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Dossier : IMM‑664‑18

Référence : 2018 CF 1123

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ORRETT KRIS FRANCIS

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle d’une décision relative à un examen des risques avant renvoi [ERAR] et soutient que la Cour doit aborder la question de savoir quand une personne visée par une mesure de renvoi et qui se trouve au Canada peut obtenir un avis l’autorisant à demander un ERAR. Comme nous le verrons ci‑dessous, je conclus que la Cour n’est pas régulièrement saisie de la question du moment où l’avis est donné, que la seule question qu’il faut aborder est celle du caractère raisonnable de la décision, et que cette dernière est raisonnable.

Le cadre législatif

[2]  L’ERAR fournit un moyen de protection à un groupe défini de personnes qui attendent d’être renvoyées du Canada et qui peuvent être exposées à un risque à leur retour dans leur pays d’origine. Le programme d’ERAR est conforme aux obligations internationales du Canada en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et du Protocole de 1967. En particulier, il respecte l’obligation du Canada quant au principe de non‑refoulement, qui interdit le retour forcé d’une personne vers un territoire où sa vie ou sa liberté est menacée.

[3]  Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR], qui concernent le demandeur sont indiquées ci‑dessous.

[4]  Une personne qui est « visée par une mesure de renvoi ayant pris effet » peut faire une demande de protection au ministre « après avoir reçu du ministère un avis à cet effet » : LIPR, paragraphe 112(1) et RIPR, paragraphe 160(1). L’avis selon lequel une demande d’ERAR peut être présentée « est donné [...] avant [le] renvoi du Canada » : RIPR, alinéa 160(3)a).

[5]  Le paragraphe 49(1) de la LIPR mentionne que la mesure de renvoi « non susceptible d’appel prend effet immédiatement; celle susceptible d’appel prend effet à l’expiration du délai d’appel, s’il n’est pas formé, ou quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure ».

[6]  Il peut y avoir sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. L’article 50 de la LIPR indique qu’il y a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans les cas suivants : « a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance; b) tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger; c) pour la durée prévue par la Section d’appel de l’immigration ou toute autre juridiction compétente; d) pour la durée du sursis découlant du paragraphe 114(1); e) pour la durée prévue par le ministre ».

[7]  Il convient de souligner  que le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi n’a pas d’effet sur sa validité.

Le contexte factuel

[8]  Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Il est entré au Canada le 22 juin 1990 à titre de résident permanent. Le 1er juillet 2013, il a été reconnu coupable des infractions de trafic de substances contrôlées pour une organisation criminelle, de complot en vue du trafic de cocaïne et de complot en vue de faire le trafic de marijuana. Il a été condamné à un emprisonnement de neuf ans et il a été incarcéré à l’établissement de Bath pour y purger sa peine. Il a interjeté appel à la Cour d’appel de l’Ontario et, par ordonnance de cette cour datée du 12 mai 2017, il a été libéré sous caution, sous réserve de conditions, en attendant l’audition de l’appel. À sa sortie de prison, le demandeur a été arrêté et détenu par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), mais la Section de l’immigration a ordonné sa libération le 17 mai 2017.

[9]  Après sa condamnation, mais avant sa libération sous caution, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu, le 18 juin 2015, que le demandeur était interdit de territoire au Canada et il a fait l’objet d’une mesure de renvoi de la nature d’une mesure d’expulsion.

[10]  Le 22 juin 2017, le demandeur s’est vu signifier un avis lui indiquant qu’il pouvait présenter une demande d’ERAR. Il a déposé sa demande d’ERAR le 29 juin 2017, et les observations de son avocat ont été envoyées le 20 juillet 2017. Dans la demande d’ERAR, le demandeur a écrit : [traduction« Veuillez prendre note du fait que les condamnations font actuellement l’objet d’un appel », mais les observations écrites ne font pas mention de l’appel et ne laissent pas non plus entendre qu’il ne convenait pas de rendre la décision relative à l’ERAR à ce moment‑là.

[11]  Les observations relatives à l’ERAR portaient sur la persécution en Jamaïque. Des éléments de preuve démontrant que les personnes expulsées vers la Jamaïque font l’objet de discrimination et ont de la difficulté à trouver du travail ont été présentés. Des éléments de preuve ont aussi été présentés afin de démontrer que les enlèvements contre rançon sont monnaie courante en Jamaïque, et le demandeur fait valoir qu’il serait considéré comme une personne aisée parce qu’il revient du Canada.

