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Date : 20180816


Dossier : IMM-381-18

Référence : 2018 CF 840

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 août 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

SIMEI CHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Simei Chen, est une citoyenne de la Chine âgée de 56 ans. Son époux et répondant est un citoyen du Canada âgé de 70 ans. La demanderesse a été présentée à son époux par l’entremise d’un ami commun, au début de décembre 2007. Après s’être parlé au téléphone au cours du mois qui a suivi, la demanderesse et son époux se sont rencontrés pour la première fois le 17 janvier 2008, durant une visite de son époux en Chine. Ils se sont mariés quatre (4) jours plus tard.

[2]  En avril 2008, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente depuis l’étranger, parrainée par son mari au titre de la catégorie « regroupement familial ». La demande a été refusée en avril 2009. Cette décision a été portée en appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI), qui a rejeté l’appel en janvier 2011. La SAI a jugé que l’époux de la demanderesse, qui était l’appelant dans cette instance, n’avait pu démontrer l’authenticité de leur mariage. La SAI a ainsi relevé un certain nombre d’incohérences dans leurs témoignages qui minaient leur crédibilité, notamment quant à la manière dont ils avaient été présentés et à leur première rencontre. Elle a aussi noté que, sur certains autres aspects de leurs témoignages, leurs réponses s’apparentaient davantage à des réponses apprises par cœur qu’à une description spontanée d’événements passés. Enfin, la SAI a conclu que la rapidité avec laquelle le mariage avait été contracté appuyait la prétention du ministre selon laquelle l’objectif principal du mariage avait été d’obtenir un statut en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[3]  En septembre 2013, la demanderesse a présenté une nouvelle demande de résidence permanente à l’étranger parrainée par son mari, toujours au titre de la catégorie « regroupement familial ». Cette demande a été refusée en décembre 2013. L’époux de la demanderesse a de nouveau interjeté appel de la décision auprès de la SAI, mais a retiré son appel en août 2014.

[4]  Le 19 septembre 2015, la demanderesse est entrée au Canada en provenance des États-Unis, sans autorisation. Elle allègue qu’elle a décidé de venir au Canada de son propre chef, afin d’être avec son époux après avoir appris qu’il devait subir une intervention chirurgicale et qu’il ne pourrait plus venir en Chine.

[5]  Le 15 juillet 2016, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente parrainée par son époux, au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. La demanderesse et son époux ont tous les deux été convoqués à une entrevue le 5 décembre 2017, en présence d’un avocat et d’un interprète. Durant l’entrevue qui a duré environ deux (2) heures, la demanderesse et son époux ont répondu à de nombreuses questions portant sur différents aspects de leur vie, notamment leurs antécédents, leurs relations familiales, leur lieu de résidence, leurs finances, leurs relations, leur mariage, leurs relations sexuelles et leur vie quotidienne.

[6]  Le 19 janvier 2018, l’agent d’immigration (l’agent) a refusé la demande de la demanderesse, concluant que cette dernière avait contracté son mariage dans le but principalement d’obtenir le statut de résidente permanente et que son mariage n’était pas authentique. L’agent a relevé des différences entre les réponses de la demanderesse et celles de son mari, plus particulièrement six (6) divergences qui soulevaient des doutes quant à leur crédibilité et à l’authenticité de leur relation. Ces divergences portaient sur les aliments que la demanderesse et son époux avaient mangé la veille de l’entrevue, la dernière fois qu’ils étaient allés au restaurant ensemble, le nombre de petits-enfants de la demanderesse, l’heure à laquelle ils s’étaient réveillés le matin de l’entrevue, le niveau de scolarité de la demanderesse et leurs relations sexuelles. L’agent a conclu que ces divergences étaient importantes et qu’elles l’emportaient sur les éléments favorables établis par la demanderesse.

