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Date : 20181023


Dossier : IMM-5331-17

Référence : 2018 CF 1059

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

SUNDAY OKOYE

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Okoye a demandé une dispense à l’égard des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, pour des motifs d’ordre humanitaire, afin de pouvoir présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. Sa demande a été refusée.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que cette décision était déraisonnable, puisque l’agent n’a pas dûment évalué le risque auquel M. Okoye était exposé au Nigéria en raison de sa bisexualité ni évalué de manière suffisante et raisonnable l’intérêt supérieur de ses trois enfants canadiens, lesquels seraient séparés en permanence de leur père.

Contexte

[3]  M. Okoye est né au Nigéria en 1974. En 2002, il est arrivé au Canada et a demandé l’asile parce qu’il se disait victime de persécution en raison de son homosexualité. Bien que Section de la protection des réfugiés ait conclu selon la prépondérance des probabilités qu’il était homosexuel, elle a rejeté sa demande en raison de plusieurs incohérences figurant dans son récit de persécution. Il a finalement été accepté, en 2010, à titre de résident permanent, après que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire fut acceptée.

[4]  En 2005, M. Okoye est devenu le conjoint de fait d’une Canadienne. Dans son affidavit, il jure que celle-ci est la première femme avec laquelle il a eu des relations intimes. Par conséquent, il s’est rendu compte qu’il était bisexuel. Il est resté en couple avec cette conjointe, avec laquelle il a eu trois enfants.

[5]  M. Okoye a travaillé comme soudeur de 2002 à 2011. Pour augmenter ses revenus, il a aussi occupé des emplois à temps partiel, notamment dans une boîte de nuit. En 2011, il a été arrêté pour une infraction pénale liée à la possession d’une substance contrôlée dans le but d’en faire le trafic et à l’importation/exportation d’une substance contrôlée. Alors qu’il travaillait dans une boîte de nuit, quelqu’un lui a offert 1 000 $ pour transporter un colis. Il est resté en détention préventive de 2011 à 2014, et a ensuite purgé une peine d’emprisonnement de cinq mois après avoir plaidé coupable en 2014. Dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il a souligné que le juge avait conclu que ses actes avaient été relativement sans effet sur l’ensemble de l’opération et qu’il était peu susceptible de récidiver. L’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a remarqué qu’il avait été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Son statut de résident permanent a été révoqué en raison de cette condamnation.

[6]  Pendant son incarcération, la conjointe de M. Okoye a veillé seule sur leurs enfants. Dans son rapport, le Dr Argawal, un psychiatre, qui s’est entretenu avec les enfants et la conjointe de M. Okoye, écrit que celle-ci lui a fait part des difficultés financières qu’elle avait rencontrées pour subvenir aux besoins des enfants, qu’elle avait épuisé toutes les économies du couple et avait été forcée de recourir à l’aide sociale.

[7]  Après sa libération, M. Okoye a recommencé à travailler comme soudeur, mais a été congédié à la fin de l’année 2015. Il est au chômage depuis lors, mais dit chercher du travail. Il jure que ses prestations d’assurance-emploi suffisent à subvenir aux besoins de la famille.

[8]  M. Okoye participe à la vie de son église et dit jouer un rôle de mentor auprès des jeunes pour les dissuader de s’engager dans la criminalité. En 2011, il a été victime d’un accident de voiture au cours duquel il a subi des blessures au genou. Il dit avoir subi une opération qui devra être rectifiée par une nouvelle chirurgie.

[9]  Aux dires de M. Okoye, sa famille et les habitants de son village au Nigéria connaissent son orientation sexuelle et l’ont rejeté de la communauté pour ce motif. Il dit qu’il serait victime de discrimination s’il y retournait.

[10]  Dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, M. Okoye prétend que sa demande repose sur l’intérêt supérieur des enfants, la séparation familiale, son établissement au Canada et les difficultés qu’il subirait au Nigéria. Chacun de ces sujets généraux soulève de nombreux éléments distincts qui sont décrits dans une longue lettre qu’il a soumise à l’appui de sa demande.

[11]  L’agent a examiné chacun des motifs d’ordre humanitaire soulevés dans la lettre, mais n’a pas conclu que les motifs d’ordre humanitaire suffisaient à accorder la dispense.

