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Date : 20180827


Dossier : T-2148-14

Référence : 2018 CF 863

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 août 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

OURANIA GEORGOULAS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La demanderesse demande à la Cour d’annuler une décision (la décision) de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) rendue le 19 septembre 2014, qui a rejeté la plainte (la plainte) déposée par la demanderesse à l’encontre de Transports Canada (TC), le 12 janvier 2012. La plainte a été rejetée en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985 c H-6 (la LCDP). La demanderesse a désigné l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP) comme défenderesse devant notre Cour, même si l’ACEP n’était pas une partie dans les instances inférieures.

[2]  En rejetant la plainte, la Commission s’est basée sur un rapport d’enquête (le rapport fondé sur les articles 43 et 44) daté du 16 mai 2014, qui recommandait le rejet de la plainte de la demanderesse contre TC. Ce rapport a été rédigé au terme d’entrevues réalisées avec neuf personnes, dont la demanderesse, et de l’examen de la documentation détaillée produite principalement par la demanderesse. Le rapport fondé sur les articles 43 et 44 a conclu ce qui suit [traduction] : « plus important encore, aucun élément de preuve convaincant, direct ou autre, n’indique ni même ne laisse croire que l’un ou l’autre des traitements (de la demanderesse) était lié à un ou à plusieurs motifs prévus » par la LCDP. La demanderesse conteste cette conclusion concernant TC, alléguant qu’elle est contraire à l’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable.

[3]  La demanderesse conteste également la décision de la Commission de ne pas ajouter l’ACEP, l’agent négociateur accrédité de la demanderesse, à titre de partie visée par la plainte. La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable pour la Commission de ne pas ajouter l’ACEP comme défendeur. Cela dit, en aucun moment l’ACEP n’a-t-elle été partie à l’instance devant la Commission ayant mené à la décision contestée en l’espèce. Or, malgré le fait que la Commission n’ait pas ajouté l’ACEP comme partie, la demanderesse a, d’une manière que je juge tout à fait inappropriée, décidé unilatéralement d’ajouter l’ACEP comme défenderesse dans la présente demande de contrôle judiciaire. L’ACEP a participé à l’examen de la présente demande afin de répondre aux arguments soulevés par la demanderesse, notamment que la Commission a enfreint les règles d’équité procédurale en refusant d’ajouter l’ACEP comme défenderesse dans sa plainte.

[4]  L’audition de la présente demande de contrôle judiciaire s’est déroulée sur deux jours, des pauses de dix à quinze minutes étant prises toutes les quarante à quarante-cinq minutes. La demanderesse s’est représentée elle-même, avec l’aide d’une autre personne. Ces mesures d’adaptation avaient été demandées par la demanderesse.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

II.  Énoncé des faits et litige connexe

[6]  La demanderesse était fonctionnaire et membre inactive en règle du Barreau du Haut-Canada (aujourd’hui connu sous le nom de Barreau de l’Ontario) et du Barreau du Québec.

[7]  De 2007 à 2016, la demanderesse a travaillé comme analyste des politiques de sûreté de l’aviation à la Direction des politiques de sûreté aérienne, Direction générale de la sûreté aérienne, Transports Canada. Elle a été en congé d’invalidité de longue durée de décembre 2011 à septembre 2014. Tout au long de 2013 et durant la majeure partie de 2014, TC et l’ACEP ont eu de nombreuses discussions avec la demanderesse au sujet des mesures d’adaptation à prendre pour faciliter son retour au travail; la demanderesse a repris le travail en septembre 2014 pour une période de 18 mois.

[8]  La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions devant la Commission et la Cour fédérale. Bien qu’il s’agisse du troisième contrôle judiciaire que la Cour doit trancher relativement à l’emploi de la demanderesse à TC, la présente demande porte en fait sur la première plainte à l’encontre de TC que la demanderesse a déposée devant la Commission, le 12 janvier 2012.

[9]  Le 11 avril 2014, la demanderesse a présenté une autre plainte contre TC devant la Commission, plainte dans laquelle elle désignait aussi parfois l’ACEP comme partie. Cette plainte portait au départ le numéro de dossier 20140234. La Commission a par la suite scindé cette plainte en deux dossiers, soit les dossiers no 20140234 (contre TC) et no 20140564 (contre l’ACEP). La Commission a rejeté la plainte contre l’ACEP en application des articles 40 et 41 de la LCDP. En mai 2017, la juge McVeigh a toutefois accueilli la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse à l’encontre de l’ACEP. La juge McVeigh a conclu que la Commission avait enfreint les règles d’équité procédurale en refusant que la demanderesse dépose une plainte distincte contre l’ACEP : Georgoulas c Canada (Procureur général), 2017 CF 446 (Georgoulas I). La juge McVeigh a cependant conclu que la décision de la Commission de rejeter la plainte de la demanderesse contre l’ACEP était raisonnable.

[10]  La plainte de la demanderesse contre TC (soit le dossier no 20140234 précité), que la demanderesse avait au départ présentée conjointement avec sa plainte contre l’ACEP, portait sur des allégations de harcèlement, de discrimination fondée sur l’invalidité et de représailles de la part de TC. La Commission a décidé de « statuer sur » la plainte après avoir examiné le rapport fondé sur les articles 40 et 41. La Commission a donc nommé un enquêteur. L’enquêteur a rédigé un rapport d’enquête conformément à l’article 43 qui recommandait le rejet de la plainte contre TC. La Commission a rejeté la plainte contre TC en application de l’article 44 de la LCDP. La demanderesse a demandé un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de statuer sur sa plainte après le dépôt du rapport fondé sur les articles 40 et 41, ainsi que de la décision de la Commission de rejeter sa plainte en application de l’article 44. Le juge Kane a rejeté la demande de contrôle judiciaire de ces deux décisions dans la décision Georgoulas c Canada (Procureur général), 2018 CF 652, (Georgoulas II).

III.  Questions en litige

[11]  La demanderesse soulève plusieurs questions aux fins d’examen.

  1. La CCDP a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a refusé :

  1. D’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’ajouter et d’examiner le motif de harcèlement durant la préparation du rapport visé aux articles 40 et 41 ainsi que du rapport d’enquête, malgré les nombreuses demandes de la demanderesse?

  2. D’exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre à la demanderesse de déposer une plainte contre l’ACEP et de lui fournir, à cette fin, une trousse du plaignant?

C.  De modifier la plainte durant la préparation du rapport visé aux articles 40 et 41 et du rapport d’enquête, pour permettre à la demanderesse d’ajouter d’autres représailles et incidents de harcèlement et de discrimination à son endroit de la part de TC, survenus après le dépôt de sa plainte en janvier 2012?

2.  La CCDP a-t-elle commis une erreur en refusant de respecter le droit de la demanderesse à l’équité procédurale, en :

A.  Refusant de fournir à la demanderesse une trousse du plaignant pour déposer une plainte contre l’ACEP?

B  Refusant de prendre des mesures d’adaptation qui auraient permis à la demanderesse de communiquer avec la CCDP par courriel?

C  Prenant au pied de la lettre les témoignages des témoins qui ont rejeté les éléments de preuve présentés par la demanderesse durant l’enquête sur sa plainte?

D  Faisant abstraction ou en faisant une interprétation erronée des éléments de preuve présentés par la demanderesse durant l’enquête sur sa plainte?

3.  La Commission a-t-elle instruit la plainte de la demanderesse d’une manière neutre et exhaustive?

4.  La décision de la CCDP est-elle raisonnable?

[12]  À mon avis, ces questions devraient être examinées en regard des paramètres suivants :

  1. La décision de la CCDP de rejeter la plainte contre TC était-elle raisonnable?

  2. En rejetant la plainte de la demanderesse contre TC, la CCDP a-t-elle enfreint les règles d’équité procédurale?

  3. Le refus de la CCDP d’ajouter l’ACEP comme partie était-il raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[13]  Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Notre Cour a déterminé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle devant s’appliquer à l’examen du rejet par la Commission de la plainte d’un demandeur : Lafond c Canada (Procureur général), 2015 CF 735, sous la plume du juge Bell, au paragraphe 15.

[14]  Dans des affaires comme la présente, le rôle de la Cour se limite à examiner le rejet de la plainte par la Commission en se basant sur le dossier sur lequel repose cette décision. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cooper c Canada, [1996] 3 RCS 854 : « [l]’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous-jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante. »

[15]  Par conséquent, la norme de contrôle devant s’appliquer à l’examen des première et troisième questions énoncées au paragraphe 11 est celle de la décision raisonnable.

