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Date : 20181002


Dossier : IMM-984-18

Référence : 2018 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

CHUN LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Chun Li, est de citoyenneté chinoise. Il affirme qu’il serait persécuté ou exposé à la torture ou à des traitements cruels ou inusités à son retour en Chine en raison de ses croyances religieuses et de sa participation à une église chrétienne clandestine. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  M. Li soutient que la SPR a commis une erreur en : 1) ne parvenant pas à une conclusion définitive sur son affirmation selon laquelle il était chrétien, 2) concluant qu’il pouvait pratiquer librement sa foi dans une église sanctionnée par l’État et 3) tirant des conclusions déraisonnables au sujet de la crédibilité. Les parties conviennent que la conclusion de la SPR selon laquelle M. Li pourrait pratiquer librement sa foi dans une église sanctionnée par l’État joue un rôle déterminant dans l’issue de la demande. C’est la seule question sur laquelle je dois trancher. 

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Intitulé de la cause

[4]  Le demandeur a nommé le ministre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada comme défendeur dans la présente affaire. Le défendeur est plutôt le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, paragraphe 5(2), et Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, paragraphe 4(1)). Par conséquent, le nom du défendeur est remplacé dans l’intitulé de la cause par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

III.  Contexte

[5]  M. Li déclare que, en 2007, il se trouvait dans une voiture conduite par un ami qui était membre d’une église chrétienne clandestine. Ils ont réussi à éviter un grave accident, auquel il attribue sa survie à l’intervention de Dieu. Cet événement a éveillé en lui un intérêt pour le christianisme. Il a commencé à assister à des services religieux clandestins, et il déclare avoir été baptisé en 2008.

[6]  L’église clandestine de M. Li aurait fait l’objet d’une descente du Bureau de la sécurité publique (BSP) en juillet 2018, et il a appris que certains membres avaient été arrêtés. Il s’est caché avant de s’enfuir de la Chine avec l’aide d’un passeur. Il indique que le BSP est venu le chercher chez lui et a montré à son épouse un mandat d’arrestation.

[7]  La SPR a refusé d’octroyer le statut de réfugié à M. Li en avril 2011. Cette décision a été annulée par la Cour en mai 2012. Après une nouvelle audience, la SPR a de nouveau refusé la demande d’asile de M. Li dans une décision rendue le 28 novembre 2017. Cette décision fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Dans des motifs donnés de vive voix, la SPR a jugé que M. Li n’avait pas démontré qu’il risquait sérieusement d’être persécuté ou exposé à la torture ou à des traitements cruels ou inusités en Chine. La SPR a exprimé des doutes et soulevé certaines incohérences quant à la crédibilité des éléments de preuve, plus particulièrement sur le caractère suffisant de la preuve, tant à ce qui a trait au risque et qu’à [TRADUCTION] « l’adhésion de M. Li à la secte particulière du christianisme qu’il pratique actuellement ».

[9]  En dépit de ces doutes, la SPR a examiné la [TRADUCTION] « principale question, à savoir pourquoi le demandeur d’asile ne pouvait pas retourner en Chine pour tout simplement pratiquer le christianisme dans une église sanctionnée par l’État, sachant que le christianisme, y compris le protestantisme et le pentecôtisme, n’est pas illicite en soi dans ce pays, mais plutôt réglementé par l’État ».

[10]  La SPR a retenu que le témoignage de M. Li portait que les églises sanctionnées par l’État font passer l’État avant Dieu, ce qui va à l’encontre des dix commandements. La SPR a rejeté cette explication pour deux raisons. Premièrement, elle était fondée sur des renseignements de seconde main que la SPR avait préalablement jugés non crédibles. Deuxièmement, la SPR a jugé que le dossier ne renfermait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer la conclusion selon laquelle une église sanctionnée par l’État doit faire passer l’État, ou le Parti communiste, avant Dieu. Par conséquent, la SPR a conclu que M. Li serait en mesure de pratiquer le christianisme dans une église sanctionnée par l’État sans faire face à une forte possibilité de persécution.

V.  Norme de contrôle

[11]  La question déterminante dans la présente demande concerne l’évaluation des éléments de preuve par le commissaire de la SPR et le poids accordé à ceux-ci. Il est bien établi que ces questions doivent être examinées suivant la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 (Dunsmuir); Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1210, au paragraphe 16 (Zhou)).

