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Date : 20181115


Dossier : T-1848-16

Référence : 2018 CF 1153

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DEAN JOSEPH EVANS

demandeur

et

DISCOVERY COMMUNICATIONS LLC

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La défenderesse, Discovery Communications LLC, sollicite un jugement sommaire rejetant la présente action pour violation du droit d’auteur.

L’action

[2]  Le demandeur soutient que les épisodes de la télésérie Futurescape [la télésérie], diffusée par la défenderesse, violent son droit d’auteur dans le roman Glimpses of a Black Ops [le roman].  Le roman a été publié en août 2011 et la télésérie a été diffusée à la fin de 2013.

[3]  Le demandeur présente une description du roman au paragraphe 9 de la déclaration modifiée :

[traduction] L’œuvre du demandeur est un livre (Glimpses of a Black Op) qui porte sur la façon dont diverses tendances technologiques modernes et émergentes influent sur la vie d’une personne en particulier et sur la société en général. La science et la technologie en cause, appelées « technologie noire », sont contrôlées par un petit groupe et leurs chefs, le ministère, et sont axées sur la technologie des ondes électromagnétiques et son pouvoir de se connecter au cerveau humain et de le contrôler. Au cours de l’histoire, un très large éventail de tendances sociales et scientifiques émergentes sont abordées et, à partir de là, nous observons la composition des sujets et des thèmes qui émergent (voir l’annexe D). L’œuvre porte principalement sur le thème de la technologie qui supplante la nature et l’évolution et qui mène à des risques sociaux et évolutifs pour l’avenir de l’humanité. Elle donne des recommandations sur la façon de rendre le monde plus juste et plus sécuritaire compte tenu de ces risques.

[4]  Après avoir lu les documents au dossier, la Cour est d’avis que la télésérie comporte effectivement plusieurs épisodes qui examinent le fondement scientifique de divers concepts futuristes, y compris la télépathie, la technologie électromagnétique, les planètes extrasolaires, la robotique, le génie génétique et l’invisibilité. La télésérie aborde les incidences éthiques des technologies futures et leur incidence sur l’humanité.

[5]  L’allégation du demandeur concernant la violation du droit d’auteur ne porte pas sur le fait que la télésérie a copié l’ensemble du roman ou une partie de celui‑ci, mais plutôt sur le fait qu’elle s’est inspirée de son contenu scientifique. Cette allégation est expliquée en détail au paragraphe 10 de la déclaration modifiée :

[traduction] La violation entre les œuvres présentés dans la présente demande repose sur la violation non littérale du droit d’auteur. La portée de la présente demande est liée exclusivement au contenu scientifique des œuvres et non à l’histoire. Cette limite dans la portée représente tout de même une partie très importante des deux œuvres. La transcription de FutureScape, comparée au manuscrit de Glimpses of a Black Op, est présentée en preuve dans les annexes D et F (ces annexes sont présentées en copie électronique et en fichiers Word sur des clés USB en raison de leur taille et des aspects pratiques visant la comparaison des deux œuvres). L’analyse extrinsèque détaillée est présentée entre les sections pertinentes des deux œuvres et examine les similitudes entre les idées de base ainsi que les similitudes plus complexes entre les expressions, comme les thèmes. L’analyse figurant à l’annexe D montre des similitudes très importantes entre les deux œuvres, qui représentent 342 idées semblables ayant une composition remarquablement semblable en matière de sujets et de thèmes. Ces similitudes sont résumées dans le tableau ci-dessous.

