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Date : 20180920


Dossier: IMM-325-18

Référence : 2018 CF 940

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 20 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MINXIANG HUANG

Demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Minxiang Huang, est citoyenne de la Chine. À son arrivée au Canada, elle a demandé l’asile. Elle a dit qu’elle craignait d’être persécutée par les autorités chinoises en raison de sa participation, lorsqu’elle vivait en Chine, à une église clandestine chrétienne interdite connue sous le nom de « Shouters ». En décembre 2015, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande au motif qu’elle manquait de crédibilité. La Section d’appel des réfugiés [SAR] a confirmé la décision de la SPR sur deux questions clés de crédibilité : (i) Mme Huang n’était probablement pas recherchée par le Bureau de la sécurité publique en Chine [BSP] puisqu’elle a fui le pays en utilisant son propre passeport et (ii) ses croyances religieuses ne l’obligeraient pas à se joindre à une église Shouters et à la fréquenter à son retour en Chine, puisque, depuis qu’elle est au Canada, elle fréquente une église qui n’a pas de liens avec les Shouters.

[2]  Mme Huang a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. En septembre 2017, un agent principal d’immigration [agent] a rejeté sa demande d’ERAR au motif que Mme Huang ne serait pas exposée à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait en Chine [décision]. Mme Huang demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande d’ERAR. Elle soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en rejetant sa nouvelle preuve étayant le risque qu’elle encourait et a violé les principes d’équité procédurale en omettant de convoquer une audience. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et de la soumettre à un autre agent d’ERAR pour qu’il la réexamine.

[3]  La demande de Mme Huang soulève deux questions : (i) l’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur dans l’évaluation des nouveaux éléments de preuve présentés par Mme Huang? (ii) l’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur et manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de tenir une audience?

[4]  Après avoir examiné la preuve présentée à l’agent d’ERAR et le droit applicable, je ne trouve aucun motif d’infirmer la décision. Les conclusions de l’agent à l’égard de la nouvelle preuve de Mme Huang sont raisonnables dans les circonstances et font partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier selon les faits et le droit. De plus, je suis convaincu qu’aucune audience n’était nécessaire en l’espèce, car l’agent a jugé que la preuve de Mme Huang était simplement insuffisante pour étayer sa demande et il n’a pas mis en doute sa crédibilité. Il n’y a aucun motif pour justifier l’intervention de la Cour; je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II.  Aperçu

A.  Décision concernant la demande d’ERAR

[5]  Dans sa décision, l’agent d’ERAR a examiné les éléments de preuve suivants présentés par Mme Huang : (i) diverses photographies de son baptême dans une église de Toronto; (ii) des déclarations supplémentaires de Mme Huang sur les risques auxquels elle est exposée en Chine, y compris des informations que sa mère aurait rapportées; (iii) des articles sur les autorités chinoises qui ont entrepris une suppression à grande échelle des églises clandestines en 2016.

[6]  L’agent d’ERAR a d’abord conclu que les photographies non datées du baptême de Mme Huang ne constituaient pas une nouvelle preuve, puisqu’une lettre de l’Église a confirmé que le baptême avait eu lieu en octobre 2015. Cet événement s’est donc produit avant que Mme Huang ne modifie sa demande d’asile et qu’elle ne soit entendue à la SPR.

[7]  En ce qui concerne les déclarations de Mme Huang au sujet des risques qu’elle court en Chine en tant que membre des Shouters et de sa crainte que les autorités chinoises continuent de la rechercher, l’agent d’ERAR a noté que les mêmes allégations avaient été faites sans succès auprès de la SPR et a conclu que cela ne constituait pas une nouvelle preuve. L’agent a fait remarquer qu’il ne suffisait pas que les nouvelles déclarations alléguées aient été faites après la décision de la SPR; les renseignements qu’elles contenaient devaient aussi être significativement différents de ceux qui avaient déjà été présentés par Mme Huang (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, [Raza CF], au para 22). L’agent d’ERAR a examiné plus particulièrement la déclaration de Mme Huang selon laquelle sa mère l’avait informée que le BSP la recherchait toujours en Chine. Encore une fois, l’agent a conclu que cela ne constituait pas une nouvelle preuve, puisque Mme Huang a simplement répété ce qui avait déjà été examiné (et rejeté) par la SPR et la SAR. L’agent a également conclu que Mme Huang n’avait pas fourni [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve concrets à l’appui de ses déclarations » à cet égard, tel qu’une déclaration assermentée signée par sa mère. Par conséquent, il n’y avait [traduction] « pas suffisamment d’éléments de preuve » pour établir que les autorités chinoises recherchaient Mme Huang.

[8]  Enfin, l’agent d’ERAR a considéré que les articles de nouvelles soumis par Mme Huang ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve, même s’ils étaient postérieurs à la décision de la SPR. L’agent d’ERAR a analysé les articles, mais a conclu qu’ils ne montraient pas comment Mme Huang correspondait au profil des chrétiens persécutés décrit dans les documents.

[9]  Après avoir examiné toute la preuve, l’agent d’ERAR a conclu que Mme Huang n’avait pas fourni suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour démontrer qu’elle courrait des risques et qu’elle serait persécutée, en raison de sa prétendue identité religieuse, si elle retournait en Chine.

