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Date : 20180831


Dossier : IMM-5548-17

Référence : 2018 CF 877

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

MENGTING LI

WEIQIU YANG

HAOCHENG YANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Mengting Li, son mari et son fils âgé de 20 ans sont des citoyens de la République populaire de Chine. Ils sont arrivés au Canada en septembre 2014 et ont présenté une demande d’asile fondée sur la pratique du Falun Gong par Mme Li et sur leurs allégations de persécution par le Bureau de la sécurité publique chinois (BSP) résultant de cette pratique.

[2]  La Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés a rejeté l’appel des demandeurs en raison de préoccupations relatives à la crédibilité soulevées par les nouveaux éléments de preuve déposés à la SAR et des éléments de preuve présentés à la Section de la protection des réfugiés (SPR). La SAR a également rejeté la demande sur place présentée par les demandeurs après avoir porté une conclusion défavorable quant à la crédibilité générale et estimant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les autorités chinoises avaient été informées des activités de Mme Li liées au Falun Gong au Canada.

[3]  Lors du contrôle judiciaire de la décision de la SAR, les demandeurs ont soutenu que la SAR avait fait erreur dans son évaluation de la crédibilité et qu’elle n’avait pas tenu compte des éléments de preuve propres à la demande sur place.

[4]  La norme de contrôle applicable à ces questions n’est pas contestée. La norme de la décision raisonnable s’applique à l’analyse que la SAR a faite des éléments de preuve dans son examen du statut de réfugié au sens de la Convention (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30 à 35).

II.  Analyse

A.  Les nouveaux éléments de preuve

[5]  Les demandeurs ont présenté une requête à la SAR visant à déposer une assignation qui aurait été délivrée par le BSP le 22 mai 2017. Certains éléments d’information contextuelle sont nécessaires afin de procéder adéquatement au contrôle judiciaire de l’évaluation qu’a faite la SAR de ce nouvel élément de preuve.

[6]  Mme Li a affirmé dans son témoignage qu’elle avait subi une chirurgie pour une tumeur mammaire bénigne en 2007. Sa crainte d’éventuellement développer un cancer du sein l’a menée à adhérer au mouvement Falun Gong à la fin de 2013. Une descente a été faite lors d’une séance de pratique en groupe en mars 2014 et elle a réussi à s’échapper et à se cacher à la maison d’un ami. Le lendemain, les autorités chinoises sont allées à la résidence des demandeurs à sa recherche. Puisqu’elle était absente, ils ont emmené son mari et son fils et les ont détenus toute la nuit pour les interroger. À leur libération, on les a avisés de se présenter au BSP toutes les deux semaines.

[7]  Ils ont néanmoins attendu six mois avant de fuir la Chine. Au cours de cette période, le mari et le fils de Mme Li se seraient présentés dix-huit fois aux autorités chinoises qui les gardaient toute la nuit et leur liaient les mains au cours des interrogatoires (le fait que cette information ne figure pas dans le formulaire Fondement de la demande d’asile des demandeurs fera l’objet de discussion plus tard). Les demandeurs allèguent que depuis leur départ, le BSP a continué à se rendre à leur résidence et au domicile de leurs parents à la recherche de Mme Li.

[8]  L’absence de documents délivrés par le BSP constitue l’une des principales préoccupations relatives à la crédibilité exprimée par la SPR, du fait qu’il a été allégué que le BSP pourchassait sans relâche Mme Li depuis plus de trois ans au moment de la décision de la SPR le 4 mai 2017.

[9]  Les demandeurs ont présenté à la SAR une requête de dépôt d’une assignation non coercitive, en date du 22 mai 2017, deux semaines après le rejet de leur demande d’asile.

[10]  À mon avis, il était raisonnable que la SAR estime que le choix du moment était particulièrement flagrant, le document semblant avoir été soumis en réponse aux conclusions de la SPR. En plus de ce choix suspect du moment, la SAR s’est penchée sur ce qui suit :

a.  L’incohérence structurelle du document par rapport à la preuve documentaire;

b.  Le fait que la délivrance d’une assignation non coercitive ne concorde pas avec l’allégation des demandeurs selon laquelle le BSP se livrait à une recherche acharnée, les plaçait en détention et exigeait qu’ils se présentent obligatoirement toutes les deux semaines. On aurait pu s’attendre à la délivrance d’une assignation coercitive dans ces circonstances;

c.  Le fait que des documents frauduleux, même d’une certaine complexité, sont facilement disponibles et répandus en Chine.