Questions à trancher et analyse

[12]  M. Okoye soutient qu’il y deux questions à trancher en ce qui a trait au bien-fondé de la décision. La première est celle de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est raisonnable, et la seconde celle de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale. Il soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale en omettant d’examiner les observations selon lesquelles la décision de ne pas lui accorder la résidence permanente ferait entrer en jeu les droits qui lui sont conférés par les articles 7 et 12 de la Charte.

[13]  M. Okoye reconnaît que la norme applicable aux décisions relatives à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2015 CSC 61 [Kanthasamy], Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189. Il soutient que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte.

[14]  Dans le cadre de l’examen de la présente demande, je ne suis pas tenu d’examiner la question de l’équité procédurale soulevée par le demandeur, puisque je conclus que la décision relative au bien‑fondé de sa demande est déraisonnable. Pour ce seul motif, la demande doit être renvoyée pour nouvel examen.

[15]  M. Okoye soutient que la décision contestée est déraisonnable en raison de l’analyse faite par l’agent concernant les éléments suivants : (i) l’intérêt supérieur des enfants, (ii) le risque auquel il serait exposé en tant que chrétien, (iii) les difficultés occasionnées par un manque d’accès aux soins médicaux, (iv) son établissement au Canada, et (v) le risque découlant de son orientation sexuelle.

[16]  À mon avis, l’analyse qu’a faite l’agent en ce qui concerne le risque auquel serait exposé M. Okoye au Nigéria en tant que chrétien, les difficultés liées au manque d’accès aux soins médicaux et l’établissement de M. Okoye au Canada est entièrement raisonnable selon le sens donné à ce terme par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, qui indique que le caractère raisonnable tient à « la justification de la décision, à la transparence et à intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Cela ne signifie pas, et ne devrait pas permettre de conclure, qu’un autre décideur n’aurait pas pu en arriver à une conclusion différente de celle à laquelle est arrivé l’agent quant à ces trois facteurs.

[17]  Selon moi, cette analyse faite par l’agent quant à la sexualité de M. Okoye et quant à l’intérêt supérieur de ses enfants est lacunaire et que, dans son ensemble, la décision fondée sur cette analyse est déraisonnable.

Sexualité

[18]  L’agent mentionne les propos suivants de M. Okoye [traduction] : « Je crains que, si je retourne au Nigéria, je fasse l’objet de discriminations en raison de mon orientation sexuelle, de mon attraction sexuelle pour les hommes, et des relations homosexuelles que j’ai entretenues par le passé ».

[19]  L’ensemble de l’analyse faite par l’agent quant aux risques auxquels les hommes homosexuels et bisexuels sont exposés au Nigéria consiste à dire que [traduction] « la preuve documentaire [...] confirme les difficultés rencontrées par les personnes qui entretiennent des relations homosexuelles au Nigéria [non souligné dans l’original] ». Les « difficultés » décrites dans le dossier comprennent une preuve documentaire de discrimination en matière d’emploi, de prestation de services de santé et de logement, ainsi que d’agressions verbales et physiques et de rejet de la famille. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que les lois en vigueur au Nigéria interdisent les relations homosexuelles, sous peine de sanctions extrêmement sévères en cas de condamnation.

[20]  Dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est mentionné que la SPR a conclu, en ce qui concerne la demande d’asile, que M. Okoye est un homosexuel. Selon l’agent [traduction] : « la Commission a conclu qu’il a établi son orientation homosexuelle. Cependant, la Commission a aussi conclu que le demandeur pourrait se réinstaller dans une autre région du Nigéria, et a rejeté sa demande de protection ». Il convient de mentionner que la SPR n’a pas rejeté sa demande de protection au motif que M. Okoye disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] au Nigéria.

[21]  Par cette affirmation, l’agent laisse entendre que l’orientation sexuelle de M. Okoye ne lui causerait aucune difficulté au Nigéria, étant donné qu’il y a des endroits dans le pays où il peut vivre sans s’exposer à un risque. L’agent ne soumet aucune analyse indépendante quant à l’existence supposée d’une PRI, et je conclus que l’agent s’est rallié à la décision de la SPR à ce sujet.

