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Date : 20180918


Dossier : IMM-1245-18

Référence : 2018 CF 929

Montréal (Québec), le 18 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

VERONIQUE DEKO OTSHUMBA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est citoyenne de la République démocratique du Congo [RDC]. Le 4 février 2016, elle arrive au Canada munie d’un visa canadien pour aider sa fille qui devait accoucher. Quelques semaines plus tard, elle indique son intention de demander l’asile.

[2]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 21 février 2018, qui confirme une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 22 août 2016. Cette dernière a établi que la demanderesse n’a pas qualité de «réfugiée au sens de la Convention» aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] ni celle d’une «personne à protéger» au sens de l’article 97(1) de la LIPR et a donc rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

I.  Allégations de la demanderesse

[3]  Les allégations de la demanderesse sont exposées dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA].

[4]   La demanderesse et son époux, Lomenge Omba, sont propriétaires de deux commerces, dont l’un est une boutique de vêtements et d’accessoires au marché central de Kinshasa. Son fils, Albert, travaille à la boutique depuis la fin de ses études.

[5]  Albert a toujours été attiré par la politique, mais il n’est jamais devenu membre officiel d’un parti. Il a participé à des manifestations et protestations contre le gouvernement actuel. Le 19 janvier 2016, Albert est arrêté par la police et détenu par l’Agence nationale de renseignements alors qu’il est en compagnie d’activistes pacifiques. Selon les dires d’Albert, il est longuement interrogé, frappé à plusieurs reprises et finalement libéré le lendemain de son arrestation.

[6]  Le 16 février 2016, les partis d’opposition de la RDC déclarent une journée «ville morte», appelant la population à rester chez elle en signe de protestation contre le régime du président Kabila. Albert entend l'appel lancé par l'opposition et n'ouvre pas le commerce familial.

[7]  Le 17 février 2016, des policiers viennent au domicile de la famille pour arrêter la demanderesse et son époux. Les policiers déclarent devoir les arrêter puisqu’Albert leur aurait dit que le commerce appartenait à ses parents. Ils ont donc conclu que les parents avaient demandé à Albert de suivre l’appel de l’opposition. La police aurait également arrêté Albert plus tôt dans la journée. La demanderesse affirme ne pas savoir où Albert et son époux sont détenus et craint même qu’ils aient été abattus afin d’intimider les Congolais à ne pas suivre leur exemple.

[8]  Le 25 avril 2016, la demanderesse dépose sa demande d'asile, alléguant que sa sécurité serait grandement compromise si elle retournait à la RDC parce qu’Albert n’a pas ouvert son kiosque le 16 février 2016. Elle craint d’être arrêtée, persécutée, maltraitée, voire assassinée.

II.  La décision de la SPR

[9]  Le 22 août 2016, la SPR rejette la demande d'asile. La SPR ne croit pas que la police se soit déplacée chez la demanderesse pour l’arrêter avec son époux parce qu’elle était propriétaire du commerce. La SPR constate que la demanderesse n'a pas un profil différent de celui des milliers de commerçants de Kinshasa qui n'ont pas ouvert leurs boutiques le 16 février 2016. Une recherche effectuée par la Direction des recherches de la CISR révèle que les habitants de Kinshasa sont restés massivement chez eux et que le marché central de Kinshasa où se trouve le kiosque de la demanderesse était désert cette journée-là. De plus, la preuve documentaire est silencieuse au sujet des représailles auxquelles pourraient faire face les nombreux commerçants qui ont choisi de fermer leurs boutiques.

III.  La décision de la SAR

[10]  La demanderesse interjette appel devant la SAR, plaidant que la SPR a ignoré son argument qu’elle serait recherchée par les autorités congolaises en raison de l’implication politique de son fils en plus de son statut de commerçant n'ayant pas ouvert sa boutique le 16 février 2016. La SAR rejette l'appel le 21 février 2018, concluant que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible puisqu’elle ne pouvait pas fournir des réponses directes et précises à la SPR lorsqu’interrogée sur son récit. La SAR a notamment rejeté l'argument relatif aux activités politiques du fils car, même si la demanderesse avait indiqué l'implication politique de son fils dans son FDA, «c'est à peine si le sujet du fils fut abordé par [la demanderesse] » durant l'audience devant la SPR. La SAR note qu’il est fort étonnant que la demanderesse soulève cet élément seulement après avoir reçu une réponse négative de la SPR.

