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Date: 20181107

Dossier : IMM-310-18

Référence : 2018 CF 1115

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le novembre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

COURAGE ERHABOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Erhabor a été parrainé pour obtenir le statut de résident permanent (« RP ») par son partenaire de même sexe dans la catégorie des « époux ou conjoints de fait au Canada » conformément à l’alinéa 72(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227[RIPR]. Après une entrevue, la demande a été refusée parce que l’agente d’immigration (l’« agente ») a conclu que la relation n’était pas authentique.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée parce que la décision de l’agente est raisonnable et qu’il n’y a pas eu violation de l’équité procédurale.

Le contexte

[3]  Le demandeur est citoyen du Nigéria. En août 2014, la demande d’asile fondée sur son orientation sexuelle en tant qu’homosexuel qu’il a présentée aux États-Unis (É.-U.) a été rejetée. Il est arrivé au Canada en juillet 2015 et a présenté une demande d’asile fondée sur son orientation sexuelle.

[4]  Le demandeur a rencontré son répondant dans un centre communautaire qui offre des programmes pour les demandeurs d’asile LGBT. Son répondant est également originaire du Nigéria et est résident permanent du Canada depuis 2012, année où sa propre demande d’asile fondée sur son orientation sexuelle en tant qu’homme bisexuel a été acceptée.

[5]  Le demandeur et son répondant vivent ensemble depuis janvier 2016. Ils se sont mariés le 13 février 2016 à Toronto.

[6]  La demande de parrainage a été soumise en juin 2016 et une audience a eu lieu le 20 décembre 2017.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]  Dans la décision du 22 décembre 2017, l’agente a rejeté la demande de résidence permanente parce qu’elle n’était pas convaincue que la relation était authentique.

[8]  Le jour de l’audience, le demandeur et son répondant ont été interrogés séparément. Lorsque l’agente a noté des divergences dans leurs réponses, celles-ci ont été signalées au couple. Toutefois, ils n’ont pas été en mesure d’expliquer les divergences à la satisfaction de l’agente. Voici quelques-uns des questions où il y a divergence dans les réponses :

  • Comment sont-ils arrivés au restaurant pour leur premier rendez-vous?

  • Comment se sont-ils rendus à la station d’autobus et en sont-ils revenus après leur deuxième rendez-vous aux chutes du Niagara

  • Ont-ils passé la nuit aux chutes du Niagara?

  • Quand le répondant a-t-il séjourné pour la dernière fois dans son ancien appartement?

  • À quelle fréquence le demandeur va-t-il à l’école?

  • Qui d’autre était dans la voiture les menant au mariage?

  • Qu’ont-ils mangé pendant leur lune de miel?

  • Qui a acheté les alliances?

  • Qu’ont-ils fait la fin de semaine précédente?

[9]  En août 2015, avant le dépôt de la demande de parrainage d’époux, le demandeur a présenté une demande d’asile fondée sur son orientation sexuelle. Le ministre est intervenu dans cette demande en raison de problèmes de crédibilité découlant de divergences avec la demande d’asile présentée aux États‑Unis. Lors de l’audience de la demande de parrainage d’un époux, l’agente avait une copie de la demande d’intervention et était au courant des divergences et des problèmes de crédibilité. Lorsque l’agente a demandé au demandeur pourquoi cette information n’avait pas été divulguée dans le cadre de sa demande, le demandeur a répondu qu’il essayait de garder sa demande de RP simple et qu’il n’avait donc inclus que les détails concernant le Nigéria. Toutefois, en raison de l’incapacité du demandeur à fournir un exposé circonstancié clair et cohérent, l’agente a mis en doute la crédibilité du demandeur.

[10]  En ce qui concerne l’audience de parrainage, l’agente a noté que le demandeur et son répondant ont été en mesure de fournir des réponses cohérentes aux questions générales. Toutefois, l’agente a noté que leurs réponses à des questions de nature plus personnelle et intime manquaient de détails ou étaient divergentes. Par exemple, l’agente a noté que le répondant en savait peu sur les études du demandeur, son horaire de cours et la date à laquelle il commencerait son programme d’ingénierie. Le répondant ne savait pas qui envoyait de l’argent au demandeur à partir du Nigéria. De plus, le répondant ne savait pas que les parents du demandeur étaient décédés avant que la demande de parrainage fût remplie.