Similitude du thème

Thème abordé de manière importante dans les deux œuvres

Thème abordé dans une certaine mesure dans les deux œuvres

[BLANK]

75 %

100 %

[BLANK]

6 sur 8

8 sur 8

Données fondées sur les quatre épisodes de FS

Similitude du sujet

Sujet abordé de manière importante dans les deux œuvres

Sujet abordé dans une certaine mesure dans les deux œuvres

(données fondées sur les 29 sujets relevés dans FS)

81 %

97 %

[BLANK]

21 sur 26

28 sur 29

(données fondées sur les 31 sujets relevés dans Glimpses)

81 %

87 %

[BLANK]

21 sur 26

27 sur 31

Données fondées sur l’ensemble des six épisodes de FS

(données fondées sur l’ensemble des 38 sujets relevés dans FS)

55 %

74 %

[BLANK]

21 sur 38

28 sur 38

[6]  Les parties se sont mutuellement interrogées dans le cadre de l’interrogatoire préalable. La défenderesse n’a aucune preuve qu’une personne participant à la télésérie connaissait le roman. À l’inverse, le demandeur n’a présenté aucune preuve selon laquelle la défenderesse ou une personne participant à la télésérie a eu accès au roman ou le connaissait avant le litige.

[7]  Le demandeur n’a déposé aucun élément de preuve dans le cadre de la présente requête et n’a pas contre-interrogé les déposants cités par la défenderesse dans le cadre de la requête.

Violation du droit d’auteur

[8]  Au Canada, le droit d’auteur est une création de la loi, la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42. Le paragraphe 27(1) de la Loi définit la violation du droit d’auteur comme « l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir ».

[9]  [traduction] « Le droit d’auteur protège un mode d’expression original et non l’idée exprimée » : Roger T. Hughes, Susan J. Peacock et Neal Armstrong, Hughes on Copyright & Industrial Design, 2e éd. (Toronto : LexisNexis, 2005) (feuilles mobiles, version 58-6), ch. 1, à la page 101. Dans l’arrêt Robinson c Films Cinar Inc, 2013 CSC 73, au paragraphe 23, la Cour Suprême du Canada a fait remarquer que, même si le droit d’auteur vise à faire en sorte que l’auteur tire profit de ses efforts, « il ne donne pas à l’auteur le monopole sur les idées ou sur les éléments qui relèvent du domaine public et dont tous sont libres de s’inspirer ».

[10]  En l’espèce, le demandeur n’affirme pas que les deux œuvres sont précisément semblables ou que la télésérie a copié le roman. À l’audience, il a déclaré qu’elles étaient [traduction] « semblables sur le plan sémantique » et qu’elles étaient à peu près semblables en ce qui concerne leur [traduction] « expression unie ». Aucune expression n’est une expression couramment utilisée et très certainement pas une expression qui se trouve dans le droit d’auteur. Selon la Cour, le demandeur allègue en fait que le contenu scientifique des deux œuvres est semblable. Cette allégation ne peut pas justifier d’accueillir l’action pour violation du droit d’auteur pour de nombreux motifs, et la Cour peut disposer de la présente requête, ainsi que de l’action sous-jacente, assez rapidement.

[11]  Tout d’abord, comme il a été mentionné, il n’y a aucun droit d’auteur dans des idées, seulement dans l’expression des idées. Même le demandeur affirme que son action repose sur [traduction] « la violation non littérale du droit d’auteur » liée au [traduction] « contenu scientifique des œuvres seulement et non à l’histoire ». Je ne puis que conclure qu’il allègue dans une certaine mesure que ses idées ont été copiées par la défenderesse. Cependant, il n’y a aucun droit d’auteur dans des idées et, par conséquent, la présente action ne peut être accueillie.

[12]  En outre, dans la décision Maltz c Witterick, 2016 CF 524, la Cour a conclu qu’il n’y a aucun droit d’auteur dans les faits et, dans la mesure où il s’agit de l’allégation formulée, celle‑ci non plus ne peut justifier une action pour violation du droit d’auteur.

[13]  Deuxièmement, même s’il existe une certaine similitude entre les deux œuvres, après avoir examiné celles‑ci telles qu’elles sont énoncées dans le dossier, je ne suis pas en mesure de conclure qu’il y a une similitude importante dans l’expression des idées que chacune exprime.  Chaque œuvre utilise des mots différents et décrit des scènes différentes.