[7]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle soutient que l’agent a, de manière déraisonnable, examiné ces incohérences de manière isolée, sans tenir compte des autres éléments cohérents de leurs témoignages ni des éléments de preuve documentaire produits à l’appui de la demande. Elle soutient également que l’agent n’a pas établi de lien entre sa conclusion quant à l’objectif principal du mariage et les motifs de sa décision, car il n’a cité aucun élément de preuve pouvant laisser croire que la demanderesse voulait se marier dans le but principalement d’obtenir le statut d’immigrant.

II.  Discussion

[8]  Les parties conviennent que la question à savoir si un mariage est authentique ou s’il a été contracté à des fins d’immigration est une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 657, au paragraphe 15; Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 707, au paragraphe 13; Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1283, au paragraphe 7).

[9]  Au moment d’examiner une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit prendre en considération le bien-fondé, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[10]  Le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR ou b) n’est pas authentique. Comme les critères énoncés aux alinéas 4(1)a) et b) du RIPR sont disjonctifs, la demanderesse doit démontrer que son mariage est à la fois authentique et qu’il ne visait pas l’acquisition d’un statut au Canada. De plus, il incombe à la demanderesse de présenter tous les éléments de preuve nécessaires pour que sa demande soit accueillie (Onwubolu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 19, aux paragraphes 13 et 15).

[11]  L’élément déterminant dans la présente demande est la conclusion de l’agent selon laquelle le mariage n’est pas authentique. Comme je juge que cette conclusion est raisonnable, je n’ai pas à examiner les arguments de la demanderesse au sujet de l’analyse que l’agent a faite des motifs de son mariage.

[12]  Je conviens avec la demanderesse que les divergences quant à l’heure à laquelle la demanderesse et son époux se sont levés le matin de l’entrevue sont futiles. Cependant, les divergences relevées par l’agent concernant le nombre de petits-enfants de la demanderesse sont réelles et peuvent à juste titre soulever des doutes dans l’esprit de l’agent quant à l’authenticité du mariage. Durant l’entrevue, la demanderesse a indiqué qu’elle avait trois (3) petits-enfants. Son époux, pour sa part, a répondu qu’elle en avait quatre (4). Bien que la demanderesse allègue que son époux a confondu le nombre de petits-enfants et d’enfants qu’elle avait, il ne fait aucun doute, d’après les réponses qu’il a fournies, qu’il pensait qu’elle avait quatre (4) petits-enfants. Ainsi, il a répondu que la fille aînée de la demanderesse avait une (1) fille, que la deuxième avait un fils et une fille, et que le fils de la demanderesse avait un fils, pour un total de quatre (4) petits-enfants. Cette contradiction, qui porte sur un élément important de la situation familiale de la demanderesse, n’est pas dénuée d’importance.

[13]  De même, les incohérences concernant le plus haut niveau de scolarité de la demanderesse et la dernière fois qu’ils sont allés au restaurant ensemble sont tout aussi importantes. La demanderesse a indiqué qu’elle avait fait sept (7) années d’études, alors que son époux a répondu qu’elle en avait fait neuf (9). Quant au restaurant, la demanderesse a indiqué que le neveu de son époux les avait invités à manger à la maison, alors que son époux a répondu qu’ils étaient allés dans un restaurant de dim sum sur Kingsway, en 2015, avec sa nièce. L’agent a aussi relevé d’autres divergences, concernant le repas qu’ils avaient consommé la veille et l’étendue de leurs rapports sexuels. Bien que la demanderesse et son époux aient fourni des raisons pour expliquer ces incohérences dans l’affidavit présenté à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, ces renseignements n’avaient pas été portés à l’attention de l’agent au moment où la décision a été rendue; ils ne peuvent donc pas être pris en compte (Onowu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 64, aux paragraphes 24 et 25).

[14]  La demanderesse affirme que l’agent n’a pas cherché à mettre en équilibre les éléments cohérents en regard des éléments incohérents de leurs témoignages. Je ne suis pas de cet avis. L’agent a pris acte des éléments cohérents des témoignages, en reconnaissant que la demanderesse et son époux entretenaient [traduction] « une certaine forme de relation, puisqu’ils passent du temps ensemble, qu’ils communiquent régulièrement et qu’ils gardent contact depuis longtemps ». L’agent considère toutefois que les réponses contradictoires sur certains éléments fondamentaux de leur vie conjugale sont importantes et soulèvent des doutes quant à la crédibilité globale de la demanderesse et de son époux.