[16]  Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au paragraphe 55, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[55]  Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[17]  Il est par ailleurs bien établi que la norme de contrôle « comporte un degré élevé de retenue » lorsque la Commission reçoit un rapport d’enquête produit en application de l’article 43, comme c’est le cas en l’espèce; voir Lafond, au paragraphe 15 et Ritchie, au paragraphe 28. Le droit est également résumé dans Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113 (CAF) : Le législateur ne veut pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette « étape de l’examen préalable » :

[35]  Il est établi en droit que, lorsqu’elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d’enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce des « fonctions d’administration et d’examen préalable » (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), 1996 CanLII 152 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit la Commission soit « convaincue [que] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié » (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s’agit d’un seuil peu élevé et les faits de l’espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu’il y avait « une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), précité, paragraphe 30, à la page 899, juge Sopinka, approuvé par le juge La Forest dans Cooper, précité, à la page 891).

Exercice du pouvoir discrétionnaire

[38]  La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d’expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances », qui ne laissent aucun doute quant à l’intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

[Non souligné dans l’original.]

[18]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[19]  Les questions d’équité procédurale, y compris celles soulevées en lien avec des décisions de la Commission, sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. La norme de la décision correcte est généralement reconnue comme la norme de contrôle devant s’appliquer à l’examen de la deuxième question énoncée au paragraphe 11 précité. Cela dit, je note que, dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, au paragraphe 69, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un examen réalisé selon la norme de la décision correcte doit être fait « ”en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ».

[20]  Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

V.  Plainte devant la CCDP

[21]  J’examinerai maintenant les faits de la présente affaire en tenant compte des règles de droit précitées. Dans ce contexte, je rendrai des décisions concernant les questions soulevées par la demanderesse.

A.  Demandes initiales faites en 2010 et 2011

[22]  La demanderesse a communiqué avec la Commission en août et en octobre 2010 pour lui faire part d’allégations de discrimination à son endroit de la part de TC. Elle a toutefois demandé à la Commission de ne prendre aucune mesure dans cette affaire. Si la demanderesse avait déposé une plainte, la Commission aurait été tenue d’en informer TC et de donner à TC la possibilité d’y répondre. Elle n’a toutefois pas eu à le faire puisque la demanderesse a demandé à la Commission de ne pas déposer de plainte; à sa demande, la Commission n’a donc pris aucune mesure à ce moment-là, mais a néanmoins ouvert un dossier et communiqué le numéro de dossier à la demanderesse. Sans grand étonnement, la Commission a fermé le dossier à ce moment-là.

[23]  Environ un an plus tard, soit en août et au début de septembre 2011, la demanderesse a présenté d’autres demandes à la Commission, en formulant des allégations de discrimination à son endroit de la part de TC. Dans sa réponse du 21 septembre 2011, la Commission a écrit à la demanderesse, avec copie à TC, afin de reconnaître que la demanderesse avait formulé des allégations de discrimination contre TC. Dans sa lettre, la Commission précisait qu’un rapport devrait être produit en application des articles 40 et 41 de la LCDP avant qu’elle puisse accepter la plainte de la demanderesse.

[24]  Dans cette lettre datée du 21 septembre 2011, la Commission suggérait également à la demanderesse de formuler un grief en lien avec ses plaintes. Cette suggestion était raisonnable et elle n’était certainement pas répréhensible; en effet, comme le prévoit l’alinéa 41(1)a) de la LCDP, la Commission peut refuser d’instruire une plainte s’il existe d’autres recours et que ceux-ci n’ont pas été épuisés. Dans ce contexte, il importe de rappeler que la demanderesse était une employée syndiquée qui aurait pu avoir accès aux procédures de règlement des griefs prévues par sa convention collective. La défenderesse, l’ACEP, était son agent négociateur.

[25]  La demanderesse a répondu par voie de lettre datée du 31 octobre 2011, adressée à la présidente de la Commission. Dans sa lettre, la demanderesse rappelait ses démarches et ses contacts avec la Commission. Elle demandait notamment si elle pouvait ajouter une plainte de harcèlement à sa plainte de discrimination. Elle posait également des questions sur les qualifications du personnel de la Commission envers lequel la demanderesse se montrait critique.

[26]  Lors de l’audience, la demanderesse a longuement parlé de sa lettre du 31 octobre 2011, en alléguant à plusieurs reprises qu’elle n’avait jamais reçu de réponse. Après examen de cette lettre, il semble que la demanderesse croyait avoir déposé une plainte de discrimination contre TC en 2010. Or, elle ne l’a pas fait. Comme il a été indiqué, la Commission a clos son dossier à la demande expresse de la demanderesse. À cet égard, j’en arrive à la conclusion de fait que la demanderesse a seulement formulé une plainte officielle contre TC le 12 janvier 2012.

[27]  Comme il est mentionné ci-dessous, et après examen du dossier, je conclus que la Commission a bel et bien répondu à la lettre du 31 octobre 2011 de la demanderesse, dans une lettre datée du 31 décembre 2011 qui est examinée plus en détail ci-après. L’argument de la demanderesse voulant que la Commission n’ait jamais répondu à sa lettre du 31 octobre 2011 est sans fondement. Il semble que la demanderesse voulait que la Commission lui apporte un soutien juridique extraordinaire pour le dépôt de sa plainte. Cette suggestion est elle aussi sans fondement, car la demanderesse n’a fourni à la Commission aucun motif justifiant l’adoption de mesures d’adaptation exceptionnelles.

B.  La trousse du plaignant et la plainte déposée par la demanderesse le 12 janvier 2012

[28]  En réponse aux nombreuses communications et demandes de renseignements de la demanderesse, notamment sa lettre du 31 octobre 2011, la Commission a envoyé à la demanderesse une trousse du plaignant dans une lettre datée du 13 décembre 2011. Dans cette lettre, la Commission énonçait les instructions à suivre pour présenter une plainte. La Commission enjoignait à la demanderesse de prendre le temps de lire l’ensemble de la documentation jointe ainsi que de suivre les instructions à la lettre. La lettre incluait un formulaire de plainte. Afin d’aider encore plus la demanderesse, la Commission avait aussi joint à sa lettre un guide intitulé Instructions and Tips Sheet (instructions et fiche de conseils), ainsi qu’une liste de vérification énonçant les renseignements à fournir et un modèle d’un formulaire de plainte rempli. La lettre invitait la demanderesse à consulter le site Web de la Commission, à l’adresse www.chrc-ccdp.gc.ca, pour plus d’information.

[29]  La Commission précisait en outre qu’avant qu’elle ne pousse plus loin l’examen de cette affaire, elle voulait savoir si le syndicat de la demanderesse (l’ACEP) formulerait un grief dans cette affaire, et elle demandait qu’on lui présente une déclaration écrite à ce sujet. À ce sujet, le personnel de la Commission affecté au règlement anticipé a communiqué avec l’ACEP avant d’envoyer la trousse du plaignant, le 13 décembre 2011. Le personnel de la Commission a obtenu une réponse par courriel de l’ACEP. Dans ce courriel, l’ACEP confirmait qu’elle n’avait pas déposé de grief de discrimination contre TC parce qu’il n’y avait pas matière à grief selon les faits connus, ajoutant qu’il serait préférable de recourir à une approche informelle pour régler la situation [en français dans l’original : « L’ACEP n’a pas accepté de déposer un grief de discrimination au nom de Madame Georgoulas parce qu’à la lueur des faits connus au moment de l’analyse du dossier, l’ACEP a conclu qu’il n’y avait pas matière à grief et que l’approche informelle serait préférable pour régler la situation »].

[30]  Ce courriel de l’ACEP a été inclus avec le reste de la documentation dans la trousse du plaignant que la Commission a fait parvenir à la demanderesse, le 13 décembre 2011.

[31]  Après examen, je conclus que la Commission, en envoyant à la demanderesse, par voie de lettre datée du 13 décembre 2011, le formulaire de plainte et toutes les ressources connexes pour l’aider à remplir le formulaire, a répondu d’une manière adéquate et équitable aux nombreuses questions que la demanderesse a soulevées, entre autres dans sa lettre du 31 octobre 2011.

[32]  Après avoir reçu la trousse du plaignant, la demanderesse a rempli elle-même le formulaire de plainte, l’a signé et daté du 12 janvier 2012, puis l’a envoyé à la Commission le lendemain. La période visée par la plainte allait de février 2010 au 12 janvier 2012. La plainte consistait en un document de trois pages dans lequel la demanderesse décrivait en détail ses allégations de discrimination.

[33]  Dans l’ensemble de ce document, ainsi que dans des observations subséquentes, la demanderesse qualifiait la conduite de TC d’actes de discrimination et de harcèlement, sans établir de distinction entre les deux.

[34]  Dans sa plainte, la demanderesse faisait état de nombreux incidents survenus au fil des ans. L’exposé circonstancié de la demanderesse citait notamment un litige au sujet de son salaire, un refus allégué d’une promotion, un retrait allégué du travail, de prétendues évaluations défavorables du rendement, de présumés résultats défavorables lors d’un concours interne, et le comportement hostile de divers gestionnaires de TC.

