auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) a été rejeté. Les parties pertinentes de la décision rendue par la SAR indiquaient ce qui suit :

  1. Des deux nouveaux éléments de preuve déposés par les demandeurs (une assignation et une carte de visite d’une prison), seule la carte de visite d’une prison a été admise.
  2. L’assignation a été exclue de la preuve pour le motif qu’elle n’était pas authentique; cette décision reposait sur la conclusion selon laquelle l’assignation était non coercitive, raison pour laquelle il semblait peu pertinent que les autorités l’utilisent dans les circonstances alléguées par les demandeurs voulant que : (i) les autres membres de la maison-église aient été arrêtés, puis aient été condamnés à des peines d’emprisonnement; (ii) les autorités aient poursuit les demandeurs avec acharnement; (iii) les autorités aient apparemment laissé passer de nombreux mois sans déployer d’efforts pour arrêter les demandeurs.
  3. La tenue d’aucune audience n’a été justifiée en ce qui concerne la seule nouvelle preuve (la carte de visite d’une prison), puisqu’elle ne respectait pas le critère prévu au paragraphe 110(6) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, qui, à supposer qu’elle soit admise, justifierait que la demande d’asile soit accordée ou refusée. La SAR a déterminé que la carte de visite d’une prison n’étayait pas de façon convaincante : (i) l’association des demandeurs avec une maison-église; (ii) les efforts déployés par les autorités chinoises pour arrêter les demandeurs.
  4. En ce qui concerne le départ de la Chine des demandeurs, la prépondérance de la preuve indique qu’il est impossible que des personnes recherchées comme dans les circonstances alléguées puissent quitter la Chine par voie aérienne après avoir présenté leurs véritables passeports, même avec l’aide d’un passeur. Les demandeurs n’ont été en mesure de fournir qu’une vague hypothèse au sujet de la façon dont a soi-disant procédé le passeur pour les aider, et la preuve relative à la corruption en Chine ne s’applique pas à la sécurité dans les aéroports.
  5. En ce qui concerne le traitement réservé aux chrétiens vivant à Guangdong, une province de la Chine, la preuve relative aux mesures répressives ayant récemment été prises à l’égard des églises non autorisées en Chine n’était pas axée sur Guangdong, et aucune tendance ne se dessinait dans le pays relativement à la prise de mesures accrues contre les églises non autorisées et leurs membres. La preuve documentaire faisait référence à certaines sanctions, et non pas à de graves difficultés. Si les événements allégués par les demandeurs étaient réellement survenus, on aurait pu s’attendre à ce que la preuve documentaire en fasse mention.

I.  Question préliminaire : la conduite répréhensible des demandeurs

[3]  Le défendeur soutient que peu importe son bien-fondé, la présente demande devrait être rejetée, puisque les demandeurs n’ont pas fait preuve d’une conduite irrépréhensible. Les parties conviennent que le renvoi des demandeurs du Canada était prévu le 15 avril 2018, que la requête des demandeurs visant à obtenir un sursis à la mesure de renvoi a été rejetée au moyen d’une ordonnance rendue par le juge Luc Martineau le 14 avril 2018 et que les demandeurs ont omis de se présenter pour leur renvoi conformément à l’ordonnance. Un mandat d’arrestation a été délivré contre les demandeurs le 1er juin 2018.

[4]  Les parties conviennent que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 (Thanabalasingham) rendu par la Cour d’appel fédérale fournit une orientation à l’égard de cette question. Au paragraphe 9, la Cour a affirmé que si « un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond » (souligné dans l’original), voire refuser d’accorder la réparation sollicitée même après avoir conclu à l’existence d’une erreur susceptible de révision. Au paragraphe 10, la Cour a déclaré ce qui suit :

Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[5]  Puisque l’un des facteurs à prendre en compte est « la solidité apparente du dossier », il est nécessaire d’examiner le bien-fondé de l’affaire. C’est ce que je ferai maintenant, puis reviendrai à cette question ci-dessous.

II.  Questions en litige

[6]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a :

  1. conclu que l’assignation était frauduleuse sans qu’une audience ne soit tenue afin de permettre aux parties de discuter de la question;
  2. conclu que le départ de la Chine des demandeurs ne concordait pas avec la prépondérance de la preuve documentaire;
  3. conclu que la délivrance d’une assignation non coercitive par les autorités chinoises ne concordait pas avec la prépondérance de la preuve documentaire;
  4. conclu que les chrétiens ne font pas l’objet de persécutions à Guangdong.

III.  Persécution des chrétiens à Guangdong

[7]  Il est utile de commencer par la dernière question en litige, car s’il est peu probable que les demandeurs fassent l’objet de persécutions s’ils sont renvoyés à Guangdong, les autres questions seront moins préoccupantes.