[15]  La demanderesse allègue également que l’agent n’a pas fait une analyse suffisante d’importants éléments de preuve documentaire qu’elle a présentés. Elle considère notamment que le fait d’être désignée bénéficiaire de l’assurance-vie de son époux et la lettre du propriétaire témoignent de l’authenticité de leur mariage, et que ces éléments auraient dû être pris en compte par l’agent.

[16]  Je ne peux conclure à l’argument de la demanderesse.

[17]  Il est un fait bien établi qu’un décideur est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] ACF n° 598 (CAF) (QL)) et qu’il n’est pas tenu d’aborder tous les éléments de preuve documentaire dans ses motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)), 2011 CSC 62, au paragraphe 16; Lai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015, CF 370, au paragraphe 27).

[18]  En l’espèce, même si l’agent n’aborde pas chaque élément de preuve, il ne fait aucun doute à la lecture des motifs que l’agent a tenu compte des éléments de preuve documentaire de la demanderesse. Après avoir énoncé les documents de la demanderesse, notamment sa désignation comme bénéficiaire de l’assurance-vie et la lettre du propriétaire, l’agent dit avoir examiné avec soin les documents et observations de la demanderesse. Même si l’on pourrait être tenté de croire que cette déclaration de l’agent n’est rien de plus qu’un paragraphe passe-partout, les motifs démontrent le contraire. L’agent cite explicitement certains documents présentés par la demanderesse, tels que des photos et des éléments de preuve de voyage jugés par l’agent comme des éléments favorables à l’appui de la demande. De plus, les commentaires formulés par l’agent dans sa décision concernant ses préoccupations au sujet des différentes adresses associées à l’époux de la demanderesse montrent clairement que l’agent a examiné les documents de la demanderesse, puisque ces incohérences ne proviennent pas des réponses fournies durant l’entrevue.

[19]  Quant au défaut de l’agent de discuter, dans ses motifs, de la désignation de la demanderesse comme bénéficiaire de l’assurance-vie et de la lettre du propriétaire, je ne suis pas convaincue que ces documents contredisent les conclusions de l’agent, car ils ne permettent pas d’établir hors de tout doute l’authenticité du mariage et qu’ils n’ont pas plus de valeur probante que les autres documents fournis par la demanderesse. L’époux de la demanderesse aurait pu avoir plusieurs raisons pour désigner la demanderesse comme bénéficiaire de son assurance-vie. Quant à la lettre du propriétaire, elle ne fait qu’indiquer que l’époux de la demanderesse l’a informé que la demanderesse avait emménagé avec lui et sa sœur, à peu près en septembre 2015. Il aurait peut-être été plus convaincant que la demanderesse produise une lettre de la sœur de son époux affirmant que son frère et la demanderesse vivaient une relation conjugale, ou des lettres à cet effet provenant d’autres membres de la famille ou d’amis. En définitive, bien que la demanderesse soit en désaccord avec le poids que l’agent a accordé à ses éléments de preuve, il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que les éléments de preuve favorables étaient insuffisants pour compenser les éléments défavorables relevés.

[20]  Après examen des observations de la demanderesse, je conclus qu’elle demande essentiellement à la Cour de réexaminer la preuve qui a été présentée à l’agent et d’en venir à une conclusion différente. Cependant, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Khosa, au paragraphe 61).

[21]  Bien que les motifs de l’agent ne soient pas parfaits, lorsque j’examine la décision de l’agent dans son ensemble, je conclus qu’elle est raisonnable, car elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[22]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-381-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-381-18

INTITULÉ :

SIMEI CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 août 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 16 août 2018

COMPARUTIONS :

Peter D. Larlee

Pour la demanderesse

Courtenay Landsiedel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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