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Date : 20180918


Dossier : T-447-18

Référence : 2018 CF 925

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SUZANNE LACHANCE

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre du Revenu national (le ministre) de refuser d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation du délai prescrite au paragraphe 256(3) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC (1985), c E-15 (la LTA).

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, Suzanne Lachance, est la copropriétaire d’une maison à Caledon en Ontario. Le 31 octobre 2016, la demanderesse a présenté une demande de remboursement de la TPS/TVH pour les maisons neuves construites par le propriétaire (la demande), ainsi qu’une demande de prorogation de la date limite pour présenter sa demande.

[3]  Le programme de remboursement de la TPS/TVH pour les maisons neuves permet à un particulier de récupérer une partie de la TPS, ou la partie fédérale de la TVH, payée pour une habitation neuve ou rénovée de façon majeure (le remboursement fédéral). Les personnes peuvent aussi être admissibles à un remboursement de la partie provinciale de la TVH (le remboursement provincial).

[4]  Le contribuable doit satisfaire à un certain nombre de conditions pour être admissible à un remboursement. Deux de ces conditions sont pertinentes ici.

[5]  En premier lieu, comme l’indique l’alinéa 256(2)b) de la LTA, la juste valeur marchande de la maison au moment de la construction ou de la rénovation majeure doit être inférieure à 450 000 $. Cette condition ne s’applique qu’au programme de remboursement fédéral.

[6]  L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) publie un guide pour aider les contribuables à comprendre le programme de remboursement, qui s’intitule « Remboursement de la TPS/TVH pour habitations neuves » (le guide). Le guide, à la page 10, précise ce qui suit :
Une personne peut être admissible au remboursement provincial malgré le fait qu’elle soit propriétaire d’une maison valant plus de 450 000 $ :

Si vous êtes un particulier et que vous avez payé la TVH pour construire une maison ou effectuer des rénovations majeures à une maison, pour construire un ajout majeur qui constitue une partie de la rénovation de votre maison ou pour convertir un bâtiment non résidentiel en bâtiment à usage résidentiel, vous avez droit à un remboursement provincial pour habitations neuves de l’Ontario ou de la Colombie-Britannique si les conditions suivantes sont remplies :

[...]

vous avez droit à un remboursement de la TPS/TVH pour habitations neuves pour la partie fédérale de la TVH, ou vous y auriez droit si la juste valeur marchande était inférieure à 450 000 $ au moment de la construction de la maison ou au moment de l’achèvement en grande partie des rénovations majeures. Cela signifie que vous auriez peut-être droit à un remboursement provincial pour habitations neuves même si vous n’avez pas droit au remboursement de la TPS/TVH pour habitations neuves pour la partie fédérale de la TVH.

[7]  Deuxièmement, comme l’indique l’alinéa 256(3)a) de la LTA, une demande de remboursement doit être déposée dans les deux ans de la première des dates suivantes : le jour où l’immeuble est occupé pour la première fois, le jour où la propriété est transférée, ou le jour où la construction est achevée en grande partie. Si la date limite n’est pas respectée, le ministre peut exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 256(3)b) et autoriser une demande tardive.

[8]  Lorsqu’il prévoit exercer le pouvoir discrétionnaire d’autoriser une demande tardive, le ministre considère les facteurs énumérés aux articles 25 et 26 de la circulaire d’information 07-1R1 (Dispositions d’allègement pour les contribuables). L’article 25 permet un allègement pour les contribuables dans des circonstances exceptionnelles telles que les catastrophes naturelles ou une maladie grave, alors que l’article 26 permet un allègement pour les contribuables dans des circonstances découlant d’actions de l’ARC, comme lorsque l’ARC fournit des renseignements incorrects ou commet des erreurs dans les documents mis à la disposition du public et des contribuables.

[9]  La construction de la maison de la demanderesse a été achevée le 16 août 2014. La dernière inspection avant l’occupation des lieux s’est produite plusieurs mois plus tard. Par conséquent, la date limite de la demanderesse pour présenter sa demande était le 16 août 2016.

[10]  En avril 2016, la demanderesse a examiné le guide pour savoir si elle était admissible à un remboursement. La demanderesse a conclu, en se fondant sur le libellé des pages 8 et 10 du guide, qu’étant donné que la valeur de sa maison dépassait 450 000 $, elle était inadmissible à recevoir tant le remboursement fédéral que le remboursement provincial. En octobre 2016, la demanderesse a fait d’autres recherches et s’est rendue compte que la valeur de sa maison ne l’empêchait pas de recevoir le remboursement provincial de l’Ontario.

[11]  La demanderesse a présenté sa demande en date du 31 octobre 2016, ainsi qu’une lettre demandant une prorogation du délai pour déposer sa demande, tout en précisant sa confusion avec le libellé du guide.

[12]  Un chef d’équipe de la division du traitement des remboursements du centre fiscal de l’Île-du-Prince-Édouard a répondu à la demanderesse et a rejeté sa demande de prorogation de délai. Le chef d’équipe a expliqué que la demanderesse n’a fourni aucune preuve des circonstances exceptionnelles requises, comme le prévoyaient les Dispositions d’allègement pour les contribuables, ce qui aurait justifié une prorogation de délai.

