Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180919


Dossier : IMM-4482-17

Référence : 2018 CF 935

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 19 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

WUXIAN LV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Wuxian Lv, a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que membre de la catégorie de l’immigration économique, à titre de travailleur autonome. Ayant travaillé dans une exploitation fruitière en Chine, son pays de citoyenneté, M. Lv avait l’intention de gérer une ferme au Canada, l’une des trois seules catégories reconnues par les autorités canadiennes de l’immigration pour qu’une personne soit admise au Canada comme travailleur autonome. M. Lv disait posséder l’expérience minimale requise d’au moins deux périodes d’un an dans la gestion d’une ferme et, pour étayer sa demande, il a présenté une lettre du directeur général de la ferme Pingnan Lvtian dans laquelle il était indiqué que M. Lv y avait travaillé de 1991 à 2014 et qu’il avait été responsable de la commercialisation et de la gestion technique.

[2]  Le 22 août 2017, une agente d’immigration du consulat général du Canada à Hong Kong ([agente] a eu une entrevue avec M. Lv pour s’assurer qu’il répondait aux critères de sélection applicables à la catégorie des travailleurs autonomes. Le lendemain, M. Lv a envoyé une lettre à l’agente dans laquelle il décrivait plus en détail sa participation à la gestion de la ferme Pingnan Lvtian, plus précisément aux décisions financières de cette entreprise. Dans une décision datée du 25 août 2017, l’agente a rejeté la demande de M. Lv [décision]. L’agente a conclu que M. Lv n’avait pu démontrer qu’il avait cumulé une expérience utile d’au moins deux ans dans la gestion d’une ferme, comme l’exigent le paragraphe 88(1) et l’article 100 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement].

[3]  M. Lv a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente qui a rejeté sa demande de résidence permanente. Il soutient que l’agente a enfreint les principes d’équité procédurale en rendant sa décision, car elle ne lui a pas donné l’occasion de répondre aux préoccupations qu’elle avait toujours après avoir reçu la lettre que M. Lv lui a fait parvenir le lendemain de son entrevue. M. Lv demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen par un autre agent d’immigration.

[4]  Comme l’a reconnu l’avocat de M. Lv durant l’audience devant notre Cour, la seule question que soulève M. Lv dans sa demande de contrôle judiciaire est de savoir si l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas à M. Lv l’occasion de répondre à ses préoccupations.

[5]  Ayant examiné la preuve dont disposait l’agente et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer la décision de l’agente. En l’espèce, l’agente n’était nullement tenue de donner à M. Lv une autre occasion de répondre à ses préoccupations ou de tenir une autre audience, après avoir reçu la lettre envoyée par M. Lv après son entrevue. L’agente s’est acquittée de son obligation d’agir d’une manière équitable envers M. Lv à toutes les étapes du processus, et il n’y a eu en l’espèce aucun manquement à l’équité procédurale. Comme aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Lv.

II.  Résumé des faits

A.  La décision

[6]  La décision de l’agente est brève. Comme c’est souvent le cas dans des affaires de cette nature, la décision de l’agente utilise un langage normalisé, à l’exception des deux paragraphes qui portent sur la situation particulière de M. Lv.

[7]  Après avoir décrit les exigences du Règlement, l’agente énonce les préoccupations qu’elle a exposées à M. Lv durant l’entrevue et elle déclare ce qui suit :

[traduction]

Vous n’avez pas réussi à démontrer de façon satisfaisante, à l’appui de l’achat et de la gestion d’une ferme, que vous possédiez une expérience d’au moins deux périodes d’un an dans la gestion d’une ferme. Pour étayer votre expérience en matière de gestion d’une ferme, vous n’avez présenté qu’une lettre de référence professionnelle du directeur général de la ferme Pingnan Lvtian. Durant l’entrevue, vous avez été incapable de fournir des précisions sur votre rôle et votre expérience à la ferme Pingnan Lvtian qui puissent témoigner de votre expérience dans le domaine de la gestion d’une ferme.

[8]  Après avoir examiné avec soin les renseignements fournis par M. Lv sur sa demande et ses déclarations durant l’entrevue, l’agente a conclu qu’elle n’était pas convaincue que M. Lv possède l’expérience utile requise ou qu’il a l’intention et la capacité de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées. Comme M. Lv ne répondait pas à la définition de « travailleur autonome » au sens du Règlement, l’agente a conclu qu’il n’était pas admissible à la résidence permanente au Canada au titre de cette catégorie et elle a rejeté sa demande.

