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Date : 20180308


Dossier : IMM-3570-17

Référence : 2018 CF 271

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

JHIMMY NOEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Monsieur Jhimmy Noel demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] refusant la réouverture de sa demande d’asile. La SPR a conclu que sa décision de prononcer le désistement de la demande d’asile du demandeur n’était pas le résultat d’un manquement à un principe de justice naturelle et que, par conséquent, la réouverture n’était pas justifiée.

[2]  Pour les motifs qui suivent, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  Faits

[3]  Monsieur Noel est citoyen d’Haïti. Le 3 avril 2017, il est arrivé au Canada en provenance des États-Unis, au poste frontalier de Fort Érié. Il a soumis une demande d’asile le même jour et la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié [CISR] a reçu un avis de cas déféré le lendemain.

[4]  Plusieurs documents ont été fournis au demandeur à son arrivée, incluant un avis de convocation indiquant qu’il avait quinze jours pour transmettre son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FFDA], et qu’une audience spéciale pour défaut de le faire était, le cas échéant, fixée au 25 avril 2017.

[5]  Le demandeur n’a pas fourni son FFDA dans les quinze jours et quelques jours avant la date de son audience spéciale, un employé du greffe de la SPR a tenté de le contacter par téléphone afin de lui rappeler qu’il devait se présenter le 25 avril 2017 avec son FFDA dûment complété.

[6]  Puisque le demandeur ne s’est pas présenté, la SPR a prononcé le désistement de sa demande d’asile pour défaut de fournir son FFDA dans les délais impartis et pour défaut de s’être présenté lors de l’audience spéciale.

[7]  Dans un affidavit déposé au soutien de sa demande de réouverture, le demandeur explique son retard et son absence. Il indique ne jamais avoir su qu’il y avait un délai à respecter pour la production de son FFDA et qu’à défaut de le respecter, une audience spéciale sur le désistement de sa demande d’asile serait tenue. Il indique également ne pas se souvenir si un agent d’immigration le lui a précisé à son arrivée.

[8]  Il ajoute que dès le lendemain de son arrivée au Canada, sa sœur, qui réside au Canada depuis qu’elle a obtenu le statut de réfugié en 2009, l’a aidé à trouver un avocat d’immigration et qu’un rendez-vous a été fixé pour le 28 avril 2017. Le ou vers le 15 avril 2017, elle l’a informé avoir appris d’un ami qu’il y aurait un délai de quinze jours à respecter pour le dépôt de son FFDA. Le demandeur et sa sœur ont donc tenté de communiquer avec l’avocat retenu, sans succès. Incapable de trouver un autre avocat disponible, ils ont donc complété le FFDA eux-mêmes.

[9]  Le 18 avril 2017, le demandeur et sa sœur se sont présentés à un bureau d’aide sociale pour déposer le FFDA, croyant à tort qu’ils étaient au bon endroit. Un représentant du bureau d’aide sociale les aurait informés qu’ils n’étaient pas au bon endroit, mais que puisque le demandeur avait rempli son FFDA et qu’une date d’audience était déjà fixée, son dossier semblait complet.

[10]  Quelques jours plus tard, le demandeur a contacté un nouvel avocat, celui qui le représente toujours. Il lui a raconté les évènements des dernières semaines et pris rendez-vous pour le lendemain 25 avril 2017 à 14 h. Pendant la rencontre, l’avocat du demandeur lui a expliqué qu’il était hors délai pour soumettre son FFDA et que l’audience spéciale sur son désistement avait vraisemblablement eu lieu le matin même. L’avocat a tenté sans succès de contacter la CISR pour expliquer la situation.

[11]  Le 26 avril 2017, la CISR a reçu le FFDA du demandeur et un formulaire de représentation.

[12]  Le 1er mai 2017, la CISR a transmis au demandeur et à son avocat un avis de décision informant le demandeur du désistement de sa demande d’asile et le 19 mai 2017, le demandeur a soumis sa demande de réouverture.