[8]  La SAR a procédé à une analyse détaillée, équilibrée et raisonnable de la question, laquelle est traitée dans 23 paragraphes de sa décision. Elle a reconnu que le traitement réservé aux chrétiens varie à l’intérieur de la Chine; toutefois, elle s’est à juste titre concentrée sur la province de Guangdong et a, à juste titre, déterminé que la situation à cet endroit n’était pas telle que le soutenaient les demandeurs. Elle n’a pas omis de tenir compte de toute la preuve pertinente à l’égard de cette question. La SAR a également conclu à juste titre que si des événements tels que ceux allégués par les demandeurs étaient réellement survenus, ils auraient été mentionnés dans la preuve documentaire.

IV.  Autres questions

[9]  À la lumière de la conclusion selon laquelle la SAR a, à juste titre, déterminé que les actions que les demandeurs accusaient les autorités chinoises d’avoir commises ne concordaient pas avec la prépondérance de la preuve documentaire, il est plus facile de comprendre le contexte des conclusions tirées par la SAR au sujet de l’invraisemblance : (i) du recours à une assignation non coercitive par les autorités chinoises; (ii) du départ réussi des demandeurs à partir d’un aéroport chinois en utilisant leurs véritables passeports. Ces événements sont tous deux incompatibles avec la prépondérance de la preuve documentaire. Bien que je reconnaisse qu’aucune conclusion d’invraisemblance ne devrait être tirée à la légère, je ne suis pas convaincu que les conclusions de la SAR à l’égard de ces questions étaient déraisonnables dans les circonstances.

[10]  Je me penche maintenant sur le refus de la SAR de tenir une audience en raison de la conclusion selon laquelle l’assignation présentée par les demandeurs n’était pas authentique. À la lumière de la conclusion selon laquelle la SAR a, à juste titre, conclu que l’assignation n’était pas authentique, il s’ensuit que l’exclusion de l’assignation de la preuve ne constituait pas une erreur et, par conséquent, qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience pour aborder la question liée à l’assignation.

[11]  Les demandeurs soutiennent que la façon dont la SAR a traité l’assignation n’est pas claire. Bien qu’elle ait indiqué qu’elle excluait l’assignation de la preuve, la SAR a cité (à plus d’une reprise dans ses motifs) un document frauduleux qu’avaient présenté les demandeurs. Ces derniers affirment que si l’assignation avait réellement été exclue de la preuve, rien n’aurait été ajouté à son sujet dans la décision. Je ne crois pas que ce soit nécessairement le cas. À mon avis, dans les circonstances en l’espèce, la SAR avait le droit de citer la tentative des demandeurs de s’appuyer sur un document frauduleux comme nouvelle preuve sans être obligée de tenir une audience pour traiter de ce document.

V.  Retour à la question liée à la conduite répréhensible des demandeurs

[12]  L’extrait de l’arrêt Thanabalasingham précité indique que les quatre facteurs suivants doivent être pris en compte pour déterminer si la demande de contrôle judiciaire en l’espèce doit être rejetée en raison de l’inconduite des demandeurs :

  1. la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause;
  2. la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable;
  3. la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier;
  4. l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[13]  La juge Cecily Strickland a déclaré ce qui suit au sujet de la gravité de l’inconduite des demandeurs dans la décision Debnath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 332, au paragraphe 25 :

À mon avis, il est évident que, dans ces circonstances, les demandeurs se présentent devant la Cour sans une conduite irréprochable. Malgré une ordonnance d’expulsion valable et le rejet de leur requête en sursis, les demandeurs ont omis de se présenter au renvoi et se sont cachés afin d’éviter leur renvoi. Cette inconduite était très grave et compromettait le processus de renvoi valable et montre un mépris de la décision de la Cour.

[14]  Le même raisonnement s’applique aux demandeurs en l’espèce. Leur inconduite est très grave (et n’a pas cessé) et nuit foncièrement aux efforts pour les renvoyer du Canada.

[15]  En ce qui concerne la dissuasion, il est évident qu’il est nécessaire de dissuader les autres d’adopter une conduite semblable.

[16]  À la lumière de la conclusion selon laquelle la demande déposée par les demandeurs en l’espèce est sans fondement, je conclus que le troisième facteur susmentionné favorise le rejet de la demande.

[17]  Le fait que la demande en l’espèce soit dépourvue de fondement se rapporte également à la question des conséquences probables pour les demandeurs advenant la confirmation de la décision rendue par la SAR. La SAR a conclu à juste titre que les droits individuels des demandeurs n’étaient pas gravement menacés. Je note également que dans l’ordonnance refusant de surseoir au renvoi des demandeurs qu’il a rendue le 14 avril 2018, le juge Martineau a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils subiraient un préjudice irréparable s’ils retournaient en Chine.

[18]  À mon avis, tous les facteurs pris en compte pour déterminer si la demande de contrôle judiciaire en l’espèce doit être rejetée en raison de l’inconduite des demandeurs favorisent le rejet de la demande.

VI.  Conclusion

[19]  La demande en l’espèce devrait être rejetée en raison de l’inconduite des demandeurs. Autrement, elle devrait être rejetée sur le fond.

[20]  Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-254-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-254-18

 

INTITULÉ :

SULING WU, QINGWEN HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

Pour les demandeurs

 

Nicole Paduraru

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.