[9]  Les notes entrées par l’agente dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], qui font partie de ses motifs, offrent plus de détails sur les motifs de son refus et permettent de mieux les comprendre.

[10]  Selon les notes entrées dans le SMGC le 25 août 2017, M. Lv a indiqué à l’agente, dès le début de l’entrevue tenue le 22 août, qu’il n’avait aucun autre document à lui fournir, mis à part la lettre du directeur général de la ferme qu’il avait déjà soumise avec sa demande de résidence permanente. En ce qui a trait au travail de M. Lv à la ferme Pingnan Lvtian, l’agente note que ce dernier a été incapable, durant l’entrevue, de fournir des précisions sur son rôle de sous-directeur général. M. Lv a toutefois déclaré qu’il était principalement responsable de la culture des fruits et qu’il ne s’occupait pas des aspects administratifs ou financiers de l’entreprise, ni de la gestion du personnel. L’agente note également que, bien que la lettre non signée du directeur général de la ferme mentionne que M. Lv était responsable de la commercialisation et de la gestion technique, elle n’offre aucun détail sur les fonctions et les responsabilités précises de M. Lv à ce titre. Dans ses notes, l’agente indique que, d’après les renseignements et les documents présentés par M. Lv dans son dossier et lors de son entrevue, elle n’est pas [traduction] « convaincue que M. Lv a suffisamment démontré qu’il possède une expérience d’au moins deux périodes d’un an dans la gestion d’une ferme ». Elle mentionne en outre que M. Lv [traduction] « ne lui a pas fourni d’autres renseignements », bien qu’elle l’ait informé de ses préoccupations lors de l’entrevue.

[11]  Quant à l’emploi subséquent de M. Lv comme propriétaire et gestionnaire d’une entreprise de matériel agricole, l’agente note que cette expérience de travail n’est pas liée à la gestion d’une ferme.

[12]  Enfin, les notes du SMGC mentionnent que, le lendemain de son entrevue, M. Lv a envoyé une autre lettre, qu’il avait lui-même rédigée et dans laquelle il déclarait [traduction« participer à la prise des décisions financières importantes » à la ferme, [traduction] « notamment au sujet du budget annuel de la ferme, des dépenses importantes et du programme financier, et lire des rapports comptables concis tous les mois ». L’agente a toutefois conclu que ces observations ne permettaient pas de dissiper les préoccupations qu’elle avait exprimées durant l’entrevue, notant que M. Lv avait eu amplement l’occasion de démontrer son expérience dans la gestion d’une ferme, mais qu’il avait été incapable de le faire. L’agente a conclu que la lettre envoyée par M. Lv après l’entrevue était « intéressée » et « qu’elle n’était corroborée par aucun autre élément de preuve fiable ou vérifiable ».

B.  La norme de contrôle

[13]  Dans leurs observations, M. Lv et le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [ministre], font tous deux valoir que les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Ma position sur cette question est un peu plus nuancée.

[14]  Il est généralement admis que la norme de la « décision correcte » est la norme de contrôle qui doit s’appliquer pour déterminer si une décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale et des principes de la justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Canadian Pacific Railway Company c Canada (Attorney General), 2018 CAF 69 [CPR], aux para 34 à 36; Canada (Procureur général ) c Sketchley, 2005 CAF 404, au para 53). La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur, mais procède plutôt à sa propre analyse de la question (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au para 50).

[15]  Je dis « généralement » pour qualifier la manière dont les tribunaux définissent habituellement la norme de contrôle applicable, car certaines décisions rendues par la Cour d’appel fédérale au cours des dernières années ont élaboré une norme de contrôle hybride pour l’examen des questions liées à l’équité procédurale, suggérant que la norme pourrait être mieux exprimée comme étant celle de la « décision correcte avec un certain degré de retenue à l’égard du choix de procédure [du décideur administratif] » (Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, au para 70; Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, aux para 34 à 42; Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux para 67 à 72; Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, aux para 11 à 14). Dans l’arrêt CPR plus récent, la Cour d’appel fédérale a toutefois cherché à mettre un terme à ce débat en affirmant que [traduction] « la suggestion selon laquelle l’équité procédurale doit être examinée en regard de la norme de la décision correcte avec un certain degré de retenue crée de la confusion et est peu éclairante » (CPR, au para 44).