[11]  À la fin de l’entrevue, le demandeur et le répondant ont demandé ce qu’ils pouvaient faire d’autre pour établir l’authenticité de leur relation. Lorsque l’agente a déclaré qu’ils pouvaient montrer les messages et les photos qu’ils ont envoyés par messagerie texte et qui figurent sur leurs téléphones cellulaires, le demandeur et le répondant ont tous deux refusé de fournir ces renseignements.

[12]  Malgré la documentation et les renseignements fournis à l’appui de la relation, l’agente n’a pas conclu que cette preuve documentaire l’emportait sur ce qui avait été présenté lors de l’entrevue en personne. Après avoir examiné tous les éléments de preuve, l’agente n’était pas convaincue qu’il existait une relation matrimoniale authentique entre les parties et a rejeté la demande de résidence permanente.

Les questions en litige

[13]  D’après les observations des parties, les questions suivantes se posent :

  1. S’agit-il d’un manquement à l’équité procédurale de la part de l’agente d’examiner les renseignements relatifs à la demande d’asile?
  2. L’approche de l’agente à l’égard des messages texte constituait-elle un manquement à l’équité procédurale?
  3. L’agente a-t-elle procédé de façon déraisonnable à une analyse microscopique de la relation?

Analyse

La norme de contrôle applicable

[14]  Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont contrôlables selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 55, 57 et 79).

[15]  La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent quant à l’authenticité d’une relation matrimoniale est celle du caractère raisonnable (Mills c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1339, au par. 19).

I.  S’agit-il d’un manquement à l’équité procédurale de la part de l’agente d’examiner les renseignements relatifs à la demande d’asile?

[16]  Le demandeur soutient que l’agente a violé ses droits en matière d’équité procédurale en tirant une conclusion de crédibilité défavorable à son égard concernant sa demande d’asile en instance et l’intervention du ministre. En particulier, le demandeur conteste les commentaires suivants de l’agente : [traduction] « Ce qui t’aurait aidé, c’est la vérité. Mais deux histoires qui ne correspondent pas peuvent équivaloir à un mensonge ; et vous manquez de crédibilité; et il y a aussi les documents frauduleux qui arrivent par la poste. »

[17]  Le demandeur soutient que les questions relatives à sa demande d’asile devraient être dûment tranchées par un commissaire compétent de la Section de la protection des réfugiés et que l’agente en l’espèce ne possédait pas les compétences voulues. De plus, le demandeur n’a pas été en mesure de vérifier ou prouver l’authenticité des documents prétendument frauduleux relatifs à sa demande d’asile. La position du demandeur est que la conclusion de crédibilité défavorable tirée par l’agente en raison de la demande d’asile en instance était injuste et constituait une violation de l’équité procédurale.

[18]  Dans le contexte de l’entrevue, l’agente a informé le demandeur qu’elle avait une copie de l’intervention du ministre et lui a donné l’occasion de répondre aux questions de crédibilité et de documents prétendument frauduleux. Toutefois, en examinant ces renseignements, l’agente n’a pas tiré de conclusions ou pris de décisions relativement à la demande d’asile du demandeur. L’agente a plutôt examiné ces éléments de preuve dans le cadre de l’évaluation globale de la crédibilité en vue de déterminer si le mariage était authentique et s’il avait été conclu principalement pour obtenir un statut ou un privilège.

[19]  Cette approche est juste et conforme à la jurisprudence selon laquelle, même si les antécédents en matière d’immigration ne devraient pas être déterminants, il peut s’agir d’un facteur pertinent (Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244, aux paragraphes 35 et 36).

[20]  Par conséquent, il était raisonnable pour l’agente d’examiner les antécédents du demandeur en matière d’immigration dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Ces renseignements n’ont pas été déterminants pour la demande et ne constituent donc pas une violation de l’équité procédurale.

II.  L’approche de l’agente à l’égard des messages texte constituait-elle un manquement à l’équité procédurale?

[21]  Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a joint de nombreuses pages de messages textes. Ces éléments de preuve n’ont pas été présentés à l’agente. Celle-ci les a demandés, mais le demandeur a refusé de les fournir à l’audience. Il tente maintenant de s’appuyer sur ces renseignements.

