Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : T‑596‑16

Référence : 2018 CF 1199

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MICHELLE GOOD

demanderesse

et

LE CHEF ÉLU CLINTON WUTTUNEE ET LES CONSEILLERS ÉLUS LUX BENSON, MANDY CUTHAND, DANA FALCON, HENRY « BOSS » GARDIPY ET GARY SAUVE NICOTINE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté contre l’élection tenue au sein de la Première Nation de Red Pheasant le 18 mars 2016.

[2]  La demanderesse, Michelle Good (Mme Good), qui est membre de la bande de Red Pheasant, vit en Colombie‑Britannique. Elle demande à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de l’élection, en application de l’article 30 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 (la LEPN).

[3]  Il a été confirmé au début de l’audience que Mme Good est une avocate qui exerce la profession en Colombie‑Britannique, mais qu’elle se représente elle‑même, en l’espèce, en tant que membre de la Première Nation de Red Pheasant.

[4]  Mme Good a présenté une demande d’injonction interlocutoire, qui a été rejetée le 19 août 2016 par la juge Gagné, le tout avec dépens payables aux défendeurs par Mme Good.

[5]  Il est possible de comprendre la teneur des allégations à partir du dernier paragraphe des observations faites par Mme Good dans son mémoire des faits et du droit. Au paragraphe 189, elle affirme ce qui suit :

[traduction]

Les défendeurs de Red Pheasant ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour faire entrave au présent appel par d’infâmes manœuvres. Il est raisonnable de conclure que de tels actes de corruption et d’intimidation sont des gestes désespérés ou arrogants posés par des personnes déterminées à dissimuler leurs manœuvres frauduleuses lors de l’élection de Red Pheasant en 2016.

[6]  Dans l’avis de demande (l’avis), Mme Good ne demande aucun redressement, mais sollicite plutôt neuf jugements déclaratoires différents, ainsi qu’une ordonnance exigeant la tenue d’une nouvelle élection. Dans cet avis, elle demande également que des observateurs électoraux soient engagés, aux frais du ministre, pour s’assurer que l’élection est légalement convoquée et que des observateurs soient présents à tous les bureaux de vote par anticipation afin d’empêcher que des bulletins de vote postaux soient distribués frauduleusement.

[7]  Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Good demande les mesures de redressement suivantes :

[traduction]

190. Un jugement déclarant que le ministre a délégué son obligation de consulter au conseil de bande concernant la possibilité pour la bande de se soustraire à l’application du paragraphe 74(l) de la Loi sur les Indiens et de souscrire plutôt à la LEPN;

191. Un jugement déclarant que le conseil de bande de Red Pheasant avait également l’obligation de consulter ses membres afin d’obtenir leur accord général quant à la possibilité pour la bande de se soustraire à l’application du paragraphe $.74(l) de la Loi sur les Indiens et de souscrire plutôt à la LEPN, conformément au paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens;

192. Un jugement déclarant que le conseil de bande de Red Pheasant a manqué à son obligation de consulter quant à la possibilité pour la bande de se soustraire à l’application du paragraphe 74(l) de la Loi sur les Indiens et de souscrire plutôt à la LEPN;

193. Un jugement déclarant que la RCB [résolution du conseil de bande] de novembre est fondée sur une fausse déclaration, dans la mesure où le conseil de bande a déclaré à tort avoir consulté ses membres quant à la possibilité pour la bande de se soustraire à l’application du paragraphe 74(1), et que cette résolution est donc nulle et sans fondement juridique;

194. Un jugement déclarant que l’élection de Red Pheasant tenue en mars 2016 est entachée de nullité, dans la mesure où elle s’est déroulée par suite de la RCB nulle et non avenue de novembre, et la tenue d’une nouvelle élection doit être ordonnée;

195. Un jugement déclarant que le conseil de bande de Red Pheasant a manqué à son obligation fiduciale envers ses membres en déclarant faussement au ministre que ceux‑ci avaient été consultés;

196. Un jugement déclarant que le ministre a manqué à son obligation fiduciale, dans la mesure où il ne s’est pas acquitté du devoir découlant de l’honneur de la Couronne qu’il avait de s’assurer qu’une consultation a effectivement été tenue, après avoir délégué cette responsabilité au conseil de bande;

197. Une conclusion selon laquelle les défendeurs Clinton Wuttunee, Mandy Cuthand, Henry « Boss » Gardipy, Garry Sauve Nicotine, Shawn Wuttunee, Dana Falcon et Lux Benson se sont livrés à des manœuvres frauduleuses, en contravention des alinéas 14b) et c) et 16a), c), d) et e) de la LEPN, ce qui fait d’eux des candidats inadmissibles en vertu de la LEPN et les rend passibles des peines prévues dans cette dernière.

[8]  Lors de l’audience, la Cour a confirmé que même si la demande de contrôle judiciaire était accueillie, un certain nombre de mesures de redressement demandées par Mme Good seraient impossibles à accorder. Il a également été confirmé que si Mme Good obtenait gain de cause, je pourrais exercer mon pouvoir discrétionnaire afin d’annuler l’élection contestée.

[9]  Je rejette la demande pour les motifs exposés ci‑après.

II.  Le contexte

[10]  Mme Good a interjeté appel lors des trois dernières élections. Il s’agit du premier appel interjeté en vertu de la LEPN.

[11]  Dans le cadre de l’appel interjeté précédemment à la suite de l’élection du 20 mars 2014, Mme Good a demandé le contrôle judiciaire de la décision du directeur général de la Direction générale de l’élaboration et de la coordination des politiques, représentant le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien (ministère connu sous le nom d’Affaires autochtones et du Nord Canada [AANC]). Mme Good a soutenu qu’AANC a commis une erreur en rejetant l’appel, après que Mme Good eut formulé de graves allégations d’inconduite de la part du président d’élection et de manœuvre frauduleuse sous la forme d’achat de votes pour le conseiller Charles Meechance et le chef Stewart Baptiste. Le directeur général, sans mener d’enquête, a rejeté l’appel. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire de la part du juge Russell dans le jugement Good c Canada (Procureur général), 2016 CF 1272, qui a été rendu le 15 novembre 2016.

[12]  Le juge Russell a examiné les allégations selon lesquelles la déléguée et le président d’élection ont tous deux soulevé une crainte raisonnable de partialité et la déléguée a agi d’une manière inéquitable sur le plan procédural. Mme Good a également soutenu que la déléguée a tenté de tromper la Cour en livrant un faux témoignage. Le juge Russell a conclu ce qui suit :

[92] En l’espèce, j’estime pouvoir simplement affirmer que l’Unité des élections d’AANC a commis des erreurs dans le traitement de l’appel en contournant l’article 14 du Règlement et en omettant de tenir une enquête appropriée en vertu de l’article 13 du Règlement au moment de se pencher sur les allégations et la preuve d’achat de votes par le chef Baptiste.

[93] Je tiens toutefois à préciser que ma décision ne signifie pas que je crois le chef Baptiste coupable d’avoir participé à l’achat de votes à l’occasion de l’élection 2014 ni qu’il aurait été déclaré coupable d’avoir participé à une telle manœuvre si l’Unité des élections n’avait pas commis d’erreurs susceptibles de révision. Ma décision signifie simplement que l’Unité des élections n’a pas traité cet aspect de l’appel de la demanderesse adéquatement ni conformément à la Loi et au Règlement.