[13]  Dans une lettre datée du 5 janvier 2017, la demanderesse a demandé un deuxième examen. Le directeur du centre fiscal de l’Île-du-Prince-Édouard a répondu à la demanderesse et a rejeté sa demande de prorogation de délai. Le directeur a expliqué que la demanderesse n’avait pas présenté de preuve d’erreur ou de retard de la part de l’ARC, ou de circonstances indépendantes de la volonté de la demanderesse telle que le définissent les Dispositions d’allègement pour les contribuables, qui aurait eu une incidence sur la capacité de la demanderesse à déposer sa demande dans les délais.

[14]  Le 14 août 2017, la demanderesse a déposé un avis de demande en vue d’obtenir un contrôle judiciaire. Le 16 novembre 2017, la demanderesse et le ministre ont accepté un troisième examen de la demande de prorogation de délai, et l’affaire a été renvoyée à l’ARC.

[15]  Dans une lettre datée du 27 février 2018, Kathleen Navas, une gestionnaire de l’ARC de la Direction générale de cotisation, de prestation et de service de la section de traitement des remboursements, a refusé la demande de prorogation du délai (la décision du ministre). Mme Navas a souligné que lors de l’examen des demandes de prorogations pour présenter une demande de remboursement, le ministre fonde sa décision sur les Dispositions d’allègement pour les contribuables.

[16]  Mme Navas a souligné que la page 8 du guide précise qu’un remboursement provincial peut être disponible dans des circonstances où le remboursement fédéral n’est pas disponible, et cette information est répétée à deux endroits à la page 10 du guide. Mme Navas a conclu qu’il n’y avait pas d’erreurs dans le guide qui pourraient, dans le contexte du présent dossier, être considérées comme une action de l’ARC justifiant la prorogation du délai pour déposer une demande de remboursement conformément aux Dispositions d’allègement pour les contribuables.

[17]  Le 8 mars 2018, la demanderesse a déposé un avis de demande en vue d’obtenir un contrôle judiciaire de la décision du ministre.

III.  Question en litige

[18]  La décision du ministre de rejeter la demande d’allègement de la demanderesse était-elle raisonnable compte tenu des circonstances?

IV.  Norme de contrôle

[19]  La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (March c Canada, 2013 CF 394, au paragraphe 12).

V.  Analyse

[20]  Les observations de la demanderesse sont axées sur le libellé du guide. La demanderesse estime que, n’eût été les directives inexactes contenues dans le guide, elle aurait déposé sa demande en avril 2016. La demanderesse laisse entendre que le libellé figurant à la page 10 du guide fait en sorte qu’un contribuable doit prétendre que sa maison a une valeur de moins de 450 000 $, et c’est [traduction] « comme si on lui demandait de mentir ». La demanderesse fait valoir que ce libellé n’est pas acceptable, et induit les Ontariens en erreur en leur faisant croire qu’ils ne sont pas admissibles au remboursement provincial.

[21]  Je conclus que la décision du ministre était raisonnable, compte tenu des renseignements disponibles, et constituait un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire accordé en application de l’alinéa 256(3)b) de la LTA. La décision du ministre a appliqué les Dispositions d’allègement pour les contribuables, et était fondée sur une évaluation adéquate des faits suivants :

  1. Il n’y avait pas de circonstances indépendantes de la volonté de la demanderesse qui l’empêchaient de déposer sa demande dans les délais prescrits;
  2. Aucune action de la part d’un employé de l’ARC n’a causé du retard à la demanderesse;
  3. Le libellé contesté du guide n’est ni incorrect ni inexact.

[22]  La page 10 du guide précise qu’un contribuable est admissible à un remboursement provincial dans deux situations : il a le droit de demander une partie de la partie fédérale de la TVH à titre de remboursement fédéral, ou dans le cas où il aurait droit de demander un remboursement fédéral si la valeur de sa maison n’excédait pas 450 000 $. La conclusion du ministre selon laquelle il n’y avait pas d’erreurs dans le libellé ci-dessus ou que le libellé ne fournit pas de renseignements erronés en vue d’induire en erreur est raisonnable.

[23]  Dans sa lettre du 27 février 2018, la gestionnaire de la section de traitement des remboursements de la TPS/TVH pour l’ARC a souligné qu’elle avait examiné tous les documents fournis par la demanderesse, ainsi que les examens de premier et de deuxième niveau effectués par l’ARC. Elle a conclu qu’il n’y avait pas d’erreurs dans le guide qui pourraient, dans le contexte du dossier de la demanderesse, être considérées comme une action de l’ARC justifiant la prorogation du délai pour déposer une demande de remboursement. La lettre de la gestionnaire a clairement exposé son raisonnement et le fondement de sa décision.

[24]  Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve présentés au ministre.

[25]  Cependant, j’ai de la sympathie pour la thèse de la demanderesse selon laquelle le libellé du guide pourrait être formulé plus clairement afin d’éviter toute confusion inutile quant au moment où un remboursement provincial est disponible par opposition à un remboursement fédéral. Une plus grande clarté dans le guide sur cette question serait sans doute utile pour les contribuables.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-447-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-447-18

 

INTITULÉ :

SUZANNE LACHANCE c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 septembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Suzanne Lachance

Pour la demanderesse

POUR SON PROPRE COMPTE

Alisa Apostle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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