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Date : 20181113


Dossier : IMM-4619-17

Référence : 2018 CF 1130

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MARIA LUISA CASTILLO-MALUNES

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Maria Luisa Castillo-Malunes, est née aux Philippines. Elle est devenue résidente permanente du Canada en janvier 2013. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision [la décision] par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a conclu que son époux n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial selon l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. La présente demande est fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre agent afin qu’il rende une nouvelle décision. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II.  Les dispositions applicables

[3]  Les dispositions applicables du RIPR prévoient ce qui suit :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

1(1) The definitions in this subsection apply in the Act and in these Regulations.

conjoint de fait Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. (common-law partner)

common-law partner means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year. (conjoint de fait)

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

2 The definitions in this section apply in these Regulations.

[…]

[…]

partenaire conjugal À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. (conjugal partner)

conjugal partner means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year. (partenaire conjugal)

[…]

[…]

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

(10) Sous réserve du paragraphe (11), l’alinéa (9)d) ne s’applique pas à l’étranger qui y est visé et qui n’a pas fait l’objet d’un contrôle parce qu’un agent a décidé que le contrôle n’était pas exigé par la Loi ou l’ancienne loi, selon le cas.

(10) Subject to subsection (11), paragraph (9)(d) does not apply in respect of a foreign national referred to in that paragraph who was not examined because an officer determined that they were not required by the Act or the former Act, as applicable, to be examined.

III.  Le contexte

[4]  La demanderesse a présenté une demande de parrainage de son époux, Dante Jr. Malunes, [M. Malunes], à partir des Philippines. La demanderesse et M. Malunes se sont rencontrés en juin 2010, alors qu’ils habitaient tous les deux dans la même pension mixte, près du campus de leur université, et ont commencé à se fréquenter à ce moment‑là. Le 9 juin 2011, M. Malunes a demandé la demanderesse en mariage. À la suite de leurs fiançailles, ils ont décidé qu’ils n’étaient pas prêts à s’établir parce qu’ils dépendaient encore financièrement de leur famille et qu’ils étudiaient à l’université. En février 2012, la demanderesse a appris qu’elle était enceinte – au départ, elle ne l’avait dit à personne sauf à M. Malunes, mais elle l’a finalement annoncé à sa famille. Le 12 octobre 2012, la demanderesse a donné naissance à son fils. En décembre 2012, la demanderesse et M. Malunes ont décidé de s’occuper de leur enfant ensemble, avec l’aide de leurs parents et des membres de leur parenté.

[5]  La demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente au Canada et figure comme enfant à charge sur la demande de ses parents. Elle a obtenu le droit d’établissement en tant que résidente permanente le 17 janvier 2013. Dans sa demande, la demanderesse a déclaré qu’elle était célibataire sans personne à charge – elle n’a pas déclaré M. Malunes ni son fils à titre de personnes à charge, et ces derniers n’ont pas fait l’objet d’un contrôle. Pendant qu’elle était au Canada, la demanderesse a continué à communiquer avec M. Malunes et son fils. Lorsqu’elle a obtenu un emploi, elle leur a fourni un soutien financier. Après avoir vécu séparément de lui pendant deux ans, la demanderesse s’est rendue aux Philippines et a épousé M. Malunes le 6 février 2015. En novembre 2015, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer M. Malunes afin qu’il obtienne sa résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Dans sa demande, M. Malunes a déclaré qu’il avait cohabité avec la demanderesse de décembre 2011 à janvier 2013 et qu’ils avaient eu un fils, né le 12 octobre 2012.

[6]  Le 9 février 2016, la demanderesse a été informée qu’elle n’avait pas le droit de parrainer M. Malunes parce qu’il n’était pas considéré comme un membre de la famille puisqu’il n’avait pas été déclaré lorsque la demanderesse a obtenu son visa de résidente permanente, en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Le 23 février 2016, la demanderesse a écrit au bureau des visas à Manille, aux Philippines, et a demandé un réexamen. Dans une lettre datée du 21 avril 2016, le bureau des visas a donné à M. Malunes la possibilité de répondre. Il a répondu dans une lettre datée du 28 avril 2016. Dans une décision datée du 4 mai 2017, l’agent des visas a refusé la demande en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. L’agent des visas a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La demanderesse a déposé un avis d’appel de cette décision défavorable auprès de la SAI le 19 mai 2017. La demanderesse a déposé des observations écrites le 27 juillet 2017 et a demandé à la SAI de tenir compte du fait qu’elle n’était pas au courant des conséquences de l’omission de déclarer qu’elle avait un enfant avec M. Malunes. Dans la décision du 2 octobre 2017, la SAI a rejeté l’appel de la demanderesse.