[13]  Le juge Russell n’a pas exigé un nouvel examen de la question, compte tenu des résultats de l’élection de 2016.

[14]  En ce qui concerne l’affaire qu’il me faut maintenant trancher, l’appel de cette élection est régi par le régime législatif de la LEPN. La LEPN prévoit un processus législatif, qui permet aux Premières Nations et aux collectivités autochtones d’élire les membres de leur conseil de bande. Le processus prévu par la LEPN fonctionne en parallèle et en complément avec les autres processus établis au paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, LRC, 1985, c I­5 (la Loi sur les Indiens).

[15]  La LEPN est une loi relativement nouvelle, qui est entrée en vigueur en avril 2015, tout comme le règlement connexe, à savoir le Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015­86 (le règlement d’application de la LEPN). Pour tomber sous le coup de ces dispositions, une RCB appropriée, qui précise que la bande souhaite voir ses élections régies par la LEPN, doit être soumise au ministre. Le ministre ajoute ensuite le nom de la Première Nation à l’annexe de la LEPN.

[16]  Le 5 novembre 2015, le conseil de bande de la Première Nation de Red Pheasant a signé une RCB précisant que la bande souhaitait voir ses élections régies par la LEPN. Le 4 janvier 2016, après avoir reçu cette RCB, le ministre a ajouté la Première Nation de Red Pheasant à l’annexe de la LEPN. Une élection a ensuite été tenue, en date du 18 mars 2016.

[17]  Le 12 avril 2016, après que les résultats de l’élection eurent été dévoilés, Mme Good a présenté à la Cour fédérale une demande de révision de l’élection, en vertu de l’article 30 de la LEPN. Elle a également allégué, dans son mémoire des faits et du droit, que l’élection et le processus électoral contrevenaient à de nombreuses dispositions de la LEPN, notamment aux alinéas 14b), c), d) et e), 16a), b), c), e) et f), 17b) et 19a) ainsi qu’à l’article 18, et a soutenu que le président d’élection n’avait pas respecté le paragraphe 24(1).

[18]  Mme Good a également demandé le contrôle judiciaire de nombreuses autres décisions, notamment de celle du ministre d’ajouter le nom de la Première Nation de Red Pheasant à l’annexe de la LEPN (ce qui constitue, selon elle, un manquement à l’obligation fiduciale) et de celle du conseil de bande de la Première Nation d’y faire inscrire cette dernière, en tout premier lieu.

[19]  Il convient de souligner que dans son mémoire des faits et du droit (voir le par. 7 ci‑dessus), la demanderesse demande des mesures de redressement différentes de celles sollicitées dans l’avis. Dans son mémoire des faits et du droit, elle sollicite un jugement déclarant que plusieurs défendeurs ont violé les alinéas 14b) et c) et 16a), b), c), d) et e), tandis que dans l’avis de demande, elle prétend en plus que les alinéas 14d) et e), 17b) et 19a) et l’article 18 ont été violés lors de l’élection, mais ne fait pas mention de l’alinéa 16a).

[20]  Les parties ont procédé à ce qui peut seulement être décrit comme une gestion de l’instance, et les pourparlers entre elles se sont poursuivis pendant de nombreux mois, sans grand progrès. Dans l’ensemble, dans le cadre de la procédure de gestion de l’instance, les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur un grand nombre de points, et lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, un certain nombre de questions étaient toujours en litige.

III.  Requêtes préliminaires et questions en litige

[21]  Au début de l’audience, les parties ont présenté des observations concernant deux requêtes. Une requête a été déposée par la demanderesse, en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, et une autre a été présentée par les défendeurs, en application de l’article règle 302 de ces dernières.

[22]  La requête de la demanderesse visant l’autorisation de déposer des affidavits complémentaires, en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106 (les Règles), a été accueillie. Les requêtes déposées par le procureur général (le PG) et la Première Nation de Red Pheasant, à titre de défenderesses, en vertu de l’article 302 des Règles, ont été accueillies. Par conséquent, l’audience a porté uniquement sur l’appel des résultats de l’élection. Lors de l’audience, une décision a été exposée de vive voix en ce qui concerne ces deux requêtes, tel qu’il est résumé ci‑dessous, et une ordonnance a été rendue à cet effet le 3 avril 2018.

A.  L’article 302

[23]  Dans la requête déposée en vertu de l’article 302, les défendeurs ont soutenu que Mme Good, dans sa demande, soulève de multiples questions à l’encontre de plusieurs entités et formule 10 demandes de redressement distinctes. Le 3 janvier 2017, la Première Nation défenderesse a déposé un avis de requête invoquant l’article 302. Le 27 janvier 2017, le PG a présenté un avis de requête en accord avec les observations de la Première Nation défenderesse concernant l’article 302. La Première Nation et le PG ont toutes deux présenté des observations, lors de l’audience, relativement à la requête déposée en vertu de l’article 302.

[24]  Les défendeurs ont soutenu que la Cour doit limiter le contrôle judiciaire à une décision particulière, à l’endroit d’une seule entité administrative.

[25]  Mme Good a soutenu que la décision du PG d’ajouter le nom de la bande à l’annexe de la LEPN, après avoir reçu la RCB, faisait partie intégrante du processus électoral et que la requête déposée en vertu de l’article 302 devrait donc être rejetée. Selon l’argument de Mme Good, en autorisant la Première Nation de Red Pheasant à procéder en vertu de la LEPN, le PG a manqué à son obligation de consulter.

[26]  Le PG a soutenu, à l’inverse, que la décision du ministre concernant l’annexe de la LEPN est entièrement distincte des autres questions en litige dans la demande et que, par conséquent, la partie de la demande portant sur ces dernières devrait être abandonnée.

[27]  Le PG a soutenu que le 15 novembre 2015, le bureau régional de la Saskatchewan d’AANC a reçu une RCB de la Première Nation de Red Pheasant, demandant au ministre d’ajouter le nom de la Première Nation à l’annexe de la LEPN. En ce qui concerne cette requête, Mme Good a contesté la décision du conseil de bande de Red Pheasant d’opter pour la tenue d’une élection en vertu des dispositions de la LEPN.

[28]  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le contrôle judiciaire doit porter sur une décision particulière. L’article 302 des Règles dispose que les demandes de contrôle judiciaire doivent être limitées à une seule décision. Par conséquent, lorsque le contrôle de plusieurs décisions est demandé, une demande doit être présentée pour chacune d’entre elles [Servier Canada inc. c Canada (Santé), 2007 CF 196; Truehope Nutritional Support Ltd c Canada (Procureur général), 2004 CF 658].

[29]  La Cour fera une exception à l’article 302 dans les cas où un demandeur conteste une ligne de conduite continue découlant de la décision d’une même instance (Mahmood c Canada, [1998] ACF no 1345, au par. 10; Lessard‑Gauvin c Canada (Procureur général), 2016 CF 227).

[30]  En l’espèce, je conclus que Mme Good conteste de multiples décisions qui ne découlent pas des décisions d’une même instance. Je n’accepte pas l’argument de cette dernière selon lequel il n’y a qu’une seule décision officielle à examiner.