[12]  L’agent n’a pas conclu que le demandeur risquait d’être soumis à la torture au sens de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR, ou exposé au risque de peine au sens de l’alinéa 97(1)b). Après avoir examiné la LIPR, l’agent a convenu avec le demandeur que la preuve indiquait que les personnes expulsées vers la Jamaïque pouvaient être victimes de discrimination, mais il a dit que la preuve n’indiquait pas comment on pourrait savoir, en Jamaïque, qu’il a été expulsé.

[13]  Subsidiairement, l’agent a dit qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la discrimination dont les personnes expulsées peuvent faire l’objet constitue de la torture, une menace à la vie ou des traitements ou peines cruels et inusités. L’agent a aussi dit que la preuve ne permet pas d’affirmer que le demandeur serait personnellement ciblé par des gangs en raison de ses ressources financières perçues. Les éléments de preuve ont démontré que la criminalité est un problème en Jamaïque, mais le demandeur n’est pas parvenu à prouver qu’il serait ciblé.

[14]  La décision relative à l’ERAR ne fait aucune mention d’un appel en matière criminelle en instance devant la Cour d’appel de l’Ontario. La décision relative à l’ERAR a été rendue le 17 novembre 2017, mais n’a été communiquée au demandeur que le 7 février 2018. En février 2018, l’ASFC a commencé à préparer le renvoi du demandeur prévu pour le 15 mars 2018. Le 27 février 2018, l’avocate du demandeur a informé l’ASFC que ce dernier purgeait toujours une peine et qu’il n’était qu’en liberté sous caution. L’ASFC a annulé le renvoi.

Les questions en litige

[15]  Le demandeur soutient que le défendeur a commis une erreur de droit et a agi sans compétence lorsqu’il lui a signifié, avant que la mesure de renvoi prise contre lui ne soit exécutoire, un avis lui indiquant qu’il pouvait présenter une demande d’ERAR en vertu de l’article 160 du RIPR. Subsidiairement, le demandeur soutient que le défendeur a commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si la discrimination cumulative dont il ferait l’objet en Jamaïque constituait de la persécution.

Analyse

[16]  Le défendeur soutient que le demandeur ne peut pas maintenant contester le fait qu’il lui a envoyé un avis relatif à la demande d’ERAR.

[traduction]

Même si le demandeur soutient maintenant que le processus d’ERAR n’aurait pas dû être entamé, étant donné qu’il pourrait retourner en prison si son appel était rejeté, cet argument n’est pas fondé. Le 22 juin 2017, le demandeur a reçu un avis lui indiquant qu’il pouvait présenter une demande d’ERAR. Il a formulé des observations dans le cadre de sa demande d’ERAR le 29 juin 2017 et le 20 juillet 2017. Il n’a pas contesté la décision de procéder à son ERAR lorsque ce dernier a été entamé. Ce n’est que maintenant qu’une décision défavorable a été rendue à l’égard de son ERAR que le demandeur, tout en contestant la décision relative à l’ERAR, soutient que le processus d’ERAR n’aurait pas dû être entamé.

[17]  La décision faisant l’objet du contrôle, décrite dans l’avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est [traduction« la décision de l’agent principal R. KLAGSBURN (datée du 17 novembre 2017 et communiquée aux demandeurs [sic] le 7 février 2018) refusant la demande de résidence permanente en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (examen des risques avant renvoi) ».

[18]  Il est vrai que le demandeur, en exposant le recours demandé, affirme qu’il est fondé, en partie, sur le motif que le défendeur a [traduction« commis une erreur de droit et a agi sans compétence lorsqu’il a signifié au client, avant que la mesure de renvoi ne soit exécutoire, un avis de demande relatif à l’ERAR en vertu de l’article 160 du RIPR». À mon avis, lorsqu’il affirme cela, le demandeur demande en fait à la Cour d’examiner la décision, datée du 22 juin 2017, de l’aviser qu’il avait le droit de présenter une demande d’ERAR. Cette décision n’est pas en cause. En outre, aucune demande visant à solliciter l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision n’a été présentée en temps opportun et aucune demande de prorogation de délai n’a été présentée par le demandeur.

[19]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur tente dans la présente demande portant sur la décision relative à l’ERAR de contester la décision de l’aviser qu’il pouvait présenter une demande d’ERAR. Si telle avait été sa préoccupation, il aurait dû contester l’avis relatif à la demande d’ERAR dans le délai de 30 jours suivant sa réception. Je souscris aussi à l’observation du défendeur voulant que, si la décision relative à l’ERAR avait été favorable, le demandeur ne dirait probablement pas maintenant que la décision a été prise sans compétence et qu’elle est nulle.