IV.  La décision

[7]  La SAI a reconnu que la demanderesse a obtenu sa résidence permanente le 17 janvier 2013 et qu’à ce moment, elle avait déclaré qu’elle était célibataire, sans personne à charge. Le 6 février 2015, la demanderesse et M. Malunes se sont mariés et, au cours de la même année, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer son époux. La SAI a souligné que dans la demande de M. Malunes, ce dernier a déclaré qu’il avait cohabité avec la demanderesse de décembre 2011 à janvier 2013 et qu’ils ont eu un fils le 12 octobre 2012.

[8]  La question centrale dont était saisie la SAI consistait à déterminer si M. Malunes est exclu de la catégorie du regroupement familial conformément à l’alinéa 117(9)d) du RIPR parce qu’il n’a pas été déclaré et n’a pas fait l’objet d’un contrôle pendant le traitement de la demande de résidence permanente de la demanderesse. La SAI a souligné que la jurisprudence donne une orientation claire quant au sens, à la portée et à l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. La SAI a expliqué que la non-divulgation d’une personne à charge qui empêche ainsi que celle-ci fasse l’objet d’un contrôle par un agent d’immigration exclut le parrainage futur de cette personne comme membre de la catégorie du regroupement familial, quels que soient les raisons ou les motifs de cette personne (Adjani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 32 [Adjani]). L’obligation du demandeur de déclarer une personne à charge commence au moment de la présentation de la demande de résidence permanente et demeure en vigueur jusqu’à ce que l’intéressé obtienne le statut de résident permanent au point d’entrée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Dela Fuente, 2006 CAF 186 [Dela Fuente]).

[9]  La SAI a déterminé que, selon « les éléments de preuve non contestés », la demanderesse et M. Malunes ont été engagés dans une union de fait, puisqu’ils ont cohabité de décembre 2011 à janvier 2013 et ont eu un enfant, né le 12 octobre 2012. La SAI a reconnu que la demanderesse a mentionné les raisons qui l’ont poussée à ne pas déclarer M. Malunes ou son fils dans sa demande, mais a conclu que ses raisons ou ses motifs sont sans importance. La SAI a conclu que puisque M. Malunes n’a pas fait l’objet d’un contrôle, il est exclu de la catégorie du regroupement familial.

[10]  La SAI a souligné que conformément à l’article 65 de la LIPR, la SAI n’a pas compétence pour prendre des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, puisque M. Malunes n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial.

V.  Les questions en litige

A.  La norme de contrôle

B.  La décision de la SAI était-elle raisonnable?

VI.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[11]  La demanderesse soutient que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision de la SAI est celle de la décision raisonnable (Chen c Canada (MCI), 2017 CF 814, au paragraphe 9 [Chen]).

[12]  Le défendeur soutient que la question qui consiste à déterminer si un couple entretenait une relation conjugale au sens de la LIPR est une conclusion de fait assujettie à la norme de la décision raisonnable. Cette norme englobe différentes issues possibles acceptables (Tang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 973, au paragraphe 25 [Tang]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration] c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Dans la décision Traverse c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 551 [Traverse], le juge Rennie a conclu qu’il « peut y avoir des opinions divergentes, tout aussi raisonnables, à la lumière des faits constatés, voulant que la relation soit conjugale ou non » (au paragraphe 11).

[13]  La Cour convient avec les parties que l’évaluation de la SAI de la question de savoir si la demanderesse et M. Malunes entretenaient une relation conjugale est une question de fait assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Tang, au paragraphe 25; Traverse, au paragraphe 11). La décision doit faire partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

B.  La décision de la SAI était‑elle raisonnable?

(1)  La thèse de la demanderesse

[14]  La demanderesse soutient que les questions déterminantes consistent à savoir si la SAI a appliqué la bonne définition de la relation conjugale et de l’union de fait et à savoir si la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui démontrent l’absence d’une relation conjugale. La SAI a conclu que puisque la demanderesse et M. Malunes ont déclaré qu’ils avaient cohabité pendant plus d’un an et qu’ils avaient eu un enfant ensemble, des éléments de preuve « non contestés » montrent qu’il y avait une union de fait. La demanderesse soutient que ces éléments de preuve ne sont pas contestés et que la SAI a omis de tenir compte d’autres facteurs pertinents pour évaluer s’il s’agissait d’une relation conjugale.