[31]  Il s’agit ici d’une question de fait complètement différente de celle examinée dans la décision Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750 (Shotclose), sur laquelle Mme Good s’est appuyée dans ses observations. Dans Shotclose, les demandeurs ont contesté non pas une décision précise du chef et des conseillers, mais plutôt l’ensemble des décisions et des mesures prises par ces derniers, qui expliquent le défaut de tenir convenablement des élections en 2010. Cette situation se distingue clairement, d’un point de vue factuel, des multiples décisions que Mme Good souhaite voir examiner, dans la mesure où cette dernière a d’abord demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’ancien chef, de la décision du ministre d’ajouter le nom de la Première Nation de Red Pheasant à l’annexe de la LEPN, des mesures prises par le président d’élection (demande que Mme Good a par la suite abandonnée), de celles prises par le chef actuel et de la nature entachée de corruption de l’élection proprement dite.

[32]  En outre, la demanderesse a déposé sa demande le 13 avril 2016, bien après le délai réglementaire de 30 jours [Loi sur les Cours fédérales, par. 18.1(2)] imparti pour présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard des autres décisions. Toutefois, j’attire l’attention sur le fait que ce facteur n’est pas déterminant dans la présente décision, étant donné que la demande n’est pas liée à une décision ou à une ordonnance du tribunal [Friends of the Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3].

[33]  Je conclus que la seule décision qui fera l’objet d’un contrôle est celle liée à l’élection du 18 mars 2016, soit la décision mentionnée dans l’avis de demande présenté en vertu de la LEPN et du règlement d’application de la LEPN pertinent. L’avis de demande de Mme Good a été déposé aux termes de l’article 30 de la LEPN, qui ne porte que sur la validité de l’élection tenue sous le régime de cette dernière.

[34]  J’ai adjugé les dépens au PG dans une ordonnance rendue le 3 avril 2018, qui indiquait qu’un montant forfaitaire serait déterminé dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Le PG a par la suite retiré sa demande d’adjudication des dépens relative à cette requête, et aucuns dépens ne sont adjugés à la PG relativement à cette dernière.

B.  L’article 312

[35]  Mme Good a présenté une requête en vue de déposer les affidavits complémentaires et la transcription des contre‑interrogatoires des personnes suivantes : Sandra Arias, datés du 9 février 2017; Michelle Good no 6, datés du 17 janvier 2017; Elsie Wuttunee no 2, datés du 16 janvier 2017; Eldon Wuttunee, datés du 16 janvier 2017; le chef Clinton Wuttunee, datés du 22 janvier 2018; Dana Falcon, datés du 22 janvier 2018.

[36]  Les défendeurs se sont opposés au dépôt de ces documents. Ils ont soutenu que les affidavits complémentaires, analysés individuellement, sont interdits par la règle du ouï‑dire et d’autres questions de preuve et qu’aucune exception fondée sur des principes à la règle ne justifie leur dépôt. En outre, en se fondant sur le critère énoncé dans Strykiwsky c Stony Mountain, 2000 CanLII 16155 (CF), les défendeurs ont fait valoir que le dépôt tardif de la preuve par affidavit leur porte gravement préjudice, puisqu’il nécessiterait une dépense et un effort supplémentaires de leur part, alors qu’ils ont déjà procédé aux contre‑interrogatoires à l’endroit de la Première Nation de Red Pheasant déjà impécunieuse. Les défendeurs ont soutenu qu’aucun motif raisonnable ou valable n’explique le retard dans le dépôt des affidavits.

[37]  En ce qui concerne la requête déposée en vertu de l’article 312, j’ai autorisé la demanderesse à déposer les affidavits complémentaires et la transcription des contre‑interrogatoires des personnes suivantes : Sandra Arias, datés du 9 février 2017; Michelle Good no 6, datés du 17 janvier 2017; Elsie Wuttunee no 2, datés du 16 janvier 2017; Eldon Wuttunee, datés du 16 janvier 2017; Clinton Wuttunee, datés du 22 janvier 2018; Dana Falcon, datés du 22 janvier 2018.

[38]  Le fait d’admettre en preuve ces affidavits ne porte aucunement préjudice aux défendeurs, dans la mesure où la Cour peut encore déterminer le poids qu’il convient d’accorder, le cas échéant, aux affidavits et contre‑interrogatoires présentés.

[39]  J’accepte que ces affidavits et contre‑interrogatoires soient versés en preuve au dossier pour ainsi m’assurer que tous les éléments de preuve dont la Cour peut possiblement être saisie lui ont été soumis afin que l’affaire puisse enfin être instruite.

C.  Désistement à l’égard des parties

[40]  Mme Good s’est désistée de la demande déposée à l’endroit du PG, après que la requête présentée en vertu de l’article 302 eut été accueillie.

[41]  L’avocat représentant le reste des défendeurs a demandé que l’action soit abandonnée à l’égard des personnes suivantes : Howard McMaster (décédé), Sabrina Baptiste, Larry Wuttunee, l’ancien chef Stewart Baptiste Jr, Shawn Wuttunee, Ryan Buglar et la Première Nation de Red Pheasant. Mme Good a accepté de se désister de son action à l’égard d’Howard McMaster, de Ryan Bugler, de Sabrina Baptiste et de la Première Nation de Red Pheasant.

[42]  L’action intentée à l’égard de ces parties a été abandonnée et leur nom sera donc retiré de l’intitulé.

[43]  Je n’entendrai aucun des arguments ni ne tirerai aucune conclusion au sujet de la preuve déposée contre Howard McMaster (décédé), étant donné que l’action intentée contre lui a été abandonnée.

[44]  Après l’audience, Mme Good a écrit à la Cour pour lui expliquer qu’elle avait changé d’avis et ne souhaitait plus abandonner l’action intentée contre la Première Nation de Red Pheasant. J’ai par la suite transmis des directives écrites aux parties pour leur rappeler que la période de dépôt des observations était terminée. Si une diligence raisonnable avait été déployée avant ou pendant l’audience, cette question aurait pu être résolue, mais le fait de continuer en permettant à l’avocate de changer d’avis après coup en viendrait à traiter cette affaire par étapes. Bien qu’il y ait des exceptions, le changement d’avis de l’avocate n’en fait pas partie (Varco Canada Ltd c Pason Systems Corp, 2011 CF 467, au par. 15).

IV.  La question en litige

[45]  La question en litige est la suivante :

  1. La demanderesse s’est‑elle acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver de manière satisfaisante que la LEPN a été violée et, dans l’affirmative, cette violation a‑t‑elle vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection?

V.  Les règles de droit

[46]  Les dispositions pertinentes de la LEPN sont les suivantes :

Bulletins de vote

Interdictions

14 Nul ne peut, relativement à une élection :

a) demander un bulletin de vote sous un faux nom;

b) avoir en sa possession un bulletin de vote qui ne lui a pas été fourni en conformité avec les règlements;

c) acheter le bulletin de vote postal d’une autre personne;

d) vendre ou donner un bulletin de vote postal;

e) sauf s’il y est autorisé par règlement, imprimer ou reproduire un bulletin de vote dans l’intention que l’impression ou la reproduction soit utilisée comme bulletin authentique.

Ballots

Prohibition

14 A person must not, in connection with an election,

(a) provide a false name in order to obtain a ballot;

(b) possess a ballot that was not provided to them in accordance with the regulations;

(c) purchase a mail‑in ballot that was issued to another person;

(d) sell or give away a mail‑in ballot; or

(e) print or reproduce a ballot with the intention that the print or reproduction be used as a genuine ballot, unless that person is authorized to do so under the regulations.