[20]  Vu cette conclusion, je n’ai pas à me pencher sur les observations détaillées formulées par les avocats quant au moment où l’avis de demande d’ERAR a été présenté. Toutefois, je formulerai quelques remarques incidentes.

[21]  Tout d’abord, la Cour a fait remarquer que les décisions relatives aux ERAR doivent être rendues à une date rapprochée de la date de renvoi du demandeur du Canada : voir Revich c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 852, et Asfaw c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 366.

[22]  Ensuite, la seule condition préalable prévue par loi en ce qui concerne l’envoi d’un avis à un demandeur lui indiquant qu’il peut présenter une demande d’ERAR est que celui‑ci doit faire l’objet d’une « mesure de renvoi ayant pris effet ». Dans la mesure où cette condition est respectée, la question du moment où l’avis est donné relève des autorités de l’immigration. Une mesure de renvoi qui a pris effet peut faire l’objet d’un sursis en vertu de la loi, comme ce fut le cas pour la mesure de renvoi dont le demandeur a fait l’objet en raison de sa condamnation et de son appel. Le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi ne signifie pas qu’elle n’est plus en vigueur; il signifie plutôt qu’elle ne peut pas être exécutée.

[23]  Si la décision relative à l’ERAR est rendue bien avant la date prévue du renvoi, le demandeur peut demander à l’agent chargé du renvoi de réexaminer la demande lorsqu’il se voit signifier plus tard une directive de se présenter ou s’il produit subsidiairement un nouvel ERAR, comme l’indique l’article 165 du RIPR :

La personne dont la demande de protection a été rejetée et qui est demeurée au Canada après la délivrance de l’avis visé à l’article 160 peut présenter une autre demande de protection. Les observations écrites, le cas échéant, doivent accompagner la demande. Il est entendu que la demande n’opère pas sursis de la mesure de renvoi.

[24]  Bien que le sursis ne soit pas automatique dans ces circonstances, le demandeur peut demander à la Cour un sursis à l’exécution du renvoi parce qu’il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle de la décision de procéder au renvoi avant que la décision relative au nouvel ERAR soit rendue. La Cour entend souvent de telles requêtes au motif de ce que les avocats décrivent comme le « présumé rejet de la demande de report ». Comme je l’ai fait remarquer dans Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1051, au paragraphe 24 :

Si, dans une demande de report, il y a une preuve claire et convaincante démontrant que la situation du demandeur d’asile débouté a changé de façon importante ou que les conditions dans le pays de renvoi se sont détériorées au point où le demandeur court un risque réel de préjudice et ne peut bénéficier d’une protection adéquate, il peut persuader un juge de la Cour du fait que sa demande de contrôle judiciaire visant le rejet de sa demande de report est susceptible d’être accueillie. Subsidiairement, il peut convaincre un juge qu’il dispose d’une preuve prima facie établissant que son renvoi portera atteinte à son droit à la liberté, à la sécurité et peut‑être à la vie qui est garanti à l’article 7 de la Charte. 

[25]  Par conséquent, lorsque, comme en l’espèce, l’avis d’ERAR a été envoyé bien avant l’exécution de la mesure de renvoi, la personne n’est pas privée de recours et bénéficie de mesures de protection visant à s’assurer qu’elle n’est pas susceptible de subir un préjudice si elle est renvoyée.

[26]  La seule question dont la Cour est régulièrement saisie dans la présente demande est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[27]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas examiné la question de savoir comment des actes cumulatifs de discrimination peuvent équivaloir à de la persécution. Il invoque la décision Iossifov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1318, 45 ACWS (3d) 728 [Iossifov].

[28]  La décision Iossifov portait sur une demande d’asile fondée sur l’article 96 de la LIPR. Puisqu’en l’espèce le demandeur s’est vu signifier une mesure d’expulsion fondée sur son interdiction de territoire pour criminalité, il avait droit, selon le paragraphe 112(3) de la LIPR, à un ERAR limité aux considérations visées par l’article 97, soit la question de savoir s’il est exposé au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Ce principe énoncé dans la décision Iossifov ne s’applique pas à sa situation. Il n’a formulé aucune observation quant au caractère raisonnable de l’examen des considérations visées par l’article 97 dans la décision relative à l’ERAR.

[29]  Pour ces motifs, la demande est rejetée.

[30]  Le demandeur a proposé les deux questions suivantes aux fins de certification :

[31]  Vu qu’il n’est question que du caractère raisonnable de la décision qui fait l’objet du présent contrôle, aucune des questions proposées ne permettrait de trancher un appel. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑664‑18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2018.

Claude Leclerc, traducteur



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