[15]  La demanderesse soutient également que la décision n’est pas raisonnable parce que la SAI n’a pas examiné si M. Malunes et elle étaient dans une union de fait au moment où elle a obtenu son visa de résidente permanente. La demanderesse affirme qu’ils n’étaient pas dans une union de fait à ce moment‑là parce que leur relation ne satisfaisait pas à la définition prévue au paragraphe 1(1) du RIPR. La demanderesse soutient qu’une relation conjugale doit être assimilable à un mariage. La demanderesse soutient également que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte d’autres facteurs qui, selon la jurisprudence, doivent être pris en compte pour déterminer si deux personnes entretiennent une relation conjugale.

[16]  Dans l’arrêt M c H, [1999] 2 RSC 3 [M c H], la Cour suprême a expliqué les caractéristiques de la relation conjugale : le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants, l’image sociétale du couple et l’intention des conjoints d’entretenir la relation (au paragraphe 59; voir également l’arrêt Chen, au paragraphe 26). La Cour suprême reconnaît que ces éléments peuvent être présents à différents degrés et qu’il n’est pas nécessaire qu’ils soient tous présents pour que la relation soit de nature conjugale.

[17]  L’article 5.24 du guide de Citoyenneté et Immigration Canada, intitulé « OP 2 – Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial » (guide OP), daté du 14 novembre 2006, prévoit que les facteurs mentionnés dans l’arrêt M c H doivent être pris en compte pour déterminer si deux personnes entretiennent réellement une relation conjugale. Le guide OP précise également que les caractéristiques suivantes doivent être présentes à un certain degré dans toute relation conjugale, à l’article 5.25 :

  • engagement mutuel à une vie commune;

  • exclusivité – on ne peut vivre plus d’une relation conjugale en même temps;

  • intimité – engagement envers une exclusivité sexuelle;

  • interdépendance – physique, émotive, financière et sociale;

  • permanence – relations authentiques constantes à long terme;

  • les conjoints se présentent comme un couple;

  • les partenaires sont considérés comme un couple;

  • le couple prend soin des enfants ensemble (le cas échéant).

[18]  En ce qui concerne la naissance de l’enfant du couple, la demanderesse soutient que les éléments de preuve démontrent que le couple a décidé en décembre 2012 seulement de s’occuper ensemble de son fils. La demanderesse soutient que ce facteur ne permet pas de conclure à l’existence d’une relation conjugale.

[19]  La demanderesse affirme que les éléments de preuve montrent également que ni elle ni son époux n’étaient prêts à s’établir lorsqu’ils vivaient aux Philippines. La demanderesse soutient que ce fait démontre leur intention. Selon l’article 5.25 du guide OP, les personnes qui sortent ensemble ou qui pensent à se marier ne vivent pas encore une relation conjugale. La demanderesse souligne également qu’elle est retournée aux Philippines après avoir vécu au Canada pendant deux ans. Elle soutient que cette longue période de séparation révèle que le couple ne vivait pas un engagement fondé sur une interdépendance mutuelle au moment où le couple vivait aux Philippines.

[20]  La demanderesse soutient que bien que M. Malunes ait indiqué dans sa demande de résidence permanente qu’il a [traduction] « cohabité » avec la demanderesse de décembre 2011 à janvier 2013, d’autres éléments de preuve montrent que la cohabitation n’a pas eu lieu dans le contexte d’une relation conjugale. D’autres éléments de preuve démontrent que cette période a été considérée comme une période de cohabitation parce que la demanderesse et M. Malunes ont mal compris le terme.