Interdictions générales

16 Nul ne peut, relativement à une élection :

a) voter ou tenter de voter sachant qu’il est inhabile à voter;

b) inciter une autre personne à voter sachant que celle‑ci est inhabile à voter;

c) faire sciemment usage d’un faux bulletin de vote;

d) déposer dans une urne un bulletin de vote sachant qu’il n’y est pas autorisé par règlement;

e) par intimidation ou par la contrainte, inciter une autre personne à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné;

f) offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné.

Prohibition — any person

16 A person must not, in connection with an election,

(a) vote or attempt to vote knowing that they are not entitled to vote;

(b) attempt to influence another person to vote knowing that the other person is not entitled to do so;

(c) knowingly use a forged ballot;

(d) put a ballot into a ballot box knowing that they are not authorized to do so under the regulations;

(e) by intimidation or duress, attempt to influence another person to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate; or

(f) offer money, goods, employment or other valuable consideration in an attempt to influence an elector to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Interdictions visant l’électeur

17 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

a) voter intentionnellement plus d’une fois à l’égard de chacun des postes de chef ou de conseiller;

b) accepter ou convenir d’accepter de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable pour voter ou s’abstenir de voter, ou encore pour voter ou s’abstenir de voter pour un candidat donné.

Prohibition — elector

17 An elector must not, in connection with an election,

(a) intentionally vote more than once in respect of any given position of chief or councillor; or

(b) accept or agree to accept money, goods, employment or other valuable consideration to vote or refrain from voting or to vote or refrain from voting for a particular candidate.

Vote secret

18 Le vote à une élection se tient par scrutin secret.

Secrecy of voting

18 Voting at an election is to be conducted by secret ballot.

Interdictions visant l’électeur

19 Nul électeur ne peut, relativement à une élection :

a) montrer son bulletin de vote, une fois marqué, pour révéler le nom du candidat pour lequel il a voté, sauf en conformité avec les règlements;

b) dans un bureau de scrutin, déclarer ouvertement en faveur de qui il a l’intention de voter ou pour qui il a voté.

Prohibition — elector

19 An elector must not, in connection with an election,

(a) show their ballot, when marked, to reveal the name of the candidate for whom the elector has voted, other than in accordance with the regulations; or

(b) in the polling station, openly declare for whom the elector intends to vote or has voted.

Contestation de l’élection

Mode de contestation

30 La validité de l’élection du chef ou d’un conseiller d’une première nation participante ne peut être contestée que sous le régime des articles 31 à 35.

Contested Elections

Means of contestation

30 The validity of the election of the chief or a councillor of a participating First Nation may be contested only in accordance with sections 31 to 35.

Contestation

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

Contestation of election

31 An elector of a participating First Nation may, by application to a competent court, contest the election of the chief or a councillor of that First Nation on the ground that a contravention of a provision of this Act or the regulations is likely to have affected the result.

Décision du tribunal

35 (1) Au terme de l’audition, le tribunal peut, si le motif visé à l’article 31 est établi, invalider l’élection contestée.

Transmission de la décision

(2) Lorsque le tribunal invalide une élection, le greffier expédie un exemplaire de la décision au ministre.

Court may set aside election

35 (1) After hearing the application, the court may, if the ground referred to in section 31 is established, set aside the contested election.

Duties of court clerk

(2) If the court sets aside an election, the clerk of the court must send a copy of the decision to the Minister.

[47]  Le but de la LEPN est de permettre aux collectivités autochtones du Canada de disposer d’autres processus électoraux. Comme cette loi n’a été adoptée qu’assez récemment, elle n’a pas fait l’objet jusqu’à maintenant d’une appréciation très poussée de la part des tribunaux.

[48]  Les principes juridiques et l’approche interprétative de la LEPN, de même que les dispositions régissant les comportements interdits lors d’une élection, ont toutefois été examinés dans les jugements Papequash c Brass, 2018 CF 325 (Papequash), Cyr c McNab, 2016 SKQB 357 (Cyr), portée en appel et accueillie en partie dans McNabb c Cyr, 2017 SKCA 27 (McNabb), et Paquachan c Louison, 2017 SKQB 239 (Paquachan).

[49]  Les jugements cités précisent le critère prévu par la loi, qui doit être respecté pour invalider une élection, en vertu de l’article 31 et du paragraphe 35(1) de la LEPN. Pour satisfaire à ce critère, la demanderesse doit démontrer qu’une disposition a été violée et que cette violation a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection. Les contraventions qui ne sont pas susceptibles d’en avoir influencé le résultat n’entraîneront pas l’invalidation de cette dernière. La norme de preuve requise pour remplir ce critère est celle de la prépondérance des probabilités (Papequash, au par. 33; McNabb, au par. 36).

[50]  Le juge Barnes de la Cour (Papequash) et la Cour d’appel de la Saskatchewan dans McNabb ont également adopté l’approche préconisée par la Cour suprême du Canada à l’égard de la Loi électorale du Canada dans l’arrêt Wrzesnewskyj c Canada (Procureur général), 2012 CSC 55 (sub nomine Opitz c Wrzesnewskyj [Opitz]), au moment d’interpréter la LEPN.

[51]  Dans McNabb, la Cour d’appel de la Saskatchewan, citant l’arrêt Opitz, a fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

[26] Il ressort clairement des motifs dissidents de la Cour suprême, dans l’arrêt Opitz, que la présomption de régularité se reflète dans le fardeau de la preuve et la charge de présentation qui incombent au demandeur de démontrer qu’une contravention ayant vraisemblablement influé sur le résultat d’une élection a été commise. Reprenant le libellé de la Loi électorale du Canada, la juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la minorité, a expliqué ce qui suit :

[169] Les résultats électoraux bénéficient d’une « présomption de régularité » : Dewdney Election Case, 1925 CanLII 314 (BC CA), [1925] 3 D.L.R. 770 (C.A.C.‑B.), p. 771. Cette présomption est en accord avec le fait qu’il incombe au requérant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’« irrégularité[s] [...] ayant influé sur le résultat de l’élection » : voir Beamish, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

[52]  En interprétant la LEPN selon la décision rendue dans l’arrêt Opitz, les tribunaux ont confirmé qu’un demandeur qui prétend qu’il y a eu violation de la LEPN doit établir une preuve prima facie, après quoi il incombe au défendeur de réfuter cette dernière (Paquachan) :

[traduction]

[23] Le fardeau de la preuve : Pour faciliter l’application du fardeau de la preuve consistant à déterminer si une contravention à la LEPN a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection, le cadre établi par le juge Rothstein, au paragraphe 61 de l’arrêt Opitz, concernant la Loi électorale du Canada est révélateur. Premièrement, le demandeur doit établir une preuve prima facie d’irrégularité (ou, en l’espèce, de « contravention »), laissant au défendeur la possibilité de réfuter l’allégation de contravention ou de démontrer que la contravention n’a vraisemblablement pas influé sur le résultat de l’élection.

[53]  Dans l’arrêt Opitz, les juges majoritaires n’ont examiné que la question des « irrégularités ». Le type de contravention est donc important et pertinent.

[54]  Ce ne sont pas toutes les contraventions qui justifient de procéder à l’invalidation de l’élection. Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 34 du jugement Papequash, dans les causes impliquant des questions procédurales de nature technique, une approche mathématique prudente, comme le critère du « nombre magique inversé », peut être adoptée pour établir la probabilité qu’un résultat différent soit obtenu. Par ailleurs, dans les cas où des allégations de fraude ont été formulées, une annulation « peut être justifiée, peu importe le nombre de votes valides prouvé ». Au paragraphe 34 du jugement Papequash, le juge Barnes a soutenu que cette dernière situation s’avère « particulièrement vrai[e] lorsque des allégations d’achat de votes sont soulevées […] ».