B.  La norme de contrôle

[10]  Il est bien reconnu par la jurisprudence que les demandes d’ERAR portent sur des questions mixtes de faits et de droit et que la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la preuve par les agents d’ERAR est la décision raisonnable (Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au para 36; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, au para 15; Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797, au para 19). Par conséquent, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse plus poussée de la norme de contrôle applicable à la première question soulevée par Mme Huang (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au para 62).

[11]  La norme de la décision raisonnable exige de faire preuve de déférence envers le décideur puisque son rôle « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière. » (Edmonton (Ville) c Edmonton-East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 [Ville d’Edmonton] au para 33; Dunsmuir, aux para 48 et 49). Puisque la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] est la loi habilitante que les agents d’ERAR sont chargés d’appliquer, son interprétation et son application relèvent de leur champ de compétence principal. Dans le cadre d’un examen du caractère raisonnable, lorsqu’une question mixte de fait et de droit relève directement de l’expertise d’un décideur, « la cour de révision a pour tâche d’exercer une surveillance à l’égard de l’approche utilisée par le tribunal dans le contexte de la décision prise dans son ensemble. Son rôle n’est pas d’imposer l’approche de son choix » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [CCDP], au para 57). Dans de telles circonstances, la Cour doit montrer une grande déférence à l’égard des conclusions factuelles des agents d’ERAR et de leur évaluation de la preuve.

[12]  En ce qui concerne la décision de tenir une audience dans le contexte d’une demande d’ERAR, la jurisprudence de la Cour concernant la norme de contrôle applicable a été variable. La turbulence de la jurisprudence et les points de vue divergents quant au choix de la norme de contrôle  applicable résultent des différentes approches adoptées pour caractériser la question en jeu. Comme l’a résumé le juge Boswell dans Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132 [Zmari], certaines décisions appliquent la norme de la décision correcte parce que la question est considérée comme une question relative à l’équité procédurale, tandis que d’autres appliquent la norme de la décision raisonnable parce que la question est considérée comme une question mixte de droit et de faits concernant l’interprétation de la LIPR (Zmari, aux para 10 à 13). La Cour demeure divisée depuis la décision Zmari, certaines décisions appliquant la norme de la décision correcte (par exemple, Mudiyanselage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 749, au para 11; Nadarajan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 403 [Nadarajan], aux para 12 à 17), et d’autres appliquant la norme de la décision raisonnable (par exemple, Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474, au para 9; Gjoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 292, au para 12; Lionel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1180, au para 11; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 629, aux para 13 à 17).

[13]  Dans le contexte d’une demande d’ERAR, le droit à une audience trouve sa source à l’alinéa 113b) de la LIPR et à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement]. Ils sont libellés comme suit :

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

(…)

(…)

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

(…)

(…)

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[14]  L’article 167 du Règlement prévoit donc expressément qu’une audience est requise lorsque les trois facteurs énumérés sont présents : la preuve concerne la crédibilité du demandeur, elle est importante dans la prise de la décision et elle pourrait justifier l’acceptation de la demande d’ERAR.

[15]  Il n’est désormais plus contesté que, chaque fois qu’une question est considérée comme une question d’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable s’applique présumément. Depuis Alberta (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, la Cour suprême a déclaré à maintes reprises que, lorsqu’un tribunal administratif interprète ou applique sa loi habilitante, la norme applicable est la décision raisonnable (CCDP, au para 27; Ville d’Edmonton, aux para 22 et 23; Commission scolaire de Laval c Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, au para 32; Wilson c Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, au para 17). Cette présomption ne peut être renversée - et la norme de la décision correcte appliquée - que lorsque la cour de révision est confrontée à l’un des quatre facteurs énoncés pour la première fois par la Cour suprême dans Dunsmuir et réitérés récemment dans CCDP et Ville d’Edmonton. C’est le cas lorsqu’une analyse contextuelle révèle une intention claire du législateur de ne pas protéger le pouvoir du tribunal administratif à l’égard de certaines questions; lorsque plusieurs cours ont une compétence concurrente et non exclusive sur un point de droit; lorsqu’une question soulevée est une question de droit générale qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui ne relève pas du domaine de compétence du tribunal administratif spécialisé; ou lorsqu’une question constitutionnelle relative au partage des compétences est en jeu (CCDP, au para 28; Ville d’Edmonton, au para 24; Dunsmuir, aux para 58 à 61). La question dont la Cour est saisie n’entre dans aucune de ces quatre catégories.

[16]  À mon avis, lorsque la question soulevée dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si un agent d’ERAR aurait dû accorder une audience, la norme de la décision raisonnable s’applique : la décision sur cette question dépend de l’interprétation et de l’application par l’agent de sa loi habilitante, à savoir l’alinéa 113b) de la LIPR qui prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre, en fonction des facteurs précis prévus à l’article 167 du Règlement, est d’avis que la demande d’audience est fondée. En l’espèce, c’est d’autant plus vrai puisque l’argument de Mme Huang portait sur le premier de ces facteurs, à savoir s’il y avait une preuve qui soulevait une question importante de crédibilité, et en particulier si le raisonnement de l’agent d’ERAR, qui est exprimé en termes de suffisance de la preuve, devrait plutôt être décrit comme une conclusion de crédibilité déguisée.

