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Date : 20180828


Dossier : IMM-548-18

Référence : 2018 CF 864

Ottawa (Ontario), le 28 août 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

CARLOS SANTIAGO RODRIGUEZ CANDELARIO

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision [Décision] de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] rendue le 15 janvier 2018, et selon laquelle le demandeur ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger en vertu de l’article 98 de la LIPR puisqu'il est une personne visée à l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés [Convention].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Les faits

[3]  Le demandeur est un citoyen de la République dominicaine qui se serait rendu aux États-Unis le 24 avril 2007.

[4]  Le 3 septembre 2008, le demandeur a été arrêté dans la ville de Lawrence dans l'État du Massachusetts et accusé de trafic de cocaïne. II a été détenu jusqu'au 23 décembre 2008 et libéré sous la condition de comparaître le 16 janvier 2009. En raison de son défaut de comparaître et du fait que l'acte d'accusation n'a pas pu être livré, un mandat d'arrêt a été émis à son égard par la Cour supérieure d'Essex au Massachusetts, ce qui reste en suspens pour l'exécution.

[5]  Le 31 décembre 2010, le demandeur a quitté les États-Unis et s’est présenté au point d’entrée de Lacolle.

[6]  Le 31 janvier 2011, le demandeur a déposé sa demande d'asile alléguant, sans (fournir de détails) craindre qu’un certain employeur au nom de Raymond Ayala croyait que ce dernier était à l'origine de son arrestation et que M. Ayala lui aurait proféré des menaces de mort.

[7]  Le 7 mars 2011, en réponse à la question 31 de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a fourni un récit dans lequel il a décrit son emploi de livreur pour M. Raymond Ayala. Son travail consistait à livrer des repas avec l'aide d'un chauffeur de taxi qui travaillait également pour M. Ayala. M. Ayala lui avait demandé de récupérer un paquet contenant des repas dans un sac en plastique chez lui. Le demandeur a été arrêté par la police lorsqu’ils ont découvert que le paquet contenait 230 g de cocaïne. Par la suite la police est entrée dans son appartement pour effectuer une perquisition et a trouvé du matériel pour traiter/transformer la cocaïne. Le demandeur ne savait pas quoi faire, il a tenté d'expliquer à la police qu'il ne savait rien et qu'il n'était qu'un employé, mais les policiers ne l’ont  pas écouté et il a été arrêté.

[8]  Le demandeur allègue que par la suite, à sa sortie de prison, il aurait appris que M. Ayala était aussi détenu. Ce dernier aurait été fâché et croyait que le demandeur l’avait dénoncé. Il aurait été agressé et menacé par des individus qui lui auraient dit que c’était pour M. Ayala. Sa famille en République dominicaine aurait aussi été menacée et se serait cachée.

[9]  Le 27 mars 2012, un représentant du Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [MSPPC] est intervenu devant la SPR et a soulevé l'exclusion selon l’alinéa 1F b) de la Convention au motif que le demandeur a été arrêté aux États-Unis pour trafic de cocaïne et que cette infraction si elle avait été commise au Canada est passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité en vertu de l’article 5(3) a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19.

[10]  En février 2014, le demandeur a été déféré par le MSPPC pour enquête devant la Section de l’immigration [SI]. Le 4 septembre 2014, dans sa décision, la SI a notamment conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves déterminant la commission d’une infraction à l’étranger par le demandeur, que la preuve n’avait pas été faite que le demandeur avait l’intention ou la connaissance de l’existence du trafic, et qu’il n’y avait aucun élément de preuve lui permettant de conclure que le demandeur était au courant du contenu du sac. Le demandeur a été jugé comme étant admissible au Canada en vertu de l’article 36(1) de la LIPR vu l’événement du 3 septembre 2008. Le représentant du ministre n’a pas porté cette décision en appel.

[11]  Le 23 janvier 2015, la demande de réhabilitation du demandeur, déposée en février 2014, a été accueillie par un agent d’immigration qui a conclu que le demandeur n’était pas interdit de territoire, en se fondant sur la décision de la SI. L’agent a aussi rappelé au demandeur que son admissibilité au Canada continuerait d’être évaluée lors du traitement de la demande de résidence permanente.

