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Date : 20180830


Dossier : IMM-70-18

Référence : 2018 CF 873

Ottawa (Ontario), le 30 août 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ANTOINETTE NASSIF

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision [Décision], de la Section d’appel de l’immigration [SAI] rendue le 24 novembre 2017, refusant d’accueillir l’appel de la mesure de renvoi de la demanderesse.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

[3]  Le 24 juillet 2006, la demanderesse, son époux et ses trois enfants sont arrivés au Canada du Liban à titre de résidents permanents. Lors de leur arrivée en 2006, la famille a loué un appartement à Laval. L’époux de la demanderesse est rentré au Liban peu après pour vivre avec sa mère. Les enfants sont demeurés au Canada avec leur mère et ont fréquenté l'école pendant trois ans, soit jusqu'en juin 2009.

[4]  En 2007, Anthony, le fils aîné de la demanderesse a reçu un diagnostic lié à des problèmes cardiaques à l'Hôpital Sainte-Justine de Montréal et a été avisé qu'il nécessiterait l’implant d’un stimulateur cardiaque.

[5]  En 2008, Vanessa, la fille de la demanderesse a reçu un diagnostic de psoriasis à l'Hôpital Sainte-Justine et a bénéficié d'un suivi et de traitements efficaces pour ce trouble médical avant son départ pour le Liban en 2009.

[6]  Le 18 août 2009, la demanderesse et son époux ont acheté une copropriété à Laval. Au cours du même mois, la demanderesse a présenté une demande de citoyenneté canadienne pour elle et ses deux fils.

[7]  À la fin du mois d’août 2009, la demanderesse et ses enfants sont retournés au Liban. Son fils Anthony n'a pas pu obtenir l'implantation d’un stimulateur cardiaque avant son départ. La demanderesse affirme qu'elle et sa famille sont retournées au Liban pour prendre des vacances et qu'ils n'avaient pas l'intention de quitter définitivement le pays ou de rompre leurs liens avec le Canada.

[8]  Lorsque la demanderesse et ses enfants sont retournés au Liban, ils ont rejoint l’époux de la demanderesse qui habitait avec sa mère depuis juillet 2006. La mère de ce dernier, alors âgée de 84 ans, avait des problèmes cardiaques et était atteinte de diabète. En conséquent, la demanderesse a décidé de ne pas retourner au Canada et a inscrit ses enfants à l'école privée au Liban.

[9]  En 2010, l’époux de la demanderesse a acheté une résidence au Liban. La demanderesse et sa famille ont vécu à cette résidence dès lors. Cependant, la demanderesse est retournée au Canada pour de courts séjours au cours de l’année 2011.

[10]  À partir du 26 juin 2011, la demanderesse et sa famille ont séjourné pour un mois au Canada dans l’appartement meublé qu'elle avait loué. Durant cette visite, la demanderesse a renouvelé sa carte de résidente permanente pour une période de cinq ans, de manière à ce qu’elle soit valide jusqu'au 17 juillet 2016.

[11]  La demanderesse a été citée à comparaitre devant Citoyenneté et immigration Canada [CIC] relativement à sa demande de citoyenneté. Le 12 août 2011, celle-ci est revenue à Montréal afin de fournir les documents exigés pour sa demande de citoyenneté ainsi que celles de ses deux fils. Elle est par la suite retournée au Liban.

[12]  Le 6 décembre 2011, la demanderesse est revenue à Montréal avec ses deux fils afin de renouveler leurs cartes de résidents permanents.

[13]  Le 14 avril 2014, la demanderesse a reçu un avis du CIC la convoquant à un examen concernant sa demande de citoyenneté canadienne, prévu pour le 15 mai 2014.

[14]  Le 3 mai 2014, la demanderesse est arrivée à l'aéroport international de Montréal. Elle a été reçue en entrevue par un agent d'immigration qui a établi que, pendant la période de cinq ans s'échelonnant du 4 mai 2009 au 3 mai 2014, elle avait séjourné 120 jours au Canada en tout, de sorte qu'elle ne s'était pas conformée à l'obligation de résidence. L’agent a estimé que les motifs d'ordre humanitaire qu'elle a invoqués ne justifiaient pas le maintien de son statut de résidente permanente. Une mesure d'interdiction de séjour a été émise contre elle.