[11]  La demanderesse soutient que la SAR a erré en droit et en fait puisqu’elle n’a pas effectué une analyse indépendante de la demande d’asile, se reposant plutôt sur la décision de la SPR. Elle maintient que sa famille a été ciblée, non pas parce qu’elle était commerçante, mais à cause des activités politiques de son fils. Selon la demanderesse, la SAR a refusé d’analyser cet élément principal et primordial de sa demande d’asile, tout comme la SPR qui l’avait ignoré.

IV.  Norme de contrôle

[12]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable, ce qui comprend les décisions concernant la crédibilité. Lorsqu’une décision fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

V.  Analyse

[13]  La demanderesse est très laconique quant aux motifs invoqués au soutien de sa demande. Elle soutient sans ambages que la SAR a omis d’analyser le fondement de sa demande d’asile, soit les activités politiques de son fils, sources des problèmes pour toute sa famille. Or, le dossier démontre que la demande d’asile de la demanderesse a été étudiée avec soin par la SAR. Notons que sa décision n'est pas un simple rejet de l’appel. Force est de constater qu’il y a eu une analyse fort étoffée de l’ensemble de la preuve au dossier, tant testimoniale que documentaire.

[14]  Le dossier devant la SAR se caractérise par une pénurie de preuves corroborant les faits essentiels du récit de la demanderesse, notamment qu’Albert aurait participé à des activités politiques causant des problèmes avec le gouvernement congolais avant le 16 février 2016. Dans son FDA, la demanderesse ne fait pas de lien entre sa demande d’asile et l’implication politique de son fils. Elle ne réussit pas non plus à démontrer que son profil était différent de celui des autres commerçants qui ont participé à la journée «ville morte», d’autant plus qu’elle n’a jamais soulevé l’implication politique de son fils dans son témoignage devant la SPR. La déclaration signée par sa belle-sœur n’ajoute rien à ce sujet.

[15]  La SAR a analysé la preuve devant elle et a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle était recherchée par la police. La décision est intelligible et le raisonnement, transparent.  Il paraît évident que la conclusion de la SAR est une issue possible eu égard aux faits et au droit.

[16]  En outre, il est raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’était pas crédible dans son témoignage. La SAR a analysé son témoignage et n’a pas été convaincue par ses réponses confuses, vagues, incomplètes et contradictoires. À plusieurs reprises, la demanderesse répondait de façon hésitante et louvoyante et se contredisait lorsqu’elle était interrogée au sujet du déroulement des journées du 16 et du 17 février 2016. La demanderesse était incapable de donner une description fiable du marché central où se trouvait sa boutique et celle-ci répondait vaguement lorsque confrontée par la SAR quant aux contradictions de son récit. L’ensemble des circonstances permet à la SAR de conclure que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible et ce, de manière indépendante à la décision de la SPR.

[17]  La SAR a bien identifié et expliqué son rôle d’appel dans sa décision. À la lumière de l’ensemble des motifs de la décision, il est évident que la SAR s’est conformée aux principes développés dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 et a mené une analyse indépendante de celle de la SPR. Le simple fait que la SAR confirme les observations de la SPR ne nuit pas à son analyse indépendante.

[18]  L'intervention de cette Cour ne serait ni justifiée, ni appropriée, dans les circonstances.

[19]  Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune n’est formulée.


JUGEMENT au dossier IMM-1245-18

LA COUR STATUE que :

La présente demande est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1245-18

 

INTITULÉ :

VERONIQUE DEKO OTSHUMBA c MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Odette Desjardins

 

pour LA DEMANDERESSE

 

Lyne Prince

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odette Desjardins

Montréal (Québec)

 

pour lA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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