[22]  L’analyse du risque dans le cadre d’une demande d’asile vise à évaluer si la vie ou la sécurité d’un demandeur est compromise et, parce que l’asile est considéré comme un dernier recours, la conclusion concernant la PRI écarte la nécessité d’accorder le statut de réfugié. À l’inverse de ce scénario, dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire on évalue et on soupèse les difficultés auxquelles un demandeur serait confronté s’il était renvoyé du Canada. Au paragraphe 33 de Akponah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1103, la Cour déclare « L’agente ne peut pas invoquer la conclusion en matière de PRI de la SAR parce qu’elle ne visait jamais à tenir compte des questions liées aux motifs d’ordre humanitaire [non souligné dans l’original] ». C’est précisément ce que l’agent a fait dans le présent dossier. Par ailleurs, même si en 2005 la SPR a conclu, dans le présent dossier, que le demandeur disposait d’une PRI au Nigéria, en se ralliant à cette conclusion, l’agent n’a pas tenté de savoir si les lieux de refuge envisagés par la SPR pouvaient convenir à M. Okoye plus de 10 ans après, s’il pourrait y vivre librement sa sexualité, ou s’il y serait confronté à des difficultés s’il s’y réinstallait, et n’a pas tenté d’évaluer l’ampleur de ces difficultés si elles se matérialisaient.

[23]  L’agent n’a pas vraiment examiné le risque auquel l’orientation sexuelle de M. Okoye et son attirance pour les hommes l’exposaient. D’emblée, l’agent évalue les risques auxquels M. Okoye serait exposé en se fondant sur les ce que celui a déjà vécu au Nigéria :

[traduction]

Tout en faisant preuve de retenue à l’égard des conclusions de la Commission, j’ai examiné la présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en fonction des renseignements soumis par le demandeur. À cet égard, je conclus que les éléments de preuve ne démontrent pas que le demandeur aurait des problèmes en raison des relations homosexuelles qu’il dit avoir eues au Nigéria. Je fonde cette conclusion sur le passage du temps et le manque de détails, sur des déclarations des tiers et sur la preuve documentaire, qui, ensemble, ne corroborent pas la crainte évoquée et les difficultés qui y sont associées.

[Non souligné dans l’original.]

[24]  En ce qui concerne l’examen de l’orientation sexuelle et de l’attirance pour les hommes que M. Okoye prétend avoir, l’agent semble arriver à une conclusion défavorable quant à la crédibilité de cette prétention dans le passage suivant, dont le sens de la dernière phrase m’échappe :

[traduction]

Quant à l’attirance réelle que le demandeur prétend avoir pour les hommes, je relève un manque d’information corroborant l’existence de cette attirance depuis son arrivée au Canada. L’information dont je dispose indique que le demandeur vit avec sa conjointe depuis plus de onze ans, et qu’ils ont trois enfants. J’estime qu’il n’y a pas assez de détails sur l’orientation sexuelle du demandeur me permettant de conclure qu’il serait perçu comme bisexuel au Nigéria s’il y retournait aujourd’hui, compte tenu de son attirance pour les hommes.

[25]  D’après la preuve présentée à l’agent, avant de rencontrer sa conjointe actuelle, toutes les relations de M. Okoye ont été homosexuelles. Son orientation homosexuelle a été acceptée par la Section de la protection des réfugiés et par le premier agent qui lui a accordé une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire lui permettant de demander la résidence permanente depuis le Canada. D’autres éléments de preuve indiquaient que, depuis sa rencontre avec sa conjointe, M. Okoye se considère maintenant comme bisexuel, et ce, en raison de ses relations homosexuelles passées et de son attirance pour les hommes. Affirmer, comme le fait l’agent, que M. Okoye ne sera pas perçu comme homosexuel ou bisexuel au Nigéria en raison de sa relation hétérosexuelle actuelle avec sa conjointe canadienne dénote un raisonnement fautif et des hypothèses erronées et non fondées. Cette conclusion s’appuie sur l’hypothèse que M. Okoye ne commettra aucun acte et n’adoptera aucun comportement qui pourrait trahir sa véritable orientation sexuelle, et présume que M. Okoye ne connaîtra aucune difficulté à cet égard en raison de ses relations hétérosexuelles antérieures. Cette conclusion ne tient pas compte de la véritable question en litige. M. Okoye est et se considère comme bisexuel. Il ne devrait pas devoir cacher sa nature ni veiller à ne pas trahir, par ses actes, son orientation sexuelle. La question à laquelle devait répondre l’agent était la suivante : « M. Okoye, à titre d’homme bisexuel, connaîtrait-il face à des difficultés au Nigéria ? ». L’agent a évité sa question.