[16]  Dans l’arrêt CPR, la Cour d’appel fédérale a insisté sur le fait que la « décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale devrait être envisagée dans une optique différente, une optique qui s’écarte quelque peu de l’analyse habituelle de la norme de contrôle. Dans ce contexte particulier, la « décision correcte » signifie simplement que la cour de révision doit conclure que l’obligation d’équité procédurale a été satisfaite. Selon la Cour d’appel, lorsque l’obligation d’un décideur administratif d’agir équitablement est mise en doute, l’équité procédurale doit être examinée en tenant compte de l’ensemble des circonstances (CPR, au para 54), y compris les cinq facteurs contextuels non exhaustifs définis dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux para 25 et 26). Il appartient à la cour de révision de prendre cette décision et, dans la conduite de cet exercice, de se demander [traduction] « si le processus suivi était juste et équitable, en se concentrant sur la nature des droits fondamentaux en cause et sur les conséquences en résultant pour la personne » (CPR, au para 54). Autrement dit, la cour de révision doit déterminer si le processus administratif suivi par le décideur présente le degré d’équité requis compte tenu des circonstances de l’espèce (Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445, au para 21). Comme l’a éloquemment souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CPR, [traduction] « [p]eu importe le degré de déférence qui est accordé aux tribunaux administratifs dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires de choisir la procédure, la question ultime demeure de savoir si le demandeur a été informé de la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité d’y répondre pleinement et équitablement » (CPR, au para 56).

[17]  Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt de déterminer si, en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur était équitable et a donné aux parties touchées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre (Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au para 35).

III.  Analyse

[18]  M. Lv soutient que l’agente a manqué à son devoir d’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de répondre à ses préoccupations au sujet de son expérience dans la gestion d’une ferme et des observations qu’il a présentées après son entrevue. Il prétend que la lettre qu’il a envoyée après son entrevue traite du rôle qu’il a joué dans la gestion des affaires financières de la ferme, ce qui était l’une des préoccupations soulevées dans les notes de l’agente. M. Lv s’oppose plus précisément à l’emploi, dans les notes de l’agente, du mot [traduction] « intéressée » pour qualifier la lettre qu’il a envoyée après son entrevue, soutenant qu’un tel qualificatif soulève des doutes quant à la crédibilité de cet élément de preuve. M. Lv soutient en outre que, lorsqu’un agent d’immigration doute de la crédibilité d’un document présenté par un demandeur, ce dernier doit avoir la possibilité de répondre aux préoccupations exprimées (Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 [Hamza], au para 25; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 [Hassani], au para 24). Pour appuyer sa position, M. Lv cite plus précisément deux décisions de notre Cour, qui a conclu que le rejet d’éléments de preuve au motif qu’ils sont de nature « intéressée » a pour effet de jeter un doute sur la crédibilité de cette preuve et requiert que l’on donne au demandeur la possibilité de répondre (Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132 [Zmari], aux para 21 et 22; Hamza, aux para 38 et 43).

[19]  Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Lv.

[20]  Il y a trois motifs à cela. Premièrement, contrairement à ce qui se dégage des arguments de M. Lv, le degré d’équité procédurale dont on doit faire preuve envers les demandeurs de résidence permanente se situe à l’extrémité inférieure du spectre. Deuxièmement, la description et le compte rendu que M. Lv fait de l’entrevue menée par l’agente font abstraction des multiples occasions qui lui ont été données d’être informé de la preuve à réfuter. Je suis d’avis que le processus administratif suivi par l’agente respecte le niveau d’équité exigé dans les circonstances de la présente affaire. Troisièmement, dans ses efforts visant à étayer ses allégations relatives au manquement à l’équité procédurale, M. Lv cite le mot « intéressée » hors contexte et associe la notion de crédibilité au caractère suffisant et à la valeur probante de la preuve. Cependant, une conclusion établissant l’insuffisance de la preuve ne soulève pas de questions d’équité procédurale.

