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Date : 20181009


Dossier : IMM-808-18

Référence : 2018 CF 1001

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 9 octobre 2018

En présence de  monsieur le juge Diner

ENTRE :

LIN GAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Lin Gao demande le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] datée du 31 janvier 2018.  La SAI a conclu que M. Gao ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR et qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Contexte

[2]  M. Gao est un citoyen chinois qui, avec son épouse, a obtenu la résidence permanente au Canada en 2010.  Sa fille est venue au Canada en 2008 pour terminer ses études secondaires et, par la suite, commencer ses études universitaires.

[3]  Au cours de la période de cinq ans pertinente, soit du 2 février 2011 au 2 février 2016, M. Gao a été présent au Canada pendant 539 jours sur les 730 jours minimums requis pour maintenir sa résidence permanente en vertu de l'article 28 de la LIPR, soit 191 jours de moins que le nombre de jours exigés.

[4]  M. Gao affirme qu’au cours de la période pertinente, il a souvent dû se rendre en Chine pour deux raisons principales : (i) aider à prendre soin de sa mère malade et (ii) prendre des dispositions pour terminer des projets à long terme à son cabinet d’architecture.

[5]  Le 30 mars 2016, M. Gao s’est vu refuser un titre de voyage parce qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence de résidence.

[6]  M. Gao a interjeté appel de cette décision défavorable auprès de la SAI, axant l’appel sur les motifs d’ordre humanitaire.  La SAI a examiné plusieurs facteurs d’ordre humanitaire, à savoir l’étendue de la non-conformité de M. Gao à l’obligation de résidence, les motifs de son départ du Canada et de son séjour prolongé à l’étranger, ses liens avec la Chine, son degré d’établissement et ses liens au Canada ainsi que les difficultés qu’il subirait s’il perdait son statut de résident permanent.  La SAI a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

[7]  M. Gao ne conteste pas la validité juridique de la décision relative à la résidence physique, mais soutient plutôt, comme il l’a fait devant la SAI, que son appel aurait dû être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire.  Plus précisément, M. Gao soutient que la SAI a omis d’examiner et d’aborder des éléments de preuve contradictoires concernant la maladie de sa mère, son changement de situation en 2014, son établissement au Canada par l’entremise de ses entreprises et de ses adhésions, et sa famille au Canada.

III.  Les questions et la norme de contrôle

[8]  Les deux parties conviennent que la norme de la décision raisonnable (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 649 [Gill], au paragraphe 11) s’applique à l’évaluation par la SAI de la question de savoir si des mesures spéciales d’ordre humanitaire devraient être accordées pour lever l’obligation de résidence.  La décision doit faire l’objet d'une grande retenue judiciaire puisqu’elle suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire étendu (Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 923, au paragraphe 18).

[9]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une question juridique : la SAI a-t-elle commis une erreur en faisant fi d’éléments de preuve pertinents à l’appui de l’appel de M. Gao pour des motifs d’ordre humanitaire?

IV.  Analyse

A.  La SAI a-t-elle commis une erreur en faisant fi d’éléments de preuve pertinents à l’appui de l’appel de M. Gao pour des motifs d’ordre humanitaire?

[10]  M. Gao s’appuie sur Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17, pour soutenir que la SAI a omis d’examiner les éléments de preuve contradictoires concernant (i) la maladie de la mère de M. Gao et (ii) l’établissement et les liens de M. Gao au Canada.

(1)  Preuve concernant la maladie de la mère de M. Gao

[11]  La SAI a conclu que même si le fait de s'occuper d'un parent est un facteur positif dans l'analyse des considérations humanitaires, il est atténué par le fait que M. Gao savait que sa mère était malade lorsqu'il a envoyé sa demande de résidence permanente et par le fait que sa mère bénéficiait d’un soutien supplémentaire en Chine.