[21]  La demanderesse soutient que la SAI a commis plusieurs erreurs en concluant que les éléments de preuve qui ont servi à établir que le couple était dans une union de fait étaient « non contestés ». Premièrement, la SAI a commis une erreur en appliquant la bonne définition d’une union de fait. Comme nous l’avons expliqué précédemment, un certain nombre de facteurs doivent être présents dans toute relation conjugale, et la SAI a seulement tenu compte de la cohabitation de la demanderesse avec M. Malunes et de leur enfant.

[22]  Deuxièmement, la SAI a commis une erreur étant donné que la preuve de cohabitation n’a pas été contestée. La demanderesse a expliqué qu’elle et M. Malunes ont décrit la période pendant laquelle ils ont habité ensemble dans la pension mixte comme une cohabitation parce qu’ils ont mal compris le terme. Enfin, la demanderesse soutient que d’autres facteurs démontrent que la demanderesse n’entretenait pas une relation conjugale pendant la période en cause. La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve pertinents au dossier permettant de contester l’existence d’une cohabitation.

[23]  La demanderesse soutient également que la nature de la propriété dans laquelle elle et M. Malunes habitaient pendant qu’ils allaient à l’université est d’intérêt parce qu’elle révèle la nature de leur relation. La demanderesse et M. Malunes habitaient dans la même pension avant de se rencontrer et d’entretenir une relation romantique. La demanderesse soutient que rien ne prouve que le début de leur relation romantique ait changé quoi que ce soit à leurs conditions de vie – ils ont continué à vivre dans la même pension. Par conséquent, la demanderesse soutient que le fait qu’ils ont habité dans la même pension ne dit rien de la nature conjugale de leur relation puisque leurs conditions de vie étaient indépendantes de la nature de leur relation.

[24]  La demanderesse soutient également que selon le guide OP, les fiancés et les personnes qui prévoient se marier ne vivent pas une relation conjugale. La demanderesse soutient que rien ne prouve que le couple se soit présenté en public comme entretenant une relation assimilable à un mariage ni qu’il ait été perçu ainsi.

(2)  La thèse du défendeur

[25]  Le défendeur soutient que la décision d’exclure M. Malunes de la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR était raisonnable compte tenu des éléments de preuve. Le défendeur soutient que le demandeur a l’obligation d’informer l’agent des visas de tous les membres de sa famille au moment de présenter sa demande et d’informer l’agent du point d’entrée où il a obtenu son visa de résident permanent de tout changement à sa situation [alinéa 10(2)a), article 51 et alinéa 117(9)d) du RIPR].

[26]  Le défendeur soutient que le dossier présenté à la SAI confirme la conclusion selon laquelle au moment où la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente, elle et M. Malunes entretenaient une union de fait. Le défendeur souligne les éléments de preuve suivants :

  • Le couple entretient une relation depuis 2010;

  • En juin 2011, le couple s’est fiancé et a annoncé les fiançailles aux deux familles;

  • En décembre 2011, le couple a emménagé dans la même pension mixte, où il a habité jusqu’à ce que la demanderesse obtienne le statut de résidente permanente au Canada en janvier 2013;

  • En janvier ou en février, le couple a appris que la demanderesse était enceinte;

  • Le fils du couple est né en octobre 2012;

  • Les deux conjoints ont convenu en décembre 2012 de s’occuper de leur fils avec l’aide de leur famille.

[27]  Le défendeur convient que l’arrêt M c H et le guide OP 2 présentent des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une relation est conjugale ou constitue une union de fait.

[28]  Le défendeur soutient que les éléments de preuve indiquent que le couple vivait à la même adresse et entretenait une relation conjugale ou une relation assimilable à un mariage. La demanderesse ne conteste pas qu’elle et M. Malunes ont vécu ensemble à la même adresse pendant plus d’un an. L’argument de la demanderesse selon lequel leur situation ne constituait pas de la cohabitation en raison de la nature de leur résidence et de la présence d’autres personnes à la même adresse n’est pas appuyé par la jurisprudence. La demanderesse n’a pas cité de jurisprudence concernant son affirmation selon laquelle le couple doit partager un toit qui lui est exclusif pour que l’on puisse conclure à une relation conjugale ou à une union de fait. Le défendeur soutient que c’est la nature de la relation, et non la nature de la propriété, qui est le facteur déterminant. Le défendeur soutient que rien ne prouve que la cohabitation du couple n’a pas eu lieu dans le contexte d’une relation conjugale. Rien ne prouve également que M. Malunes ait mal compris le terme « cohabitation ». Dans les observations écrites que la demanderesse a soumises à la SAI, elle a reconnu qu’elle aurait dû déclarer son enfant et M. Malunes lorsqu’elle a obtenu le droit d’établissement ou qu’elle aurait dû les inclure à titre de personnes à charge qui ne l’accompagnaient pas. Le défendeur soutient également que le fait que la demanderesse ait confondu les concepts de cohabitation et de conjoint de fait ne constitue pas un argument permettant d’échapper à l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR (Adjani, au paragraphe 24). La raison pour laquelle la demanderesse n’a pas mentionné son époux est également sans importance.