[35]  À mon avis, la plainte déposée par la demanderesse le 12 janvier 2012 soulève un certain nombre de questions :

  1. Les termes « discrimination » et « harcèlement » ne sont utilisés ensemble qu’à trois reprises. Non seulement la demanderesse utilise-t-elle ces termes indistinctement, mais elle ne les utilise ensemble que pour faire référence à la position de l’ACEP au sujet de ses allégations – à savoir que la demanderesse n’avait aucun motif de formuler un grief. Je comprends que la demanderesse était insatisfaite du niveau d’aide reçu de l’ACEP, mais elle n’a jamais contesté l’ACEP conformément aux dispositions relatives au manquement au devoir de représentation prévues à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003 c 22.

Représentation inéquitable par l’agent négociateur

Unfair representation by bargaining agent

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187. No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit

  1. Dans sa plainte, la demanderesse n’allègue pas que TC a fait preuve de discrimination à son endroit en la harcelant, ce qui, si on lui ajoutait foi, serait contraire à l’article 14 de la LCDP.

  2. Sur le formulaire de plainte, il n’est pas indiqué que l’ACEP a fait preuve de discrimination envers la demanderesse, ce qui, si on lui ajoutait foi, serait contraire à l’article 9 de la LCDP.

  3. À mon avis, la plainte de la demanderesse peut être assez justement décrite comme une allégation de « traitement différentiel défavorable » fondé sur « le sexe, l’origine nationale ou ethnique, la situation de famille ou l’état matrimonial », une allégation qui, si on y ajoutait foi, irait à l’encontre de l’alinéa 7b) de la LCDP. Voilà comment la Commission a, à mon avis, caractérisé d’une manière juste et raisonnable la plainte de la demanderesse en préparant le formulaire de résumé de la plainte.

[36]  La LCDP énonce les nombreuses façons dont une discrimination peut s’exercer. Aux fins de la présente affaire, différents articles de la LCDP y font référence, et trois dispositions importantes sont pertinentes en l’espèce; il s’agit de l’alinéa 7b) ainsi que des paragraphes 9(1) et 14(1). Chacune de ces dispositions est énoncée ci-après.

[37]  Premièrement, l’alinéa 7b) de la LCDP interdit tout « traitement différentiel défavorable » :

Emploi

Employment

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

[…]

[…]

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

[Nos soulignés]

[Emphasis added]

[38]  Deuxièmement, l’article 9 de la LCDP, ainsi libellé, interdit les actes discriminatoires de la part du syndicat d’un employé, comme l’ACEP :

Organisations syndicales

Employee organizations

9 (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale :

9 (1) It is a discriminatory practice for an employee organization on a prohibited ground of discrimination

[…]

[…]

c) d’établir, à l’endroit d’un adhérent ou d’un individu à l’égard de qui elle a des obligations aux termes d’une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l’organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d’emploi ou d’avancement, soit de limiter ses chances d’emploi ou d’avancement, ou, d’une façon générale, de nuire à sa situation.

(c) to limit, segregate, classify or otherwise act in relation to an individual in a way that would deprive the individual of employment opportunities, or limit employment opportunities or otherwise adversely affect the status of the individual, where the individual is a member of the organization or where any of the obligations of the organization pursuant to a collective agreement relate to the individual.

[Nos soulignés]

[Emphasis added]

[39]  Troisièmement, le harcèlement constitue un acte discriminatoire, interdit aux termes de l’article 14 de la LCDP :

Harcèlement

Harassment

14 (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

14 (1) It is a discriminatory practice,

[…]

[…]

c) en matière d’emploi.

(c) in matters related to employment, to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

[Nos soulignés]

[Emphasis added]

[40]  À mon humble avis, la demanderesse aurait pu ajouter des allégations de harcèlement à sa plainte, si c’est ce qu’elle voulait. Je ne suis pas convaincu qu’elle ait de quelque manière été empêchée de rédiger sa plainte pour y inclure des allégations de harcèlement. En fait, ce n’est pas ce que la demanderesse a choisi de faire; je ne vois donc aucun motif permettant de conclure que la Commission a agi de manière déraisonnable à ce moment-là.

VI.  Rapport fondé sur les articles 40 et 41

A.  Lettre de la Commission adressée aux parties conformément à l’article 40

[41]  Comme il a été indiqué, la Commission exigeait la production d’un rapport fondé sur les articles 40 et 41 de la LCDP. Après réception de la plainte de la demanderesse, la Commission a donc entrepris la préparation d’un rapport fondé sur ces articles. Pour y parvenir, des commentaires ont été recueillis auprès de la demanderesse et du défendeur, puis le rapport proprement dit a été rédigé. Une fois le rapport terminé, un exemplaire a été envoyé aux parties afin que chacune ait la possibilité de le commenter, puis il a été envoyé à la Commission pour qu’elle rende une décision concernant la plainte.

[42]  Par voie d’une lettre datée du 14 février 2012, la Commission a écrit à la demanderesse et à TC, en leur demandant de formuler des observations sur les questions soulevées aux termes des alinéas 41(1)a) et c) de la LCDP et, plus précisément, de déterminer si un autre processus de traitement des plaintes ou d’examen pourrait être utilisé pour régler la plainte (alinéa 41(1)a)) et si la plainte relevait de la compétence de la Commission (alinéa 41(1)c)).

B.  Réponse de la demanderesse à la demande en application de l’article 40

[43]  La demanderesse a répondu dans une lettre de six pages, datée du 11 mars 2012. Elle a fait valoir que la Commission avait compétence et qu’elle ne pouvait pas formuler de grief parce que l’ACEP lui refusait son aide.

[44]  En plus de répondre aux demandes présentées par la Commission en application des articles 40 et 41, la demanderesse a décrit plus en détail ses diverses interactions avec l’ACEP. Mais elle l’a fait sur un ton négatif. Elle a aussi décrit plus en détail la manière dont elle avait été traitée par TC, là encore sur un ton négatif, et parfois plus en détail que dans les observations détaillées présentées à l’appui de sa plainte. Elle a aussi critiqué la manière dont le personnel de la Commission l’avait traitée jusque-là. Bref, la demanderesse a formulé des critiques à l’endroit de TC, de l’ACEP et de la Commission.

[45]  Fait à souligner, jamais dans sa lettre de réponse à la Commission du 11 mars 2012 la demanderesse n’a-t-elle allégué que l’ACEP avait fait preuve de discrimination à son endroit. À mon humble avis, aucun élément dans sa lettre, si avéré, ne pouvait raisonnablement permettre à la Commission de conclure qu’une plainte de discrimination était déposée contre l’ACEP en application de l’article 9, ou que l’ACEP devrait être ajoutée à titre de défenderesse.

[46]  Je reconnais que la demanderesse a mentionné que le harcèlement au sens du paragraphe 14(1) relevait de la compétence de la Commission et qu’elle a allégué qu’elle avait [traduction] « été victime de discrimination et de harcèlement et été exposée à un milieu de travail malsain ».

[47]  Cependant, dans sa lettre, la demanderesse ne demandait pas de modifier sa plainte afin d’y inclure une allégation de harcèlement et de discrimination de la part de TC. De plus, à mon humble avis, aucun élément de sa lettre du 11 mars 2012, si avéré, ne pouvait raisonnablement permettre à la Commission de conclure que la demanderesse souhaitait ajouter une plainte de harcèlement aux termes de l’article 14 à sa plainte de traitement différentiel défavorable déposée contre TC en application de l’alinéa 7b).

[48]  Le personnel de la Commission a terminé le rapport fondé sur les articles 40 et 41 le 19 juillet 2012 et l’a envoyé aux parties pour examen et commentaires.

VII.  Rapport fondé sur les articles 40 et 41

[49]  Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 mentionne que les motifs de la plainte de la demanderesse étaient fondés sur « le sexe, l’origine nationale ou ethnique, la situation de famille et l’état matrimonial ». Il s’agit des motifs invoqués par la demanderesse dans sa plainte déposée le 12 janvier 2012.

[50]  Le personnel de la Commission a conclu que [traduction] « la demanderesse avait établi un lien entre les pratiques alléguées et les motifs invoqués, ce qui lui permettait raisonnablement de croire qu’elle avait été victime de discrimination » et [traduction« qu’elle ne pouvait pas avoir recours à un processus de règlement des griefs pour l’examen des allégations de discrimination ». Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 recommandait que la Commission [traduction] « instruise la plainte car » elle n’était « pas frivole » et qu’il ne semblait pas y avoir [traduction] « d’autres procédures permettant l’examen des allégations de discrimination ».