[17]  Toutefois, je m’arrête pour noter que, comme je l’explique plus en détail ci-dessous, mes conclusions demeureraient les mêmes si j’avais examiné la question de l’audience sous l’angle du devoir d’équité procédurale.

III.  Analyse

A.  L’évaluation des nouveaux éléments de preuve par l’agent d’ERAR était raisonnable

[18]  En ce qui concerne l’évaluation de la preuve par l’agent d’ERAR, Mme Huang prétend que l’agent a commis une erreur en concluant que sa preuve et ses allégations n’étaient pas « nouvelles » au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR parce qu’elles portaient sur les mêmes risques déjà examinés par la SPR. Selon elle, le fait que la SPR n’ait pas trouvé suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure qu’elle est en danger en Chine ne constitue pas une base suffisante pour rejeter les éléments de preuve concernant des événements qui se sont produits après la décision de la SPR, à savoir la répression des églises clandestines en Chine et le fait que les responsables chinois continuent à la rechercher. S’appuyant notamment sur la décision de la Cour dans la décision Cho c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1051 [Cho], Mme Huang plaide qu’il était déraisonnable pour l’agent d’ERAR de ne pas examiner la preuve de faits nouveaux parce que ceux-ci étaient liés à des faits déjà considérés comme non crédibles par la SPR.

[19]  Je ne suis pas d’accord avec Mme Huang.

[20]  Comme une demande d’ERAR ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR rejetant une demande d’asile, l’alinéa 113a) de la LIPR prescrit certaines limites à la preuve qui peut être présentée aux agents d’ERAR. La disposition stipule expressément que « le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet » [mon soulignement].

[21]  Dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], la Cour d’appel fédérale a établi cinq critères à respecter pour que la preuve soit admissible à titre de « nouvelle preuve » en application de l’alinéa 113a) de la LIPR. Ces critères cumulatifs sont les suivants : crédibilité, pertinence, nouveauté, caractère substantiel et conditions légales explicites (Raza, au para 13) :

[13]  Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les nouveaux éléments de preuve en question. Je les résume ainsi :

1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3) Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4) Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5. Conditions légales explicites :

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[22]  Les cinq critères établis dans Raza sont les conditions d’admissibilité de la preuve lorsqu’une demande d’ERAR fait suite au rejet d’une demande d’asile (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh], au para 38). Une fois que la preuve est jugée admissible en application des critères provenant de Raza, les agents d’ERAR doivent alors décider si la preuve est suffisante pour satisfaire au fardeau de la preuve (c.-à-d. que chaque fait essentiel est prouvé) et à la norme de preuve (c.-à-d. la prépondérance des probabilités) pour obtenir l’asile.

[23]  En l’espèce, l’agent d’ERAR a rejeté la preuve présentée par Mme Huang parce qu’elle ne répondait pas aux critères de « nouveauté » ou de « caractère substantiel » énoncés dans Raza. De plus, même si certains éléments de preuve avaient été admissibles, l’agent a jugé qu’ils étaient insuffisants pour satisfaire à la norme de preuve.

[24]  L’agent a d’abord évalué les photographies soumises par Mme Huang comme « nouveaux éléments de preuve », mais il a conclu que ces photographies n’étaient pas datées ni étiquetées. De plus, les événements prétendument dépeints sur la photo se sont produits en octobre 2015, soit avant les décisions de la SPR et de la SAR. Cette preuve n’était donc pas admissible en application de l’alinéa 113a) de la LIPR puisqu’elle n’a pas été produite après le rejet de la demande d’asile de Mme Huang. Mme Huang n’a pas directement contesté cette conclusion dans ses observations devant la Cour.

[25]  En ce qui concerne les déclarations supplémentaires faites par Mme Huang, l’agent d’ERAR a conclu que cette preuve ne pouvait pas être qualifiée de « nouvelle » puisqu’elle n’était pas constituée de renseignements sensiblement différents. Je reconnais que les déclarations en cause sont postérieures à la décision de la SPR. Toutefois, ils contiennent un résumé général d’articles et de déclarations générales qui ne font que reprendre les éléments de preuve déjà présentés par Mme Huang devant la SPR au sujet du BSP qui la rechercherait encore en Chine. Contrairement à ce qu’affirme Mme Huang, la preuve n’a pas été rejetée parce que la SPR avait déjà jugé qu’elle n’était pas crédible à l’égard du risque qu’elle courait en Chine. Elle a été rejetée parce qu’elle ne différait pas de façon significative des renseignements présentés à la SPR, conformément aux enseignements de Raza CF. Je ne trouve rien d’irrationnel ou d’arbitraire dans une telle conclusion, car il est raisonnable que les agents d’ERAR aient le droit de rejeter des renseignements qui sont essentiellement une répétition de renseignements dont la SPR a déjà été saisie (Raza, au para 18).