[15]  La demanderesse est retournée au Liban après que la mesure d'interdiction de séjour ait été émise contre elle.

[16]  La demanderesse a contesté la mesure d'interdiction de séjour devant la SAI. Elle n'a pas contesté la validité juridique de la décision. Celle-ci a invoqué le paragraphe 67(1)(c) « compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales », notamment le meilleur intérêt de ses enfants, dont en particulier celui de sa fille Vanessa.

[17]  Le 17 juillet 2016, la carte de résidente permanente de la demanderesse a expiré alors qu'elle était à l'extérieur du Canada.

[18]  Le 10 avril 2017, l'ambassade canadienne au Liban a refusé d’émettre un document de voyage à la demanderesse afin qu’elle puisse retourner au Canada. Le 6 juillet 2017, l'ambassade canadienne au Liban a refusé une deuxième fois de lui émettre un document de voyage lui permettant de retourner au Canada.

[19]  Le 16 novembre 2017, la demanderesse est rentrée au Canada avec sa fille en passant par les États-Unis et en traversant la frontière terrestre. Elle affirme à ce moment qu'elle n'a pas eu de problèmes aux douanes.

[20]  Le 24 novembre 2017, une audience a eu lieu devant la SAI. Le 6 décembre 2017, la SAI a rendu une décision par laquelle elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y avait pas de motifs d'ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales à l'égard de la demanderesse, vu les autres circonstances de l'affaire.

III.  Questions en litige

[21]  La présente demande d'autorisation soulève deux questions :

  • Est-ce que la demanderesse a établi l’existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part de la SAI?

  • Est-ce que la SAI a raisonnablement conclu que la demanderesse n'a pas démontré, selon la prépondérance de la preuve, l’existence de motifs humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales?

IV.  Normes de contrôle applicables

[22]  Dans l'arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 58, la Cour suprême du Canada a indiqué que la norme de la décision raisonnable s'appliquait aux décisions de la SAI rendues en vertu de l'alinéa 67(1)c) de la LIPR. Quant à l'allégation de partialité, il s'agit d'une question d'équité procédurale qui est contrôlable selon la norme de la décision correcte.

V.  Analyse

A.  Absence de crainte raisonnable de partialité

[23]  La demanderesse prétend que l'agent d'immigration a démontré son manque de partialité au moment de son arrivée à l'aéroport international de Montréal le 3 mai 2014, en remettant en question son droit d'entrer au Canada, ce qui a par la suite a été reflétée dans sa décision de rejeter l’appel de la mesure de renvoie.

[24]  Il n’y a aucune preuve indiquant que la demanderesse ou son avocat auraient soulevé la crainte de partialité lors de l'audition devant la SAI. La Cour est d’accord avec le défendeur qu’il est interdit à la demanderesse de soulever cet argument en contrôle judiciaire.

[25]  Compte tenu de l'interdiction de territoire émise contre la demanderesse, de l'expiration de sa carte de résidente permanente et des deux refus des autorités de lui émettre un document de voyage la permettant de retourner au Canada légalement, il était valable pour la SAI de lui poser des questions concernant comment elle avait réussi à traverser la frontière canadienne le 16 novembre 2017.

B.  La décision de la SAI est raisonnable

[26]  La demanderesse demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve afin de tirer une conclusion différente. Ceci n'est pas le rôle de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire d’une décision administrative.