Intérêt supérieur des enfants

[26]  Selon M. Okoye, l’intérêt supérieur de ses enfants milite en faveur de son maintien auprès d’eux au Canada. Le Dr Agarwal, psychiatre certifié spécialisé en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, a préparé un rapport sur les enfants et leur comportement pendant l’incarcération de leur père et les conséquences probables d’une séparation [le rapport Agarwal]. L’agent a accordé peu de poids à ce rapport, principalement au motif que [traduction] « l’évaluation semble fondée sur un entretien avec la conjointe et les enfants du demandeur et les faits présentés par eux ».

[27]  Je suis d’accord avec M. Okoye pour affirmer que ce motif d’accorder peu de poids à ce rapport contrevient directement aux enseignements de la Cour suprême du Canada énoncés au paragraphe 49 de l’arrêt Kanthasamy « La prétention selon laquelle la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne peut présenter que le rapport d’expert d’un professionnel qui a été témoin des faits ou des événements qui sous‑tendent ses conclusions est irréaliste et y faire droit entraînerait d’importantes lacunes dans la preuve. »

[28]  Cet enseignement s’applique particulièrement aux rapports psychiatriques, vu que, selon ma compréhension de la pratique de la psychiatrie celle-ci consiste principalement à écouter le patient et à lui poser des questions. Si la nature de ouï-dire d’un élément de preuve a pour conséquence qu’un rapport se voit accorder peu de poids, il s’ensuivrait qu’aucune preuve de nature psychiatrique ne serait jamais reconnue comme probante.

[29]  Selon le défendeur, l’agent n’a pas vraiment écarté ce rapport au motif qu’il était fondé sur le ouï-dire. L’agent a plutôt signalé qu’au moment de la plus récente séparation, la conjointe de M. Okoye n’avait pas fait subir de traitement à ses enfants, ce qui permettait de conclure que la souffrance causée aux enfants n’était [traduction] « pas assez grave ». Je ne suis pas convaincu que l’analyse faite par l’avocat du raisonnement de l’agent soit juste. D’abord, cette interprétation est contraire aux termes clairs employés par l’agent dans les motifs qui expriment son opposition au rapport au motif qu’il repose sur des [traduction] « faits présentés par la conjointe et les enfants ». Ensuite, cette observation passe à côté du réel propos du Dr Agarwal dans son rapport. En effet, ce dernier tentait d’établir le risque que la santé mentale des enfants puisse être affectée un jour. Il n’était pas impératif que le Dr Agarwal décide si les enfants avaient ou non reçu un diagnostic de maladie mentale par le passé pour établir s’ils pourraient en souffrir un jour. Ainsi que l’explique l’arrêt Kanthasamy, un psychiatre ou un psychologue peut avoir recours au ouï-dire pour formuler un avis médical.

[30]  J’estime aussi fallacieux et déraisonnable que l’agent ait accordé peu de poids à l’article sur l’effet sur les enfants de la séparation d’avec leurs parents aux motifs que [traduction] « les éléments de preuve ne suffisent pas à établir que ces informations s’appliquent aux circonstances de l’espèce ». Certes, l’article porte sur les enfants séparés de leurs parents par le divorce et non par l’expulsion, mais il est difficile de ne pas voir certains parallèles entre les deux situations. La demande énonce clairement que les enfants et leur mère ne suivraient pas leur père au Nigéria. Dans ce contexte, j’estime que le propos de l’article s’applique directement à la situation des enfants. Bien que l’article n’évoque pas spécifiquement un contexte d’expulsion, l’agent reconnaît que certaines des répercussions, notamment économiques, pourraient s’appliquer au cas de l’espèce. Pourtant, malgré ce constat, peu d’importance a été accordée à l’article.

[31]  En outre, M. Okoye a soumis un article directement lié à la question, sur les effets néfastes de l’expulsion d’un parent sur la santé mentale des enfants. L’agent n’a justifié le rejet de l’article que par l’observation suivante : [traduction] « J’ai aussi tenu compte du fait que de nombreux enfants s’épanouissent dans la monoparentalité. ». Une telle remarque est sans aucune pertinence compte tenu du rapport Agarwal et des articles soumis, et fait injure aux enfants de M. Okoye. L’observation qu’ils pourraient devenir des adultes épanouis ne constitue pas un examen suffisant de leurs intérêts actuels.