A.  Degré d’équité procédurale requis

[21]  La question de savoir si la décision respecte les règles d’équité procédurale doit être examinée au cas par cas. Il est bien établi que l’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable » (Dunsmuir, au para 79) et qu’elle « ne réside pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, au para 53). La nature et la portée de l’obligation d’équité procédurale sont souples et varient en fonction des attributions du tribunal administratif et de sa loi habilitante, du contexte particulier et des diverses situations de fait examinées par le tribunal, ainsi que de la nature des litiges que le tribunal doit trancher (Baker, aux para 23 à 27; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au para 115; Varadi c Canada (Procureur général), 2017 CF 155, aux para 51 et 52). Le niveau et la teneur de l’obligation d’équité procédurale dépendent du contexte propre à chaque cas (Baker, au para 21). L’obligation d’équité procédurale vise à garantir que les décisions administratives sont le fruit d’une procédure équitable et ouverte, qui est adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social et qui offre aux personnes visées par la décision la possibilité de présenter leurs points de vue et leurs éléments de preuve intégralement afin qu’ils puissent être considérés par le décideur (Baker, au para 22).

[22]  Il est un fait établi que l’obligation d’un agent d’immigration chargé d’examiner une demande de résidence permanente au titre d’une catégorie particulière (comme la demande présentée par M. Lv au titre de la catégorie des travailleurs autonomes) est souple. Comme l’a indiqué à juste titre le ministre, le devoir d’équité procédurale auquel est astreint un agent chargé d’examiner une demande de visa de résidence permanente se situe généralement à l’extrémité inférieure du registre (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 CAF 55, au para 10; Kamchibekov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411, au para 23). Plus précisément, dans le contexte d’une décision rendue par un agent des visas relativement à une demande de résidence permanente, le devoir d’agir équitablement est relativement peu rigoureux « en l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi, du fait qu’il revient à la demanderesse d’établir son admissibilité et du fait des conséquences moins graves sur celle-ci que n’a en général la décision, en comparaison de la suppression d’un avantage et de la nécessité pour l’État de maîtriser les coûts de l’administration » (Fargoodarz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 90, au para 12). Il incombe aux demandeurs de visa de présenter des demandes convaincantes, d’anticiper les inférences défavorables contenues dans les éléments de preuve et d’y répondre, ainsi que de démontrer qu’ils ont le droit d’entrer au Canada (Hassani, aux para 21 et 26). La question de l’équité procédurale ne se pose pas nécessairement à toutes les fois qu’un agent a des préoccupations que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au para 52).

[23]  Dans le contexte des demandes de résidence permanente, l’agent d’immigration n’est nullement tenu de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète, de chercher à établir le bien-fondé de la demande, d’informer le demandeur de ses préoccupations concernant le respect des exigences de la loi, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande ou de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes (Bhatti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 186, au para 46; Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au para 8; Mazumder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au para 14; Kumari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au para 7; Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF n994 (QL), au para 13; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n574 (QL), aux para 3 et 4). Imposer une telle obligation à un agent des visas reviendrait à donner un préavis d’une décision défavorable, une obligation qui a été explicitement rejetée par notre Cour à maintes occasions (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au para 37; Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427, au para 45; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1997] ACF n940 (QL), au para 8).

[24]  C’est dans cette optique que je dois déterminer si le processus administratif suivi par l’agente à l’égard de M. Lv atteint le degré d’équité exigé dans les circonstances de la présente affaire.

B.  Multiples possibilités offertes à M. Lv

[25]  Je me dois de souligner que, dans ses observations, M. Lv donne une description et un compte rendu de l’entrevue menée par l’agente qui présentent une vision tronquée de ce qui s’est réellement produit et qui font abstraction des multiples occasions qui lui ont été données d’être informé de la preuve à réfuter et de se faire entendre.

[26]  En l’espèce, M. Lv a eu de nombreuses occasions de satisfaire aux exigences prévues par la loi à l’égard de la catégorie des travailleurs autonomes et de répondre aux préoccupations de l’agente au sujet de son manque d’expérience utile. Après avoir soumis sa demande, M. Lv a reçu une lettre de demande de documents dans laquelle on lui disait de se préparer à démontrer, durant l’entrevue, qu’il satisfaisait aux critères de sélection applicables à la catégorie des travailleurs autonomes (et, plus précisément, à prouver son expérience dans la gestion d’une ferme). Dans cette lettre, on demandait également à M. Lv d’apporter avec lui toute la documentation qu’il n’avait pas déjà produite pour étayer son expérience de travail alléguée. Cependant, M. Lv n’a produit aucun autre document lors de l’entrevue. Il a eu par la suite l’occasion, durant l’entrevue proprement dite, de répondre aux questions ainsi qu’aux préoccupations exprimées verbalement par l’agente. On lui a ainsi donné diverses possibilités de démontrer son expérience utile, mais il n’a fourni aucun renseignement supplémentaire durant l’entrevue, ni aucune précision sur son rôle et son expérience à la ferme Pingnan Lvtian. Toutes ces étapes sont décrites en détail dans les notes du SMGC que l’agente a rédigées le 25 août 2017, de façon concomitante avec les événements. Rien dans le dossier ne me permet de mettre en doute l’exactitude du compte rendu des événements fait par l’agente, lequel fait partie des motifs pour lesquels elle a rejeté la demande de M. Lv.

