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Date : 20181121


Dossier : T‑1975‑17

Référence : 2018 CF 1170

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

VINCENT DUTTON

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET
DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Vincent Dutton a omis de déclarer un bateau qu’il a importé au Canada depuis les États‑Unis. Le bateau a été saisi et M. Dutton a payé les droits exigibles ainsi qu’une pénalité pour que le bateau lui soit restitué. Il a présenté une demande au ministre en vertu de l’article 133 de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl.) afin qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire pour annuler la pénalité. C’est la décision du délégué du ministre, qui a rejeté la demande, qui fait l’objet du présent contrôle.

[2]  Les faits antérieurs à l’importation du bateau et les évènements survenus au moment de son importation sont tirés de l’affidavit de M. Dutton ainsi que des observations qu’il a présentées au ministre. Ces faits et ces évènements ne semblent pas être en litige.

[3]  M. Dutton a décidé d’acheter aux États-Unis et d’importer un bateau d’une valeur de 117 713,75 $. Le demandeur n’avait jamais importé un bateau par voie navigable, mais il avait déjà importé un bateau et d’autres véhicules par voie terrestre dans le passé. Avant de se porter acquéreur du bateau, il a fait une recherche sur Internet en vue de connaître la marche à suivre. Il est tombé sur une page Web de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] qui mentionnait un point d’entrée qu’elle approuvait : Foran’s Marine, à Grimsby (Ontario), sur la rive du lac Ontario [la Marina]. La Marina était proche du domicile de M. Dutton et était l’endroit où se trouvait en général son autre bateau.

[4]  M. Dutton a téléphoné à la Marina et s’est entretenu avec « Donato », un représentant de cette dernière. Après avoir expliqué qu’il avait l’intention d’importer le bateau au Canada, Donato lui a dit que s’il amenait le bateau à la Marina [traduction] « il se chargerait du reste des formalités ». M. Dutton a compris que cela voulait dire que Donato lui remettrait un formulaire de paiement de droits qu’il amènerait ensuite à l’ASFC en vue de payer les droits relatifs au bateau. Avant son départ des États-Unis, il a téléphoné de nouveau à Donato pour confirmer ce plan.

[5]  M. Dutton a acheté le bateau et est entré au Canada par voie navigable le 12 juin 2017. Trois passagers prenaient part au voyage : son épouse et deux voisins. Il est entré en contact avec Donato en se présentant à la Marina pour lui dire qu’il était arrivé. Il était prévu que le fils de M. Dutton viendrait les chercher, ses trois passagers et lui, qu’il les amènerait à la maison et que M. Dutton reviendrait ensuite à la Marina, prendrait les documents nécessaires et se présenterait à l’ASFC. Tous les documents d’achat relatifs au bateau ont été laissés à bord de celui-ci, pour Donato. Avant de partir, M. Dutton a informé la Marina qu’il reviendrait dans une heure et demie, qu’il prendrait les papiers et qu’il irait payer les droits.

[6]  Pendant l’absence de M. Dutton, une équipe d’intervention mobile [EIM] de l’ASFC s’est présentée à la Marina. L’un des gestionnaires de cette dernière a déclaré à l’EIM qu’un bateau était récemment arrivé des États-Unis. L’EIM a posé des questions et a appris que ce bateau n’avait pas été déclaré.

[7]  L’EIM a ensuite téléphoné à M. Dutton et lui a demandé quand il comptait revenir pour éclaircir la question de l’entrée du bateau au Canada. Ce dernier a répondu qu’il prévoyait retourner à la Marina et qu’il y serait 45 minutes plus tard. Son épouse et lui se sont ensuite rendus à la Marina, où ils ont été interrogés. Ils ont parlé à l’EIM de leur plan et des discussions qu’ils avaient eues auparavant avec Donato. L’EIM a informé M. Dutton que la Marina n’était pas [traduction] « habilitée à délivrer des documents pour le bateau ». L’EIM a décidé que M. Dutton avait contrevenu à l’article 12 de la Loi sur les douanes, lequel prévoit que toutes les marchandises importées au Canada doivent être déclarées au bureau de douane le plus proche, selon les modalités de temps et de forme fixées. L’article 3 du Règlement sur la déclaration des marchandises importées, DORS/86‑873, prévoit que les importateurs sont tenus de faire une déclaration « sans délai » après leur arrivée au Canada.

[8]  Le bateau a été saisi et ensuite restitué par l’ASFC le même jour, après paiement des droits exigibles de 15 302,79 $, ainsi que d’une pénalité de niveau 1 d’un montant de 14 125,65 $.

[9]  L’agent d’exécution s’est fondé sur le Manuel d’exécution de l’ASFC, partie 5, chapitre 2, intitulé Saisies effectuées auprès de voyageurs et confiscations compensatoires, pour choisir la pénalité de niveau 1. Ce chapitre indique ce qui suit, aux paragraphes 81 et 84 :

81. Le niveau 1 s’applique aux infractions où la culpabilité est moins grande. La mesure dans laquelle l’importateur a eu recours à un subterfuge pour se soustraire à la Loi sur les douanes n’a pas dépassé une tentative efficace initiale. Ce niveau pourrait généralement être appliqué aux infractions par omission plutôt que par perpétration. Les infractions par perpétration exigent une participation plus active de l’importateur.

[…]

84. Le niveau 1 s’applique lorsque :

a) des marchandises ne sont pas déclarées à l’ASFC ou des marchandises sont déclarées, mais des renseignements inexacts sont fournis au sujet de leur acquisition ou des droits de la personne en question ou la description; et

b) les marchandises ne sont pas dissimulées; et

c) une description complète des faits réels concernant les marchandises est fournie au moment de la découverte.

