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Date : 20171214


Dossier : IMM-1652-17

Référence : 2017 CF 1148

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

KURTIS OMERO DOUGLAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Douglas présente cette demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision d’un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) datée du 11 avril 2017, par laquelle l’agent a rejeté la demande de report de renvoi en Jamaïque présentée par le demandeur.

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, et après avoir examiné la décision de l’agent au dossier dans son ensemble, j’ai conclu que la décision manquait de transparence et d’intelligibilité en ce qui concerne l’effet à court terme du renvoi sur les enfants en cause. La demande est accueillie.

I.  Résumé des faits

[3]  M. Douglas est un citoyen jamaïcain qui est arrivé au Canada en juin 2012 en utilisant un faux nom et des documents frauduleux. Depuis son arrivée au Canada, il s’est marié. Sa femme et lui ont un enfant qui est né en 2016. M. Douglas considère également l’enfant de sa femme, issu d’une relation précédente, et né en 2012, comme son propre enfant.

[4]  En mars 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a appris l’identité réelle de M. Douglas et a également appris qu’il avait été déporté des États-Unis vers la Jamaïque en 2012, après avoir été reconnu coupable de vol qualifié. Il a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de criminalité à l’extérieur du Canada, en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Il a été arrêté et détenu par l’ASFC en raison de son interdiction de territoire pour des motifs de criminalité et de fausses déclarations. Une mesure d’expulsion a été prise et M. Douglas a renoncé à son droit à un examen des risques avant renvoi.

[5]  Les documents de voyage requis pour le renvoi de M. Douglas en Jamaïque n’ont pas été obtenus avant octobre 2015. En décembre 2015, M. Douglas a été accusé d’infractions découlant de la possession et de l’utilisation non autorisée de cartes de crédit et de documents d’identité. Peu après, il a présenté une demande de résidence permanente dans la « catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ».

[6]  En janvier 2017, M. Douglas a été reconnu coupable des accusions portées en 2015. Il a bénéficié d’une liberté conditionnelle. En mars 2017, des mesures ont été prises pour appliquer la mesure de renvoi. Le 21 mars 2017, M. Douglas a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire pour qu’elle soit prise en compte dans le contexte de la demande de parrainage de conjoint.

[7]  Le 30 mars 2017, M. Douglas a demandé un report de la mesure de renvoi au motif que : 1) il avait une demande pendante de résidence permanente au Canada dans la catégorie des conjoints; 2) il ferait face à des risques en Jamaïque; et 3) son renvoi causerait des difficultés à sa famille et ne serait pas dans l’intérêt supérieur de ses enfants. L’agent a rejeté la demande de report le 11 avril 2017.

II.  Questions en litige

[8]  M. Douglas a affirmé que l’agent : 1) a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en se concentrant sur l’imminence d’une décision relative à la demande de parrainage d’un conjoint au Canada et non sur le délai de la demande; 2) s’est livré à des conjectures lorsqu’il a conclu que la séparation causée par le renvoi n’avait pas à être complète ou permanente; 3) a commis une erreur lorsqu’il a évalué le risque en Jamaïque; 4) a appliqué le mauvais critère juridique lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant. Le défendeur a indiqué que le caractère raisonnable de la décision était la seule question soulevée.

[9]  La seule question qui doit être abordée dans l’examen de la demande est, comme le défendeur l’a indiqué, celle du caractère raisonnable.

III.  Norme de contrôle

[10]  La décision d’un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs, rendue en application de l’article 48 de la LIPR, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Lewis c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 43). Une Cour doit uniquement intervenir lorsqu’une décision ne reflète pas les éléments de justification, d’intelligibilité et de transparence du processus de prise de décision ou lorsque la décision n’appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.  Discussion

[11]  Il n’est pas contesté que, conformément à l’article 48 de la LIPR, le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, aux paragraphes 49 et 51). Malgré le pouvoir discrétionnaire limité que l’agent peut exercer, sa décision doit néanmoins refléter les éléments de transparence et d’intelligibilité à la lumière du dossier dans son ensemble.

[12]  En l’espèce, les observations et la preuve présentées à l’agent indiquaient ce qui suit : 1) M. Douglas est actuellement employé; 2) il est la seule source de soutien financier pour la famille; 3) il est le locataire nommé de l’appartement familial; 4) sa femme est inscrite à un programme d’études de deux ans à temps plein, financé par un programme de prêts aux étudiants; 5) sa présence au programme d’études est facilitée par la capacité de M. Douglas de déposer les enfants à l’école et à la garderie; 6) les autres membres de la famille n’ont pas de voiture et ne vivent pas assez près pour aider à s’occuper des enfants; 7) le renvoi de M. Douglas obligerait sa femme à cesser ses études, mais son endettement dans le cadre du programme de prêts aux étudiants demeurerait; et 8) la famille peut être obligée d’abandonner son logement actuel si M. Douglas devait être renvoyé.

[13]  L’agent a résumé ces éléments de preuve sans les contester :

Je remarque que l’avocat précise que la conjointe de M. Douglas dépend de lui pour son soutien émotionnel et financier. Je remarque que les observations précisent que M. Douglas participe activement à l’éducation des deux enfants et qu’il est le seul soutien financier de la famille. Je remarque qu’il est indiqué que sa conjointe est actuellement étudiante à temps plein.

[14]  L’agent a alors noté que la séparation et la réinstallation sont [traduction] « une partie inhérente du processus de renvoi » et il précise également que les effets peuvent être atténués pour la conjointe et les enfants par des visites à l’étranger et l’initiation d’une demande de parrainage à titre de conjoint de l’étranger. L’agent conclut également que la présence continue de la mère des enfants, son accès aux membres de sa famille et sa capacité d’accéder aux programmes de soutien sociaux et aux organismes publics suffiront pour compenser la séparation des enfants de leur père. L’agent conclut que le report de la mesure de renvoi n’est pas approprié compte tenu des circonstances. Cependant, pour en arriver à ces conclusions, l’agent omet simplement de tenir compte des éléments de preuve.

[15]  Dans certains cas, il peut suffire qu’un agent résume simplement les éléments de preuve. Il ne s’agit pas de l’un de ces cas. Les éléments de preuve en soi ne sont pas conformes aux conclusions de l’agent. À titre d’exemple : 1) la manière dont l’agent en est venu à la conclusion que la séparation de la famille pouvait être atténuée par des voyages à l’étranger n’est pas évidente compte tenu de la situation financière de la famille; 2) il n’est pas du tout évident que la conjointe canadienne sera admissible à parrainer M. Douglas de l’extérieur du Canada, une conclusion atteinte par l’agent sans aucune analyse à l’appui; 3) l’intérêt des enfants est fondé sur le soutien de parents au Canada, mais les éléments de preuve indiquent que les parents ne vivent pas à proximité; et 4) l’agent ne traite pas de l’effet de la perte potentielle du logement familial sur l’intérêt à court terme des enfants.

[16]  En l’espèce, le défaut par l’agent de traiter valablement les éléments de preuve rend la décision déraisonnable.

[17]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un autre décideur.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1652-17

 

INTITULÉ :

KURTIS OMERO DOUGLAS c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

Pour le demandeur

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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