[26]  Citer Cho n’est pas d’un  grand secours pour Mme Huang. Dans cette décision, le fait même que la mère ait été victime de traite à des fins sexuelles était nouveau en soi et n’avait pas été soumis à la SPR ni à la SAR. En l’espèce, l’agent d’ERAR n’a trouvé aucun fait nouveau de ce genre. Une simple lecture de la décision révèle que les déclarations additionnelles de Mme Huang reformulaient essentiellement les risques déjà examinés par la SPR et la SAR.

[27]  De plus, l’agent d’ERAR a plus précisément fait référence à la déclaration de Mme Huang indiquant qu’elle avait été informée par sa mère que le BSP continuait de la chercher. C’est là l’argument essentiel qui sous-tend l’allégation de Mme Huang selon laquelle elle serait toujours en danger en Chine. L’agent a conclu que Mme Huang n’avait [traduction] « pas fourni suffisamment d’éléments de preuve concrets pour étayer ses déclarations » à cet égard, et aussi qu’elle n’avait pas présenté une déclaration assermentée de sa mère attestant de l’intérêt continu du BSP. Dans la décision, l’agent d’ERAR a répété à trois reprises qu’il n’y avait [traduction] « pas suffisamment de preuves » pour appuyer les allégations selon lesquelles le BSP continuait à chercher Mme Huang. Comme Mme Huang se fondait sur une déclaration faite par sa mère, je ne trouve rien de déraisonnable dans la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle Mme Huang ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver ces allégations selon la prépondérance des probabilités et que la preuve présentée ne pouvait être considérée « nouvelle » aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, ni suffisante pour étayer des faits nouveaux survenus après l’audience à la SPR.

[28]  En ce qui concerne les articles de journaux, l’agent d’ERAR les a évalués, car ils étaient datés d’une date postérieure à la décision de la SPR, mais a conclu qu’ils n’avaient pas le caractère substantiel requis dans le cas de Mme Huang. Les articles ont été rejetés parce que, même s’ils faisaient référence aux chrétiens persécutés en Chine, ils ne montraient pas comment Mme Huang faisait partie des groupes et des églises visés. J’ajoute que les articles ne concernaient pas l’église Shouters à laquelle Mme Huang appartenait quand elle était en Chine. Je ne trouve rien de déraisonnable dans la décision de l’agent d’exclure de tels éléments de preuve, car ils portaient sur des mesures de répression dans des provinces chinoises autres que celle d’où Mme Huang est originaire et n’ont pas établi que Mme Huang correspondait au profil des personnes visées par les autorités chinoises. Les articles n’avaient pas le caractère substantiel nécessaire et n’étaient pas requis pour l’ERAR, et l’agent d’ERAR pouvait donc conclure qu’ils [traduction« ne fournissent pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve étayant que Mme Huang courait un danger en Chine ».

[29]  Pour chaque élément de preuve présenté par Mme Huang, je trouve que le raisonnement de l’agent d’ERAR est transparent et clair. Il ne s’agit pas d’un cas où l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve fournis ou a fait fi de certains éléments de preuve contradictoires concernant les conditions en Chine. À la lumière de l’ensemble des motifs et après avoir examiné le dossier, je conclus que l’agent a procédé à une évaluation raisonnablement approfondie et équilibrée de la preuve présentée par Mme Huang.

[30]  Lorsque la Cour examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les conclusions de la SAR ne devraient pas être modifiées tant que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para 47). Lorsqu’elle procède à un examen du caractère raisonnable des conclusions factuelles, la Cour n’a pas pour rôle de réévaluer la preuve ou l’importance relative accordée par l’agent à un facteur pertinent. Aux termes de la norme de la décision raisonnable, tant que le processus et le résultat sont conformes aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, une cour de révision ne devrait pas substituer sa propre opinion de ce que devrait être le résultat préférable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 16).

[31]  Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou même exhaustifs. Il suffit qu’ils soient compréhensibles. Il se peut qu’une décision imparfaite ne fasse pas l’objet d’un contrôle judiciaire, puisque la norme de contrôle ne porte pas sur le degré de perfection de la décision, mais plutôt sur son caractère raisonnable (Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000, au para 29). La norme de contrôle de la décision raisonnable exige que la cour de révision commence par la décision et la reconnaissance du fait que le décideur administratif a la responsabilité première d’effectuer les déterminations factuelles. La cour de révision examine les motifs, le dossier et le résultat et, s’il existe une explication justifiable au résultat obtenu, elle s’abstient d’intervenir. Je suis convaincu que telle est la situation ici. La décision permet au lecteur de savoir exactement pourquoi l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve présentés par Mme Huang. Cela n’exige pas l’intervention de la Cour.

B.  Pas d’obligation de convoquer une audience

[32]  En ce qui concerne le défaut de tenir une audience, Mme Huang soutient qu’une audience était requise en application de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement parce que des questions importantes de crédibilité étaient au cœur de sa demande d’ERAR. Mme Huang reconnaît la difficulté inhérente à faire la distinction entre une conclusion d’insuffisance de preuve et une conclusion négative en matière de crédibilité tirée par les agents d’ERAR, mais elle soutient que sa cause dépendait véritablement de la crédibilité, comme ce fut le cas dans Bozik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 961 [Bozik], aux para 17 à 20. Plus précisément, Mme Huang affirme que l’agent d’ERAR ne croyait pas que les autorités chinoises la recherchaient encore parce que (i) sa déclaration au sujet des renseignements fournis par sa mère n’était pas corroborée et (ii) la SPR n’avait pas jugé crédible l’intérêt du BSP de Chine envers elle. À ce titre, elle plaide que les règles d’équité procédurale et l’article 167 du Règlement exigeaient la tenue d’une audience.