[27]  L’agente a examiné les documents que M. Lv a soumis avec sa demande, plus précisément son formulaire de demande et la lettre de référence du directeur général de la ferme Pingnan Lvtian ainsi que les réponses qu’il a fournies durant l’entrevue. Après avoir examiné tous ces éléments, l’agente a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que M. Lv possède l’expérience de travail requise dans la gestion d’une ferme.

[28]  Je ne relève aucun manquement aux principes d’équité procédurale dans le processus décisionnel suivi par l’agente dans les circonstances. Bien au contraire. M. Lv a eu de multiples occasions de se faire entendre et d’être informé des arguments qu’il devait réfuter, avant de soumettre sa lettre post-entrevue dans laquelle il a fini par contredire les déclarations qu’il avait faites la veille à l’agente (en déclarant ne pas participer à la gestion financière de la ferme). Les arguments de M. Lv, selon lesquels il n’a pas eu l’occasion de se faire entendre et de dissiper les préoccupations de l’agente, ne tiennent tout simplement pas et ne reflètent pas la teneur réelle de la décision ni les faits relatifs au traitement de sa demande.

[29]  Le devoir d’équité oblige les agents des visas à fournir des motifs suffisamment clairs, précis et intelligibles, et je conclus que l’agente a largement satisfait à cette exigence. Les motifs d’un agent d’immigration sont jugés suffisants s’ils fournissent au demandeur une explication quant aux raisons pour lesquelles il a été jugé non admissible dans la catégorie demandée (Adu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, au para 14). Même si les motifs d’un agent sont brefs, ils seront jugés suffisants s’ils permettent au demandeur de comprendre pourquoi sa demande a été rejetée (Sepehri c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2007 CF 1217, au para 4). En l’espèce, les motifs de l’agente, et plus précisément les notes entrées dans le SMGC, satisfont à cette exigence, car ils permettent à M. Lv de savoir pourquoi sa demande a été refusée.

[30]  Je conviens avec le ministre que les règles d’équité procédurale n’exigent pas que l’agente donne à M. Lv une autre occasion de répondre à ses préoccupations concernant la lettre qu’il a envoyée après l’entrevue, et je suis d’accord avec la décision de l’agente de n’accorder aucun poids à la lettre (Walia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1171, au para 17). Comme il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve fiables, probants et suffisants pour lui permettre de s’acquitter du fardeau de la preuve et de satisfaire à la norme de preuve, l’agent d’immigration n’est pas tenu de faire part de ses doutes ou de ses préoccupations lorsque ceux-ci découlent d’exigences législatives ou de matériel connu du demandeur (Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, aux para 25 et 26).

[31]  Lorsque j’examine la décision dans son ensemble, je conclus que le processus administratif suivi par l’agente atteint le niveau d’équité procédurale exigé dans les circonstances de la présente affaire.

C.  La nature « intéressée » et le caractère suffisant de la preuve

[32]  Dans ses efforts visant à étayer ses allégations de manquement à l’équité procédurale, M. Lv s’oppose tout particulièrement à l’utilisation, par l’agente, du mot « intéressée » pour qualifier la lettre qu’il a produite après son entrevue. M. Lv soutient que l’agente, en rejetant sa lettre au motif qu’elle est intéressée, met en fait en doute la véracité de son contenu. Or, comme la crédibilité est mise en cause selon M. Lv, une autre audience aurait dû être convoquée ou on aurait dû lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agente au sujet de ce document. Selon M. Lv, le défaut de le faire équivaut à un manquement à l’obligation d’équité de la part de l’agente.

[33]  Je ne suis pas de cet avis. Les arguments invoqués par M. Lv sur ce point soulèvent à mon avis deux problèmes fondamentaux : M. Lv cite le mot « intéressée » hors contexte et il fait abstraction de la distinction qui existe entre crédibilité et suffisance de la preuve.