[27]  La SAI a considéré que l’allégation de la demanderesse voulant que celle-ci et ses enfants aient quitté le Canada en août 2009 seulement pour prendre des vacances, et que celle-ci n’avait pas encore décidé de ne pas retourner au Canada n’était pas crédible. La SAI a basé cette conclusion sur les éléments de preuve suivants :

  • La demanderesse allègue aux paragraphes 27 et 28 de son affidavit que ses meubles sont demeurés au domicile de ses amis à Laval et qu’ils n'ont pas été transportés au Liban. La demanderesse n’a cependant présenté aucune preuve à la SAI ou à cette Cour pour soutenir son allégation.
  • La demanderesse allègue au paragraphe 84 de son mémoire que la première possibilité qu’elle a eue pour se rétablir au Canada est survenue en avril 2017. Elle prétend qu’il lui était impossible de se réinstaller au Canada au cours de la période de huit ans entre août 2009 et avril 2017, en raison des problèmes de santé de ses enfants. Cependant, la SAI a été d'avis que la demanderesse et ses trois enfants n'avaient aucune raison impérieuse de ne pas revenir au Canada le plus rapidement possible après avoir passé un mois en vacances au Liban à la fin du mois d'août 2009. La SAI a basé cette conclusion sur son examen des dossiers médicaux des enfants.
  • La SAI a été d’avis que la preuve au dossier n'était pas suffisante pour la convaincre que les raisons du séjour continu et prolongé de la demanderesse au Liban, du mois d'août 2009 jusqu'au 24 novembre 2017, la date d’audition de sa demande, étaient liées aux besoins médicaux de ses enfants. Ces derniers auraient vraisemblablement pu recevoir les soins médicaux appropriés pour leurs troubles médicaux s'ils étaient retournés au Canada après leurs vacances prévues d'un mois en août 2009.

[28]  La preuve présentée à SAI démontre que l’époux de la demanderesse n'a jamais résidé au Canada et qu’il demeure avec sa mère au Liban depuis 2006.

[29]  Aucune preuve objective n'a été déposée pour démontrer que la demanderesse aurait été empêchée de retourner au Canada en raison des troubles de santé de sa belle-mère au cours de la période allant de 2009 à 2011. La seule preuve déposée à l’égard de sa belle-mère était l'acte constatant son décès le 21 juin 2011.

[30]  L'allégation de la demanderesse à l'égard de la précarité et du danger de changer de médecins n'est pas non plus corroborée par une preuve objective.

[31]  La SAI a aussi considéré le fait que la demanderesse est retournée brièvement au Canada afin de renouveler ses documents d'immigration et pour passer des examens de citoyenneté durant la période de référence, mais que celle-ci n'a fait aucune tentative quelconque pour revenir au Canada de façon permanente, même après que la mesure d'interdiction de territoire eut été émise contre elle le 3 mai 2014, et ce jusqu'au moment de l' audience.

[32]  La demanderesse ne peut raisonnablement invoquer les délais du processus administratif pour justifier son propre défaut de respecter son obligation de résidence.

[33]  La jurisprudence reconnait que la possibilité d'établissement prospectif n'est pas un facteur pertinent dans l'évaluation des motifs humanitaires : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lotfi, 2012 CF 1089 aux para 21−23.

[34]  La SAI n’était pas convaincue par l'allégation de la demanderesse selon laquelle sa fille Vanessa devait nécessairement poursuivre ses études au Canada et qu'elle devait nécessairement avoir sa mère avec elle pour le faire.

[35]  La SAI a tenu compte du fait que Vanessa a fréquenté l'école au Liban depuis les huit dernières années et que rien ne permettait de croire qu'elle se heurterait à des difficultés si elle était contrainte de poursuivre ses études au Liban jusqu'à l'âge de la majorité, soit 18 ans, après quoi, elle pourrait choisir de retourner au Canada pour poursuivre ses études.

[36]  La SAI a enfin tenu compte du fait que, lors de la période pertinente de cinq ans, la demanderesse était tenue de maintenir une présence minimale au Canada de 730 jours. Or, la demanderesse n'y a séjourné que 120 jours. Le manquement de la demanderesse à l'obligation de résidence est considérable.

VI.  Conclusion

[37]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée pour appel.


JUGEMENT pour IMM-70-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée pour appel.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-70-18

INTITULÉ :

ANTOINETTE NASSIF v LE MISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Joseph Daoura

POUR LA DemandeRESSE

 

Émilie Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Me Joseph Daoura

Montréal, (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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