[33]  Je ne suis pas de cet avis.

[34]  Habituellement, lorsqu’il s’agit de trancher des demandes d’ERAR, il n’est pas courant de tenir des audiences. Toutefois, tel que le prévoit le paragraphe 113b) de la LIPR, une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires. Les facteurs prescrits sont énoncés à l’article 167 du Règlement et ils sont cumulatifs. Une audience sera généralement requise s’il y a un problème sérieux de crédibilité concernant la preuve qui est au cœur de la décision et qui, si elle est acceptée, justifierait que la demande soit acceptée.

[35]  Il n’est pas contesté que lorsque la crédibilité d’un demandeur est en jeu, une audience est en effet généralement requise. Mme Huang affirme que, malgré le langage utilisé par l’agent d’ERAR, la décision de rejeter sa demande d’ERAR était fondée sur des conclusions de crédibilité déguisées, et non sur l’insuffisance de la preuve ou sur le fait que la preuve n’a pas été corroborée, comme le prétend le ministre.

[36]  Je reconnais que la conclusion par laquelle un décideur déclare que la preuve présentée est insuffisante pour étayer une allégation peut parfois cacher une conclusion défavorable voilée quant à la crédibilité. Telle était en effet la situation dans la décision Bozik invoquée par Mme Huang. J’admets en outre qu’il y a plusieurs décisions de la Cour qui ont elles aussi déterminé que les conclusions des agents d’ERAR sur l’insuffisance d’éléments de preuve se résumaient en fait à des constatations implicites, déguisées ou voilées sur la crédibilité. Toutefois, déterminer si une constatation d’insuffisance de preuve est en vérité une constatation de crédibilité déguisée relève directement des faits. Parfois, c’est le cas, parfois ce ne l’est pas. Cela dépend du langage utilisé dans les motifs, des faits particuliers au dossier ainsi que du contexte de la décision. Comme c’est le cas pour toute question faisant l’objet d’un contrôle judiciaire, le point de départ est la décision proprement dite et ce qu’elle signifie réellement. La Cour doit également regarder au-delà des termes expressément utilisés dans la décision de l’agent pour décider si, en fait, la crédibilité du demandeur est en cause.

[37]  Il est parfois difficile de faire la distinction entre une conclusion d’insuffisance de preuve et une conclusion de manque de crédibilité. Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. Les constatations de l’agent d’ERAR sont formulées et rédigées expressément en termes d’insuffisance de preuve, et l’examen de l’analyse de l’agent et du dossier ne permet pas de conclure que la conclusion était plutôt liée à la crédibilité. Il ne s’agit pas d’une situation où le langage utilisé par l’agent est obscur et où l’analyse effectuée peut donner lieu à différentes interprétations. Il ne s’agit pas non plus d’une situation où, à première vue, la décision de l’agent d’ERAR semble être fondée sur une conclusion de crédibilité déguisée. Non seulement les conclusions de l’agent d’ERAR concernant le nouveau témoignage de Mme Huang sont-elles formulées expressément et à maintes reprises en termes de « suffisance de la preuve », mais je ne trouve aucune expression ou déclaration donnant à penser que l’agent avait des problèmes à l’égard de la crédibilité de Mme Huang et des nouveaux éléments de preuve à l’égard des risques qu’elle a présentés. L’agent n’a jamais fait allusion à des incohérences dans les déclarations de Mme Huang et n’a jamais laissé entendre qu’elle n’a pas été honnête. Aucun passage ne soulève d’ambiguïté ou ne crée d’incertitude. Aucune expression et aucun commentaire ne fait référence à des variantes dans l’histoire de Mme Huang, ni à des affirmations contradictoires, ni à la remise en question de la véracité de ses propos. Nulle part dans la décision relative à l’ERAR n’est-il fait mention de sa crédibilité, expressément ou implicitement.

[38]  Et, d’ailleurs, l’avocat de Mme Huang n’a pu référer à la Cour à aucune mention de ce genre.

[39]  À mon avis, l’argument selon lequel l’agent d’ERAR a mis en cause la crédibilité de Mme Huang n’est tout simplement pas fondé. Je ne trouve aucun indice dans la décision de l’agent ou dans le dossier de la demande d’ERAR à l’appui d’une conclusion selon laquelle Mme Huang a présenté une preuve que l’agent n’a pas crue. L’agent n’a tout simplement pas été convaincu par la preuve présentée par Mme Huang. Je m’arrête pour observer que l’agent d’ERAR avait le droit de se référer au fondement de la décision de la SPR (c.-à-d. la crédibilité) sans que la décision de l’agent d’ERAR ne se trouve elle-même à évaluer la crédibilité (Titkova c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 691, aux para 15 et 16).

