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Date : 20180815


Dossier : T-978-16

Référence : 2018 CF 836

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ERIC SHIRT, SHANNON HOULE, VALERIE STEINHAUER ET GREG CARDINAL

demandeurs

et

NATION CRIE DE SADDLE LAKE, COMITÉ D’APPEL DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE ET RON LAMEMAN, PRÉSIDENT D’ÉLECTION DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Eric Shirt a présenté deux requêtes en application de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, sollicitant des ordonnances pour enjoindre à la Nation Crie de Saddle Lake (NCSL) de faire valoir les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être déclarée coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi au jugement de la juge Glennys McVeigh dans Shirt c Nation crie de Saddle Lake (Saddle Lake no 1) et au jugement du juge Michael Manson dans Shirt c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CF 399 (Saddle Lake no 2).

[2]  À titre préliminaire, M. Shirt admet que la NCSL s’est en fait conformée au jugement du juge Manson dans Saddle Lake no 2, même si elle a attendu le jour avant l’échéance pour le faire. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de s’attarder à la mesure de redressement demandée concernant ce jugement.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Shirt ne s’est pas acquitté du fardeau de présenter une preuve prima facie pour démontrer que la NCSL a délibérément désobéi au jugement Saddle Lake no 1 rendu par la juge McVeigh. Ce jugement ne mentionne aucun délai dans lequel le nouveau processus permettant d’établir l’éligibilité des candidats doit avoir été achevé ou encore une nouvelle élection tenue. De son refus à reporter l’affaire jusqu’à la prochaine élection prévue en 2019, il serait possible de conclure à un délai maximal, mais sans plus.

[4]  La juge McVeigh a conclu dans la décision Saddle Lake no 1 que la NCSL n’a pas, à l’heure actuelle, de coutume électorale généralement acceptée et appuyée par une majorité de ses membres. La NCSL travaille en collaboration avec Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) à l’élaboration d’un nouveau code électoral et d’un nouveau code d’appartenance. Je ne peux conclure que M. Shirt a présenté une preuve prima facie démontrant que le peu d’empressement de la NCSL à se conformer au jugement Saddle Lake no 1 de la juge McVeigh constitue une désobéissance délibérée et obstinée.

[5]  Les requêtes sont donc rejetées.

II.  Résumé des faits

[6]  La Nation crie de Saddle Lake est une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC (1985), c I-5. Elle comprend deux communautés : la NCSL et la Première Nation de Whitefish Lake (PNWL).

[7]  La NCSL et la PNWL élisent des chefs et des conseils distincts lors d’élections distinctes. Une fois élus, les neuf représentants de la NCSL et les quatre représentants de la PNWL forment le « conseil de bande » de Saddle Lake au sens de la Loi sur les Indiens.

[8]  Les élections sont régies par le règlement intitulé Saddle Lake Tribal Custom Election Regulations (le Règlement), qui a été formulé lors des réunions du conseil de bande tenues en 1955 et en 1960 et qui n’a jamais été modifié.

[9]  La NCSL devait tenir une élection en juin 2016. Une assemblée de mise en candidature a eu lieu en prévision de l’élection. Plusieurs contestations ont été présentées au sujet de candidats qui, disait-on, ne satisfaisaient pas aux exigences du Règlement. Ces contestations ont été renvoyées à un comité électoral, qui a retiré les noms de certains demandeurs de la liste officielle des candidats.

[10]  Des élections aux postes de conseiller ont eu lieu le 15 juin 2016 et des élections au poste de chef ont eu lieu le 22 juin 2016. Le résultat de ces élections a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour (Saddle Lake no 1). En accueillant cette demande, la juge McVeigh a tiré les conclusions suivantes (aux paragraphes 26 à 66) :

  • la NCSL possède un règlement sur les élections et, par conséquent, l’article 74 de la Loi sur les Indiens, ainsi que le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952, ne s’appliquent pas;

  • la NCSL n’a pas de coutume électorale généralement acceptée et appuyée par une majorité de membres;

  • le Règlement ne prévoit pas la création d’un comité électoral ou la contestation d’une mise en candidature. Les membres de la bande ont le droit d’être informés des critères, du rôle et de la procédure de nomination des membres d’un comité électoral;

  • les procédures adoptées par le comité électoral afin de déterminer l’éligibilité des demandeurs ne satisfont pas aux exigences minimales en matière de préavis, de possibilité de présenter des observations et d’examen complet et équitable des observations. De plus, l’absence totale de motifs a laissé entendre que les décisions défavorables rendues à l’égard des demandeurs étaient déraisonnables.

