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Date : 20181002


Dossier : T-1856-16

Référence : 2018 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

CLARENCE PAPEQUASH, CLINTON KEY ET GLENN PAPEQUASH

demandeurs

et

RODNEY BRASS, DAVID COTE,

MYRNA O’SOUP, COLLEEN BRASS,

DALE BRASS, FERLYN BRASS,

JESSE BRASS, JOSEPH BRASS,

MELODY BRASS, ROBERT BRASS, SHANNON BRASS, SHIRLEY BRASS, ANGELA DESJARLAIS,

GILDA DOKUCHIE-CRANE,

KENNETH HATHER, SIDNEY KESHANE, ALLAN O’SOUP, FERNIE O’SOUP,

GLEN O’SOUP, IVY O’SOUP,

MARLENE BRASS, PERCY O’SOUP, MARCELLA PELLETIER, BURKE RATTE ET PREMIÈRE NATION DE KEY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES

[1]  Voici les motifs qui sous-tendent ma décision d’adjuger les dépens aux demandeurs, conformément à la décision que j’ai rendue précédemment dans la présente affaire : voir Papequash et al c Brass et autres, 2018 CF 325, 290 ACWS (3d) 249.

[2]  À la suite de ma décision concernant la responsabilité, la Première Nation de Key a mis fin au mandat de représentation qu’elle avait avec Stéphanie C. Lavallée et a retenu les services de son avocate actuelle, Lynda K. Troup. Avec l’autorisation de la Cour, Mme Troup a présenté des observations supplémentaires pour demander qu’une ordonnance soit rendue afin que la Première Nation de Key recouvre ses dépens auprès des défendeurs soi-disant « fautifs ». Selon elle, le pouvoir de rendre une telle ordonnance relèverait du vaste pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Elle soutient en outre que la situation est analogue à celle observée dans Bullock ou Sanderson, où la Cour a rendu des ordonnances enjoignant au défendeur débouté d’indemniser le défendeur ayant obtenu gain de cause pour les dépens payables au demandeur.

[3]  Je ne suis pas d’accord pour dire qu’en l’espèce la Première Nation de Key devrait recouvrer ses dépens auprès des autres défendeurs. Tous les défendeurs ont agi de concert avec un même avocat, sur approbation de la bande et en suivant vraisemblablement les directives de cette dernière tout au long de la procédure. Ce serait une grave erreur que de reconnaître, à la fin d’une procédure infructueuse dans laquelle les plaideurs étaient conjointement représentés, qu’une des parties devrait être autorisée à se retourner contre ses coplaideurs alors que leurs intérêts coïncidaient parfaitement tout au long de l’instance. Les ordonnances rendues dans Sanderson et Bullock sont appropriées dans les cas où les codéfendeurs ont des intérêts distincts qu’ils défendent séparément et où ces intérêts ne coïncident pas. La Première Nation de Key est responsable de la situation fâcheuse dans laquelle elle se trouve. Elle avait les moyens de comprendre le conflit qui l’opposait aux membres de la bande, et elle a choisi de poursuivre une stratégie juridique conjointe faisant fi de cet intérêt général. Elle doit maintenant accepter les conséquences financières de ses actes. Si la bande est maintenant insatisfaite de la façon dont elle a été représentée ou du montant de ses frais juridiques, elle a la possibilité d’intenter un recours indépendant.

[4]  Les demandeurs ont déposé leur demande initiale à l’égard des dépens, de 171 449,70 $ (incluant les débours de 10 673,53 $), sur la base avocat-client. Ils ont également demandé une allocation solidaire et conjointe payable par les défendeurs et leur avocate, Stephanie Lavallée. Dans une lettre datée du 2 août 2018, l’avocat des demandeurs, Nathan Phillips, a indiqué que ces derniers ne réclamaient plus de dépens à la Première Nation de Key, mais seulement aux défendeurs agissant à titre personnel. Ce changement de position est attribuable au changement survenu au sein de la direction de la bande à la suite des récentes élections.

[5]  La demande déposée contre l’avocate des défendeurs, en vertu du paragraphe 404(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, est fondée sur des allégations de conduite inappropriée et non professionnelle de sa part, conduite qui a fait augmenter sans raison valable les frais juridiques des demandeurs et fait perdre du temps à la Cour.