1)  Contexte dans lequel le mot « intéressée » a été utilisé

[34]  Premièrement, en se concentrant uniquement sur le mot « intéressée », M. Lv fait une interprétation erronée de la déclaration de l’agente et fait abstraction du reste de la phrase qui figure dans les notes de l’agente. L’agente a non seulement indiqué que les observations exposées par M. Lv dans sa lettre post-entrevue étaient de nature « intéressée », mais aussi [traduction] « qu’elles n’étaient corroborées par aucun autre élément de preuve fiable ou vérifiable ». Évidemment, le mot « intéressée » semble avoir alimenté l’argument de M. Lv relativement à l’équité procédurale; cependant, il existe une profonde discordance entre la lecture tronquée que fait M. Lv de la décision de l’agente et ce que dit réellement cette décision. On ne peut dissocier le qualificatif « intéressée » utilisé par l’agente du fait que l’agente a conclu que la lettre post-entrevue rédigée par M. Lv n’était corroborée par aucun autre élément de preuve fiable et convaincant. Ce qualificatif ne peut être isolé des commentaires formulés par l’agente au sujet des possibilités dont M. Lv n’a su profiter pour démontrer son expérience de travail.

[35]  À cet égard, il apparaît utile de citer dans leur intégralité les extraits pertinents des notes entrées par l’agente dans le SMGC :

[traduction]

Je ne suis pas convaincue que ces observations répondent aux préoccupations que j’ai exposées [à M. Lv] durant l’entrevue. [M. Lv] a eu de nombreuses occasions de démontrer son expérience dans la gestion d’une ferme, mais il a été incapable de le faire. Ces observations ont une nature intéressée et elles ne sont corroborées par aucun autre élément de preuve fiable ou vérifiable.

[36]  La décision quant à savoir si un commentaire formulé par le décideur porte sur la crédibilité du demandeur ou sur la suffisance de la preuve présentée est hautement tributaire des faits et dépend du libellé des motifs et du contexte dans lequel les motifs s’inscrivent. Comme c’est le cas pour toute question faisant l’objet d’un contrôle judiciaire, le point de départ est la décision proprement dite et ce qu’elle signifie réellement. Je reconnais que la conclusion par laquelle un décideur déclare que la preuve présentée est insuffisante pour étayer une allégation peut parfois cacher une conclusion défavorable voilée quant à la crédibilité. Cependant, l’analyse doit d’abord partir de la décision, et la réponse dépend en définitive du libellé et du contexte de la décision.

[37]  En l’espèce, l’examen des notes entrées par l’agente dans le SMGC révèle ce qui suit. L’agente a conclu qu’aucun poids ne devrait être accordé à la lettre présentée par M. Lv après son entrevue, car cette lettre ne fournit aucune des précisions demandées sur l’expérience de M. Lv en matière de gestion d’une ferme et elle contredit carrément des déclarations que M. Lv a faites la veille, lors de l’entrevue, à savoir qu’il ne participait pas à la gestion financière de la ferme Pingnan Lvtian. Outre la déclaration tardive de M. Lv à ce sujet, le dossier ne fait nullement mention de l’expérience que M. Lv dit posséder dans le domaine financier. Aucun élément de preuve ne corrobore ses affirmations personnelles sur ce point; en réalité, le dossier tend plutôt à démontrer le contraire.

[38]  Je conviens avec le ministre que rien ne découle de l’utilisation, par l’agente, du terme « intéressée » pour décrire la lettre post-entrevue non corroborée dans laquelle M. Lv allègue avoir participé à la prise de décisions financières importantes à la ferme. Lorsqu’on lit la phrase de l’agente dans son ensemble, dans le contexte de la décision, il apparaît clairement que l’agente décrivait l’absence de valeur probante de la lettre rédigée par M. Lv après son entrevue, une lettre qui ne répondait pas aux préoccupations soulevées durant l’entrevue et qui contredisait au contraire une déclaration antérieure faite par M. Lv lui-même. Il ne fait aucun doute que la conclusion de l’agente porte directement sur le caractère suffisant de la preuve présentée par M. Lv pour démontrer son expérience de travail utile. Le raisonnement de l’agente traite expressément de la suffisance de la preuve et je ne vois aucun motif qui me permettrait d’y voir une conclusion implicite ou voilée sur la crédibilité. Une lecture attentive des notes de l’agente confirme que, selon cette dernière, la question en litige concerne l’insuffisance, et non la crédibilité, de la preuve. Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour l’agente d’accorder peu de poids à la lettre post-entrevue de M. Lv, lorsqu’on l’examine en regard du reste des éléments de preuve versés au dossier et recueillis durant l’entrevue, et eu égard à l’absence de précisions sur la nature et l’étendue du rôle et des responsabilités de M. Lv dans la gestion de la ferme.