VI.  Analyse

[12]  M. Li soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait aucune explication crédible pour justifier pourquoi il ne pourrait pas fréquenter une église sanctionnée par l’État est déraisonnable. Il soutient en outre qu’il a présenté des éléments de preuve à la SPR, notamment le rapport du département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde appelé United States Department of State International Religious Freedom Report, démontrant que le Parti communiste de la Chine (PCC) s’immisce dans la doctrine, la théologie et la pratique religieuse des groupes religieux. Il s’appuie sur la décision Zhou du juge Yves de Montigny pour faire valoir que : 1) le motif qu’il a invoqué pour refuser de pratiquer sa foi dans une église sanctionnée par l’État n’est pas contredit par les éléments de preuve objectifs; 2) la conclusion de la SPR selon laquelle il pouvait pratiquer librement sa foi dans une église sanctionnée par l’État était déraisonnable et 3) la SPR a commis une erreur en lui dictant comment pratiquer sa foi.

[13]  Le défendeur soutient que M. Li a indiqué une seule raison pour ne pas vouloir pratiquer sa foi dans une église parrainée par l’État, et que la SPR a jugé que cette raison était fondée sur une source non crédible et ne concordait pas avec les éléments de preuve documentaires objectifs. Le défendeur soutient également que la SPR [traduction] « n’a pas dicté au demandeur ce qui serait acceptable pour lui […, mais que c’est plutôt] le demandeur lui-même qui a dicté au tribunal ce qu’il trouverait inacceptable ». De ce fait, le défendeur fait valoir que cette décision se distingue de celle rendue dans l’affaire Zhou. [Souligné dans l’original].

[14]  M. Li soutient que le moment ou l’endroit où il en est venu à croire que les églises sanctionnées par l’État font passer l’État avant Dieu n’a pas d’importance. Je suis du même avis. Cependant, les observations du défendeur me persuadent du contraire.

[15]  La SPR a reconnu que les éléments de preuve révélaient l’ingérence de l’État dans les affaires des églises qu’il sanctionne. Néanmoins, le commissaire a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas que cette ingérence était importante au point où les églises sanctionnées par l’État devaient faire passer l’État avant Dieu :

[traduction] Bien qu’il y ait une certaine ingérence des fonctionnaires de l’État dans les églises enregistrées auprès de l’État en Chine, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve, comme l’a fait remarquer le conseil, qui démontrent que cette ingérence est importante au point où les églises sanctionnées par l’État doivent faire passer l’État ou le Parti communiste avant [...] Dieu ou Jésus.

L’élément CHN102494E indique que les renseignements quant à savoir si les Églises patriotiques chinoises (catholiques ou protestantes) s’engagent d’abord envers le Parti communiste de la Chine, plutôt qu’envers Dieu, portent sur cette question, et que la réponse à la demande d’information indique qu’aucune information corroborant cette allégation n’a pu être trouvée.

[16]  La conclusion à laquelle est parvenue la SPR après avoir examiné les éléments de preuve n’est peut-être pas partagée par la Cour, mais il ne s’agit pas d’un fondement sur lequel une cour de révision devrait intervenir. Il est bien reconnu que les questions examinées suivant une norme de la décision raisonnable n’appellent pas une seule solution précise. De telles questions peuvent donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables, et une cour de révision devrait faire preuve de retenue lorsque la décision d’un tribunal administratif s’inscrit dans la gamme de solutions rationnelles acceptables, même lorsque la cour de révision pourrait être en désaccord sur la décision rendue (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[17]  La SPR a activement déterminé et examiné le motif invoqué par M. Li pour ne pas poursuivre la pratique de sa foi dans une église parrainée par l’État. Ce faisant, la SPR n’a pas conclu que sa crainte n’était pas pertinente ou sans conséquence. La SPR a plutôt procédé à une analyse de cette préoccupation en se fondant sur les éléments de preuve oraux et écrits de M. Li et sur la preuve documentaire objective dont elle disposait. Par conséquent, la SPR a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour appuyer le motif invoqué par M. Li.

[18]  Même s’il est vrai que la SPR a adopté un point de vue étroit de ce que ça signifie de faire passer l’État avant Dieu, elle n’a pas de ce fait écarté des éléments de preuve ou omis d’en tenir compte. La SPR a reconnu et pris en compte les éléments de preuve qui démontrent l’ingérence de l’État dans les affaires des églises sanctionnées par l’État chinois, et a jugé que ceux-ci étaient insuffisants pour appuyer la conclusion selon laquelle [traduction] « les églises sanctionnées par l’État doivent faire passer l’État ou le Parti communiste avant [...] Dieu ou Jésus ». Cette interprétation de la preuve par la SPR était raisonnable et établit une distinction entre cette décision et les circonstances de l’affaire Zhou, où il a été conclu que la SPR avait écarté des éléments de preuve ou omis d’en tenir compte.

[19]  Je suis convaincu que la décision de la SPR reflète les éléments requis de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VII.  Conclusion

[20]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification, et aucune ne découle de la présente affaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-984-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Le nom du défendeur est remplacé par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » dans l’intitulé de la cause.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-984-18

 

INTITULÉ :

CHUN LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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