[12]  M. Gao soutient que la SAI a omis de tenir compte de divers faits, y compris des éléments de preuve démontrant : (i) qu’il a commencé le processus d’immigration en 2008, avant d’apprendre la maladie de sa mère, (ii) que sa mère a par la suite subi des problèmes de santé imprévus, et (iii) que ses frères et sœurs étaient incapables de prendre soin de leur mère.  M. Gao s’appuie sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tefera, 2017 CF 204 [Tefara], au paragraphe 31, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION] J’accepte qu’un décideur soit présumé avoir soupesé et pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, à moins que le contraire ne soit démontré (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au paragraphe 1). Je conviens également que le fait de ne pas mentionner un élément de preuve particulier dans une décision ne signifie pas qu’il a été ignoré (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). [TRADUCTION]Mais quand un tribunal administratif garde sous silence des preuves qui indiquent clairement une conclusion contraire et qu’elles contredisent carrément sa constatation de faits, la Cour peut intervenir et laisser entendre que le tribunal a négligé les preuves contradictoires au moment de prendre sa décision  (Ozdemir c Canada (Ministre de l’Immigration et citoyenneté), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10; Cepeda-Gutierrez au paragraphe 17). C’est le cas en l’espèce. La SAI était confrontée à des éléments de preuve contradictoires et, dans ces circonstances, elle avait l’obligation de fournir une analyse et d’expliquer pourquoi elle préférait une partie de la preuve à l’autre. Elle ne l’a pas fait.

[Je souligne.]

[13]  Après avoir examiné la décision à la lumière du dossier, je ne conclus pas que les éléments de preuve « contredisent ses conclusions de façon claire », comme c’était le cas pour Tefara.  La SAI a indiqué avec exactitude la date de la demande en lien avec le diagnostic de la mère de M. Gao, et bien que la SAI n’ait pas discuté en détail de ses problèmes de santé imprévus, elle a noté [TRADUCTION] « qu’elle avait fait plusieurs séjours à l’hôpital en raison de sa maladie ».  Bien que la référence soit brève, on ne peut pas dire que la maladie de la mère a été ignorée.  La décision mentionne également un aidant naturel.

[14]  Bien que la SAI n’ait pas expressément mentionné que M. Gao a présenté une demande au Québec dans le cadre de son programme d’investissement en 2008, le tribunal a tout de même fait observer que M. Gao n’a pas présenté de demande de résidence permanente avant juillet 2009, après le diagnostic de sa mère.  La SAI a noté que [TRADUCTION] « la décision de devenir résident permanent du Canada a été prise librement par l’appelant ».  À mon avis, la SAI pouvait conclure que M. Gao était au courant du diagnostic de sa mère avant de présenter une demande aux autorités fédérales en 2009.  L’omission de mentionner un élément de preuve en particulier ne signifie pas qu’il a été ignoré (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[15]  Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure que la maladie de la mère de M. Gao n’était pas suffisante pour justifier la prise de mesures spéciales afin de surmonter l’inobservation de son obligation de résidence.

(2)  Preuve de l’établissement et des liens de M. Gao au Canada

[16]  M. Gao soutient qu’au moment d’examiner son établissement au Canada, la SAI a omis de prendre en considération (i) son entreprise, qui possède et exploite une ferme, (ii) sa participation à une deuxième entreprise canadienne et (iii) ses adhésions à des organisations locales.  M. Gao fait également remarquer qu’en examinant ses attaches au Canada, la SAI n’a pas tenu compte de l’évolution de sa situation en 2014, comme le déménagement de ses autres effets personnels au Canada et le fait qu’il a passé du temps avec son épouse au Canada après qu’elle ait reçu son diagnostic de cancer.  M. Gao soutient en outre que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle sa fille et son gendre prévoient s’installer au Canada à la fin de leurs études en Australie.