[29]  Le défendeur soutient que l’existence de l’union de fait était également étayée par le fait que le couple s’est fiancé avant de cohabiter, par le fait que la relation et les fiançailles du couple étaient connues et par le fait que le couple a eu un enfant ensemble pendant ce temps. L’affirmation selon laquelle ils n’étaient pas prêts à s’établir alors qu’ils étaient aux Philippines ne permet pas de remettre en cause la conclusion de la SAI. Le couple était fiancé en vue de se marier et a été fiancé pendant environ un an et demi avant que la demanderesse devienne résidente permanente du Canada.

[30]  Le défendeur soutient que le fait que le couple a initialement tenté de dissimuler la grossesse de la demanderesse n’a pas d’incidence sur l’image sociétale du couple. Rien ne prouve que la demanderesse et M. Malunes ne se comportaient pas comme un couple pendant la période en cause, malgré le risque de stigmatisation associé à une grossesse en dehors des liens du mariage.

[31]  Le défendeur affirme que la décision du couple de s’occuper ensemble de son fils en décembre 2012 confirme la conclusion selon laquelle le couple était dans une union de fait (Dela Fuente).

(3)  Analyse

[32]  Dans l’arrêt Dela Fuente, la Cour d’appel fédérale a expliqué que l’alinéa 117(9)d) du RIPR prévoit que le demandeur a l’obligation de déclarer les membres de sa famille entre la date à laquelle la demande est amorcée jusqu’à la date à laquelle l’intéressé obtient le statut de résident permanent au point d’entrée (au paragraphe 51). Si un membre de la famille n’est pas déclaré pendant la période visée, il est exclu de la catégorie du regroupement familial. En l’espèce, il n’est pas contesté que la demanderesse n’a pas déclaré M. Malunes ou son fils à titre de membres de sa famille lorsqu’elle a obtenu le statut de résidente permanente et que par conséquent, ils n’ont pas fait l’objet d’un contrôle.

[33]  La question déterminante à laquelle la Cour doit répondre consiste à savoir s’il était raisonnable pour la SAI de conclure que le couple formait une union de fait lorsque la demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente.

[34]  La SAI a déterminé que selon des « éléments de preuve non contestés », la demanderesse et M. Malunes étaient dans une union de fait puisqu’ils ont cohabité de décembre 2011 à janvier 2013 et ont eu un enfant, né le 12 octobre 2012.

[35]  Les concepts de conjoint de fait et de relation conjugale sont définis dans le RIPR :

1(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

conjoint de fait Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an. (common-law partner)

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

partenaire conjugal À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. (conjugal partner)

[36]  Les parties conviennent que le guide OP 2 présente une liste de caractéristiques qui doivent être présentes dans toute relation conjugale :

Engagement mutuel à une vie commune;

Exclusivité – on ne peut vivre plus d’une relation conjugale en même temps;

Intimité – engagement envers une exclusivité sexuelle;

Interdépendance – physique, émotive, financière et sociale;

Permanence – relations authentiques constantes à long terme;

Les conjoints se présentent comme un couple;

Les partenaires sont considérés comme un couple;

Le couple prend soin des enfants ensemble (le cas échéant).

[37]   Les parties conviennent également que la Cour suprême a expliqué les caractéristiques pertinentes d’une relation conjugale dans l’arrêt M c H, au paragraphe 59, dont il a été question au paragraphe 15. En ce qui concerne le partage d’un toit, les éléments de preuve suivants ont été présentés à la SAI. Dans son « Questionnaire de l’époux, du conjoint de fait ou du partenaire conjugal », M. Malunes a déclaré, en réponse à la question 27, qu’il a habité avec la demanderesse du 1er décembre 2011 au 17 janvier 2013. La demanderesse a également présenté les observations suivantes :

[traduction] Il est vrai que Dante Malunes, qui était alors mon petit ami, et moi avons habité dans une pension mixte près de notre campus universitaire. J’avais compris que la cohabitation signifie que nous nous connaissions pendant la période en question. C’est pendant cette période que je suis tombée enceinte, sans que ma famille soit mise au courant.