[11]  La juge McVeigh a annulé la décision du comité électoral visant à retirer les noms des demandeurs de la liste officielle des candidats et ordonné que l’éligibilité des demandeurs soit examinée à nouveau. Dans l’éventualité où toute candidature pourrait être jugée comme éligible, il faut tenir de nouvelles élections (décision Saddle Lake no 1, au paragraphe 72). Elle a poursuivi en écrivant ce qui suit, au paragraphe 76 :

S’il faut tenir une nouvelle élection, il faut le faire dans le respect du (Règlement), ou d’une coutume, ou des deux, que la majorité des membres de la bande appuient. Toute procédure adoptée par la bande doit respecter l’équité procédurale, notamment, être une procédure connue par tous les membres. Si une candidature fait l’objet d’une contestation, un avis à cet égard doit être envoyé à la personne visée et cette dernière doit avoir l’occasion de réagir. Toute décision de retirer une candidature à la suite d’une contestation doit être rendue par un décideur impartial ou des décideurs impartiaux, qui sauront prendre les observations des personnes visées en considération de façon entière et équitable. Puisqu’aucune de ces procédures n’est actuellement définie dans le (Règlement), celui-ci doit être modifié ou une coutume doit être approuvée par la majorité des membres de la bande. Le chef et le Conseil actuellement en poste y demeureront jusqu’à la tenue d’une nouvelle élection s’il s’avère nécessaire de tenir une nouvelle élection au cas où une ou plus d’une candidature devient éligible.

[12]  Dans le jugement Saddle Lake no 2, le juge Manson a entendu les demandes de contrôle judiciaire présentées par les candidats insatisfaits du nouveau processus de détermination de l’éligibilité dont la mise en place fait suite au jugement de notre Cour dans Saddle Lake no 1. Le juge Manson a jugé prématurée l’une des demandes, mais a accueilli l’autre. Il a décidé que le comité examinant l’éligibilité des candidats doit achever son processus et aviser ceux-ci de sa décision dans les deux mois suivant la date du jugement (le 12 avril 2018). Comme il a déjà été mentionné, la NCSL a respecté le délai, mais un seul jour avant l’échéance.

III.  Question en litige

[13]  La seule question soulevée par les présentes requêtes consiste à savoir si M. Shirt a présenté une preuve prima facie démontrant que la NCSL désobéit au jugement de la juge McVeigh dans Saddle Lake no 1.

IV.  Discussion

[14]  Avant de pouvoir sommer à comparaître l’auteur présumé de l’outrage au tribunal pour qu’il réponde à l’accusation d’outrage, la Cour doit être convaincue qu’il existe une preuve prima facie que cette personne a commis l’outrage qui lui est reproché (paragraphe 467(3) des Règles des Cours fédérales). Pour convaincre la Cour, la partie qui allègue qu’un outrage au tribunal a été commis doit justifier d’une apparence de droit suffisante en démontrant que la personne qu’elle accuse d’outrage au tribunal s’est rendue coupable d’une désobéissance délibérée et obstinée (voir la décision Chaudhry c Canada, 2008 CAF 173, au paragraphe 6).

[15]  La requête sollicitant une ordonnance de justification « requiert la preuve de l’existence d’une ordonnance de la Cour, la preuve de la connaissance par le défendeur de cette ordonnance et la preuve d’une violation délibérée de cette ordonnance » (voir la décision Rameau c Canada (Procureur général), 2012 CF 1286, au paragraphe 13, citant la décision Angus c Conseil Tribal de la Première Nation des Chipewyans des Prairies, 2009 CF 562). La conduite dictée doit être énoncée clairement dans l’ordonnance (voir la décision Rameau, au paragraphe 19, citant l’arrêt Syndicat des Travailleurs des Télécommunications c Telus Mobilité, 2004 CAF 59, au paragraphe 4).

[16]  Dans la décision Chédor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 291, au paragraphe 30, la juge Martine St-Louis a récemment refusé de rendre une ordonnance de justification au motif « qu’une conclusion d’outrage ne peut être tirée des conditions implicites d’une ordonnance ». Elle a fait remarquer que « l’interprétation de l’ordonnance doit plutôt être discernable à première vue ».

[17]  Le jugement de la juge McVeigh dans Saddle Lake no 1 est rédigé ainsi :

LA COUR STATUE QUE :

1.  La demande est accueillie. La décision du comité de retirer les noms des candidats de la liste est annulée.

2.  Les candidatures retirées doivent être soumises à un nouveau processus visant à établir l’éligibilité des candidats et si ceux-ci s’avèrent éligibles dans au moins un cas, il faudra alors tenir une nouvelle élection.

3.  Des dépens sont accordés en un montant forfaitaire de 2 000 $. Cette somme totale doit être divisée en parts égales et répartie entre les demandeurs et doit être versée immédiatement à chaque demandeur par les défendeurs.

[18]  Le jugement de la juge McVeigh ne mentionne aucun délai dans lequel le nouveau processus permettant d’établir l’éligibilité des candidats doit avoir été achevé ou encore une nouvelle élection tenue. Cependant, il est évident à la lecture des motifs qu’elle ne s’attendait pas à ce que cette échéance soit ultérieure aux prochaines élections prévues en 2019 (Saddle Lake no 1, au paragraphe 71). La NCSL reconnaît que le jugement exige la tenue d’une nouvelle élection avant celle des élections de 2019.