[17]  Dans sa décision, la SAI a conclu que les biens de M. Gao au Canada semblent être des placements personnels plutôt qu’une preuve de racines et de liens profonds témoignant de son établissement au Canada.  La SAI a constaté que les investissements et les prétendues activités commerciales ne contribuent pas à la prospérité économique en général par l’emploi, l’innovation ou la fourniture de produits ou de services.  Elle a également conclu que, à l’exception des lettres d’appui d’un voisin de Muskoka et des parents de leur gendre, [TRADUCTION] « la preuve de racines communautaires ou liens sociaux importants que l’on peut raisonnablement s’attendre à voir naître des efforts déployés pour s’établir dans le pays » n’était pas présente dans ce cas.

[18]  Je ne conclus pas que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve lorsqu’elle a évalué le degré d’établissement de M. Gao.  Le tribunal a examiné les facteurs d’établissement de M. Gao, notamment ses intérêts commerciaux et de placement, ses propriétés, ses lettres de soutien et ses liens familiaux. La SAI a également donné à M. Gao l’occasion de parler de ses liens avec la collectivité, y compris de son entreprise à l’étranger et de sa participation à l’entreprise canadienne.

[19]  Je ne conclus pas qu’elle ne lui a pas donné l’occasion d’expliquer les attributs de l’établissement, ni qu’elle n’a omis de les prendre en considération.  Le tribunal a plutôt soupesé raisonnablement la preuve et a conclu que l’établissement était insuffisant pour combler l’insuffisance de la résidence.  Comme le juge Gagné l’a conclu dans Gill, au paragraphe 30 :

. . . la Cour a conclu que le degré d’établissement d’un demandeur au Canada, même s’il a passé de longues périodes au Canada, n’est pas suffisant en soi pour justifier que l’appel soit accueilli ou que la demande soit acceptée pour des motifs d’ordre humanitaire  (Zlotosz c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 724 (CanLII) au paragraphe 35). Cette conclusion est renforcée en l’espèce par le fait que l’établissement n’est qu’un des huit facteurs de l’arrêt Ambat à prendre en considération dans l’exercice de la compétence équitable dans le contexte d’un appel en matière de résidence.

[Je souligne.]

[20]  Comme dans Gill, je ne trouve pas que les preuves documentaires de M. Gao, y compris des photographies, une lettre d'appui confirmant l'adhésion de M. Gao à une association locale de contribuables, une facture de la Lorne Park Estates Association pour des cotisations et une déclaration confirmant son adhésion au Conseil de développement agricole Canada-Chine contredisent ou minent la décision de la SAI selon laquelle la preuve suffisante du statut social de M. Gao n'a pas été établie.

[21]  En ce qui concerne le changement de situation de M. Gao en 2014 (le déménagement des biens restants au Canada, le changement des habitudes de voyage et, en général, l’accroissement du temps passé au Canada, notamment en raison de la maladie de son épouse), je conviens avec le défendeur que la question de savoir si ces changements démontrent une plus grande attraction envers le Canada est une question de poids des preuves, chose qui relève bien du ressort de la SAI.  Ces considérations ont été équilibrées avec les autres facteurs.  Notre cour a régulièrement conclu que son rôle n’est pas de réécrire la preuve (Hadun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 428, au paragraphe 26).

[22]  De même, en ce qui concerne les projets d’avenir de la fille de M. Gao et de son époux, la SAI a constaté que le couple se trouvait à l’étranger et qu’il n’y avait aucune garantie qu’ils finiraient par s’établir au Canada.  Encore une fois, la SAI s’est penchée sur les éléments de preuve pertinents et en a tiré une conclusion justifiable et transparente.

V.  Conclusion

[23]  Ayant conclu que la SAI n’a pas négligé la preuve et que la décision était par ailleurs raisonnable, je maintiens la décision.  La présente demande est donc rejetée.  Aucune des parties n’a soulevé de question à certifier.  Je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-808-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune n’a été soulevée.

  3. Aucune ordonnance n'est rendue concernant les dépens.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-808-18

 

INTITULÉ :

LIN GAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

3 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

9 octobre 2018

 

COMPARUTIONS :

Carrie Wright

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BartLAW Canadian Immigration

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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