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Date : 20180911


Dossier : IMM-5193-17

Référence : 2018 CF 907

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

FRANKLIN CHINEDU NWALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Franklin Chinedu Nwali sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada par laquelle sa demande de permis d’études a été rejetée. M. Nwali a également fait l’objet d’un constat d’interdiction de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  La décision de l’agent des visas était raisonnable. À la suite d’une entrevue, l’agent a conclu que M. Nwali manquait de crédibilité. Il ne pouvait pas expliquer clairement les divergences dans l’information qu’il a fournie à l’appui de ses nombreuses demandes de permis d’études. Il a présenté une lettre trompeuse d’un de ses employeurs. Il a été incapable d’expliquer de façon satisfaisante pourquoi il n’avait pris en considération qu’une seule université canadienne pour ses études ni la pertinence d’un diplôme offert par cet établissement dans le contexte africain. Il a affirmé vouloir aider son employeur à élargir ses activités en Afrique, alors qu’il travaillait pour un autre employeur à l’époque de sa demande initiale. En définitive, l’agent ne pouvait faire la part entre la vérité et le mensonge.

II.  Énoncé des faits

[3]  M. Nwali est un citoyen âgé de 39 du Nigéria, où il réside à l’heure actuelle. Il travaille comme responsable des achats à Shopdirect Resources Ltd., il est célibataire et n’a pas d’enfants. M. Nwali a présenté une demande d’admission au programme de maîtrise en « Global Management » à l’université Royal Roads en Colombie-Britannique. Sa demande a été acceptée en mai 2016. Depuis lors, il a fait plusieurs tentatives d’obtention d’un permis d’études.

[4]  La première demande de permis d’études de M. Nwali a été rejetée en janvier 2016. Il a présenté une deuxième demande. Lorsque cette demande a été rejetée en août 2016, M. Nwali a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La décision de refus a été renvoyée, sur consentement, pour faire l’objet d’une nouvelle décision. M. Nwali a présenté d’autres observations le 20 janvier et le 12 avril 2017, et la demande a été rejetée une troisième fois le 16 mai 2017. Cette décision a également été renvoyée pour nouvelle décision sur consentement. M. Nwali a présenté d’autres observations le 25 août 2017, et a participé à une entrevue à Accra, au Ghana, le 26 octobre 2017.

[5]  Au cours de l’entrevue, M. Nwali a dit qu’il voulait obtenir un diplôme de l’université Royal Roads afin d’aider son entreprise à se développer en Afrique de l’Ouest et de mieux comprendre les pratiques d’affaires occidentales. Il a admis qu’il n’avait pas pris en considération d’autres universités que la Royal Roads, évoquant seulement le fait que le Canada est un bon endroit pour étudier.

[6]  L’agent des visas a souligné que M. Nwali avait fourni des dates d’emploi divergentes dans ses nombreuses demandes et au cours de l’entrevue. L’avocat du ministre a déposé à la Cour le tableau suivant de ces divergences dont l’exactitude a été acceptée par l’avocat de M. Nwali.

