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Date : 20181030


Dossier : IMM-1149-18

Référence : 2018 CF 1087

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MARICEL GALAMAY MAGDAY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre d’une décision [la décision] rendue le 11 décembre 2017 par un agent des visas [l’agent], au consulat général du Canada, à Hong Kong, rejetant la demande de permis de travail de deux ans de la demanderesse, pour des motifs liés au bien‑fondé de celle‑ci, qui avait été présentée par cette dernière dans le cadre du programme pilote pour les travailleurs peu spécialisés afin de travailler pour un couple canadien en union libre comme aide familiale préposée à la garde des enfants. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

[2]  Il existe un consensus selon lequel la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et la Cour se doit de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de l’agent. Il est également communément admis que toute équité procédurale à laquelle ont droit les demandeurs donne lieu à l’application de la norme de la décision correcte, qui représente la norme la moins exigeanteDunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Arenas Pareja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1333; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 5.

[3]  De l’avis de la Cour, la question la plus importante a trait au caractère raisonnable de la décision sur le plan de la transparence et des motifs à l’appui de celle‑ci. En retour, cela soulève, au bout du compte, une question d’équité procédurale.

[4]  La Cour se reporte ici à l’absence apparente de motifs financiers, invoquée par l’agent, justifiant le fait que l’employeuse principale de la demanderesse soit prête à dépenser son revenu annuel pour engager une aide familiale résidante. Il semble que ce soit là le principal motif de refus de la demande de visa, comme le montrent les brefs motifs exposés par l’agent à l’appui de sa décision, lesquels sont rédigés en ces termes :

[traduction]

La DP [demanderesse principale] est une Philippine célibataire de 37 ans, titulaire d’un passeport. Elle travaille à Hong Kong comme aide familiale et a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du programme pilote pour les travailleurs peu spécialisés. L’offre d’emploi fait état de 2 enfants. L’employeuse canadienne potentielle démontre qu’elle est capable financièrement d’embaucher la DP; toutefois, j’ai certaines inquiétudes quant à ses motifs, étant donné que le revenu annuel prévu de 22 880 $ CA par année de la DP, abstraction faite de la rémunération potentielle des heures supplémentaires et du coût du logement, n’est inférieur que de 2 624 $ CA au revenu total de 2016 d’un des 2 employeurs, selon les avis de cotisation. Il serait inhabituel d’utiliser la totalité de son revenu pour embaucher une aide familiale résidante, et je crains que l’offre d’emploi ne serve qu’à faciliter la migration au Canada. La demanderesse travaille comme aide familiale à Hong Kong depuis 2012. Son dossier fait état du refus de ses 6 demandes de permis de travail précédentes, dont certaines étaient liées à des offres d’emploi de sa sœur. Bien que la DP montre qu’elle a de l’expérience dans la garde d’enfants à Hong Kong, elle n’a pas démontré un degré d’établissement ou des liens suffisants dans son pays d’origine. Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de son expérience de travail rémunéré acquise précédemment aux Philippines ou de toute autre expérience de travail internationale. Compte tenu des facteurs socioéconomiques et familiaux importants qui attirent les immigrants au Canada, je ne suis pas convaincu que la DP est une travailleuse de bonne foi, qui quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. La demande est rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[5]  La demanderesse a fait valoir qu’il n’était pas raisonnable de limiter au revenu d’un seul conjoint les facteurs financiers examinés relativement aux gains annuels prévus. Compte tenu du revenu de l’autre conjoint, la Cour serait prête à admettre que les salaires combinés puissent être suffisants pour soutenir convenablement les services d’un travailleur résidant embauché pour s’occuper des enfants, pendant que les parents travaillent. L’autre conjoint a un revenu annuel de près de 70 000 $. Déduction faite du salaire versé au travailleur résidant, le couple conserve tout de même un revenu familial combiné égal à celui d’une famille canadienne moyenne de quatre personnes. À première vue, ce motif serait donc insuffisant pour expliquer le refus.