[40]  Étant donné qu’aucune « question importante » concernant la crédibilité de Mme Huang n’était en cause à l’ERAR, son affirmation selon laquelle l’agent aurait agi de façon déraisonnable ou contraire à la loi en ne convoquant pas une audience est sans mérite. L’agent d’ERAR s’est dit préoccupé par le témoignage attribué à la mère de la demanderesse et repris dans les nouvelles déclarations de Mme Huang. Ces préoccupations ne portaient pas sur la crédibilité de Mme Huang. Seules la qualité des éléments de preuve présentés et leur valeur probante ont été évaluées. Or, lorsqu’un agent d’ERAR évalue le poids ou la valeur probante de la preuve, il est bien établi qu’aucune audience n’est justifiée en application de l’article 167 du Règlement.

[41]  Il ne faut pas confondre une conclusion défavorable quant à la crédibilité et une conclusion relative à l’insuffisance de preuve probante. Comme que je l’ai indiqué dans Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, au para 35, « [u]ne conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve ». On ne peut présumer, dans les cas où un agent d’immigration conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande, que l’agent n’a pas cru le demandeur (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59, au para 32).

[42]  Le terme « crédibilité » est souvent utilisé à tort dans un sens élargi pour signifier que les éléments de preuve ne sont pas convaincants ou suffisants. Il s’agit toutefois de deux concepts différents. L’évaluation de la crédibilité est liée à la fiabilité de la preuve. Lorsqu’on conclut que la preuve n’est pas crédible, on conclut que l’origine de la preuve (par exemple, le témoignage du demandeur) n’est pas fiable. La fiabilité de la preuve est une chose; cependant, la preuve doit aussi avoir une valeur probante suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. L’évaluation de la suffisance porte sur la nature et la qualité des éléments de preuve qu’un demandeur doit présenter pour obtenir réparation, sur leur valeur probante et sur l’importance que le juge des faits doit accorder aux éléments de preuve, qu’il s’agisse d’une cour ou d’un décideur administratif. Le droit de la preuve utilise un système binaire où deux possibilités existent : soit un fait existe, soit il n’existe pas. Lorsqu’un doute persiste dans l’esprit du juge des faits, le doute est résolu par la règle selon laquelle il incombe à une partie de démontrer que la preuve présentée pour corroborer l’existence ou la non-existence d’un fait est suffisante pour satisfaire à la norme de preuve applicable. Dans l’arrêt FH c McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’existe qu’une seule norme civile de preuve au Canada, celle de la prépondérance des probabilités : « le juge du procès doit examiner la preuve attentivement » et « la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités » (McDougall, aux para 45 et 46).

[43]  Le juge des faits peut décider d’accorder peu ou pas de poids à la preuve et conclure que la norme de preuve prescrite par la loi n’a pas été satisfaite. Dans le même ordre d’idées, la présomption de véracité ou de fiabilité des déclarations faites par les demandeurs d’asile, telle qu’exprimée dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), ne peut être considérée comme une présomption que la preuve est satisfaisante. Même s’ils sont présumés crédibles et fiables, les éléments de preuve d’un demandeur d’asile ne peuvent être présumés suffisants, en soi, pour établir les faits selon la prépondérance des probabilités. Cette question doit être tranchée par le juge des faits. Lorsque l’analyse met en lumière des lacunes dans les éléments de preuve, il appartient au juge des faits de déterminer si le demandeur a satisfait au fardeau de la preuve. Ce faisant, le juge des faits ne met pas en doute la crédibilité du demandeur. Le juge des faits cherche plutôt à déterminer, en présumant que les éléments de preuve présentés sont crédibles, s’ils sont suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits allégués (Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305, aux para 17 et 18). Autrement dit, le fait de ne pas être convaincu par les éléments de preuve ne signifie pas nécessairement que le juge des faits ne croit pas le demandeur.

[44]  Dans la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, [Ferguson], le juge Zinn fournit un résumé utile du lien entre poids, suffisance et crédibilité de la preuve. Comme la Cour l’indique au paragraphe 27, lorsqu’un juge des faits évalue le poids et la suffisance de la preuve, il dit simplement que « la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée ». Il n’est pas nécessaire que la preuve satisfasse au critère de fiabilité (c.-à-d. preuve crédible) pour en évaluer le poids et le caractère suffisant. Le juge des faits peut très bien évaluer le poids et la valeur probante des éléments de preuve sans en examiner au préalable la crédibilité (Ferguson, au para 26). Cela se produira lorsque le juge des faits estime qu’on doit accorder peu ou pas de poids à la preuve, même si celle-ci a été considérée comme fiable.

[45]  Dans le cas de Mme Huang, l’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves tangibles pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le BSP continuait à s’intéresser à elle en Chine. L’agent n’a ni cru ni douté de la déclaration de Mme Huang à cet égard. Comme les déclarations reposaient essentiellement sur une affirmation faite par sa mère, l’agent a plutôt conclu que Mme Huang n’avait pas fourni [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve tangibles pour étayer ses déclarations », par exemple une déclaration assermentée de sa mère. Par conséquent, il n’y avait [traduction« pas suffisamment d’éléments de preuve » pour établir que les autorités chinoises recherchent Mme Huang. Autrement dit, l’agent d’ERAR a conclu que la preuve était insuffisante pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Huang courait toujours un risque en Chine en raison de l’intérêt que lui portait le BSP.