[13]  Le 7 juillet 2017, la SPR a rejeté la requête en réouverture.

III.  Décision contestée

[14]  La SPR conclut que puisque le demandeur n’avait pas été victime d’un manquement à un principe de justice naturelle, il n’y avait aucune raison d’accorder sa demande de réouverture de sa demande d’asile.

[15]  La SPR énumère les documents remis au demandeur à son arrivée au Canada, par lesquels on l’informe de ses responsabilités comme demandeur d’asile et des divers délais à respecter. L’avis de cas déféré reçu par la CISR confirme d’ailleurs que tous les documents ont été signifiés au demandeur en personne, par un agent d’immigration.

[16]  La SPR ajoute que les documents contenus dans la trousse remis au demandeur sont traduits dans une dizaine de langues, y compris le français. Le demandeur a bénéficié d’un interprète lors de son entrevue par un agent d’immigration et il a signé un formulaire contenant les conditions qui lui étaient imposées, incluant les divers délais prescrits.

[17]  La SPR reconnaît que le demandeur a indiqué avoir de la difficulté à s’exprimer en français. Il note toutefois que l’affidavit soumis au soutien de sa demande de réouverture et son FFDA – dans lequel il indique parler français (voir la page 5 de son FFDA, à la question 1g) – sont rédigés en français. La SPR note également que le demandeur a terminé ses études secondaires et fait des études dans un collège et dans une école polytechnique.

[18]  À la lumière de ces observations, la SPR est d’avis que « la décision sur le désistement de la demande d’asile du demandeur rendu [sic] le 25 avril 2017 découle de la négligence du demandeur, et non d’une violation de l’un des principes de justice naturelle ». La SPR conclut que le demandeur est lui-même responsable de son non-respect de la procédure établie et qu’il aurait eu plusieurs occasions de comprendre la situation dans laquelle il se trouvait et d’essayer de la corriger.

[19]  Le demandeur n’a pu expliquer son défaut de contacter la CISR, même après avoir éprouvé une incertitude lors de son passage au bureau d’aide sociale, au cours duquel il a été informé qu’il n’était pas au bon endroit pour déposer son FFDA. Compte tenu des informations reçues, son inaction et le défaut de se renseigner davantage et de se présenter au bureau de la CISR équivalent à de la négligence.

[20]  Quant au fait que l’audience spéciale ait eu lieu en l’absence du demandeur et de son avocat, la SPR répond qu’il s’agit d’une conséquence normale de sa négligence et non d’un manquement à un principe de justice naturelle; le demandeur ayant été dûment convoqué.

[21]  La SPR conclut également que contrairement à ce qu’avance le demandeur, ce dernier a manqué de diligence et ses agissements tendent à démontrer qu’il n’avait pas l’intention de poursuivre sa demande d’asile.

[22]  La SPR reconnaît que le demandeur a finalement retenu les services d’un avocat et soumis son FFDA dès le lendemain de son audience spéciale, faisant ainsi « preuve de diligence pour corriger la situation dans laquelle il s’était mis ». Cependant, elle précise que dans le cadre d’une requête en réouverture, son obligation se limite à déterminer si la décision de prononcer le désistement de la demande d’asile résulte d’une violation à l’un des principes de justice naturelle. La SPR conclut qu’il n’y a pas eu telle violation et rejette la demande de réouverture du demandeur.

IV.  Question en litige et norme de contrôle

[23]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une question :

  • La SPR a-t-elle erré en rejetant la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur ?

[24]  La norme de contrôle applicable à l’analyse de cette question est celle de la décision raisonnable (Orozco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 270 aux para 24-26; Djilal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 812 aux para 6-7). Je dois donc examiner la décision de la SPR et déterminer si elle satisfait aux critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, notamment si elle « [cadre] bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[25]  Les critères de l’arrêt Dunsmuir sont rencontrés si les motifs de la SPR « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

V.  Analyse

[26]  Les paragraphes 62(1) et 62(6) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, se lisent comme suit :

Demande de réouverture d’une demande d’asile

62 (1) À tout moment avant que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de la demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir cette demande d’asile.