[12]  Le 11 décembre 2017, la SPR a entendu la demande d’asile du demandeur. Le 15 janvier 2018, la SPR a conclu que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 1Fb) de la Convention.

III.  Décision contestée

[13]  À la lumière de la preuve qui lui fut présentée, la SPR a conclu avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis, à l’extérieur du Canada, un crime grave de droit commun avant de présenter sa demande d’asile au Canada.

[14]  La SPR a déclaré que le demandeur est une personne visée par l’alinéa 1F b) de la Convention sur les réfugiés. Aussi, il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention  ni celle de «  personne à protéger  » en vertu des articles 96 et 97(1) de la LIPR et est donc exclu.

[15]  La SPR a rejeté les allégations du demandeur qu’elle a jugées non crédibles, considérant que le demandeur n’a pas démontré de façon crédible qu’il était une victime dans cette histoire. De plus, la SPR a préféré se fier à une preuve qu’elle a qualifiée comme étant fiable et digne de foi, telle que le rôle criminel de la Cour supérieure d’Essex aux États-Unis indiquant que le demandeur a été accusé de trafic de cocaïne. La SPR s’est également appuyée sur le fait que le demandeur a admis à l’audience qu’il avait en sa possession de la drogue et qu’il travaillait pour M. Ayala sous le nom de Yandiel Martinez.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[16]  Les questions proposées par le demandeur sont les suivantes :

  • 1) Le commissaire a-t-il adéquatement évalué le témoignage et la crédibilité du demandeur?

2) Le commissaire a-t-il adéquatement évalué les fardeaux de preuve applicables?

3) Le commissaire a-t-il erré dans son analyse de l’application de l’alinéa 1F)b) de la Convention?

4) Le commissaire a-t-il erré en refusant de tenir compte des décisions antérieures rendues dans les dossiers d’immigration au Canada du demandeur?

V.  NORMES DE CONTRÔLE APPLICABLES

[17]  Les parties conviennent que la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable [Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 54, 57, 62], à l'exception de l’allégation de la mauvaise application de l’exigence de preuve légale, que le demandeur a soutenue pour la première fois à l'audience, selon laquelle il devrait être évalué selon la norme de la décision correcte.

VI.  Analyse

[18]  En ce qui concerne la deuxième question, au sujet des fardeaux de preuve applicables, bien que la Cour reconnaisse que le commissaire semble avoir mal défini les fardeaux de preuve dans deux instances, compte tenu de la preuve déposée et de la décision dans leur ensemble, il n'y a eu aucune erreur d'appréciation quant aux critères juridiques appropriés. De plus, cela n'est pas clair que le commissaire ne se référait pas au fardeau de preuve imposé au demandeur pour établir son explication de possession de cocaïne, par opposition au fardeau juridique applicable à la décision définitive.

[19]  En ce qui concerne la troisième question, le demandeur fait valoir que le commissaire s’est trompé en concluant que l’applicabilité de la clause d’exclusion de l’article 1F)b) de la Convention sur la base de son jugement «  que le représentant du ministre s’est acquitté de son fardeau et qu’il y a des raisons sérieuses de croire que le demandeur a commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada, plus précisément le trafic de cocaïne, s’il avait été commis au Canada, il serait passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité  ». [Soulignement de la Cour]

[20]  Le demandeur prétend que, malgré la présomption de gravité du crime commis tel qu’une infraction de trafic de drogues, il faut tout de même que la perpétration de l’infraction en question soit prouvée et que, dans le cas du demandeur, aucune preuve des éléments constitutifs de l’infraction (la possession de la substance illicite et l’intention d’en faire le trafic) n’a pas été démontrée, citant Jayasekara c.Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAP 404.

[21]  La Cour estime que l'on n’a jamais contesté que les éléments constitutifs de l'infraction (la possession de la substance illicite et l'intention d’en faire le trafic) soient en cause parce que le demandeur a prétendu qu'il n'a jamais commis le crime. D’après son témoignage, ce n’était pas son appartement et il était en train de livrer un paquet de repas à emporter qui s'avère contenir à son insu de la cocaïne. En échouant à convaincre le commissaire sur ces points à cause de son manque de crédibilité, la conclusion suivait qu’il avait l’intention de trafiquer la drogue, de même que sa culpabilité découlant de l'autre preuve indique qu'il était dans le trafic de drogue (son appartement contenant l’équipement de la production de drogue, de l’argent liquide pour presque 2000 $, etc.).