[6]  En parallèle avec cette discussion, la Cour constate que la demanderesse a également soutenu que les employeurs avaient reçu un résultat positif à la suite de l’étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] et que, par conséquent, le revenu d’un des employeurs ne devrait pas être un facteur pertinent. La Cour reconnaît que le fait de se référer au revenu d’un des employeurs peut s’avérer trompeur, s’il n’est pas pleinement expliqué, mais il s’agit tout de même là d’un facteur pertinent, et l’EIMT ne restreint pas la décision que peut rendre l’agent en pareil cas [Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 29; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 18; Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 41, au paragraphe 19].

[7]  La Cour est d’avis que les préoccupations exprimées par l’agent paraissent raisonnables, étant donné que l’arrangement semble contrevenir aux normes liées à l’éducation des enfants, selon lesquelles les parents préfèrent que l’un d’eux reste à la maison pour élever leur enfant en bas âge, plutôt que d’occuper un emploi peu rémunérateur, qui ne procure aucun gain financier, si les tâches parentales sont effectuées par un travailleur résidant chargé de la garde des enfants.

[8]  En d’autres mots, il est difficile de savoir pourquoi la famille s’exposerait pendant deux ans, dans sa propre maison, à la présence dérangeante, et peut‑être même risquée, d’une travailleuse embauchée à l’étranger pour s’occuper des enfants. Cet arrangement ne lui procure aucun avantage financier relatif, étant donné que les coûts liés aux services de la demanderesse correspondent au revenu annuel d’un des conjoints. En outre, cet arrangement semble contraire à la norme générale selon laquelle les parents préfèrent et aiment habituellement élever eux‑mêmes leurs jeunes enfants, s’ils en ont les moyens.

[9]  Cependant, le problème avec le motif invoqué ici est que l’agent a omis d’appliquer le concept lié au choix des parents quant à l’éducation des enfants. Il semble que ce point soit celui qu’il convient réellement d’expliquer lorsque la présence de l’aide familiale résidante engagée pour s’occuper des enfants ne procure aucun avantage économique. Étant donné que cette question n’a pas été soulevée ni examinée, il convient de s’interroger sur la transparence de la décision.

[10]  Même en tenant compte de la nécessité, pour les instances révisionnelles, de faire preuve de retenue en cherchant d’abord « à […] compléter [les motifs] avant de tenter de les contrecarrer », conformément à la notion énoncée dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 12, il n’en demeure pas moins nécessaire d’examiner la question connexe de l’équité procédurale.

[11]  S’appuyant sur ce raisonnement, la Cour est d’avis qu’il ne s’agit pas là d’une situation où l’agent peut dire que les renseignements fournis pour justifier l’arrangement sont insuffisants. Il s’agit plutôt d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse et des employeurs. Cette conclusion est indirectement étayée plus avant par d’autres motifs invoqués par l’agent, comme le fait que la demanderesse a présenté sans succès plusieurs demandes pour tenter d’entrer au Canada, lesquels corroborent la conclusion selon laquelle l’emploi offert ne sert qu’à faciliter la migration au Canada.

[12]  Eu égard aux circonstances, comme le raisonnement de l’agent n’est pas suffisamment étayé et semble, de surcroît, n’être que pure spéculation quant à la crédibilité, et qu’il appert que la question peut influencer le résultat de la demande de visa, la Cour conclut que l’agent avait l’obligation d’offrir la possibilité aux employeurs éventuels de fournir une explication raisonnable pour justifier le fait qu’ils confieraient à une aidante familiale non résidente des responsabilités importantes liées aux soins de leurs jeunes enfants, dans la mesure où cet arrangement ne leur procure que peu d’avantages financiers, voire aucun, en plus des inconvénients qu’il peut occasionner s’il ne fonctionne pas, ce qui ne cadre pas avec la conception selon laquelle les parents préfèrent habituellement avoir la responsabilité d’élever leurs enfants, lorsqu’ils n’ont aucun autre motif les incitant à agir autrement.

[13]  L’obligation d’offrir aux demandeurs l’occasion de répondre lorsque des questions touchant la crédibilité sont soulevées dans le cadre d’une demande de visa est généralement reconnue en vertu du droit canadien de l’immigration : voir, par exemple, Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 538, au paragraphe 16; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 866, au paragraphe 21.

[14]  Comme cette question s’inscrit au cœur de la conclusion de l’agent, qui a mis en doute le bien‑fondé de l’arrangement, la demande doit être accueillie, la décision doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.




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