[…]

Élément à considérer

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

[27]  Le demandeur n’indique pas en quoi la décision de la SPR serait déraisonnable. Dans sa demande de contrôle judiciaire, tout comme dans sa demande de réouverture, il ne précise pas réellement quel principe de justice naturelle aurait été violé. Il se contente d’expliquer son retard et son absence lors de l’audition spéciale du 25 avril 2017. Il reproche à la SPR de s’être fiée à son FFDA pour conclure que sa connaissance du français était suffisante et lui reproche son manque de « fair-play » et sa rigidité à l’égard des délais, alors qu’elle-même a de la difficulté à respecter ses propres délais.

[28]  Essentiellement, le demandeur me demande d’analyser à nouveau la preuve et de substituer mon opinion à celle de la SPR. Là n’est pas mon rôle (Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 83 au para 37; voir aussi Anni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 134 au para 19; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 673 au para 10).

[29]  Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur est seul responsable de son retard et de son absence et qu’il a reçu toute l’information qui lui permettait de mener à terme sa demande d’asile. La situation du demandeur se distingue de celle des demandeurs dans l’affaire Djilal précitée ci-dessus, ainsi que dans l’affaire Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 833; le demandeur n’ayant pas été induit en erreur par un avocat ou par un consultant en immigration dont les services ont été retenus pour l’assister.

[30]  La négligence du demandeur ne peut justifier à elle seule la réouverture de sa demande d’asile. Je cite la juge Danièle Tremblay-Lamer : « À un certain moment, le demandeur doit assumer une certaine part de responsabilité en vue de s’assurer qu’il comprend la correspondance écrite qu’il a reçue relativement à sa demande d’asile » (Sainvry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 468 au para 16). Le demandeur reconnaît d’ailleurs ne pas avoir lu les documents qu’on lui a remis.

[31]  Même s’il ne connaissait aucune des quinze langues utilisées dans la trousse qui lui a été remise, le demandeur avait la responsabilité de s’y intéresser et d’obtenir de l’aide. Sa sœur réside au Canada depuis 2009 et pouvait l’assister.

[32]  Mais il y a plus. La SPR était bien fondée de comprendre de l’affidavit du demandeur et de son FFDA qu’il comprend le français. Son affidavit indique qu’il a de la difficulté à s’exprimer en français, mais n’indique pas ne pas pouvoir lire ou comprendre le français. Dans son FFDA, il déclare lui-même parler le créole et le français. Il déclare également qu’une partie de ses cours était en créole, laissant entendre que le reste se déroulait en français. La SPR pouvait donc raisonnablement conclure que le demandeur comprenait les documents reçus et ses responsabilités de demandeur d’asile.

[33]  À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soumet l’affidavit d’un interprète. Cependant, l’interprète y indique avoir traduit du français vers l’espagnol. Bien qu’il s’agisse évidemment d’une erreur, cette erreur n’a pas de conséquence puisque l’affidavit n’a pas été soumis à la SPR qui n’avait devant elle qu’un affidavit du demandeur rédigé en français.

[34]  La SPR a reconnu que le demandeur a « agi rapidement suite à la décision prise lors de son audience spéciale ». Toutefois, elle a ultimement conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une violation à l’un des principes de justice naturelle qui justifierait la réouverture de sa demande d’asile. Il n’existe aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour dans cette décision.

VI.  Conclusion

[35]  Il s’ensuit que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question de portée générale pour fin de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3570-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée;

  3. Aucun frais n’est accordé.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3570-17

INTITULÉ :

JHIMMY NOEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 8 MARS 2018

COMPARUTIONS :

Aristide Koudiatou

Pour LE DEMANDEUR

Thi My Dung Tran

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aristide Koudiatou

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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