Employeur

Janvier 2016

Juin 2016

Août 2017

Entrevue

Fortis

Décembre 2008-

Février 2010

Décembre 2008-

Septembre 2010

Décembre 2008-

Septembre 2010

Décembre 2008-

Juillet 2010

ALS

Septembre 2012-

Novembre 2013

Septembre 2012-

Juillet 2014

Septembre 2012-

Juillet 2014

Septembre 2012-

Mai 2014

Deuces

Mars 2015-

actuellement

Mars 2015-

actuellement

Mars 2015-

Avril 2017

Mars 2015-

Mars 2017

Shopdirect

--

--

Mai 2017-

actuellement

Avril 2017-

actuellement

Fortis :   Fortis Microfinance Bank

ALS :   Airline Logistical Services

Deuces :   Deuces Supermarket

Shopdirect :  Shopdirect Resources Ltd

[7]  M. Nwali a expliqué que les incohérences sont dues à des erreurs commises de bonne foi. L’agent des visas a cependant souligné que M. Nwali avait produit une lettre de Deuces Supermarket datée du 30 mars 2017 confirmant qu’il était employé comme directeur des ventes, et une offre d’emploi écrite de Shopdirect datée du 20 mars 2017 mentionnant le 3 avril 2017 comme date de début d’emploi. M. Nwali a dit qu’il n’était pas certain d’accepter l’emploi à Shopdirect si on lui accordait le permis d’études. Lorsque l’agent lui a demandé pourquoi il n’avait pas déclaré son emploi à Shopdirect dans sa troisième communication d’observations écrites, transmises le 12 avril 2017, M. Nwali a répondu qu’il pensait qu’il était trop tôt pour présenter cette information.

[8]  L’agent des visas a suggéré à M. Nwali qu’il avait exagéré ses possibilités d’emploi pour créer l’impression qu’il était mieux établi au Nigéria, et pour faire paraître son plan d’études plus raisonnable. L’agent a noté que le frère de M. Nwali avait immigré au Canada, et que des membres de sa famille vivaient en Australie et au Royaume-Uni. Il s’est demandé pourquoi M. Nwali ne chercherait pas également à immigrer. M. Nwali a insisté sur le fait qu’il avait l’intention de retourner au Nigéria, et que son projet d’études devrait lui donner de meilleures possibilités dans son pays.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  L’agent des visas a rejeté la demande de permis d’études de M. Nwali le 9 novembre 2017. Sur la foi des divergences dans les dates de ses anciens emplois, l’agent a conclu que M. Nwali avait exagéré son expérience de travail. L’agent a également noté que M. Nwali avait déclaré dans ses observations datées du 12 avril 2017 qu’il travaillait toujours pour Deuces Supermarket alors qu’il travaillait en fait pour Shopdirect, se présentant ainsi comme un employé stable cumulant deux ans d’ancienneté plutôt que comme un nouvel employé. L’agent a remarqué que M. Nwali avait déclaré que ses études pourraient aider son employeur à étendre ses activités en Afrique, alors qu’il travaillait pour un autre employeur à l’époque de sa première demande de permis d’études.

[10]  L’agent des visas a également estimé que l’explication de M. Nwali pour vouloir étudier à l’université Royal Roads était [traduction] « générique » parce qu’elle était largement centrée sur les avantages qu’offre le Canada et sur le désir de M. Nwali d’acquérir une expérience internationale. Son explication ne tenait pas compte de l’utilité d’une éducation canadienne appliquée au contexte africain. L’agent a conclu qu’il n’avait pas suffisamment d’information cohérente pour [traduction] « faire la part entre la vérité et le mensonge ». L’agent a donc conclu que M. Nwali était interdit de territoire pour fausses déclarations, et a rejeté la demande.

IV.  Question en litige

[11]  La seule question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la conclusion de l’agent des visas de rejeter la demande de permis d’études de M. Nwali et de conclure que ce dernier était interdit de territoire pour fausses déclarations était raisonnable.

V.  Analyse

[12]  La décision d’un agent des visas d’octroyer ou non un permis d’études est susceptible de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284, aux paragraphes 14 à 16). Une conclusion de fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Seraj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, au paragraphe 11 [Seraj]). La Cour n’intervient que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[13]  Le paragraphe 40(1) de la LIPR prescrit ce qui suit : Emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : « directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». En application de l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire visant un ressortissant étranger pour fausses déclarations court pour les cinq ans suivant la décision la constatant.

[14]  Les conclusions quant à l’existence de fausses déclarations ne doivent pas être tirées à la légère. Un demandeur qui est interdit de territoire pour fausses déclarations est exposé à d’importantes conséquences pendant une longue période, en plus de voir sa demande rejetée (Seraj, au paragraphe 1).