[6]  Il ne fait aucun doute que la conduite de Mme Lavallée dans la présente affaire a laissé à désirer. Elle a souvent manqué à ses obligations professionnelles envers la Cour et l’avocat de la partie adverse. J’attribue une part de ce comportement à son manque d’expérience, mais je considère qu’il reflète également un manque de professionnalisme du fait de son non-respect des règles de la Cour et de l’avocat de la partie adverse. Une récente lettre adressée à la Cour par Mme Lavallée, dans laquelle cette dernière soutient qu’il y a injustice, s’avère également inexacte et inappropriée sur le plan factuel. Cela dit, le dossier de la Cour contient des pièces de correspondance de nature accusatoire et outrancière provenant des deux parties, dans lesquelles ces dernières font état de diverses formes d’inconduite. Une partie de cette correspondance a été envoyée à la Cour sans motif judiciaire apparent, mais plutôt pour mettre la partie adverse et son avocat dans l’embarras. Cette problématique est bien exposée dans une directive qu’a donnée la protonotaire Martha Milczynski le 15 mai 2017, où elle formule l’avertissement suivant :

[traduction]
Suivant la tenue de la téléconférence de gestion de l’instance le 2 mai, les parties ont semblé avoir réglé les points soulevés dans la requête et ont présenté un projet d’ordonnance, y compris d’autres modifications à apporter aux affidavits proposés. Toutefois, peu de temps après, chacune des parties a commencé à écrire à la Cour pour se plaindre de la conduite de l’autre et de celle de ses clients. L’avocate des défendeurs a écrit que ses clients avaient changé d’idée et annulaient leur consentement au règlement des points soulevés dans la requête des demandeurs. Par conséquent, la requête en autorisation de déposer les affidavits maintenant révisés des demandeurs est toujours en suspens. Les défendeurs ont également indiqué que si les demandeurs sont autorisés à déposer l’un ou l’autre de leurs affidavits révisés, il est possible qu’ils demandent l’autorisation d’y répondre. Malheureusement, malgré les efforts déployés pour parvenir à un règlement dans le cadre du processus de gestion de l’instance (discussions tenues les 20 avril, 2 mai et 15 mai 2017), les parties semblent déterminées à donner suite à leurs requêtes. En outre, il est plus malheureux encore de constater qu’elles agissent avec acrimonie, d’une manière qui manque de courtoisie et qui entraîne une perte de temps et de ressources considérable, tant pour leurs clients que pour la Cour.

[7]  Je ne doute absolument pas que la plupart des conférences de gestion de l’instance dans le cadre de la présente affaire (une douzaine en tout) ont été tenues en raison du défaut des avocats de collaborer. En raison de cette absence de collaboration, la Cour a déployé beaucoup d’efforts inutiles pour résoudre les désaccords qui auraient dû être réglés de gré à gré. Des problèmes sont également survenus quant au contenu des affidavits déposés par les deux parties, qui étaient souvent remplis d’affirmations scandaleuses, inappropriées et non pertinentes. Les attaques ad hominem ou les opinions désobligeantes sur le comportement de la partie adverse ou de son avocat n’ont pas leur place dans les affidavits exposant les faits. Malheureusement, toutes les mesures interlocutoires inutiles dans le présent dossier ont eu en fin de compte comme résultat d’imposer un fardeau financier important aux membres de la Première Nation de Key, dont les intérêts semblent avoir été en grande partie ignorés.

[8]  Nonobstant les préoccupations susmentionnées, je ne suis pas convaincu que les demandeurs se sont acquittés du lourd fardeau qui leur incombait pour prouver que les dépens devraient être adjugés à l’avocate des défendeurs, et je refuse de rendre une décision en ce sens. Je ne suis pas convaincu non plus que les demandeurs devraient recouvrer la totalité de leurs dépens avocat-client. Une partie de la responsabilité liée aux erreurs dans la procédure et aux mesures inutiles prises dans le cadre de l’instance revient aux demandeurs et à leur avocat, et ils ne doivent pas être récompensés pour cela.