2)  Distinction entre crédibilité et suffisance de la preuve

[39]  Le deuxième problème que soulève la plainte formulée par M. Lv au sujet de l’utilisation, par l’agente, du qualificatif « intéressée » tient au fait que M. Lv associe la notion de suffisance et de valeur probante de la preuve à celle de la crédibilité de la preuve.

[40]  Je reconnais qu’un agent d’immigration pourrait être tenu de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations lorsqu’il met en doute la crédibilité, la véracité ou l’authenticité de la documentation fournie par le demandeur, plutôt que le caractère suffisant de la preuve présentée. Il ne faut toutefois pas confondre une conclusion défavorable quant à la crédibilité et une conclusion relative à l’insuffisance de preuve probante. Ainsi qu’il est indiqué dans Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, au para 35, « [u]ne conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve ». On ne peut présumer, dans les cas où un agent d’immigration conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande, que l’agent n’a pas cru le demandeur (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59, au para 32). Il est généralement admis que les questions liées à l’équité procédurale se posent uniquement lorsque la crédibilité est mise en doute.

[41]  Le terme « crédibilité » est souvent utilisé à tort dans un sens large pour signifier que les éléments de preuve ne sont pas convaincants ou suffisants. Il s’agit toutefois de deux concepts différents. L’évaluation de la crédibilité est liée à la fiabilité de la preuve. Lorsqu’on conclut que la preuve n’est pas crédible, on conclut que l’origine de la preuve (par exemple, le témoignage du demandeur) n’est pas fiable. La fiabilité de la preuve est une chose; cependant, la preuve doit aussi avoir une valeur probante suffisante pour satisfaire à la norme de preuve qui s’applique. L’évaluation de la suffisance de la preuve porte sur la nature et la qualité de la preuve que doit présenter un demandeur pour obtenir réparation, sur la valeur probante de la preuve, ainsi que sur le poids que doit y accorder le juge des faits, qu’il s’agisse d’un tribunal ou d’un décideur administratif. Le droit de la preuve repose sur un système binaire dans lequel seules deux possibilités existent : soit un fait a eu lieu, soit il n’a pas eu lieu. Lorsqu’un doute persiste dans l’esprit du juge des faits, il incombe à une partie de démontrer que la preuve présentée pour corroborer l’existence ou la non-existence d’un fait est suffisante pour satisfaire à la norme de preuve qui s’applique. Dans l’arrêt FH c McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’existe qu’une seule norme civile de preuve au Canada, celle de la prépondérance des probabilités : « le juge du procès doit examiner la preuve attentivement » et « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités » (McDougall, aux para 45 et 46). Dans toute affaire au civil, « le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu » (McDougall, au para 49).

[42]  Une preuve crédible ou fiable n’est pas nécessairement suffisante en soi pour établir que les faits qui y sont énoncés satisfont à la norme de preuve de la prépondérance des probabilités. Le juge des faits peut décider d’accorder peu, ou pas, de poids à la preuve et conclure que la norme de preuve prescrite par la loi n’a pas été satisfaite. Parallèlement, on ne doit pas confondre présomption de véracité ou de fiabilité et présomption de suffisance. Même si l’on présume que la preuve présentée par un demandeur, ou preuve intéressée, est crédible et fiable, on ne peut présumer qu’elle est suffisante en soi pour établir les faits selon la prépondérance des probabilités. Cette question doit être tranchée par le juge des faits.

[43]  Lorsque l’analyse met en lumière des lacunes dans les éléments de preuve, il est indiqué pour le juge des faits de déterminer si le demandeur a satisfait au fardeau de la preuve. Ce faisant, le juge des faits ne met pas en doute la crédibilité du demandeur. Le juge des faits cherche plutôt à déterminer, en présumant que les éléments de preuve présentés sont crédibles, s’ils sont suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits allégués (Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305, aux para 17 et 18). Autrement dit, le fait de ne pas être convaincu par les éléments de preuve ne signifie pas nécessairement que le juge des faits ne croit pas le demandeur.