[15]  Les principes appliqués par notre Cour dans l’évaluation de l’existence de fausses déclarations en application de l’article 40 de la LIPR ont été examinés de manière approfondie par la juge Cecily Strickland dans l’affaire Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28 [Goburdhun] :

  Il convient d’interpréter l’alinéa 40(1)a) de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous-tend;

  L’article 40 est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, à l’insu du demandeur;

  L’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté;

  l’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur;

  Les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada;

  Le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer;

  Pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend;

  Une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; Il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé;

  Un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande [renvois omis]

[16]  M. Nwali soutient que l’existence de fausses déclarations doit être démontrée de façon convaincante, compte tenu des graves conséquences d’une telle conclusion (citant Seraj, au paragraphe 1, Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815, au paragraphe 31). Il fait valoir que l’agent des visas a rendu une conclusion déraisonnable de fausses déclarations fondée sur une erreur de bonne foi.

[17]  À mon avis, M. Nwali sous-estime la nature et l’ampleur des divergences révélées par son témoignage. L’agent des visas l’a interviewé en personne et a été en mesure d’évaluer son comportement. Dans ses notes d’entrevue, il indique que le témoignage de M. Nwali était parsemé d’un certain nombre d’hésitations et de louvoiements. L’aspect le plus troublant de la demande de M. Nwali était le fait que la lettre de Deuces Supermarket portait la date du dernier jour où il y a travaillé. Dans la lettre, il est déclaré à tort qu’il était toujours un employé. M. Nwali a laissé s’écouler une période de temps excessive avant de corriger cette fausse information. Il était raisonnable que l’agent conclue qu’il s’agissait d’une tentative de M. Nwali de présenter sous un faux jour sa situation d’emploi au Nigéria comme étant plus stable qu’elle ne l’était en réalité.

[18]  L’« exception d’erreur de bonne foi » établie dans l’affaire Medel c (Emploi et Immigration Canada), [1990] 2 CF 345 (CAF) et dans Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 est assez étroite et ne s’applique que dans des circonstances véritablement extraordinaires. Un demandeur doit démontrer qu’il ou elle croyait honnêtement et raisonnablement ne pas avoir fait une présentation erronée sur un fait important. Il incombait à M. Nwali de vérifier l’exactitude de ses observations écrites avant de les signer (Goburdhun, au paragraphe 28 ; Directrice générale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 31). Les demandeurs doivent s’assurer que leurs documents sont complets et exacts, conformément à l’obligation de franchise (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368, au paragraphe 22).

[19]  Il a en outre été conclu que M. Nwali manquait de crédibilité. Il a été incapable d’expliquer de façon satisfaisante pourquoi il n’avait pris en considération que l’université Royal Roads pour ses études ni la pertinence d’un diplôme offert par cet établissement dans le contexte africain. Il a affirmé vouloir aider son employeur à élargir ses activités en Afrique, alors qu’il travaillait pour un autre employeur à l’époque de sa demande initiale de permis d’études. En définitive, l’agent ne pouvait faire la part entre la vérité et le mensonge.

[20]  M. Nwali conteste la décision de l’agent des visas sur deux autres motifs que n’a pas invoqués son avocat dans sa plaidoirie orale. Il soutient que l’agent a omis de prendre des mesures pour vérifier les faits avant de rejeter la demande. Quoiqu’un agent ait l’obligation de résoudre les ambiguïtés et les incohérences dans une demande, cela ne s’applique que si la confusion peut être dissipée par un minimum d’efforts (Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183, au paragraphe 39; Dimgba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 14, aux paragraphes 19 et 20). Le niveau d’équité procédurale auquel le demandeur d’un permis d’études peut s’attendre se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 251, au paragraphe 29).

[21]  M. Nwali se plaint aussi que l’agent des visas a indûment centré son analyse sur la possibilité qu’il puisse avoir « des intentions cachées »; d’abord étudier au Canada, et immigrer légalement en temps et lieu (citant Wijesinghe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 54). Je ne suis pas convaincu que cette considération ait influencé sensiblement la décision de l’agent. La question déterminante était le manque de crédibilité de M. Nwali.

[22]  Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent des visas de rejeter la demande de permis d’études de M. Nwali et de conclure qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations était raisonnable.

VI.  Conclusion

[23]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5193-17

 

INTITULÉ :

FRANKLIN CHINEDU NWALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Rehka McNutt

 

Pour le demandeur

 

Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

CABINET D’AVOCATS

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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