[55]  Compte tenu de l’examen effectué par le juge Barnes et la Cour d’appel de la Saskatchewan, il convient également de se rappeler que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’invalider des élections, même dans les cas entachés de fraude ou d’autres formes de corruption. Dans l’arrêt Opitz, par exemple, les juges majoritaires ont déclaré que l’annulation d’une élection priverait de leur droit de vote non seulement les électeurs dont le vote a été rejeté, mais aussi tous les électeurs ayant voté. Par conséquent, en supposant que le critère à deux volets requis pour démontrer qu’il y a eu contravention à la LEPN ait été rempli, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire avec circonspection avant d’invalider une élection.

[56]  En l’espèce, il a été confirmé lors de l’audience, auprès des deux parties restantes, qu’il ne s’agit pas ici d’une situation qui nécessite l’application du critère du « nombre magique inversé ».

VI.  Analyse

A.  La preuve

[57]  Conformément à l’article 30 de la LEPN, l’appel sera instruit dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire. Dans une telle procédure, la Cour examine la preuve en procédant à l’examen des affidavits qui lui sont présentés.

[58]  Malheureusement, les nombreux affidavits produits, qui comprennent des affidavits expurgés, des affidavits complémentaires et des affidavits déposés en retard, augmentent la complexité du dossier dont j’ai été saisie.

[59]  Les documents déposés contiennent, au total, environ 52 affidavits et font mention de 27 contre‑interrogatoires. Au début de l’audience, ce dossier de preuve a été examiné à fond, puisque le protonotaire n’avait pas autorisé un certain nombre d’affidavits et que certains éléments de preuve avaient été retirés. Les 52 affidavits comprennent 2 versions expurgées des affidavits précédents produits par les déposants concernés. Le dossier comprend également de multiples contre‑interrogatoires de plusieurs déposants concernant divers affidavits. Par exemple, il contient 6 affidavits de Michelle Good, qui n’ont pas tous été déposés correctement devant la Cour ou numérotés convenablement. Tout cela rend l’affaire d’autant plus complexe et les faits inutilement difficiles à concilier.

[60]  Bon nombre des affidavits contiennent des preuves par ouï‑dire, des arguments et des observations non pertinentes ou outrageuses, ce que la Cour juge inacceptable. Cela est inapproprié et ne constitue pas une bonne utilisation des ressources judiciaires. Non seulement un tel dossier est injuste pour le juge, mais il l’est aussi pour les défendeurs, étant donné que ces derniers ne peuvent pas savoir exactement quelle est l’allégation pertinente ni quelle est la preuve particulière qui étaye cette allégation. La Cour doit vainement composer avec un mélange inextricable de preuves, qui comprend un grand nombre d’affidavits, d’affidavits complémentaires, de contre‑interrogatoires et d’affidavits ayant été retirés.

[61]  Une liste des affidavits et de l’état de chacun, qui peut, au mieux, être déterminé, en dépit des difficultés signalées ci‑dessus, est fournie à l’annexe A.

[62]  Tel qu’il a été mentionné ci‑dessus, bon nombre des affidavits contiennent des ouï‑dire ou des ouï‑dire doubles, sans qu’aucune exception fondée sur des principes à la règle du ouï‑dire ne s’applique. De plus, des affidavits expurgés ont été produits, ainsi que des affidavits contenant d’autres affidavits, qui n’ont pas été produits sous serment et qui ont été joints à ces derniers comme pièces à l’appui. Aucun poids ne sera accordé aux preuves par ouï‑dire ou aux affidavits non assermentés, conformément à l’article 81 des Règles.

[63]  Je constate également qu’aucune preuve indépendante ou corroborante n’a été présentée à l’appui de l’allégation du demandeur selon laquelle bon nombre des affidavits ont été rédigés à des fins intéressées, avec des intentions malveillantes.

[64]  J’ai été invitée à tirer une conclusion quant à la véracité du contenu, dans les cas où un affidavit n’a pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire. Dans cette affaire particulière, je ne me prononcerai pas sur cette question, compte tenu du nombre d’affidavits et de l’absence de directives quant aux allégations précises auxquelles la preuve se rapporte. J’estime que les principaux témoins des deux parties ont été contre‑interrogés et que seuls quelques‑uns des déposants les plus en marge ne l’ont pas été.

[65]  La juge Schwann appuie plus avant cette façon de faire dans la décision Cyr, au paragraphe 74, où elle indique que le fait de tirer une conclusion négative de l’absence d’un témoin transférerait au défendeur le fardeau de la preuve imposé par la loi. Je conclus qu’en vertu de la loi et de la jurisprudence pertinente, le fardeau de preuve incombe à la demanderesse, conformément à la conclusion tirée au paragraphe 50 de la décision Cyr. J’examinerai la preuve présentée par les déposants qui n’ont pas été contre‑interrogés de la même façon que celle produite par ceux qui l’ont été.

B.  Les allégations

[66]  Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Good n’a pas décrit les incidents particuliers ni présenté les éléments de preuve correspondants, qui permettraient d’établir une preuve prima facie répondant au critère selon lequel une contravention « a vraisemblablement influé sur » le résultat de l’élection. Au lieu de cela, Mme Good a dressé une liste ouverte des faits se rapportant aux « manœuvres frauduleuses » qui ont été exécutées à Red Pheasant, a présenté des preuves de type « il a dit, elle a dit » et a porté des accusations générales concernant des actions qui contreviendraient aux dispositions pertinentes de la LEPN. Je vais tâcher de démêler cet imbroglio d’affidavits et de contre‑interrogatoires se rapportant à chaque allégation afin d’en arriver à une conclusion. Cela aussi est inacceptable et a rendu la procédure longue et complexe.

[67]  Conformément à la LEPN et à la jurisprudence pertinente, la question qu’il me faut trancher consiste à déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, l’acte prohibé a bel et bien été commis. Si je conclus que ce dernier a bien été perpétré, je dois décider si la contravention a influé sur le résultat de l’élection. Mme Good a retiré les allégations formulées à l’endroit d’Howard McMaster, de sorte que, tel qu’il a été mentionné ci‑dessus, je n’examinerai aucune des allégations le concernant. Je n’examinerai pas, non plus, les éléments de preuve se rapportant à l’une ou l’autre des parties à l’égard desquelles l’action a été abandonnée ni ceux liés à des décisions autres que la décision de 2016.

[68]  Dans l’intérêt de la justice, j’ai schématisé, de façon générale, les allégations particulières que la Cour est appelée à examiner, d’après les observations écrites et orales présentées. Je dois tirer mes conclusions en me fondant sur ces allégations particulières.

C.  Les éléments de preuve particuliers

[69]  Avant d’exposer les allégations pertinentes particulières qui m’ont été présentées, je me pencherai sur le témoignage de Jeffery Tisnic (Meechance) et de Nisha Wuttunee. De plus, j’examinerai les circonstances dans lesquelles le chef et les conseillers ont donné de l’argent aux membres de la bande, avant de me pencher sur ces allégations particulières, étant donné que cette question est omniprésente dans l’ensemble de la preuve.