[51]  Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 précisait que les renseignements fournis par la demanderesse, [traduction] « si avérés », laissaient croire que la conduite alléguée de TC pourrait constituer des actes discriminatoires fondés sur [traduction] « le sexe, la situation de famille et l’état matrimonial » de la demanderesse.

[52]  Le rapport a toutefois conclu que les renseignements ne semblaient pas suffisants pour démontrer que la conduite alléguée était liée à [traduction] « l’origine nationale ou ethnique » de la demanderesse.

A.  Réponse de la demanderesse au rapport fondé sur les articles 40 et 41

[53]  Comme il a été indiqué, la Commission a invité la demanderesse à répondre au rapport fondé sur les articles 40 et 41, ce qu’elle a fait.

[54]  De fait, la demanderesse a présenté trois réponses. Dans sa première réponse datée du 10 août 2012, la demanderesse disait être tenue dans l’ignorance quant à la procédure utilisée et aux progrès réalisés dans l’instruction de sa plainte. Elle demandait qu’on lui fournisse d’autres renseignements – dont certains figuraient déjà dans le rapport fondé sur les articles 40 et 41 qui lui avait été remis.

[55]  Plus important encore, c’est à ce moment-là que la demanderesse a demandé, pour la première fois, que sa plainte soit modifiée afin d’y inclure l’ACEP à titre de défenderesse. Elle a voulu également savoir qui était responsable de l’examen de sa plainte contre TC. Elle a demandé qu’on lui fournisse des copies de tous les échanges de renseignements entre la Commission et TC, ainsi que des renseignements sur les procédures à suivre pour formuler une plainte contre le personnel de la Commission.

[56]  Dans sa deuxième réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41, datée du 24 août 2012, la demanderesse a demandé entre autres que ses allégations soient aussi examinées en regard de motifs fondés sur [traduction] « l’origine nationale ou ethnique et le harcèlement » [caractères gras dans l’original]. Ailleurs dans la documentation de la demanderesse, le mot [traduction] « harcèlement » était souligné et écrit en caractères gras. Il ne fait donc aucun doute que la demanderesse voulait que son allégation de discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique soit prise en compte, contrairement à ce que recommandait le rapport fondé sur les articles 40 et 41. Elle voulait également que le « harcèlement » soit ajouté à ses motifs de plainte contre TC.

[57]  Dans sa réponse, la demanderesse fournissait toutefois très peu de détails pour étayer ses allégations de discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique.

[58]  Sa troisième réponse datée du 25 septembre 2012 consistait en une réponse aux commentaires formulés par TC au sujet du rapport fondé sur les articles 40 et 41. La demanderesse y formulait des critiques à l’endroit de l’ACEP et de la Commission; cependant, je ne peux conclure que les renseignements fournis par la demanderesse à la Commission auraient raisonnablement permis à cette dernière d’ajouter l’ACEP à titre de défenderesse. Je ne peux conclure non plus que les renseignements fournis par la demanderesse dans sa troisième réponse auraient été suffisants pour que la Commission, agissant raisonnablement, fasse ce que la demanderesse elle-même n’avait pas fait, à savoir qu’elle ajoute le harcèlement ou des représailles comme motifs supplémentaires de discrimination de la part de TC.

[59]  En toute déférence, aucune des trois lettres de la demanderesse (du 10 août 2012, du 24 août 2012 ou du 25 septembre 2012) examinées globalement ne fournit quelque motif raisonnable au titre duquel la Commission, agissant raisonnablement, aurait pu ajouter l’ACEP comme défenderesse ou ajouter le harcèlement ou les représailles comme motifs distincts de plainte contre TC.

B.  La Commission accepte de statuer sur la plainte en menant une enquête

[60]  Aux termes d’une décision rendue le 10 octobre 2012, la Commission a décidé, en application du paragraphe 41(1) de la LCDP, de statuer sur la plainte. C’est ce que recommandait le rapport fondé sur les articles 40 et 41. C’est également, en termes généraux, ce que la demanderesse demandait, même si le harcèlement n’avait pas été ajouté et que l’ACEP n’était pas désignée comme défenderesse.

[61]  La demanderesse n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 octobre 2012, en application du paragraphe 41(1), comme elle aurait pu le faire et bien que la Commission l’ait informé que tel était son droit. Ce fait non contesté a été confirmé non seulement par le dossier, mais aussi par les observations formulées par les parties après l’audience.

[62]  De plus, la demanderesse n’a pas déposé de plainte de discrimination contre l’ACEP comme il lui était loisible de faire. Elle n’a pas non plus déposé de plainte de harcèlement en application du paragraphe 14(1), ni de plainte de représailles en application de l’article 14.1 de la LCDP.

[63]  Dans la situation actuelle, et selon ce que je comprends des observations de la demanderesse, celle-ci considère que la Commission a commis une erreur en omettant d’ajouter l’ACEP comme défenderesse. La demanderesse soutient également que la Commission aurait dû modifier sa plainte pour permettre l’ajout de motifs de harcèlement et de représailles de la part de TC.

[64]  À mon humble avis, aucune de ces deux observations n’est fondée.

[65]  Je ne suis pas convaincu que la documentation produite par la demanderesse en préparation du rapport fondé sur les articles 40 et 41, ou que ses réponses à ce rapport, si avérées, constituent des fondements justifiant la modification de la plainte afin d’y ajouter des allégations de harcèlement ou de représailles de la part de TC. Les éléments de preuve sur ces deux questions sont tout simplement insuffisants. Par conséquent, la décision de la Commission concernant le rapport fondé sur les articles 40 et 41, et donc sa décision de passer à l’étape suivante, sont défendables relativement au dossier qui lui a été présenté. J’examinerai cette question dans le contexte du rapport d’enquête (rapport fondé sur les articles 43 et 44), ultérieurement dans les présents motifs. Je répondrai donc par la négative à certains volets des questions 1 et 3 portant sur le rapport fondé sur les articles 40 et 41 :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’ajouter et d’examiner le motif de harcèlement durant la préparation du rapport fondé sur les articles 40 et 41 (et du rapport d’enquête), malgré les nombreuses demandes de la demanderesse?

  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant de modifier la plainte durant la préparation du rapport fondé sur les articles 40 et 41 et (du rapport d’enquête), afin de permettre à la demanderesse d’ajouter des incidents de représailles, de harcèlement et de discrimination à son endroit de la part de TC, survenus après le dépôt de sa plainte en janvier 2012?

[66]  De plus, toujours selon mon humble avis, ni la plainte déposée par la demanderesse ni la documentation présentée avant ou après le dépôt du rapport fondé sur les articles 40 et 41, ou en lien avec ce rapport, si elles sont avérées, n’offrent à la Commission un fondement raisonnable justifiant l’ajout de l’ACEP comme défenderesse. Par conséquent, la réponse à la question suivante (question 2 ci-après) est « non ».

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre à la demanderesse de déposer une plainte contre l’ACEP et de lui fournir, à cette fin, une trousse du plaignant?

[67]  J’en suis venu à la même conclusion au sujet de l’allégation de la demanderesse selon laquelle la Commission a manqué à l’équité procédurale en ne lui fournissant pas une trousse pour déposer une plainte contre l’ACEP. Je répondrais donc à la question suivante (question no 4) présentée par la demanderesse par la négative :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en privant la demanderesse de son droit à l’équité procédurale en refusant de lui fournir une trousse du plaignant pour déposer une plainte contre l’ACEP?

C.  L’enquête et le rapport fondé sur les articles 43 et 44

[68]  Après que la Commission a accepté de « statuer sur » la plainte, une enquête a été entreprise conformément à l’article 43 de la LCDP. Un groupe de trois enquêteurs ont interrogé neuf personnes, dont la demanderesse, lors de l’enquête. Je note que, lorsque le dossier de la demanderesse a été transféré du deuxième au troisième enquêteur, le troisième enquêteur n’a pas reçu les notes d’entrevue des deux gestionnaires de TC. Le troisième enquêteur a donc dû interroger de nouveau ces deux gestionnaires de TC. Alors que l’avocat de TC était présent, à juste titre à mon avis, lors de la première entrevue de ces deux gestionnaires de TC, il ne l’était pas pour la deuxième entrevue. La demanderesse se plaint que TC a guidé ses témoins et a obtenu un avantage indu du fait que ses témoins ont pu témoigner deux fois; aucun élément de preuve ni fondement ne corrobore l’une ou l’autre de ces allégations. Je suis d’avis que le processus suivi pour compenser l’absence de notes était équitable sur le plan procédural.