[11]  Les demandeurs font valoir que la SAR a mal interprété une disposition de la Loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité et a commis une erreur en affirmant que l’assignation déposée par les demandeurs avait une durée de vingt-quatre heures. Ils disent aussi qu’en tout état de cause, les procédures entourant les assignations et les subpoenas en Chine s’écartent souvent de la réglementation et des procédures prévues. Selon eux, le caractère variable et arbitraire des procédures d’application de la loi en Chine pourrait expliquer le fait que la mauvaise assignation a été délivrée plus de deux ans après que Mme Li fut devenue une personne d’intérêt pour le BSP.

[12]  Aucun des arguments des demandeurs n’aborde cependant les préoccupations de la SAR concernant le moment de délivrance et la nature de l’assignation. Le premier argument est, à mon avis, sans pertinence, alors que le second est de nature hypothétique. De toute façon, je suis d’accord avec le défendeur qui soutient que la SAR a compris que la période de temps faisait référence à la durée de l’interrogatoire plutôt qu’à la durée de l’assignation. Cela n’aborde toutefois pas les préoccupations de la SAR quant à l’authenticité de l’assignation. Quant au caractère variable et arbitraire des procédures d’application de la loi, cet argument est de nature hypothétique au regard des renseignements objectifs sur le pays auxquels la SAR a fait référence, lesquels indiquent que le format des assignations n’a pas changé depuis 2003 et est censé s’appliquer uniformément dans toute la Chine.

[13]  À mon avis, il était raisonnable que la SAR, à la lumière des éléments de preuve, conclue que l’assignation n’était pas un document authentique, et rejette la requête visant la présentation de nouveaux éléments de preuve.

B.  Les autres questions touchant la crédibilité

1)  Le départ de la Chine

[14]  Tout d’abord, tant la SPR que la SAR ont été troublées par l’allégation des demandeurs selon laquelle ils ont quitté la Chine munis de leurs propres passeports authentiques, puisque Mme Li était recherchée par les autorités chinoises et que son mari et son fils devaient se présenter au BSP toutes les deux semaines jusqu’à ce que le BSP puisse interroger Mme Li.

[15]  La SAR a examiné les éléments objectifs de preuve documentaire suivants à l’appui de ses conclusions :

a)  Le gouvernement chinois administre un réseau informatique national connu sous le nom de projet Bouclier d’or ou Policenet et un système d’information préalable sur les passagers qui enregistre l’information sur les demandeurs dans les bases de données disponibles aux autorités chinoises;

b)  Le passeport d’un voyageur peut être inspecté à quatre reprises au départ de la Chine et peut faire l’objet d’un balayage numérique en deux endroits différents.

[16]  Cette constatation est de plus compatible avec le guide jurisprudentiel du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ce guide repose sur une analyse approfondie de l’efficacité du projet Bouclier d’or et d’autres procédures de contrôle chinoises des sorties des aéroports de Chine réalisée dans l’appel entendu par la SAR portant le numéro de dossier TB6-11632.

[17]  Je suis d’accord avec la SAR que la présente instance se distingue des affaires Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533 et Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402.

[18]  Premièrement, dans les deux cas, notre Cour a examiné les décisions de la SPR rendues avant la publication de ce guide jurisprudentiel.

[19]  En deuxième lieu, les deux décisions étaient fondées sur des éléments de preuve documentaire beaucoup plus anciens suggérant qu’il était possible de quitter la Chine muni de son propre passeport avec l’aide d’un passeur qui soudoyait la personne appropriée. Dans l’affaire Zhang, aucune mention n’était faite du projet Bouclier d’or, tandis que dans le cas qui nous occupe, l’existence du programme et sa portée ont été détaillées par le cartable national de documentation. Dans l’affaire Ren, le demandeur avait rendu un témoignage qui démontrait clairement qu’il avait eu recours à un passeur qui lui avait dit de se rendre à une porte d’embarquement désignée. Cela n’a pas grand-chose à voir avec les éléments de preuve produits par Mme Li en ce qui a trait aux circonstances dans lesquelles les demandeurs ont quitté la Chine.

[20]  La SAR a souligné que le témoignage de Mme Li était de nature vague et hypothétique quant à cette question. Elle a déclaré que leur passeur avait probablement fait les arrangements nécessaires et soudoyé un ou des agents. Elle a ajouté qu’ils ont passé [traduction] « sans problèmes ». Son passeport n’a pas été balayé numériquement au premier point de contrôle, mais elle n’est pas certaine s’il l’a été au second point de contrôle, tout comme elle ne sait pas si les passeports de son mari et de son fils ont été passés au balayage numérique.

[21]  Je conclus que la SAR a pris en considération tous les éléments de preuve et que sa conclusion appartient à la gamme des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

2)  Les passeports manquants

[22]  À mon avis, la SAR pourrait de plus, et à bon droit, tirer une conclusion défavorable relative à la crédibilité des demandeurs en raison de leur omission de produire leurs passeports à la SPR. Compte tenu de la preuve documentaire établissant que les demandeurs devaient présenter une demande à leur bureau local du BSP pour obtenir un passeport, il était loisible à la SAR de conclure que les passeports sont nécessaires pour comparer les dates auxquelles ils ont été délivrés et le moment de la persécution alléguée par les demandeurs. Il était également essentiel de vérifier les antécédents de voyage et si les timbres de contrôle des frontières avaient été apposés dans les passeports.