[46]  Une telle décision ne remet pas en question la crédibilité de Mme Huang. Le demandeur n’a pas à être informé de cette évaluation ni de cette pondération de la preuve, et cela ne soulève aucune question liée à l’équité procédurale.

[47]  De plus, la crédibilité de la preuve ne doit pas être confondue avec la crédibilité du demandeur (Singh, au para 44). Certes, la crédibilité de la preuve peut dépendre de la crédibilité d’un demandeur, mais elle peut aussi dépendre de la crédibilité de tiers. Seule la preuve soulevant des questions quant à la crédibilité du demandeur peut justifier la tenue d’une audience en application de l’article 167 du Règlement. En l’espèce, l’absence de preuve raisonnable, comme une déclaration assermentée de la mère de Mme Huang, ne constitue pas une évaluation de la crédibilité de Mme Huang.

[48]  Je ne trouve aucun fondement dans la décision de l’agent ou dans le dossier de la demande d’ERAR à l’appui d’une conclusion selon laquelle Mme Huang a présenté une preuve que l’agent n’a pas crue. Au contraire, comme l’indiquent expressément les motifs de l’agent d’ERAR, la décision était fondée sur la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait pas d’éléments de preuve convaincants à l’appui d’une conclusion sur la perspective de risque. Ayant conclu que l’agent d’ERAR n’a pas fondé sa décision sur des conclusions de crédibilité déguisées, les arguments d’équité procédurale avancés par Mme Huang dans cette demande de contrôle judiciaire doivent être rejetés. En application de la norme de la décision raisonnable, Mme Huang devait démontrer l’absence de justification, de transparence et d’intelligibilité dans le processus décisionnel et démontrer que la décision n’appartient pas à l’éventail de résultats possibles et acceptables qui sont défendables sur le plan des faits et du droit (Dunsmuir, au para 47). Cette démonstration n’a pas été faite.

C.  Pas de violation du droit à l’équité procédurale

[49]  En raison des opinions divergentes concernant la norme de contrôle applicable aux décisions de tenir une audience dans le contexte d’une demande d’ERAR, je fais les observations supplémentaires suivantes.

[50]  Dans les circonstances de la présente affaire, le choix de la norme de contrôle ou de l’approche analytique appropriée n’a aucune importance puisque, que ce soit sous l’angle de la norme de la décision raisonnable ou de l’équité procédurale, je suis convaincu que la décision de l’agent d’ERAR ne peut être infirmée.

[51]  Il est généralement admis que la norme de la « décision correcte » est la norme de contrôle qui doit s’appliquer pour déterminer si une décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale et des principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Canadian Pacific Railway Company v Canada (Attorney General), 2018 CAF 69 [CPR], aux para 34 à 36; Canada (Procureur général ) c Sketchley, 2005 CAF 404, au para 53). Je dis généralement car, au cours des dernières années, certaines décisions de la Cour d’appel fédérale ont élaboré une norme de contrôle hybride sur les questions relatives à l’équité procédurale, suggérant que la norme pourrait être mieux exprimée comme étant celle de la « décision correcte avec un certain degré de retenue à l’égard du choix de procédure [du tribunal administratif] » (Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, au para 70; Re : Sound c Fitness Industry Council of Canada, 2014 CAF 48, aux para 34 à 42; Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux para 67 à 72; Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, aux para 11 à 14). Dans l’arrêt CPR plus récent, la Cour d’appel fédérale a toutefois cherché à mettre un terme à ce débat en affirmant que [traduction] « la suggestion selon laquelle l’équité procédurale doit être examinée en regard de la norme de la décision correcte avec un certain degré de retenue crée de la confusion et est peu éclairante » (CPR, au para 44).

[52]  Dans CPR, la Cour d’appel fédérale a insisté sur le fait que la norme de la « décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale devrait être envisagée dans une optique différente, une optique qui s’écarte quelque peu de l’analyse habituelle de la norme de contrôle. Dans ce contexte particulier, la « décision correcte » signifie simplement que la cour de révision doit conclure que l’obligation d’équité procédurale a été satisfaite. Selon la Cour d’appel, lorsque l’obligation d’un décideur administratif d’agir équitablement est mise en doute, l’équité procédurale doit être examinée en tenant compte de l’ensemble des circonstances (CPR, au para 54), y compris les cinq facteurs contextuels non exhaustifs définis dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux para 23 et 27). Il appartient à la cour de révision de prendre cette décision et, dans la conduite de cet exercice, de se demander [traduction] « si le processus suivi était juste et équitable, en se concentrant sur la nature des droits fondamentaux en cause et sur les conséquences en résultant pour la personne » (CPR, au para 54). Autrement dit, la cour de révision doit déterminer si le processus administratif suivi par le décideur présente le degré d’équité requis compte tenu des circonstances de l’espèce (Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445, au para 21).