[22]  La règle générale en matière de contrôle judiciaire est que le tribunal ne peut prendre en considération que les éléments de preuve qui se trouvaient devant le décideur. Dans Tabañag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1293 [Tabañag], au paragraphe 14, la Cour déclare ce qui : « C’est une règle de droit bien établie que dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la preuve se limite aux documents dont disposait le décideur […] Des éléments de preuve additionnels peuvent être soumis sur les questions d’équité procédurale et de compétence. »

[23]  Le demandeur compte maintenant s’appuyer sur ces éléments de preuve, soutenant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale si l’agente a d’abord demandé ces renseignements, puis a tiré une conclusion défavorable à son égard lorsqu’il a refusé de fournir les renseignements.

[24]  Je ne suis pas d’accord pour affirmer qu’il s’agissait d’une demande déraisonnable de la part de l’agente, surtout si l’on considère le contexte dans lequel elle a été formulée. Le demandeur a demandé à l’agente quels autres éléments de preuve il pouvait présenter pour la convaincre l’agente que la relation était authentique. En réponse, l’agente lui a suggéré de montrer les communications électroniques qu’il a eues avec son répondant. Le demandeur a refusé cette offre. Comme le demandeur a eu l’occasion de présenter ces éléments de preuve à l’audience, mais qu’il a refusé de le faire, il serait inapproprié que la Cour examine maintenant ces éléments [Tabañag, au par. 14].

[25]  Le demandeur se fonde sur la section 7.2.4 de la Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre qui dispose qu’« [i]l ne faut pas s’attendre à ce qu’une personne établisse son [orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre] en présentant des photographies, des vidéos ou d’autres documents visuels sexuellement explicites ». Toutefois, en l’espèce, l’agente ne demandait pas d’éléments prouvant l’orientation sexuelle du demandeur, mais plutôt des éléments de preuve étayant l’authenticité de la relation. De plus, les notes de l’agente indiquent clairement qu’elle ne voulait pas obtenir des textes et des photos explicites, mais plutôt des communications qui démontraient l’authenticité de la relation.  Par conséquent, il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale en ce qui concerne le traitement de ces éléments de preuve par l’agente et il serait inapproprié que la Cour examine maintenant ces éléments de preuve.

[26]  La dernière question d’équité procédurale soulevée par le demandeur est le refus de l’agente de lui permettre, à lui et à son répondant, de s’embrasser. Il dit que cela l’a empêché de présenter de prouver l’authenticité de la relation. L’agente a été raisonnable lorsqu’elle a déclaré qu’un seul baiser ne constituerait pas une preuve d’une relation authentique.

[27]  Le demandeur n’a pas établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

III.  L’agente a-t-elle procédé de façon déraisonnable à une analyse microscopique de la relation?

[28]  Le demandeur soutient que l’agente a soupesé de façon déraisonnable les détails et les divergences mineures dans l’évaluation globale de la preuve sur l’authenticité du mariage. Il soutient que l’agente n’a pas accordé l’importance voulue aux réponses qui étaient cohérentes. À l’appui de cette prétention, le demandeur invoque Tamber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 951 [Tamber], au paragraphe 18, où la Cour a conclu qu’il est déraisonnable d’accorder une trop grande importance à des éléments marginaux et à des points de détail et de manquer d’attention à la preuve qui porte directement sur l’authenticité de la relation matrimoniale.

[29]  Dans la décision Tamber, toutefois, les questions détaillées qui ont été contestées n’étaient pas liées à la relation entre la demanderesse et le répondant. Dans ce cas, l’agent a explicitement reconnu que le couple avait donné des réponses cohérentes aux questions de connaissances générales, mais qu’il n’avait pas donné de réponses cohérentes aux questions de nature plus intime ou personnelle. Les questions portant spécifiquement sur la relation entre la demanderesse et son répondant étaient celles à l’égard desquelles l’agent avait relevé des contradictions. Étant donné que la nature de cette relation est précisément ce qu’un agent est chargé d’évaluer, il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’accorder plus de poids à ces contradictions dans l’équilibre global.

[30]  Dans l’ensemble, les contradictions relevées par l’agente ont miné la crédibilité du couple et, à ce titre, la décision de l’agente ne peut être qualifiée de déraisonnable. De plus, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation de la crédibilité faite par l’agente, car celle-ci est la mieux placée pour faire ces évaluations dans les circonstances.

[31]  La demande est donc rejetée.


JUDGEMENT dans le dossier IMM-310-18

LA COUR STATUE que

1. La demande de contrôle judiciaire de l’agente est rejetée.

2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de novembre 2018.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-310-18

INTITULÉ :

COURAGE ERHABOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES JUGEMENTS ET DES MOTIFS :

 

LE 7 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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