[44]  Dans la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, [Ferguson], au para 27, le juge Zinn fournit un résumé utile du lien entre poids, suffisance et crédibilité de la preuve. Ses commentaires sont particulièrement pertinents en l’espèce :

[27]  La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

[45]  Il n’est pas nécessaire que la preuve satisfasse au critère de fiabilité (c.-à-d. preuve crédible) pour en évaluer le poids et le caractère suffisant. Le juge des faits peut très bien évaluer le poids et la valeur probante des éléments de preuve sans en examiner au préalable la crédibilité (Ferguson, au para 26). Cela se produira lorsque le juge des faits estime qu’on doit accorder peu, ou pas, de poids à la preuve, même si celle-ci a été considérée comme fiable. De même, l’utilisation du mot « intéressée » ne signifie pas automatiquement que la crédibilité est mise en doute. Une déclaration intéressée s’entend d’un élément de preuve duquel le déclarant tire un bénéfice quelconque. La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans une affaire peut être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, sans que cela n’ait d’incidence sur sa crédibilité, parce que ce type de preuve requiert généralement une corroboration pour que sa valeur probante soit jugée suffisante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités (Ferguson, au para 27). La nature intéressée d’un document peut être un motif valable pour n’y accorder que peu de poids. Le cas échéant, il doit y avoir corroboration, non pas parce que la crédibilité est mise en cause, mais pour satisfaire aux exigences relatives à la valeur probante de la preuve et à la norme de preuve.

[46]  Dans le cas de M. Lv, l’agente a conclu que les éléments de preuve objectifs étaient insuffisants pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que M. Lv possède l’expérience requise dans la gestion d’une ferme. L’agente n’a ni cru, ni mis en doute, la déclaration de M. Lv lorsque celui-ci a dit posséder l’expérience de travail requise. Elle s’est simplement dite non convaincue, estimant que les éléments de preuve objectifs qui lui avaient été présentés étaient insuffisants pour démontrer que M. Lv satisfaisait aux exigences de la catégorie des travailleurs autonomes. À mon avis, il n’y a aucun doute que l’agente a tiré ses conclusions sur la base de l’insuffisance, et non de la crédibilité, de la preuve. Non seulement l’agente mentionne-t-elle précisément l’insuffisance de la preuve dans ses notes, mais une analyse objective des motifs montre également qu’il s’agit d’un cas d’insuffisance de la preuve. En l’espèce, comme dans Ferguson, l’agente a simplement indiqué que la preuve présentée par M. Lv n’a pas une valeur probante suffisante, en elle-même ou combinée aux autres éléments de preuve présentés, pour établir selon la prépondérance des probabilités le fait allégué. Le demandeur n’a pas à être informé de cette évaluation ni de cette pondération de la preuve, et cela ne soulève aucune question liée à l’équité procédurale.

[47]  Les décisions rendues dans Zmari et Hamza ne sont d’aucune utilité pour M. Lv, car les faits dans ces affaires diffèrent nettement de ceux en l’espèce. Aucune entrevue n’a été menée dans aucune de ces deux affaires. Plus précisément, dans l’affaire Zmari qui porte sur une demande d’examen des risques avant renvoi, il a été conclu que le contexte factuel, outre le renvoi à la nature « intéressée » de la déclaration, commandait en soi la tenue d’une audience. Je note par ailleurs que, dans Zmari, le demandeur n’a eu aucune autre possibilité de dissiper les préoccupations de l’agente des visas et que, dans sa décision, l’agente n’a pas expliqué pourquoi peu d’importance devait être accordée à la lettre intéressée. Cette affaire est très différente de celle en l’espèce.

IV.  Conclusion

[48]  Pour les motifs précités, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Lv, car la présente affaire ne soulève aucune question d’équité procédurale. Je ne vois rien dans la décision de l’agente qui laisse croire qu’il y a eu violation du droit de M. Lv de se faire entendre et de répondre aux arguments à réfuter. De plus, l’agente a satisfait à toutes les exigences relatives à l’équité procédurale dans son traitement de tous les aspects de la demande de M. Lv. Par conséquent, je conclus que la décision de l’agente n’a été viciée par aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

[49]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4482-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4482-17

 

INTITULÉ :

WUXIAN LV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Nkunda I. Kabateraine

Pour le demandeur

 

David Joseph

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.