[53]  La question de savoir si une décision respecte l’équité procédurale doit être examinée au cas par cas. Il est bien connu que les exigences de l’obligation d’équité procédurale sont « éminemment variable[s] » (Dunsmuir, au para 79) et « ne réside[nt] pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Law Society of Manitoba, 2017 CSC 20, au para 53) : la nature et l’étendue de l’obligation fluctuent en fonction du contexte particulier et des diverses situations factuelles traitées par le décideur administratif, ainsi que de la nature des différends qu’il doit régler (Baker, aux para 23 à 27; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au para 115). Dans tous les cas, toutefois, les questions relatives à l’équité procédurale ne créent pas de droits substantifs, mais concernent plutôt le processus suivi par le décideur (Baker, au para 26). Comme l’a éloquemment souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CPR, [traduction] « [p]eu importe le degré de déférence qui est accordé aux tribunaux administratifs dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires de choisir la procédure, la question ultime demeure de savoir si le demandeur a été informé de la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité d’y répondre pleinement et équitablement » (CPR, au para 56).

[54]  Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt de déterminer si, en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur était équitable et a donné aux parties le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre (Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au para 35).

[55]  Même si je devais considérer que le droit à une audience dans le contexte d’une demande d’ERAR était d’abord une question relative à l’équité procédurale, une audience n’est pas nécessairement requise au nom du « droit d’être entendu » ou de la « possibilité pleine et équitable de répondre ». Cela devient un droit lorsqu’il serait injuste de trancher une question, en particulier une question de crédibilité, sans donner à la partie concernée l’occasion de se défendre en personne. Telle n’est pas la situation ici. Dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincu que, même si l’affaire avait été examinée sous l’angle de l’équité procédurale, l’agent d’ERAR n’était pas obligé de tenir une audience puisque la crédibilité n’était aucunement en jeu. Contrairement à ce qu’affirme Mme Huang, il ne s’agit pas d’une situation où elle ne connaissait pas le fardeau de preuve qu’elle devait satisfaire ou n’avait pas une possibilité entière et équitable de répondre. Il s’agit plutôt d’un cas où le processus suivi par l’agent d’ERAR a atteint le niveau d’équité requis par les circonstances de l’affaire.

[56]  Mme Huang avait droit à une décision raisonnable et à un processus équitable, et c’est ce qu’elle a obtenu de l’agent d’ERAR.

D.  Questions à certifier

[57]  Le ministre demande à la Cour de certifier la question suivante : « Quelle norme de contrôle judiciaire s’applique à la révision de la décision d’un agent quant à la nécessité d’une audience en application de l’article 167 du Règlement? »

[58]  Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que la question proposée réponde aux exigences strictes de la Cour d’appel fédérale en matière de certification. Selon l’alinéa 74d) de la LIPR, une question peut être certifiée par la Cour si elle « soulève une question grave de portée générale ». Pour être certifiée, il est maintenant bien établi qu’il doit s’agir d’une question sérieuse qui (i) est déterminante de l’affaire, (ii) transcende les intérêts des parties au litige; et (iii) soulève une question ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au para 46; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au para 36; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 [Mudrak], aux para 15 et 16; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 [Zhang], au para 9). En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée par la Cour, et elle doit découler de l’affaire (Mudrak, au para 16; Zhang, au para 9; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, au para 29).

[59]  Je refuse de certifier la question proposée par le ministre, car elle ne permet pas de disposer de l’appel. Tel qu’expliqué plus haut, peu importe que la décision de l’agent d’ERAR soit examinée sous l’angle du caractère raisonnable ou sous l’angle des règles d’équité procédurale, la Cour n’a aucune raison d’intervenir et d’annuler la décision de l’agent selon laquelle, dans le cas de Mme Huang, aucune audience n’était requise en application de l’article 167 du Règlement. Étant donné ma conclusion à l’effet que l’agent d’ERAR n’a pas fait de constatations déguisées sur la crédibilité, peu importe que l’affaire soit abordée selon la norme de la décision raisonnable ou sous l’obligation d’équité procédurale, le résultat est le même (Nadarajan, aux para 12 à 21).

IV.  Conclusion

[60]  Pour les motifs susmentionnés, la décision de l’agent d’ERAR représente un résultat raisonnable fondé sur le droit et la preuve dont il disposait. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire soit justifiée, transparente et intelligible. C’est le cas en l’espèce, tant en ce qui concerne les conclusions de l’agent d’ERAR sur les nouveaux éléments de preuve présentés par Mme Huang qu’en ce qui concerne la décision de l’agent selon laquelle aucune audience n’était nécessaire. De plus, je ne vois rien dans le dossier qui laisse entendre que le droit de Mme Huang d’être entendue ait été violé ou que le processus décisionnel suivi par l’agent ait été injuste. À tous égards, l’agent a respecté les exigences en matière d’équité procédurale dans le traitement de la demande de Mme Huang. Par conséquent, je ne peux pas infirmer la décision de l’agent d’ERAR et je dois rejeter cette demande de contrôle judiciaire.

[61]  Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-325-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-325-18

 

INTITULÉ :

MINXIANG HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRAITON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 septembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour la demanderesse

 

Suzanne M. Bruce

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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