[69]  Relativement tôt durant l’enquête, le 10 mai 2013, la demanderesse a écrit à maintes reprises à la Commission pour lui demander d’ajouter l’ACEP; or, peu avant, la Commission avait informé la demanderesse qu’elle devait pour ce faire déposer une nouvelle plainte. Cette réponse lui a été répétée. La demanderesse cherchait également à savoir si la Commission devrait se pencher sur des questions survenues après le dépôt de sa plainte et pendant son congé d’invalidité, notamment des représailles alléguées exercées de la part de TC. Une réponse immédiate a été envoyée à la demanderesse, à qui il a alors été recommandé de communiquer avec le personnel du service de règlement anticipé de la Commission. Je suis d’avis qu’il s’agissait d’une réponse raisonnable; la demanderesse a déposé une plainte que la Commission a accepté d’étudier après la production d’un rapport fondé sur les articles 40 et 41. Aucune allégation de représailles n’avait jusque-là été formulée et ne faisait partie du mandat de l’enquêteur selon la décision rendue le 10 octobre 2012. La demanderesse a décidé de ne pas suivre le conseil de l’enquêteur à ce sujet. Je ne vois pas comment on pourrait reprocher à la Commission d’avoir agi de manière déraisonnable ou d’avoir manqué aux règles d’équité procédurale dans ces circonstances. De plus, demander à la Commission d’examiner des allégations formulées après le dépôt d’une plainte initiale pourrait donner lieu à des demandes de renseignements interminables, ce qui retarderait considérablement le processus d’enquête. Je ne suis pas convaincu que la plainte de la demanderesse selon laquelle les allégations de représailles n’ont pas été examinées soit fondée.

[70]  Après avoir étudié la question, l’enquêteur a rédigé un rapport fondé sur les articles 43 et 44, le 12 mai 2014. Le rapport recommandait essentiellement le rejet de la plainte par manque de preuve. Tout comme le rapport fondé sur les articles 40 et 41, celui fondé sur les articles 43 et 44 a été envoyé aux parties afin qu’elles le commentent, puis la version commentée a été envoyée à la Commission afin qu’elle procède à l’examen préalable et qu’elle décide si la plainte devrait être instruite plus à fond ou si elle devrait être rejetée.

VIII.  Rapport fondé sur les articles 43 et 44

[71]  L’objectif du rapport fondé sur les articles 43 et 44 était d’aider la Commission à décider : a) si un conciliateur devrait être nommé pour tenter de régler la plainte; b) si une enquête plus approfondie par le Tribunal canadien des droits de la personne était justifiée ou c) si la plainte devrait être rejetée. Le rapport a conclu que la plainte devrait être rejetée :

[traduction]

[La demanderesse] a énuméré plusieurs incidents qui, selon elle, se sont produits entre le moment où elle a été embauchée en 2007 et son départ en congé de maladie, en décembre 2011. Dans certains cas, le défendeur et les témoins ont contesté les commentaires ou conduites allégués. Dans d’autres, le défendeur ou les témoins ont admis les commentaires ou conduites, en précisant toutefois que la plaignante avait exposé la situation hors contexte ou qu’elle invoquait un motif qui n’existait pas.

La demanderesse a fait valoir que le traitement différentiel dont elle a fait l’objet de la part du défendeur était fondé à la fois sur le sexe, l’origine ethnique, la situation de famille et l’état matrimonial. Elle a déclaré ce qui suit [traduction] : « La discrimination et le harcèlement sont exercés d’une manière subtile de sorte que, plus souvent qu’autrement, il n’existe aucun élément de preuve direct ». Cependant, les éléments de preuve recueillis durant l’enquête ne montrent pas que la demanderesse a fait l’objet d’un traitement différentiel défavorable, ou qu’elle a été traitée différemment de ses pairs. Et, plus important encore, aucun élément de preuve convaincant, direct ou autre, n’indique ni même ne suppose que l’un ou l’autre des traitements (de la demanderesse) était lié à un ou à plusieurs motifs prévus dans la LCDP.

[Non souligné dans l’original.]

[72]  Des copies ont été envoyées à la demanderesse et à TC, et tous les deux ont été invités à les commenter. Le 18 juillet 2014, la demanderesse a répondu par la présentation d’un document de 101 paragraphes d’observations détaillées.

[73]  J’examinerai le rapport et les commentaires de la demanderesse plus en détail.

A.  Le rapport fondé sur les articles 43 et 44 concernant l’ajout de la plainte de harcèlement

[74]  Le rapport fondé sur les articles 43 et 44 mentionne que la demanderesse a soulevé des plaintes de discrimination et de harcèlement. Comme il a été indiqué précédemment, le rapport mentionne que la demanderesse a déclaré ce qui suit [traduction] : « [L]a discrimination et le harcèlement sont exercés de manière subtile; par conséquent, plus souvent qu’autrement, il n’existe aucun élément de preuve direct. » Voici, cependant, ce qu’il y est écrit à ce sujet :

[traduction]

Cependant, les éléments de preuve recueillis durant l’enquête ne montrent pas que la demanderesse a fait l’objet d’un traitement différentiel défavorable, ou qu’elle a été traitée différemment de ses pairs. Et, plus important encore, aucun élément de preuve convaincant, direct ou autre, n’indique ni même ne suppose que l’un ou l’autre des traitements (de la demanderesse) était lié à un ou à plusieurs motifs prévus dans la LCDP.

[Non souligné dans l’original.]

[75]  En réponse au rapport fondé sur les articles 43 et 44, la demanderesse a demandé à nouveau que le motif de harcèlement soit ajouté à sa plainte contre TC. Elle n’a toutefois produit aucun élément de preuve à l’appui. Elle prétend que ses allégations n’ont pas été prises en compte et soutient, de ce fait, que la Commission a fait abstraction de sa plainte de harcèlement. La demanderesse allègue en outre qu’un grand nombre des témoins interrogés étaient hostiles envers elle ou étaient les auteurs du harcèlement à son endroit; cependant, elle ne fournit là encore aucune preuve à l’appui. Elle formule de nombreuses affirmations et critiques vagues quant à la manière dont la question du harcèlement a été examinée dans le rapport fondé sur les articles 43 et 44, en indiquant notamment que le rapport n’a pas tenu compte de la gravité des faits qui sous-tendent ses allégations de harcèlement et de discrimination, ni de l’incidence que ces actes ont eue sur elle. Cependant, elle ne fournit pratiquement aucun élément de preuve pour étayer ces allégations.

[76]  La principale conclusion du rapport fondé sur les articles 43 et 44 recommandait de rejeter la plainte par manque de preuve. À mon humble avis, la demanderesse a très clairement été informée qu’elle devait fournir des éléments de preuve pour étayer ses allégations. En réalité, bien que la défenderesse ait présenté une longue réponse au rapport fondé sur les articles 43 et 44, je conclus qu’elle a omis d’étayer ses allégations, ses critiques ne reposant pratiquement sur aucune preuve. Eu égard aux éléments de preuve qui lui ont été présentés et en accord avec une conduite raisonnable, je suis d’avis que rien ne justifiait le rejet de ce rapport par la Commission.

[77]  Compte tenu de ce qui précède et de la grande retenue dont il faut faire preuve envers la Commission lorsqu’elle exerce sa fonction d’examen préalable, je ne suis pas convaincu que la Commission ait agi de manière déraisonnable en refusant d’autoriser la plaignante à modifier sa plainte pour y ajouter un motif de harcèlement de la part de TC.

B  Le rapport fondé sur les articles 43 et 44 concernant l’ajout de l’ACEP

[78]  La demanderesse a demandé à la Commission d’ajouter l’ACEP comme défenderesse. Dans sa réponse, la Commission a indiqué à maintes reprises à la demanderesse qu’elle devait communiquer avec la Commission en utilisant la ligne téléphonique sans frais, puis déposer une nouvelle plainte contre l’ACEP si c’est ce qu’elle souhaitait faire. Cependant, pour des raisons qui lui sont propres, la demanderesse a choisi de ne pas suivre la recommandation de la Commission. Je conclus qu’on ne peut reprocher à la Commission d’avoir commis une erreur, puisque la décision a été prise par la demanderesse.

[79]  Dans son examen des va-et-vient entre la Commission et la demanderesse au sujet de l’ajout de l’ACEP comme partie défenderesse, le rapport fondé sur les articles 43 et 44 précise à juste titre ce qui suit :

[traduction]

5.  La plaignante est syndiquée. Sur son formulaire de plainte, elle déclare avoir demandé l’aide de son syndicat (l’Association canadienne des employés professionnels), mais en vain. À quelques occasions, durant ses communications avec le personnel de la Commission, la plaignante a demandé que le syndicat soit ajouté à la présente plainte à titre de deuxième défendeur. À chacune de ces occasions, le personnel de la Commission a informé la demanderesse que ses allégations contre le syndicat devaient faire l’objet d’une plainte distincte. À la dernière occasion, le personnel de la Commission a expliqué à la plaignante, dans une lettre datée du 25 avril 2013, qu’elle devait parler à un agent de la Division du règlement anticipé de la Commission au sujet du dépôt d’une plainte contre le syndicat. À ce jour, aucune plainte contre le syndicat n’a été déposée par la plaignante.