[38]  Devant la SAI, le consultant en immigration qui représentait alors la demanderesse a présenté les observations suivantes concernant leurs conditions de vie :

[traduction] L’appelant et la demanderesse se sont rencontrés le 9 juin 2010 à la pension mixte où ils cohabitaient, près du campus de l’université Romblon State.

[39]  De l’avis de la Cour, selon la preuve dont disposait la Section de l’immigration, il n’était pas possible de déterminer clairement le lieu de résidence de la demanderesse et de M. Malunes entre le 1er décembre 2011 et le 17 janvier 2013 – période pendant laquelle ils ont cohabité, selon M. Malunes. Dans sa lettre du 18 mai 2017, la demanderesse a déclaré qu’ils vivaient dans une pension mixte lorsqu’elle est tombée enceinte, soit en février 2012. Les observations du représentant de la demanderesse datées du 20 juillet 2017 indiquent que le couple s’est rencontré en juin 2010 dans une pension mixte. De l’avis de la Cour, les éléments de preuve des conditions de vie du couple est d’une nature telle qu’on ne peut dire qu’ils sont « non contestés ».  

[40]  La demanderesse soutient également que la décision n’est pas raisonnable parce que l’agent n’a pas évalué toutes les caractéristiques d’une relation conjugale énoncées dans l’arrêt M c H, ainsi que les facteurs énumérés dans le guide OP. La Section de l’immigration a déterminé que le couple entretenait une union de fait en s’appuyant uniquement sur la conclusion que le couple avait cohabité pendant plus d’un an et qu’il a eu un enfant. Le raisonnement selon lequel le couple était engagé dans une union de fait parce qu’il a eu un enfant ne tient pas compte de la preuve. Selon la preuve dont disposait la Section de l’immigration, le couple a décidé de s’occuper de son enfant en décembre 2012 – seulement un mois avant que la demanderesse obtienne son statut de résidente permanente au Canada. Selon la Cour, il n’est pas clair si la Section de l’immigration a tenu compte de ce fait. De plus, aucune analyse n’a été faite des autres caractéristiques d’une relation conjugale énoncées dans la jurisprudence et le guide OP. Selon la Cour, cette omission dans l’analyse n’était pas raisonnable.

[41]  Bien qu’au vu du dossier, le couple présentait certaines des caractéristiques d’une relation conjugale, comme l’image sociétale du couple, il n’est pas clair si le couple présentait toutes les caractéristiques d’une relation conjugale. Par exemple, on ne sait pas clairement si le couple partageait des services ou était suffisamment indépendant. De plus, en ce qui concerne le facteur du soutien financier, des éléments de preuve révèlent que la demanderesse et M. Malunes dépendaient encore financièrement de leurs parents lorsqu’ils se sont fiancés en juin 2011.

[42]  Comme le souligne le défendeur, la raison ou le motif pour lequel un membre de la famille qui n’accompagne pas le demandeur n’est pas déclaré dans une demande de résidence permanente n’est pas pertinent (Adjani, au paragraphe 24). Bien que la SAI disposait d’éléments de preuve démontrant que la demanderesse ne comprenait pas le terme « cohabiter », cette explication ne change rien au fait que M. Malunes n’a pas fait l’objet d’un contrôle par un agent d’immigration lorsque la demanderesse a obtenu son visa de résidente permanente.

[43]  Toutefois, comme nous l’avons expliqué précédemment, la Cour est d’avis que la décision est néanmoins déraisonnable parce que la Section de l’immigration n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse et M. Malunes ont seulement décidé de s’occuper de leur enfant ensemble en décembre 2012 et que la SAI n’a pas examiné ni analysé les autres caractéristiques d’une relation conjugale ou d’une union de fait. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4619-17

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2018.

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4619-17

 

INTITULÉ :

MARIA LUISA CASTILLO-MALUNES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUILLET 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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