[10]  Ainsi qu’il est prévu aux articles 129 et 131 de la Loi sur les douanes, quiconque dont des marchandises ont été saisies peut demander que le ministre étudie « les circonstances de l’affaire » et décide s’il y a eu infraction à la Loi. Si le ministre décide qu’il y a eu infraction, il peut ensuite, conformément à l’alinéa 133(1)b) de la Loi, « aux conditions qu’il fixe […]  restituer toute fraction des montants ou garanties reçus ».

[11]  M. Dutton s’est adressé au ministre en vertu de ces dispositions, demandant que la partie « pénalité » des fonds payés lui soit restituée parce qu’il avait toujours eu l’intention de payer les droits sur le bateau et que les gestes qu’il avait posés et pour lesquels la pénalité avait été imposée étaient fondés sur des informations inexactes que la Marina lui avait fournies. Il a fait valoir que l’amende n’était pas [traduction] « justifiée ou raisonnable dans ces circonstances ».

[12]  Le passage pertinent de la décision du délégué du ministre est le suivant :

[traduction] Comme il a été mentionné plus tôt, un « mandataire » est considéré en droit comme un représentant du mandant, de telle sorte que l’action du mandataire est de nature à influer sur la situation juridique du mandant. Ce dernier demeure toutefois responsable de toutes les opérations que ses mandataires exécutent en son nom. Par conséquent, si un importateur décide de recourir aux services d’un mandataire et que celui-ci fournit des informations inexactes, la responsabilité de l’importateur demeure entière, notamment à l’égard de l’ensemble des droits, taxes, pénalités et intérêts exigibles. Compte tenu de ce qui précède, la saisie est maintenue dans son intégralité, car elle est conforme aux lignes directrices de l’Agence concernant les infractions de cette nature. [Non souligné dans l’original.]

[13]  La seule question que la Cour doit trancher est le caractère raisonnable de la décision du délégué du ministre. Pour les motifs qui suivent, je conclus que cette décision est déraisonnable, car le décideur a omis de considérer qu’il était possible d’annuler une partie ou la totalité de la pénalité.

[14]  Je conviens avec l’avocate du défendeur que [traduction] « l’article 133 confère au ministre le vaste pouvoir discrétionnaire de fixer le montant d’argent à payer pour la restitution des marchandises ». Je conviens de plus avec elle que le [traduction] « paragraphe 117(1) et l’article 133 de la Loi n’énoncent aucun critère législatif qui impose une somme d’argent précise pour la restitution des marchandises saisies; ces dispositions ne fixent que le montant maximal qui peut être exigé pour la restitution des marchandises saisies ». Cependant, comme il a été admis sans détour devant la Cour, lorsqu’il révise une pénalité imposée, le ministre a, aux termes de la Loi, le pouvoir discrétionnaire de renoncer en tout ou en partie à cette pénalité, eu égard à l’ensemble des circonstances.

[15]  Dans la présente affaire, il ne semble pas que le délégué du ministre ait compris qu’il avait ce pouvoir discrétionnaire ou, s’il l’a effectivement compris, que cette option ait été prise en considération. Pour maintenir la pénalité, le décideur dit seulement que la mesure [traduction] « est conforme aux lignes directrices de l’Agence concernant les infractions de cette nature ». Toutefois, il s’agit d’une ligne directrice et celle‑ci ne traite pas du fondement de l’appel de M. Dutton à propos de la pénalité – à savoir qu’elle était déraisonnable dans sa situation particulière, parce qu’il a toujours eu l’intention de déclarer le bateau et de payer les droits et qu’il croyait erronément que la Marina s’occuperait des formalités dont il devait se charger. Il n’apparaît pas clairement que sa situation tombe sous le coup de la description du niveau 1 que l’on trouve dans la ligne directrice. Quoi qu’il en soit, même si cela avait été le cas, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de réduire la pénalité de niveau 1.

[16]  C’est au ministre qu’il appartient d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable pour décider si l’explication de M. Dutton mérite une réduction de pénalité. Il est possible qu’il décide que, malgré les explications de M. Dutton, il y a lieu d’imposer une pénalité inférieure ou égale à celle du niveau 1. Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la seule raison pour maintenir et ne pas réduire la pénalité semble être que la pénalité de niveau 1 est conforme aux lignes directrices. Toutefois, le simple fait de dire qu’une chose est conforme aux lignes directrices n’implique pas forcément que le montant de la pénalité est approprié dans toutes les circonstances. Si c’était le cas, l’alinéa 133(1)b) de la Loi n’aurait aucun sens.

[17]  Pour ces raisons, la demande de réduction ou d’annulation complète de la pénalité doit être tranchée de nouveau par un autre délégué du ministre, si possible, après avoir pris en compte l’ensemble des circonstances de l’affaire.

[18]  Le défendeur n’a pas sollicité de dépens pour le cas où il aurait gain de cause. Le demandeur a agi pour son propre compte. Il a reconnu avec franchise que c’était son erreur et non celle de la Marina qui avait amené les agents des douanes à intervenir. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, je n’adjugerais aucuns dépens.


JUGEMENT RENDU dans le dossier T‑1975‑17

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la demande du demandeur visant à obtenir une réduction ou l’élimination de la pénalité imposée par les agents des douanes doit être réexaminée par le ministre conformément aux présents motifs et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de décembre 2018

Sandra de Azevedo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t‑1975‑17

 

INTITULÉ :

VINCENT DUTTON c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Vincent Dutton

DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

Sharon McGovern

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

- Aucun -

DEMANDEUR NON REPRÉSENTÉ

PAR UN AVOCAT

Procureur général du Canada

Ministre de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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