[80]  Comme elle avait le droit de le faire, la demanderesse a, le 18 juillet 2014, présenté une réponse à cette question soulevée dans le rapport fondé sur les articles 43 et 44, en précisant les raisons pour lesquelles elle refusait de suivre la recommandation de la Commission de déposer une nouvelle plainte contre l’ACEP :

[traduction]

17  Lors du premier contact entre la plaignante et la personne-ressource de la CCDP, Melanie, le 31 août 2010, et par la suite avec une autre personne-ressource, Mme Caroline Audet, le 12 octobre 2010, la plaignante a répété tous les faits relatifs à sa plainte, notamment qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination de la part des gestionnaires de son employeur et de son syndicat. Mme Audet a attribué au dossier de la plaignante un numéro (i1003738).

[…]

21  La plaignante n’a pas suivi la recommandation de la CCDP de déposer une nouvelle plainte auprès de la CCDP, en communiquant de nouveau avec le service de renseignements de la CCDP ou avec la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), parce que les motifs contre le syndicat et les motifs de harcèlement avaient été exposés aux agents de la CCDP ayant reçu la plainte en août 2010 et le 12 octobre 2010 et, comme il est mentionné précédemment, qu’ils ont été répétés à Mme Allen lorsque la plaignante l’a contactée en septembre 2011 et qu’ils sont exposés dans la présente plainte. Le fait que la CCDP a perdu ces renseignements ne concerne nullement la plaignante. Cela relève de la responsabilité de la CCDP. Au moment où la CCDP a informé la plaignante de son refus, les délais pour déposer une plainte auprès de la CCDP ou de la CRTFP étaient déjà prescrits. Le mauvais traitement de la plainte de la plaignante constitue un déni d’accès à la justice.

[81]  À mon humble avis, ces motifs ne justifient guère le rejet de la recommandation de la Commission de présenter une nouvelle plainte contre l’ACEP. Je suis d’avis que la Commission, en envoyant la trousse du plaignant à la demanderesse le 13 décembre 2011, en plus de tous les autres documents, renseignements, fiches de conseils et instructions connexes, a satisfait à son obligation d’offrir à la demanderesse une aide pour remplir le formulaire comme elle l’entendait. La Commission a clairement expliqué à la demanderesse ce qu’elle devait faire pour déposer une plainte contre l’ACEP. En bref, la demanderesse n’a pas tenu compte du conseil qui lui avait été donné et elle ne peut aujourd’hui se soustraire aux conséquences de ses décisions.

[82]  De plus, l’ajout d’une partie à une instance est une question importante, en particulier au stade du rapport fondé sur les articles 43 et 44, car, à ce stade, la partie ajoutée serait privée de son droit de contester la plainte, notamment au motif qu’elle est frivole ou vexatoire ou qu’elle pourrait mieux être instruite selon les procédures pertinentes d’examen du harcèlement ou de règlement des griefs en milieu de travail – des questions relevant du paragraphe 41(1) de la LCDP. Je note que la Commission a, à juste titre, reconnu le principe général selon lequel des plaintes distinctes doivent être déposées contre des défendeurs distincts. Cette règle est confirmée par l’article 3.5.2.7 du manuel des procédures de la Commission canadienne des droits de la personne sur le règlement des différends (le manuel), qui dispose que, [traduction] : « [d]ans les cas où il est allégué que deux défendeurs ou plus ont participé à un acte discriminatoire, des formulaires de plainte distincts doivent être déposés contre chaque défendeur ».

[83]  Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que le rapport fondé sur les articles 43 et 44 témoigne d’un manquement à l’équité procédurale ou d’un caractère déraisonnable en ce qui concerne la demanderesse.

IX.  Décision

[84]  Par la suite, dans une lettre datée du 19 septembre 2014, la Commission a rejeté la plainte aux termes de l’article 44 de la LCDP, ce qui a donné lieu au présent contrôle judiciaire. En ce qui concerne la plainte de la demanderesse contre TC, la Commission avait en main le rapport fondé sur les articles 43 et 44 et les observations de la demanderesse. La Commission a déclaré ceci :

[traduction]

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué ainsi que toutes les observations présentées en réponse au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte au motif que :

Les éléments de preuve ne semblent pas indiquer que la plaignante a fait l’objet (de la part de TC) d’un traitement différentiel défavorable sur des questions liées à l’emploi pour des motifs fondés sur le sexe, l’origine nationale ou ethnique, la situation de famille ou l’état matrimonial.

Par conséquent, le dossier sur cette question est maintenant clos.

A.  Conclusions sur les questions principales : ajout d’une plainte de harcèlement et de l’ACEP

[85]  Précédemment dans les présents motifs, j’ai examiné les deux principales questions soulevées par la demanderesse au moment où la Commission, en se basant sur le rapport fondé sur les articles 40 et 41, a décidé de statuer sur la plainte contre TC.

[86]  J’examinerai maintenant ces deux questions en regard de la décision rendue par la Commission sur la base du rapport fondé sur les articles 43 et 44. Je rappellerai brièvement que ces questions visent à déterminer si la Commission a commis une erreur, c’est-à-dire si elle a agi d’une manière déraisonnable ou enfreint les règles d’équité procédurale, en ne modifiant pas la plainte pour y ajouter des motifs de harcèlement et de représailles, et en n’ajoutant pas l’ACEP comme partie défenderesse dans la plainte contre TC.

[87]  D’après l’ensemble du dossier sur les rapports fondés sur les articles 40 et 41 et sur les articles 43 et 44, notamment la plainte proprement dite déposée par la demanderesse et plusieurs de ses observations présentées à la Commission au sujet de ces deux rapports, je ne suis pas du tout convaincu qu’il y ait eu manquement à l’équité procédurale ou que la Commission ait agi de manière déraisonnable. Selon mon évaluation globale, la demanderesse a été traitée équitablement pour les motifs précités. En ce qui a trait au caractère raisonnable, les décisions rendues par la Commission concernant l’ajout de motifs de harcèlement et de représailles contre TC appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[88]  Pour les motifs énoncés, je répondrais donc par la négative à chacune des questions suivantes de la demanderesse :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’ajouter et d’examiner le motif de harcèlement durant la préparation du rapport fondé sur les articles 40 et 41 et du rapport d’enquête, malgré les nombreuses demandes de la demanderesse?

  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre à la demanderesse de déposer une plainte contre l’ACEP et de lui fournir, à cette fin, une trousse du plaignant?

  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant de modifier la plainte durant la préparation du rapport fondé sur les articles 40 et 41 et du rapport d’enquête, pour permettre à la demanderesse d’ajouter d’autres incidents de représailles, de harcèlement et de discrimination à son endroit de la part de TC, survenus après le dépôt de sa plainte en janvier 2012?

  4. La Commission a-t-elle commis une erreur en privant la demanderesse de son droit à l’équité procédurale en refusant de lui fournir une trousse du plaignant pour déposer une plainte contre l’ACEP?

[89]  J’examinerai maintenant les autres questions soulevées par la demanderesse.

B.  Refus d’accorder une mesure d’adaptation à la demanderesse pour lui permettre de communiquer avec la Commission par courriel

[90]  Voici ce que la demanderesse écrit à ce sujet :

[traduction]

[…] en raison de sa situation, la demanderesse avait besoin de mesures d’adaptation pour participer au processus; or, tout au long du processus, [la CCDP] a insisté pour que la demanderesse communique par téléphone, ce qui allait à l’encontre de ses besoins.

[91]  Cette plainte est sans fondement. D’après les faits en l’espèce, il me semble que la majeure partie des communications et des rapports entre les enquêteurs et la Commission, d’une part, et la demanderesse, d’autre part, se sont faits par courriel. De plus, à mon humble avis, la Commission et son personnel ont autant le droit de s’adresser aux plaignants qu’aux parties dont la conduite fait l’objet de l’enquête, c.-à-d., en l’espèce, les huit autres personnes. Et bien que la demanderesse parle de mesures d’adaptation, je ne suis pas convaincu qu’elle ait fourni suffisamment d’éléments de preuve à la Commission pour donner lieu à une obligation d’adaptation, y compris l’obligation de s’abstenir de parler à la demanderesse. Je dois souligner que la juge Kane a rejeté une plainte comparable dans Georgoulas II, aux paragraphes 99, 108 et 109, étant donné que la Commission avait communiqué avec la demanderesse par écrit et par courriel (comme en l’espèce) et qu’elle n’était pas tenue de communiquer par courriel. Dans les circonstances de l’espèce, le mode de communication est une question procédurale qui relève clairement du mandat de la Commission. La demanderesse n’a pu démontrer qu’il en a résulté quelque préjudice et, à mon avis, elle n’a pas réussi à établir un manquement à l’équité procédurale sur ce point.