[9]  Il s’agit toutefois d’un cas où il convient de taxer les dépens à l’extrémité supérieure de la colonne V. La Cour a conclu que les demandeurs ont enfreint de manière flagrante la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, ch 5, et ils ont à maintes reprises fait entrave au processus judiciaire.

[10]  En outre, je suis d’avis que des dépens indemnitaires substantiels sont habituellement justifiés lorsque les membres individuels d’une Première Nation assument le risque important de contester les résultats d’une élection au sein de la bande. S’ils obtiennent gain de cause, ils ne devraient pas avoir à payer de leurs poches une somme considérable pour assumer une responsabilité qui profite à tous les membres de leur collectivité. Cela dit, les dépens ne sont jamais payables lorsqu’ils résultent de mesures inutiles ou excessives et doivent toujours être examinés en tenant compte de la complexité de l’affaire. Malgré toutes les disputes en grande partie inutiles auxquelles se sont livrés les parties et leurs avocats, il ne s’agissait pas d’une affaire complexe. Celle‑ci portait sur des éléments de preuve relatifs à des pratiques électorales frauduleuses, qui ont ensuite été évalués selon des principes de droit bien établis.

[11]  À la demande de la Cour, les demandeurs ont présenté un mémoire de dépens fondé sur la colonne V du tarif. Il est quelque peu surprenant de constater que le montant réclamé en vertu du tarif est de 161 380,85 $ (incluant des débours de 8 211,84 $). Ce montant représente environ 94 % des dépens avocat-client réclamés et est, à mon avis, nettement exagéré.

[12]  Dans la mesure où des ordonnances ont été rendues pendant la gestion de l’instance, la protonotaire Milczynski a déjà réglé la question des dépens, expressément ou implicitement. Certaines ordonnances de la Cour ont déjà traité de la question, et ces ordonnances ne peuvent pas être réexaminées maintenant. Par ailleurs, la plupart des directives et des ordonnances au dossier résultant de la gestion de l’instance sont toutefois muettes au sujet des dépens. En fait, il s’agit de la norme appliquée à l’égard des questions traitées dans le cadre de la gestion de l’instance, qui sont presque toujours réglées par consensus, et il est rare que des dépens soient demandés ou adjugés. Dans de telles affaires, la présomption découlant du silence de la Cour est qu’aucuns dépens ne sont payables. J’ajouterais qu’aucun montant n’est prévu dans le tarif de la Cour pour simplement se préparer en prévision des réunions de gestion de l’instance et y participer. J’ai donc supprimé tous les montants réclamés à cet égard.

[13]  Dans la mesure où les ordonnances antérieures de la protonotaire peuvent prévoir des montants encore impayés, les demandeurs peuvent voir à ce que celles-ci soient exécutées en suivant la procédure habituelle (p. ex. voir l’ordonnance du 26 juillet 2017 dans laquelle des dépens de 8 500 $ sont adjugés).

[14]  Pour autant que je sache, il n’y a qu’une seule ordonnance rendue par la protonotaire chargée de la gestion de l’instance où la question des dépens a été laissée à la discrétion du juge des requêtes (voir l’ordonnance du 25 mai 2017). En ce qui concerne cette requête, des dépens de 3 500 $ sont adjugés. Tous les autres montants réclamés à l’égard des requêtes déposées sont refusés.

[15]  Les montants réclamés pour la préparation de huit assignations à comparaître sont trop élevés. J’ai réduit la valeur de ces montants de 5 950 $ à 1 500 $.

[16]  Je rejette la demande de modification de l’avis de demande. Cette mesure ne semble pas avoir été nécessaire par suite d’une modification apportée par les défendeurs à un acte de procédure et semble avoir été prise sans frais, sur consentement.

[17]  Je rejette la demande d’adjudication de dépens pour la requête en radiation des observations relatives aux dépens présentées par les défendeurs en raison de sa longueur. Cette requête était inutile puisque la Cour a traité cette question sans avoir eu besoin d’être saisie par voie de requête. Je rejette également la demande relative aux frais engagés pour avoir tenté en vain d’obtenir réparation en vertu de l’article 404 des Règles.

[18]  Je réduis les montants réclamés pour préparer les demandeurs au contre-interrogatoire à cinq unités chacun.