(1)  Jeffery Tisnic (Meechance)

[70]  Jeffery, né le 5 février 1997, est également connu sous le nom de « Jeffery Meechance », « Jeffery Tisnic Meechance » ou « Jeffery Tisnic » (Jeffery). Jeffery a déposé un affidavit à l’appui de l’appel. Il a été contre‑interrogé concernant cet affidavit le 10 février 2018.

[71]  Lors du contre‑interrogatoire, il vivait à Edmonton ou dans les environs et assurait la direction de restaurants Tim Hortons depuis environ trois ans. Jeffery a déménagé à Edmonton pour occuper ce poste chez Tim Hortons quelque temps après la tenue de l’élection. Avant de s’établir à Edmonton, il a habité à Saskatoon ou dans les environs, où il a terminé sa 12e année.

[72]  Lors de l’élection, Jeffery a voté au moyen d’un bulletin de vote postal et prétend avoir été payé pour le faire par Gary Nicotine (Gary). Lors du contre‑interrogatoire, il a également affirmé que Gary n’a jamais offert aucun soutien, ni à lui ni à sa famille, que ce soit sous forme de produits alimentaires ou d’une aide financière, mais que le chef Clinton Wuttunee (chef Clinton) l’a fait. Jeffery a toutefois déclaré que le chef Clinton lui a offert une aide financière dans le seul but d’acheter des votes et qu’il ne lui a fourni aucune autre forme de soutien financier. Jeffery a affirmé que Mandy Cuthand (Mandy) lui a versé une somme de 40 $ par transfert électronique pour acheter son vote et que Henry Gardipy (Henry) lui a donné, pour ce faire, entre 60 $ et 100 $.

[73]  À la page 297 de la transcription versée au dossier, Jeffery a déclaré ce qui suit :

[traduction]

R. – Et bien, je suis sorti avec mon bulletin de vote, mais je ne l’ai pas laissé le prendre, et il m’a alors donné entre 60 $ et 100 $. Je ne sais plus trop combien vu que c’était il y a 2 ans, mais – oui. Je ne l’ai pas laissé le prendre. Il essayait de le prendre, mais je ne l’ai pas laissé faire.

Q. D’accord.

R. Oui, parce que je savais que je pourrais en tirer plus d’argent, si j’obtenais plus de « X », en effet.

Q. D’accord. Vous essayiez donc de vendre votre bulletin de vote.

R. Oui.

[74]  Plus tard au cours du contre‑interrogatoire, Jeffery a déclaré qu’il ne cherchait aucunement à vendre son bulletin de vote, mais lorsqu’il s’est fait rappeler qu’il témoignait sous serment, il a affirmé [traduction« Non, j’avais besoin d’une aide financière parce que je vivais une période difficile. » À ce stade‑ci du contre‑interrogatoire, Jeffery a déclaré qu’il avait besoin d’un soutien financier parce qu’il ne travaillait pas.

[75]  Lors du contre‑interrogatoire, Jeffery a admis avoir communiqué avec le chef et tous les conseillers actuels pour tenter de leur vendre son vote, mais il a indiqué qu’il n’a pas tenté de le faire auprès des personnes qu’il appuyait, comme l’ancien chef Baptiste :

[traduction]

Q. Mme Good – Il a posé la question, avez‑vous envoyé un message texte au chef et à tous les conseillers actuels?

R. Je suppose que oui, en effet.

Q. Ce n’était pas si difficile de répondre à la question, n’est‑ce pas?

Q. Et Stewart Baptiste, lui avez‑vous demandé?

R. Non.

Q. L’avez‑vous demandé à Sandra Arias?

R. Je ne sais pas qui c’est.

[76]  Sur Facebook, Jeffery a soi‑disant tenté de mettre au jour la corruption présente au sein de la Première Nation de Red Pheasant. Il termine sa publication avec les mots‑clics #IdleNoMore, #NoMoreCorruption, #Decolonize et #SetThemUp, comme le montre la pièce C de son affidavit. Le mot‑clic #SetThemUp semble indiquer le désir potentiel de nuire à la réputation des parties concernées, ce qui est vraiment troublant.

[77]  Même s’il s’agissait là de son premier vote, Jeffery a décidé qu’il essaierait de le vendre pour en tirer de l’argent, et il ne semblait pas regretter son geste. Au cours du contre‑interrogatoire, Jeffery a été invité à indiquer comment il en est venu à adopter cette stratégie, qui l’a amené à communiquer avec les candidats pour leur vendre son vote. Il a répondu ce qui suit :

[traduction]

R. – C’est une façon de faire de l’argent. Nous ne pensions pas que c’était mal. Nous devions survivre. Nous devons nous nourrir et mettre de l’essence dans nos voitures. Les gens ne savaient pas que c’était mal.

[78]  En outre, Jeffery a été interrogé concernant la façon dont Henry a aidé Raelynn (la sœur de Jeffery) et lui à déménager d’une maison à l’autre. Bien que Jeffery ait admis ce fait, il a également déclaré qu’il n’avait aucune idée que ces personnes aidaient sa famille depuis des années.

[79]  Jeffery a également déclaré, lors du contre‑interrogatoire, qu’il s’est fait exploiter parce qu’il votait là pour la première fois.

[80]  En réalité, je ne considère pas Jeffery comme un témoin crédible. Sa crédibilité a été entachée plus avant par un certain nombre de déclarations impertinentes, incohérentes et invraisemblables. Par exemple, il a texté le mot « LOL » en réponse à une menace apparente formulée contre lui. Lors du contre‑interrogatoire, il a soutenu qu’il considérait cela comme une menace et a déclaré qu’il avait écrit le mot « LOL » parce qu’il était [traduction« hystérique ».

[81]  Jeffery a également été contre‑interrogé en ce qui concerne un message texte qu’il a envoyé au chef Clinton afin de lui demander de l’argent pour payer les frais funéraires de son père. Mme Good s’est opposée à cette série de questions, étant donné que les messages textes ne faisaient pas partie des pièces jointes à l’affidavit de Jeffery. Je constate que les messages en question ont été ajoutés aux pièces à l’appui de son contre‑interrogatoire. Jeffery a soutenu que les messages auxquels il est fait référence dans le contre‑interrogatoire n’ont jamais été transmis. Je n’ai aucune preuve qu’ils n’ont pas été envoyés et, en fait, les défendeurs les ont produits pour que le tribunal en déduise qu’ils l’ont bel et bien été. Ce manque de cohérence par rapport à la preuve documentaire porte, une fois de plus, atteinte à la crédibilité de Jeffery en tant que témoin.

[82]  Les contradictions importantes relevées dans le témoignage de Jeffery, au cours du contre‑interrogatoire, sont encore plus frappantes lorsqu’elles sont examinées par rapport au témoignage du chef Clinton et à celui livré par Henry lors du contre‑interrogatoire.

[83]  Les témoignages livrés par ces personnes ne peuvent pas aussi facilement être décrits comme étant une preuve intéressée, présentée pour le compte des défendeurs; les témoignages contradictoires livrés par ces deux personnes sont plutôt corroborés par la documentation produite en preuve. Par exemple, Jeffery a envoyé un message texte au chef Clinton le 10 avril 2018, dans lequel il affirme [traduction« [...] vous aidez réellement les gens. C’est la première fois qu’un chef agit de la sorte. Je vous suis reconnaissant de toute l’aide que vous nous apportez, à moi et à ma famille, de même qu’à mes proches. » Lorsqu’il a été contre‑interrogé à ce sujet, Jeffery s’est montré évasif et a déclaré n’avoir jamais écrit ce message. Le fait qu’il a donné une telle réponse, alors qu’il était sous serment, met encore plus en doute sa crédibilité.