C.  La Commission a commis une erreur lorsqu’elle a pris au pied de la lettre les témoignages des témoins rejetant les renseignements présentés par la demanderesse durant l’enquête sur sa plainte et lorsqu’elle a fait abstraction ou a fait une interprétation erronée des éléments de preuve présentés par la demanderesse durant cette enquête

[92]  Ces deux questions sont reliées et concernent le rôle de la Commission dans l’établissement et l’évaluation des faits. L’établissement des faits commande la déférence. Ces questions sont soulevées dans le contexte de la préparation du rapport fondé sur les articles 43 et 44, soit après que la Commission a décidé de mener une enquête. Après examen du dossier, je suis d’avis que les observations de la demanderesse sur ces deux questions sont sans fondement.

[93]  Dans ce contexte, cela soulève un certain nombre de questions. En général, je constate que bon nombre des allégations de la demanderesse ne sont que de vagues allégations au sujet de droits légitimes qui ne sont pas étayées par suffisamment d’éléments de preuve et qui même, dans certains cas, ne reposent sur aucun élément de preuve. J’examinerai certaines des allégations de la demanderesse, comme suit :

  • La demanderesse est préoccupée par le processus d’entrevue. Aucun élément de preuve ne permet de conclure qu’il y a eu irrégularité ou manquement à l’équité. Les observations à cet égard sont sans fondement;

  • Aucun élément de preuve n’indique qu’un enquêteur [traduction] « contrôlait le processus d’entrevue », comme l’a déclaré la demanderesse;

  • Il n’existe aucune preuve d’interférence dans le processus d’entrevue, comme l’a déclaré la demanderesse;

  • La demanderesse n’avait aucun droit de savoir qui serait interviewé, comme elle l’a déclaré;

  • TC avait le droit de se préparer et d’assister aux entrevues de ses employés; la critique de la demanderesse à ce sujet est malavisée;

  • Le fait que le rapport fondé sur les articles 40 et 41 a établi un lien entre les pratiques alléguées et les motifs invoqués n’empêche pas le rejet de la plainte par la Commission, faute de preuve, après la présentation d’un rapport fondé sur les articles 43 et 44; s’il en était autrement, à quoi cela servirait-il de produire un tel rapport?

  • Il n’est nullement inéquitable, de la part de la Commission, de trancher à l’encontre d’un demandeur après avoir examiné le rapport fondé les articles 43 et 44 et après avoir accepté de mener une enquête sur la base du rapport fondé sur les articles 40 et 41; ce résultat est une conséquence normale et acceptable du processus d’examen préalable en deux étapes;

  • La demanderesse n’avait aucun droit de contre-interroger les témoins de TC ni de les faire témoigner sous serment, comme elle semble prétendre;

  • Rien n’indique qu’interroger de nouveau les témoins, lorsque les notes originales ont été perdues, équivaut à [traduction] « aider le défendeur à modifier ses arguments ».

[94]  En ce qui a trait à l’établissement des faits, la décision de la Commission repose en grande partie sur le rapport fondé sur les articles 43 et 44, un rapport très détaillé de dix-neuf pages. Le rapport fondé sur les articles 43 et 44 est basé sur les entrevues réalisées par les enquêteurs avec neuf personnes, dont la demanderesse. De fait, ce rapport examine chaque document et chaque élément fondamental de la plainte, et ce, d’une manière qui, à mon avis, est considérablement détaillée. Essentiellement, la demanderesse fait valoir que les éléments de preuve qui lui étaient défavorables ont été pris en compte, alors que les éléments qui appuyaient sa position ont été écartés. Je suis d’avis que le résultat du processus d’enquête et de recommandation était prévisible et qu’il est, en l’espèce, raisonnable. À mon humble avis, les plaintes fondamentales de la demanderesse ont été examinées et des recommandations ont été formulées. Je suis d’avis que le rapport fondé sur les articles 43 et 44 était juste et raisonnable.

[95]  Ces deux motifs étant sans fondement, j’examinerai maintenant un autre argument de la demanderesse.

D.  La Commission a-t-elle instruit la plainte de la demanderesse d’une manière neutre et exhaustive?

[96]  La Commission a un devoir de minutie. Cependant, dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 (Bergeron), le juge Stratas insiste, au paragraphe 74 et dans les paragraphes qui suivent, sur le fait que la jurisprudence n’exige pas que la Commission procède à une enquête « approfondie » et « complète » ou « la plus complète possible ». Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, s’il est vrai qu’une enquête se doit d’être approfondie, l’enquêteur n’est pas tenu d’examiner l’affaire sous tous les angles possibles et imaginables. De plus, la rigueur d’une enquête dépend des circonstances propres à chaque affaire. La rigueur d’une enquête doit aussi être déterminée en fonction du besoin d’avoir un système d’examen des plaintes qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. Plus important encore, la Cour d’appel fédérale a conclu que seules les « questions fondamentales » doivent faire l’objet d’une enquête, afin que les plaignants puissent être informés des « motifs généraux » de la preuve produite contre eux. Autrement dit, on ne conclura à une enquête lacunaire justifiant l’octroi d’une mesure de réparation que s’il y a eu une « omission déraisonnable » dans l’enquête ou si l’enquête est « manifestement déficiente ». Par exemple, le défaut d’examiner une preuve manifestement importante entraînera une conclusion de manquement à l’équité procédurale s’il y a eu une omission que la présentation d’observations supplémentaires ne peut compenser [...].

[97]  Il semble que la demanderesse en l’espèce a fait la même interprétation erronée du droit que l’appelante dans l’arrêt Bergeron. Ce que recherche la demanderesse en l’espèce est un rapport fondé sur les articles 43 et 44 qui soit le plus complet possible. Cependant, ce n’est pas ce que la loi prescrit.

[98]  La question véritable qui se pose est donc de savoir si ce rapport aborde les questions fondamentales, ou s’il est lacunaire du fait qu’il comporte une omission déraisonnable ou qu’il est manifestement déficient. Selon moi, le rapport fondé sur les articles 43 et 44 traite des aspects fondamentaux de la plainte de la demanderesse, et il satisfait au critère de la Cour d’appel fédérale. Il n’est pas manifestement déficient et il ne comporte aucune omission déraisonnable.

[99]  Je ne suis pas convaincu que les critiques de la demanderesse soient fondées. En ce qui concerne certaines préoccupations précises de la demanderesse :

·  Comme je l’ai déjà conclu, aucun élément de preuve ne justifie l’insistance dont la demanderesse a fait preuve pour que le harcèlement soit ajouté aux motifs de sa plainte contre TC, ni son argument selon lequel l’ACEP devrait être ajoutée comme défenderesse. Ces requêtes ne sont pas étayées par les éléments de preuve que la demanderesse a choisi de présenter à la Commission. À cet égard, et comme je l’ai indiqué précédemment, le rapport fondé sur les articles 43 et 44 recommandait le rejet de la plainte, essentiellement parce que la demanderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui à la Commission. En lui faisant parvenir le rapport fondé sur les articles 43 et 44, la Commission a expressément invité la demanderesse à y répondre. Selon toute logique, elle aurait dû dans sa réponse fournir les éléments de preuve jugés manquants dans le rapport fondé sur les articles 43 et 44. La demanderesse a toutefois choisi de ne pas fournir les éléments de preuve manquants dans sa réponse à ce rapport, ce qui me porte à conclure qu’elle n’en avait aucun à produire;

·  La demanderesse allègue que la Commission était tenue d’examiner « l’ensemble du dossier » avant de rendre une décision. La loi présume que c’est ce qu’ont fait les enquêteurs. De plus, je ne suis pas convaincu que ce n’est pas ce qu’ont fait les enquêteurs en préparant le rapport fondé sur les articles 43 et 44. La demanderesse avait le droit de présenter une réponse à ce rapport, ce qu’elle a fait en produisant une réponse de 101 paragraphes, et cette réponse a été communiquée à la Commission en sa qualité de décideur. Je ne décèle aucun manquement à l’équité à cet égard;

·  Il me semble que la demanderesse est tout simplement en désaccord avec les conclusions du rapport fondé sur les articles 43 et 44. Cependant, il va sans dire qu’il ne suffit pas de s’opposer à la décision rendue à l’étape de l’examen préalable et de l’annuler, loin de là;

·  Contrairement à l’arrêt Bergeron, la demanderesse soutient que les rapports relatifs aux articles 40 et 41 et 43 et 44 [traduction] « n’abordent pas l’ensemble des questions qu’elle a soulevées et des renseignements à l’appui qu’elle a présentés dès le moment où elle a communiqué des renseignements suffisants à la Commission, le 10 octobre 2010 ». Cette observation est sans fondement; elle repose sur une méconnaissance des décisions contraires rendues par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bergeron.