[22]  En ce qui concerne la quatrième question, la Cour est d’accord qu’il pourrait sembler déraisonnable que deux tribunaux en droit de l’immigration, soit la SI et la SPR, rendent deux décisions complètement différentes, basées généralement sur les mêmes questions de fait. Il n’y a pas question de l’applicabilité du principe de la chose jugée comme argué devant le commissaire. Le défendeur a abandonné cette prétention dans son mémoire, faisant valoir plutôt que la SPR devait considérer la décision antérieure de la SI rendue 1er 4 septembre 2014 déclarant 1er demandeur admissible au Canada suite à une évaluation de la preuve et de son témoignage crédible.

[23]  La Cour serait d'accord avec cette proposition si elle pensait que certains éléments de la décision de la SI étaient valides et non pris en compte par le SPR. Cependant, la réalité est que le ministre a procédé à un contre-interrogatoire plus complet du demandeur et a exposé de nombreuses incohérences qui n'ont pas été mentionnées ou développées durant l'audience devant la SI. En fin de compte, il s'agit de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n'était pas crédible et que son récit n'avait aucun sens ne satisfaisait le test de la raisonnabilité. Sur la base de la lecture attentive par la Cour de la transcription de l'audience devant le SPR, il existe des preuves plus que suffisantes pour étayer ses conclusions défavorables de la crédibilité du demandeur, ce qui constitue le fondement de son ordonnance d'exclusion.

[24]  Les conclusions qui précèdent répondent également au premier argument du demandeur selon lequel l'évaluation de la preuve par le SPR était déraisonnable, et en particulier ses conclusions défavorables en matière de crédibilité à son encontre. À cet égard, la Cour entend aborder, parmi les nombreuses incohérences dans le témoignage du demandeur, l'allégation selon laquelle l'avocat du demandeur aurait mal interprété la question de savoir si le demandeur était l'occupant des lieux à l'intérieur duquel a été trouvée de la preuve hautement probante démontrant que l'occupant faisait du trafic de cocaïne.

[25]  La Cour s’adresse ici à la référence faite par le défendeur au témoignage du requérant selon lequel l'expert en linguistique médico-légale retenu par le requérant aux États-Unis aurait reconnu que M. Rodriguez aurait été enlevé de son propre appartement et emmené au poste de police. À la fin de l'audience, l'avocat du demandeur a soutenu que la Cour n'avait pas été saisie de toutes les circonstances et que les déclarations de l'expert étaient fondées sur l'affidavit des agents de police américains, ce que le demandeur contredisait.

[26]  Cependant, à la lecture plus approfondie de la Cour, il est évident que l'affidavit des policiers n'a été invoqué que pour trois questions très brèves. Après cela, l'expert indique que « M. Rodriguez raconte une version différente des événements ce qui se trouve dans le rapport de police », ajoutant finalement « quelque 20 minutes après sa première approche, M. Rodriguez dit qu'il a été enlevé de son appartement et pris à un poste de police. » [soulignement de la Cour] Il y avait également une gamme d’autres preuves démontrant qu’il était l’occupant de l’appartement.

[27]  En outre, l'opinion de l'expert pourrait possiblement étayer l'argument selon lequel les policiers n'ont pas averti le défendeur de ses droits suite à son arrestation afin d’exclure l'admissibilité de son aveu qu'il était l'occupant de l'appartement, où se trouvait la preuve la plus convaincante de trafic de cocaïne. Dans les circonstances où le demandeur s’est échappé au Canada afin d’éviter son procès aux États-Unis, où cette preuve aurait pu être proprement considérée, cette question n’est certainement pas pertinente devant la SPR.

VII.  Conclusion

[28]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée pour appel.


JUGEMENT pour IMM-548-18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n'est certifiée pour appel.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-548-18

INTITULÉ :

CARLOS SANTIAGO RODRIGUES CANDELARIO v LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUILLET 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 aoÛt 2018

 

COMPARUTIONS :

Gjergji Hasa

POUR LE Demandeur

 

Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ferdoussi Hasa Avocats

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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