[84]  Jeffery en a même profité pour faire de fausses déclarations concernant des faits non importants. Par exemple, il a déclaré qu’Henry est un membre de sa famille, mais lorsqu’il a été interrogé à ce sujet dans le cadre du contre‑interrogatoire, il n’a pu expliquer leur lien de parenté.

[85]  Gary a affirmé, dans son témoignage, qu’il est un ami de la mère de Jeffery et qu’il vient en aide à sa famille depuis des décennies. Comme l’a déclaré Gary lorsqu’il a été contre‑interrogé à ce sujet, il leur a offert des ressources financières et d’autres formes d’aide, et il estimait que ces formes d’aide faisaient partie de son travail de conseiller. Gary a affirmé n’avoir jamais donné à Jeffery une liste des candidats pour lesquels voter.

[86]  Dans un cas particulier, Jeffery a envoyé un message texte à Gary pour lui demander de l’aider financièrement. Dans les messages échangés, qui ont été présentés en preuve, Jeffery insiste fortement sur le fait qu’un montant de 60 $ doit lui être versé et se montre à tel point insistant que Gary s’est rendu chez lui. Selon les déclarations de Gary versées au dossier, lorsqu’il s’est présenté chez lui, il a dit à Jeffery qu’il n’était pas là pour acheter son vote, mais qu’il l’aiderait s’il avait besoin d’aide, étant donné que Jeffery l’implorait sur son cellulaire de lui venir en aide, par respect pour la mère de Jeffery. Gary ne se souvient pas s’il a donné ou non l’argent à Jeffery, mais il se rappelle que Raelynn, la sœur de Jeffery, était aussi dans le véhicule. Il convient de souligner que Raelynn n’a jamais déposé d’affidavit.

[87]  Le témoignage livré par Henry, lors du contre‑interrogatoire, démontre également sans équivoque qu’Henry était là pour aider Jeffery et sa famille :

[traduction]

Q. Vous l’avez rencontré.

R. Oui.

Q. Lui avez‑vous donné 100 $?

R. Je lui ai donné 100 $ pour l’épicerie et tout ce qu’il voulait pour lui et son petit ami qui était là, à l’époque. Il a dit qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour… pour faire l’épicerie. J’aidais Jeffery et sa famille tous les jours; je lui fournissais du tabac, je conduisais sa mère à l’épicerie, je conduisais Jeffery partout où il devait se rendre, peu importe où il habitait, alors j’étais juste… je crois que c’était juste un autre… une autre de ces journées, vous savez, où j’ai aidé... où je suis venu en aide à un jeune homme de 18 ans...

[88]  Lors du contre‑interrogatoire, Henry a confirmé plus avant ce qui l’a poussé à offrir son aide en ce qui a trait aux frais funéraires du père de Jeffery :

[traduction]

Q. Et cette affaire, c’était les funérailles de son père?

R. Oui.

Q. Parlez‑nous‑en.

R. Et bien, il voulait de l’aide pour pouvoir assister aux funérailles de son père. Ce dernier était décédé, alors nous lui avons offert une AMB de la part de la bande.

Q. Une AMB, qu’est‑ce que c’est?

R. Une aide aux membres de la bande. Je crois qu’il a eu droit à un chèque de 400 $ pour se rendre là‑bas et en revenir. Vous savez, nous l’avons aidé en cette période de deuil.

[89]  Jeffery a refusé d’admettre que sa famille ou lui a déjà reçu un quelconque soutien, ce qui est donc contredit par les témoignages de Henry, du chef Clinton et de Gary. La preuve produite en contradiction avec l’exposé des faits de Jeffery est corroborée par des messages textes.

[90]  L’allégation de Jeffery selon laquelle il se faisait à un tel point intimidé qu’il a dû déménager à Edmonton a été contredite par son propre témoignage lors du contre‑interrogatoire, au cours duquel il a reconnu avoir déménagé à Edmonton pour un emploi. Il ne semble assurément pas facile à intimider, d’après le comportement qu’il a manifesté dans ses messages textes, sur Facebook et lors de son contre‑interrogatoire.

[91]  Il y a eu des discussions sur le fait que Jeffery n’a pas été appelé à comparaître pour un contre‑interrogatoire. Rien n’en résulte à ce stade‑ci, étant donné qu’il a finalement été contre‑interrogé, mais je tiens à le mentionner uniquement pour montrer que les problèmes liés à sa crédibilité sont mis en évidence par son manque de respect général pour le processus judiciaire. Les défendeurs soutiennent que, contrairement à ce qu’a affirmé Mme Good, ils n’ont jamais refusé d’interroger Jeffery et que cela défie toute logique que le chef Clinton paie une chambre à ce dernier pour qu’il puisse se présenter à son contre‑interrogatoire et qu’ensuite, il ne le contre‑interroge pas.

[92]  Tel qu’il a été mentionné précédemment, je conclus donc que la preuve présentée par Jeffery n’est pas digne de foi. L’attitude de Jeffery lors du contre‑interrogatoire, sa propension à ne pas toujours dire la vérité et sa tendance à s’emporter et à laisser libre cours à sa colère m’amènent à douter sérieusement de son témoignage. Par exemple, lors du contre‑interrogatoire, Jeffery a tenté d’expliquer la contradiction observée, du fait qu’il a juré qu’il se faisait intimider au point de déménager, alors qu’il a utilisé l’expression « LOL » pour répondre aux messages de menaces contestés. Comme en témoignent les extraits de la transcription, Mme Good a dû intervenir pour tenter de le calmer lors de son contre‑interrogatoire :

[traduction]

Q. M. Stooshinoff : Vous avez dit avoir ri aux éclats, de manière hystérique. N’est‑ce pas là le terme que vous avez utilisé Jeffery? C’était hystérique?

R. Non.

Q. Bon, d’accord. Au paragraphe 13.

R. Lisez‑le.

Q. Non, vous lisez‑le.

R. Non, vous le lisez. Allez – allez

Mme Good : Calmez‑vous.

R. – Demandez à Lux de le lire. On verra s’il sait lire… je plaisante.

Mme Good : Restez calme. Tout va bien. Restez calme, d’accord. Faites juste lire

R. Lire

Mme Good : – Le paragraphe…

R. En fait, je vais…

Mme Good : Vous n’avez pas à le lire à haute voix.

R. À vrai dire, je vais le lire, la seule personne éduquée dans cette putain de pièce, celle qui a abandonné ses études.

[93]  Plus tard au cours du contre‑interrogatoire, Jeffery a formulé une remarque désobligeante, en faisant allusion à l’épouse de l’avocat des défendeurs, décédée peu de temps auparavant. Mme Good a dû intervenir de nouveau ici, mais un tel comportement est honteux et démontre plus avant que Jeffery est un déposant peu fiable, sans trop de conscience :

[traduction]

Q. Avez‑vous demandé au chef : (tel qu’il a été lu) Pourriez‑vous m’aider en me donnant 40 $, chef?

R. Laissez‑moi voir cela, alors.

Q. Au bas, tout au bas.

R. Cela ressemble à une fraude, car tous ces messages sont frauduleux.

Mme Good : Je ne vois aucun numéro de téléphone ou quoi que ce soit du genre, n’est‑ce pas?