[100]  En toute déférence, je ne suis pas convaincu que la Commission ait manqué de neutralité dans son traitement et son règlement de la plainte de la demanderesse. Pour satisfaire au critère permettant d’établir un manque de neutralité, la demanderesse doit déterminer si l’enquêteur « a abordé l’affaire avec un “esprit fermé” » ou s’il a « préjugé de l’affaire » : Abi-Mansour c Canada (Agence du revenu), 2015 CF 883, sous la plume du juge Leblanc, au paragraphe 51 :

[51]  Le fardeau de démontrer l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité incombe à la partie qui allègue la partialité. Étant donné qu’une allégation de partialité est une allégation très grave parce qu’elle met en doute l’intégrité du décideur dont la décision est attaquée, le fardeau de preuve est lourd. Un simple soupçon de partialité n’est donc pas suffisant pour établir une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité. (R c RDS, [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 112). En outre, étant donné que sa fonction d’examen préalable n’est pas une fonction de nature décisionnelle, la Commission n’est pas tenue à la même norme d’impartialité que les tribunaux judiciaires. Le critère applicable tient donc non pas à la question de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de l’enquêteur, mais plutôt à celle de savoir si l’enquêteur « a abordé l’affaire avec un “esprit fermé” » (Sanderson c Canada (Procureur général), 2006 CF 447, 290 FTR 83, au paragraphe 75; Gerrard c Canada (Procureur général), 2010 CF 1152, au paragraphe 53; Gosal c Canada (Procureur général), 2011 CF 570, au paragraphe 51).

[101]  Comme l’a déclaré la juge Mactavish dans la décision Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837, aux paragraphes 23 et 24 :

[23]  Cela dit, vu la nature non décisionnelle des responsabilités de la Commission, il a été statué que la norme d’impartialité exigée d’un enquêteur de la Commission est moins stricte que celle qui s’applique aux membres de la magistrature. Plus précisément, il ne s’agit pas de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de cet enquêteur mais plutôt de savoir s’il a abordé l’affaire avec un « esprit fermé » : voir Zündel c. Canada (Procureur général) (1999), 175 D.L.R. 512, aux paragraphes 17 à 22.

[24]  Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Société Radio-Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), le critère à appliquer dans les affaires semblables à la présente est le suivant :

[L]e critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête.

[102]  L’allégation de la demanderesse selon laquelle la Commission a fait preuve d’étroitesse d’esprit ou a préjugé de l’affaire est sans fondement. La demanderesse allègue également que les enquêteurs et le commissaire ont délibérément fait montre d’aveuglement ou d’insouciance. Ces allégations sont elles aussi sans fondement. Le mémoire des faits et du droit de la demanderesse ne comporte aucune observation factuelle importante à ce sujet et énonce au contraire de vagues allégations juridiques qui ne sont pas corroborées par des faits. Il va sans dire que la demanderesse ne peut avoir gain de cause de cette manière; la preuve doit être beaucoup plus étoffée.

[103]  Dans sa plaidoirie, la demanderesse a invoqué des observations déjà examinées concernant l’ajout du harcèlement et l’ajout de l’ACEP à titre de défenderesse. Or, il a déjà été conclu que ces deux allégations sont sans fondement. Également durant la plaidoirie, la Cour a entendu des arguments qui rappelaient en quelque sorte des observations déjà rejetées au sujet du processus d’entrevue des témoins. Bref, la demanderesse n’a pas réussi à établir que la Commission a fait montre d’étroitesse d’esprit ou de préjugement. Cet argument ne peut donc pas être retenu.

E.  La décision est-elle raisonnable?

[104]  Il s’agit de la dernière question soulevée par la demanderesse. Cependant, cette question avait déjà été soulevée et examinée en lien avec les questions concernant l’ajout du harcèlement et des représailles comme motifs de plainte contre TC, ainsi que l’ajout de l’ACEP comme défenderesse devant la Commission. Le mémoire des faits et du droit de la demanderesse contient au plus quatre maigres paragraphes sur cette question. La demanderesse soutient qu’elle n’a pas été autorisée à présenter ses arguments intégralement et équitablement – une allégation qui, à mon avis, fait référence à ces deux mêmes questions, à savoir l’ajout du harcèlement et de l’ACEP comme partie à l’instance; je n’ai pas besoin d’en dire davantage sur l’une ou l’autre question. La demanderesse allègue en outre que la Commission n’avait pas en main tous les éléments de preuve nécessaires pour rendre une décision; cette question est liée à la précédente. Dans sa plaidoirie, la demanderesse a fait valoir que la Commission était tenue d’examiner toutes les circonstances de l’affaire, mais ne l’a pas fait – or, comme il a été indiqué précédemment, cette proposition a été rejetée dans l’arrêt Bergeron.

[105]  Je ne suis pas convaincu que les observations de la demanderesse sur cette question soient valables en droit.

X.  Conclusion

[106]  J’ai examiné le dossier et les observations des parties. Les plaidoiries dans la présente affaire ont duré près de neuf heures, échelonnées sur deux jours (à la demande de la demanderesse et d’après l’évaluation par la Cour de son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins personnels de la demanderesse). À mon humble avis, la demanderesse n’a pas été victime d’un manquement à l’équité procédurale et, à cet égard, sa demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. En ce qui a trait au caractère raisonnable, je suis conscient qu’il ne s’agit pas de faire une chasse au trésor à la recherche d’erreurs. Il ne s’agit pas non plus de faire la somme des éléments favorables et défavorables. La Cour suprême du Canada exige plutôt que je prenne du recul et que j’examine l’affaire comme un tout. Il n’y a pas de problème de justification, de transparence ou d’intelligibilité. Le caractère raisonnable exige également que la décision appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, conformément à l’arrêt Dunsmuir. À mon humble avis, la décision appartient à ces issues. Par conséquent, le contrôle judiciaire à l’encontre de TC et de l’ACEP doit être rejeté.

XI.  Dépens

[107]  Le défendeur, le procureur général du Canada, demande des dépens de 2 800 $, tout compris, s’il a gain de cause. L’ACEP demande des dépens de 4 500 $, tout compris, si elle a gain de cause. Je ne vois aucune raison pour laquelle la Cour devrait s’écarter de la règle habituelle selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause, et je n’ai reçu aucune observation sur cette question. Les montants d’argent demandés sont raisonnables; bien que le montant d’argent auquel l’ACEP soit admissible est plus élevé, il est corroboré par un mémoire de frais; de plus, il ne faut pas oublier que l’ACEP a été ajoutée comme partie au litige unilatéralement et de manière inappropriée, alors qu’elle n’avait pas été partie aux instances inférieures, et qu’elle a dû assumer, de ce fait, les frais du litige uniquement à cause d’actions injustifiées de la part de la demanderesse. Je suis d’avis que les montants demandés devraient être adjugés, respectivement, au procureur général du Canada et à l’ACEP.

XII.  Affidavit

[108]  J’aimerais ajouter que le défendeur, le procureur général du Canada, a demandé à la Cour de déclarer l’inadmissibilité de certains renseignements contenus dans les affidavits de la demanderesse, plus précisément les paragraphes 83 à 90 de l’affidavit du 18 novembre 2014 et les paragraphes 1 à 4 et 7 et la pièce A de l’affidavit supplémentaire daté du 31 août 2017, car le principe général veut que le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20. Je souscris à ce principe général. Je conclus par ailleurs que les renseignements contestés n’étaient peu ou pas pertinents; je n’en ai donc pas tenu compte dans les présents motifs.

XIII.  Intitulé

[109]  La demanderesse a désigné à tort Transports Canada comme défendeur dans l’intitulé de la cause, alors qu’elle aurait dû désigner le procureur général du Canada. Par conséquent, l’intitulé est modifié de manière à radier Transports Canada et à le remplacer par le procureur général du Canada comme défendeur; cette modification prend effet immédiatement.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2148-14

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé est modifié de manière à radier Transports Canada et à le remplacer par le procureur général du Canada; cette modification prend effet immédiatement.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il est ordonné à la demanderesse de verser des dépens de 2 800 $, tout compris, au procureur général du Canada.

  4. Il est ordonné à la demanderesse de verser des dépens de 4 500 $, tout compris, à l’Association canadienne des employés professionnels.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2148-14

 

INTITULÉ :

OURANIA GEORGOULAS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 25 juin 2018 et le 28 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Ourania Geourgoulas

 

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Peter Englemann

 

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Matthew Johnson

 

Pour la défenderesse

L’Association canadienne des employés professionnels

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Goldblatt Partners LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

L’Association canadienne des employés professionnels

 

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