[19]  Je rejette les demandes relatives aux honoraires d’un deuxième avocat, sauf en ce qui a trait à l’audience sur le fond (incluant la préparation), pour laquelle j’accorde un montant de 2 000 $.

[20]  Je rejette les demandes relatives aux honoraires d’avocat découlant des requêtes pour les motifs donnés précédemment. Un montant de 3 500 $ est accordé pour couvrir les honoraires du premier avocat liés à la préparation et à la participation dans le cadre de la demande.

[21]  Des débours de 7 500 $ sont accordés.

[22]  Par conséquent, des dépens taxés à l’extrémité supérieure de la colonne V, d’un montant total de 86 170 $, incluant les débours, sont adjugés aux demandeurs et sont payables solidairement par les défendeurs agissant à titre personnel, à savoir Rodney Brass, Angela Desjarlais, Sidney Keshane et Glen O’Soup.

[23]  Il n’appartient pas à la Cour d’ignorer la position actuelle des demandeurs qui ont dit ne plus vouloir réclamer de dépens à la Première Nation de Key. C’est leur prérogative. Toutefois, rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme portant atteinte au droit, le cas échéant, des défendeurs agissant à titre personnel de réclamer à la Première Nation de Key une indemnité pour avoir été condamnés à payer les dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1856-16

LA COUR STATUE que des dépens d’un montant global de 86 170 $ sont adjugés aux demandeurs et sont payables solidairement par les défendeurs Rodney Brass, Glen M. O’Soup, Angela Desjarlais et Sidney Keshane.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de décembre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1856-16

 

INTITULÉ :

CLARENCE PAPEQUASH, CLINTON KEY ET GLENN PAPEQUASH c RODNEY BRASS,

DAVID COTE, MYRNA O’SOUP, COLLEEN BRASS,

DALE BRASS, FERLYN BRASS,

JESSE BRASS, JOSEPH BRASS,

MELODY BRASS, ROBERT BRASS,

SHANNON BRASS, SHIRLEY BRASS,

ANGELA DESJARLAIS, GILDA DOKUCHIE-CRANE,

KENNETH HATHER, SIDNEY KESHANE,

ALLAN O’SOUP, FERNIE O’SOUP,

GLEN O’SOUP, IVY O’SOUP,

MARLENE BRASS, PERCY O’SOUP,

MARCELLA PELLETIER, BURKE RATTE ET

PREMIÈRE NATION DE KEY

 

OBSERVATIONS ÉCRITES EXAMINÉES À OTTAWA (ONTARIO)

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2018

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Nathan Phillips

Mervin Phillips

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephanie C. Lavallée

Donald E. Worme

POUR LES DÉFENDEURS

RODNEY BRASS,

DAVID COTE, MYRNA O’SOUP, COLLEEN BRASS,

DALE BRASS, FERLYN BRASS,

JESSE BRASS, JOSEPH BRASS,

MELODY BRASS, ROBERT BRASS,

SHANNON BRASS, SHIRLEY BRASS,

ANGELA DESJARLAIS, GILDA DOKUCHIE-CRANE,

KENNETH HATHER, SIDNEY KESHANE,

ALLAN O’SOUP, FERNIE O’SOUP,

GLEN O’SOUP, IVY O’SOUP,

MARLENE BRASS, PERCY O’SOUP,

MARCELLA PELLETIER, BURKE RATTE

 

Lynda K. Troup

POUR LA DÉFENDERESSE

PREMIÈRE NATION DE KEY

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillips & Co.

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Semaganis Worme Legal

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DÉFENDEURS

RODNEY BRASS,

DAVID COTE, MYRNA O’SOUP, COLLEEN BRASS,

DALE BRASS, FERLYN BRASS,

JESSE BRASS, JOSEPH BRASS,

MELODY BRASS, ROBERT BRASS,

SHANNON BRASS, SHIRLEY BRASS,

ANGELA DESJARLAIS, GILDA DOKUCHIE-CRANE,

KENNETH HATHER, SIDNEY KESHANE,

ALLAN O’SOUP, FERNIE O’SOUP,

GLEN O’SOUP, IVY O’SOUP,

MARLENE BRASS, PERCY O’SOUP,

MARCELLA PELLETIER, BURKE RATTE

 

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PREMIÈRE NATION DE KEY

 

 

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