[32]  Il a également été prétendu que l’absence de M. Okoye aurait des conséquences financières néfastes pour sa conjointe et leurs enfants. L’agent a fait remarquer que la conjointe avait subvenu aux besoins des enfants pendant l’incarcération de M. Okoye, entamant même des études universitaires pendant cette période. L’agent a estimé que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure qu’elle ne pourrait pas s’acquitter de nouveau de toutes ses responsabilités. Ce constat ne tient pas compte de la preuve selon laquelle elle a subi du stress et des contraintes financières pendant qu’elle s’occupait seule des enfants. L’agent semble conclure qu’elle bouclait toutes ses fins de mois pendant l’incarcération de M. Okoye. Cette conclusion va à l’encontre de la preuve au dossier selon laquelle, pendant cette période, elle n’a pas pu travailler parce que les enfants étaient en bas âge, elle a épuisé les économies du couple, et a vécu de l’aide sociale. Par ailleurs, la preuve au dossier indique que c’est en contractant des prêts étudiants qu’elle a pu s’inscrire à l’université.

[33]  En résumé, l’analyse faite par l’agent n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’impact affectif et financier que pourrait avoir le renvoi permanent du père de la vie des enfants.

Poids accordé aux motifs d’ordre humanitaire

[34]  Après avoir dûment examiné les motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit les soupeser avec les antécédents judiciaires du demandeur. D’après le demandeur, [traduction] «[l]La jurisprudence de la Cour a réitéré qu’il était raisonnable que l’agent d’immigration accorde un poids considérable aux antécédents judiciaires du demandeur, lorsque celle-ci a mené à l’interdiction de territoire dont il sollicite la dispense [non souligné dans l’original] ».

[35]  Les mots « accorde un poids considérable » aux antécédents judiciaires ne reflètent pas fidèlement les précédents cités à l’appui. La jurisprudence est correctement résumée par la juge McDonald dans Chaudhary c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 128 [Chaudhary], au paragraphe 25 : « l’agent a le droit de mettre l’accent sur les antécédents judiciaires de la demanderesse, et de déterminer que les antécédents l’emportent sur toute considération d’ordre humanitaire, particulièrement lorsque la dispense sollicitée pour des motifs d’ordre humanitaire est liée à une interdiction de territoire pour criminalité ».

[36]  Or, M. Okoye a commis un délit, lié au trafic de stupéfiants, pour lequel il a écopé d’une peine de cinq ans. Si le trafic de stupéfiants est une infraction grave, elle ne se compare pas au meurtre d’un enfant au premier degré qui faisait l’objet de l’analyse de la juge MacDonald dans la décision Chaudhary.

[37]  L’agent, dans la conclusion de sa décision, déclare ce qui suit [traduction] : « Je reconnais que l’amour du demandeur pour sa conjointe et ses enfants et son engagement auprès d’eux militent en sa faveur. Cependant, il faut aussi tenir compte des actes illégaux du demandeur, qui ne permettent pas d’évaluer sa moralité favorablement, et dont je tire une conclusion défavorable. » À mon avis, soupeser ainsi ces facteurs est inadmissible.

[38]  L’agent devait soupeser les antécédents judiciaires du demandeur et les motifs d’ordre humanitaire. L’un de ces motifs d’ordre humanitaire était l’intérêt supérieur des enfants, lesquels seront touchés par le renvoi du demandeur. Les enfants sont les plus touchés par la séparation lorsque le parent entretient avec eux un lien important et profond, comme c’est le cas du demandeur. Le fait de conclure que les conclusions favorables quant à la moralité du demandeur, découlant de la profondeur de son lien parental, doivent être écartées du fait de sa nature criminelle équivaut à ne pas tenir compte, à tort, de l’incidence possible sur les enfants et, de ce fait, contrevient à leur intérêt supérieur. De nombreux pères qui ont un casier judiciaire partagent avec leurs enfants le même amour et le même lien profond que les pères qui n’ont pas de casier judiciaire. L’intérêt supérieur des deux groupes d’enfants est le même. Le fait d’affirmer que les intérêts d’un groupe d’enfants peuvent être légitimement amoindris par les tendances criminelles de leur père est une évaluation inadéquate de leur intérêt supérieur.

[39]  Vu le fondement de la présente décision, il n’y a aucune question qui satisfait au critère en matière de certification.


JUGEMENT DANS IMM-5331-17

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la demande pour des motifs d’ordre humanitaire fera l’objet d’une décision par un autre agent et qu’aucune question n’est à certifier.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

.


DOSSIER :

IMM-5331-17

 

INTITULÉ :

SUNDAY OKOYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 octobRE 2018

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OctobRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Swaisland

POUR LE demandeur

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE demandeur

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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