3)  La détention du mari et du fils

[23]  Enfin, j’estime qu’il était raisonnable que la SAR ne croie pas l’allégation de Mme Li indiquant que son mari et son fils se sont présentés dix-huit fois pour subir des interrogatoires en raison de ses activités liées au Falun Gong, en particulier compte tenu du fait qu’aucun document n’a été délivré à cet effet.

[24]  Il est également significatif que ce renseignement important ne figure pas dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile. Non seulement ils se seraient présentés dix-huit fois à des interrogatoires, mais ils auraient été chaque fois mis en contention et retenus sur une chaise spéciale avec une barre de fer afin d’entraver physiquement leurs mains. Il était raisonnable que la SAR s’attende à ce qu’un tel mauvais traitement, au cœur de la demande d’asile des demandeurs, soit relaté dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile des demandeurs.

[25]  Je ne vois par conséquent aucun motif justifiant l’intervention de notre Cour à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité de la SAR.

C.  La demande sur place

[26]  Les demandeurs font valoir que la SAR a mal compris son rôle puisqu’elle a omis de mener une évaluation de la pratique du Falun Gong au Canada de Mme Li, indépendamment des considérations relatives à la crédibilité globale de la demande portant sur la persécution en Chine. Les demandeurs affirment que la SAR n’a pas tenu compte des lettres et des photographies produites à l’appui de la demande sur place tout simplement en raison de ses conclusions quant à la crédibilité générale.

[27]  Par ailleurs, les demandeurs font valoir que la SAR a commis l’erreur d’estimer que les photographies de la pratique du Falun Gong au Canada de Mme Li ne constituaient pas un élément de preuve convaincant démontrant que ses activités au Canada avaient été portées à l’attention des autorités chinoises ou qu’elle serait perçue comme une véritable adepte de ce mouvement. Les demandeurs invoquent les éléments de preuve documentaire indiquant que les adeptes du Falun Gong au Canada sont surveillés par les autorités chinoises. Étant donné que les demandeurs ont assisté à des événements publics à Toronto, ils soutiennent qu’il y a de fortes raisons de croire que les autorités chinoises en ont été informées.

[28]  À cet égard, j’estime également que l’argument des demandeurs voulant que la SAR ait commis une erreur dans l’évaluation de leur demande sur place ne repose sur aucun fondement.

[29]  Premièrement, je suis d’accord avec les conclusions de notre Cour selon lesquelles il est « permis à la SPR d’évaluer la sincérité d’un demandeur et, par conséquent, la demande d’asile sur place de celui-ci au regard des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à l’authenticité initiale d’une demande d’asile » (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 5, au paragraphe 23). À mon avis, ce serait une erreur d’exiger de la SPR et de la SAR d’analyser chaque question soulevée par un demandeur d’asile, sans égard à la crédibilité des éléments de preuve qu’il a déposés à l’appui d’une autre question. Une évaluation de la crédibilité exige généralement de tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve, et une conclusion défavorable relative à la crédibilité est susceptible de vicier tous les aspects de la demande.

[30]  Quant à la conclusion subsidiaire de la SAR selon laquelle aucun élément de preuve ne démontre que les autorités chinoises aient été informées de la pratique du Falun Gong de Mme Li au Canada, j’estime qu’elle est raisonnable, comme l’enseigne la décision de notre Cour dans l’affaire Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 765, aux paragraphes 27 à 30. Dans cette instance, le juge Alan Diner a conclu qu’il était raisonnable de rejeter une demande sur place en l’absence de tout élément de preuve démontrant que la demande d’asile avait été portée à l’attention des autorités du pays d’origine.

[31]  Les éléments de preuve documentaire démontrant que le gouvernement chinois surveille la pratique du Falun Gong n’est pas en contradiction avec la conclusion de la SAR selon laquelle elle ne disposait d’aucun élément de preuve suggérant que les activités de Mme Li liées à la pratique du Falun Gong aient été portées à l’attention des autorités chinoises. Le fait d’arriver à une conclusion différente constituerait une confirmation que dès qu’un demandeur a participé à des activités du Falun Gong au Canada, sa demande d’asile sur place doit être accueillie. Je ne suis pas d’accord.

III.  Conclusion

[32]  Par les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de la SAR est raisonnable et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5548-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5548-17

INTITULÉ :

MENGTING LI ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2018

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

Pour les demandeurs

Melissa Mathieu

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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