[19]  Dans la décision Saddle Lake no 2, le juge Manson a noté que la procédure de réexamen devait avoir lieu le plus tôt possible, étant donné que le chef et le conseil de la NCSL continuaient de représenter la NCSL, et ce, bien que la légitimité des élections de juin 2016 ait été mise en doute (au paragraphe 48). C’est pour cette raison qu’il a imposé un délai de deux mois pour l’achèvement du processus de réexamen. Cependant, aucun délai comparable n’a été imposé par la juge McVeigh dans la décision Saddle Lake no 1 pour la tenue d’une nouvelle élection, le cas échéant. De son refus à reporter l’affaire jusqu’à la prochaine élection prévue en 2019, il serait possible de conclure à un délai maximal, mais sans plus.

[20]  Depuis le jugement Saddle Lake no 1 de la juge McVeigh, la NCSL consulte, selon elle, les membres de la NCSL sur la question d’un nouveau code électoral. Cette consultation a été entreprise de pair avec un projet de révision des critères établissant l’appartenance. En juin 2017, la NCSL a reçu une subvention de 200 000 $ de la part d’AANC pour l’aider à réaliser le projet conjoint. Elle vise l’échéance de décembre 2018 pour l’achèvement du nouveau code électoral et du nouveau code d’appartenance.

[21]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que M. Shirt ne s’est pas acquitté du fardeau de présenter une preuve prima facie démontrant que la NCSL a délibérément violé le jugement Saddle Lake no 1 rendu par la juge McVeigh. Ce jugement ne mentionne aucun délai dans lequel le nouveau processus permettant d’établir l’éligibilité des candidats doit avoir été achevé ou encore une nouvelle élection tenue. La seule restriction imposée sur le moment de la tenue d’une nouvelle élection est que celle-ci ait lieu avant l’élection prévue en 2019.

[22]  De plus, la juge McVeigh a conclu dans la décision Saddle Lake no 1 que la NCSL n’a pas de coutume électorale généralement acceptée et appuyée par une majorité de ses membres. La NCSL travaille en coopération avec AANC à l’élaboration d’un nouveau code électoral et d’un nouveau code d’appartenance. Je ne peux conclure que M. Shirt a présenté une preuve prima facie démontrant que le peu d’empressement de la NCSL à se conformer au jugement Saddle Lake no 1 de la juge McVeigh constitue une désobéissance délibérée et obstinée.

[23]  Ces questions ont été récemment renvoyées à la gestion de l’instance par l’ordonnance du juge Alan Diner datée du 6 juillet 2018. Si M. Shirt veut demander à notre Cour d’imposer des échéances précises pour l’achèvement d’étapes précédant la tenue d’une nouvelle élection, il peut présenter une demande appropriée après consultation du juge chargé de la gestion de l’instance.

V.  Conclusion

[24]  Les requêtes sollicitant une ordonnance enjoignant à la NCSL de faire valoir les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être déclarée coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi aux jugements de notre Cour dans Shirt c Nation crie de Saddle Lake, 2017 CF 364 et dans Shirt c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CF 399, sont rejetées.

[25]  Un seul mémoire de frais est accordé à la NCSL selon la limite supérieure de la colonne III du tarif B.

[26]  Les avis de requête ont été déposés dans le contexte des dossiers de la Cour nos T-1298-17 et T-1522-17. La première de ces instances a été rejetée par le juge Manson parce qu’elle était prématurée, alors que la deuxième a été accueillie (Saddle Lake no 2). Le jugement accueilli dans le dossier no T-1522-17 a été respecté en fin de compte et aucune des instances ne peut constituer le fondement d’une procédure d’outrage.

[27]  M. Shirt allègue que le jugement de la juge McVeigh dans le dossier T-978-16 n’a pas été respecté (Saddle Lake no 1). La présente instance est celle dans laquelle les requêtes de justification auraient dû avoir été déposées, et l’intitulé de la cause a été modifié en conséquence.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. que les requêtes sollicitant une ordonnance enjoignant à la Nation crie de Saddle Lake de faire valoir les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être déclarée coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi aux jugements de notre Cour dans Shirt c Nation crie de Saddle Lake, 2017 CF 364 et dans Shirt c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CF 399 soient rejetées;

  2. qu’un seul mémoire de frais soit accordé à la Nation crie de Saddle Lake selon la limite supérieure de la colonne III du tarif B;

  3. que l’intitulé de la cause soit modifié pour correspondre à celui du dossier de la Cour no T-978-16.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-978-16

 

INTITULÉ :

ERIC SHIRT, SHANNON HOULE, VALERIE STEINHAUER ET GREG CARDINAL c NATION CRIE DE SADDLE LAKE, COMITÉ D’APPEL DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE ET RON LAMEMAN, PRÉSIDENT D’ÉLECTION DE LA NATION CRIE DE SADDLE LAKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

W. Tibor Osvath

Brooke Barrett

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rae & Company

Calgary (Alberta)

Pour les défendeurs

 

 

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