[14]  Troisièmement, même s’il existe une certaine similitude, rien ne démontre que la défenderesse ou que quiconque ayant participé à la création de la télésérie ait copié le roman ou en ait même eu connaissance. La dissemblance des deux œuvres est telle que je ne suis pas porté inexorablement à la conclusion que les auteurs de la télésérie ont eu accès à l’œuvre du demandeur. De plus, il a été conclu que [traduction] « si on avait pu démontrer en fait que les deux œuvres précisément semblables avaient été produites de manière complètement indépendante l’une de l’autre, l’auteur de l’œuvre qui a été publiée en premier n’aurait pas le droit d’empêcher la publication par l’autre auteur de l’œuvre indépendante et originale de cet auteur : » Corelli c Gray, (1913) 29 TLR 570 (ChD). Bien que le demandeur ait soutenu que la défenderesse n’a pas [traduction] « démontré » que la télésérie était une création indépendante, j’accepte la preuve non contestée de M. Lavin selon laquelle les créateurs ont cherché les idées eux-mêmes, et cela, conjointement avec la preuve indiquant que personne n’avait connaissance du roman, démontre une création indépendante.

[15]  Quatrièmement, toute similitude est expliquée par l’opinion de l’expert Allan Weiss, déposée par la défenderesse, qui a expliqué que [traduction] « les thèmes et les sujets dans les deux œuvres sont communs à la science-fiction, aux conjectures et au journalisme scientifique » et qu’[traduction] « il serait très surprenant qu’une télésérie portant sur la technologie d’avant‑garde et futuriste ne porte pas sur la cartographie cérébrale, les liens entre le corps et l’esprit, les améliorations technologiques des systèmes biologiques et cognitifs, la navigation spatiale et l’application par les militaires ou la police de toutes ces technologies, puisque ces sujets sont à l’avant-garde de la recherche et des questions en matière d’éthique relativement à de tels progrès ».

[16]  Le paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense. Il n’y a pas de véritable question litigieuse si le juge des requêtes a toutes les preuves nécessaires pour trancher justement et équitablement le litige : Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, au paragraphe 15. Le demandeur reconnaît que sa meilleure preuve est celle qui est présentée devant la Cour dans la présente requête.

[17]  Par conséquent, et pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu qu’il n’y a aucune véritable question litigieuse. Le demandeur ne peut avoir gain de cause et son action doit être rejetée avec dépens. La défenderesse a présenté à la Cour un projet de mémoire de frais dans le cadre de la présente requête, calculés conformément au milieu de la colonne III et qui totalisent 2 175 $ pour les honoraires et 9 200 $ pour les débours, y compris les honoraires d’expert de 8 400 $. Je conclus que les honoraires d’expert sont élevés, surtout en raison de la valeur limitée que la Cour a accordée au témoignage d’expert pour trancher la requête. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je fixe les dépens recouvrables de la présente requête à 5 000 $, y compris les honoraires, les débours et les taxes. À titre de partie ayant gain de cause, la défenderesse a également droit à ses dépens dans l’action.


ORDONNANCE dans le dossier T-1848-16

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié par les présentes afin de nommer DISCOVERY COMMUNICATIONS LLC à titre de défenderesse à la place de DISCOVERY COMMUNICATIONS INC.;

  2. La présente requête en jugement sommaire est accueillie;

  3. L’action est rejetée;

  4. La défenderesse a droit à ses dépens dans la présente requête, fixés à 5 000 $, ainsi qu’à ses dépens dans l’action.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de novembre 2018.

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1848-16

 

INTITULÉ :

DEAN JOSEPH EVANS c DISCOVERY COMMUNICATIONS LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Dean Joseph Evans

 

DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

Kevin Sartorio

Charlotte McDonald

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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