R. Moi non plus.

Q. M. Stooshinoff : Avez‑vous bien dit cela, Jeffery?

R. Laissez‑moi juste examiner cela un peu.

Q. Accrochez‑vous à ce maigre espoir. Il vous permettra peut‑être d’éviter de vous parjurer.

R. Il n’est pas question de parjure. Ceci est inexact. Le numéro de téléphone – un courriel est indiqué, pas un numéro de téléphone, Shirpinoff (sic). Je suis tellement désolé, si vous aviez une femme, oh mon Dieu! (dit dans une langue étrangère)

Mme Good : Je suis désolée pour cette remarque, Nicholas.

R. Excusez‑moi, vous avez bien une femme?

Mme Good : Ne dites pas cela. Ne parlez pas de cela.

R. D’accord.

Mme Good : Venez ici.

R. Ce n’est pas mon problème. Je suis ici pour parler de cet affidavit, pas de lui.

Mme Good : C’est exact.

[94]  Au cours du contre‑interrogatoire de Mandy Cuthand, Mandy a déclaré avoir donné 40 $ à Jeffery pour qu’il achète de l’essence. Après cette discussion concernant les 40 $, Jeffery a commencé à parler des bulletins de vote et des « X », et Mandy a alors cessé de lui parler. Le message texte indiquait : [traduction« C’est Jeffery Meechance, l’autre fils d’Adeles. Je me demandais si vous pouviez me prêter 40 $. J’essaie d’obtenir des fonds; on m’a demandé de me rendre à Kamsack pour organiser une cérémonie. Aussi, je vote pour vous. Vous avez mon “X”, d’accord? »

[95]  Selon le témoignage de Mandy, ce dernier a transféré électroniquement le montant de 40 $ à Jeffery le 17 février 2016, et Jeffery lui a ensuite demandé, au cours de cette même journée, de lui verser 50 $ en échange de son vote et de ceux de sa mère et de sa sœur. Mandy a indiqué qu’il n’a pas répondu à cette seconde demande. Je choisis de croire l’explication donnée par Mandy, qui a affirmé avoir donné 40 $ à Jeffery le 17 février 2016 pour qu’il achète de l’essence, et non pour acheter son vote.

[96]  Les messages textes contiennent de nombreuses demandes de Jeffery, qui cherche à obtenir de l’argent pour acheter des manuels scolaires et de l’essence. Bien que la pièce contenant les messages textes ne comporte pas de numéros de téléphone, il est utile de fournir un élément de preuve supplémentaire, qui permet de corroborer ce que le chef et les conseillers ont dit et de conclure que Jeffery n’est pas crédible.

[97]  Le chef Clinton a fourni une preuve par ouï‑dire montrant que Jeffery souffre de schizophrénie et qu’il a passé toute sa vie dans des établissements psychiatriques, selon ce que la mère et la sœur de Jeffery lui ont dit. Aucune preuve d’ordre médical n’a été produite à l’appui de cette allégation, et il n’est pas nécessaire pour moi de tirer une conclusion quant à la capacité de Jeffery à signer un affidavit, dans la mesure où je conclus qu’il n’est pas un témoin crédible et où je n’accepterai aucune des preuves qu’il a présentées, puisque j’estime que celles‑ci ont été adaptées et qu’aucun poids ne doit leur être accordé.

(2)  Nisha Wuttunee

[98]  Nisha Stewart Wuttunee (Nisha), qui a témoigné pour la demanderesse, a déposé quatre affidavits, dont l’un d’eux annule les trois autres. Il a par la suite été contre‑interrogé, en date du 30 octobre 2017.

[99]  À la suite du retrait de ses affidavits, j’ai été saisie de l’affidavit no 6 de Mme Good, qui décrit les circonstances dans lesquelles Nisha a produit ces affidavits. L’affidavit d’Eldon Wuttunee (Eldon), qui se considère comme l’oncle de Nisha [traduction« selon les coutumes cries », permet de corroborer les dires de Mme Good et contraste avec le compte rendu présenté par Nisha dans l’affidavit no 4, ce qui est également le cas de l’affidavit de son épouse, [traduction« tatie » Elsie Wuttunee (Elsie).

[100]  Pour résumer les allégations formulées par Nisha dans ses trois premiers affidavits, le chef Clinton aurait payé Nisha et lui aurait donné de l’alcool pour qu’il signe un nouvel affidavit et qu’il retire ses affidavits précédents.

[101]  D’après le compte rendu présenté par Nisha dans l’affidavit no 4, à la suite de l’élection tenue au sein de la bande en 2016, Elsie l’a contacté au sujet de l’appel des résultats électoraux. Elsie a dit craindre que le chef et les conseillers aient l’intention de déposséder les propriétaires de terres ancestrales de leurs biens. Dans l’affidavit qu’il a produit pour annuler les autres, Nisha a juré avoir été induit en erreur par Elsie et Mme Good au sujet de la politique sur les terres ancestrales proposée par le chef Clinton. Après s’être entretenu avec le chef Clinton le ou vers le 6 septembre 2016, il était plutôt d’avis que le chef et les conseillers orientaient la Première Nation de Red Pheasant dans la [traduction« bonne direction ». Il conteste l’affirmation de Mme Good selon laquelle il a retiré ses affidavits précédents parce qu’il a été [traduction« acheté » par le chef et les conseillers, et il a produit des messages textes comme preuves à l’appui.

[102]  Nisha vit avec sa grand‑mère, dans la maison de cette dernière dans la réserve, tout comme son oncle et son père. Dans l’affidavit no 1 de Nisha, ce dernier affirme que sa grand‑mère est atteinte de démence et que son oncle souffre d’une grave déficience intellectuelle. Nisha a déclaré qu’ils ne sont à aucun moment restés seuls ce jour‑là; pourtant, le président d’élection a affirmé qu’il s’est présenté chez eux et qu’ils ont voté, ce qui a été confirmé par l’agent responsable de l’effectif de la bande.

[103]  Dans l’affidavit no 2, Nisha a déclaré que 3 semaines avant l’élection, le chef Clinton lui a transféré électroniquement un montant de 100 $ par l’entremise d’un tiers, étant donné qu’il n’a pas accès à des services bancaires en ligne. Nisha a affirmé, dans son affidavit, que le chef Clinton a dit [traduction« n’oubliez pas de voter pour moi ». Il a reçu 50 $ de plus quelques jours avant l’élection, se faisant rappeler une fois de plus de voter pour le chef Clinton, puis a touché un autre montant de 50 $, qui lui a été remis en espèces par le frère du chef Clinton, à qui les fonds avaient été transférés électroniquement. Nisha a également ajouté qu’une rumeur circulait selon laquelle le chef Clinton donnerait 100 $ à quiconque prendrait une photographie de son bulletin de vote montrant un vote en sa faveur. Nisha a affirmé qu’il a pris une photo de son bulletin de vote, mais qu’il n’a jamais reçu d’argent du chef Clinton, étant donné qu’il a voté pour son ami Todd Baptiste, qui était candidat pour le poste de chef. La photographie de son bulletin de vote a été jointe comme pièce à son affidavit, et Nisha a souligné qu’aucune sécurité n’était assurée au bureau de vote pour empêcher la prise de photos. Il a ajouté que l’achat de votes a toujours fait partie des élections de la Première Nation de Red Pheasant.

[104]  Dans l’affidavit no 3, Nisha affirme que le chef Clinton l’a appelé le 17 mai 2006 (il doit s’agir ici d’une erreur typographique, et la date voulue était probablement le 17 mai 2016). Le chef Clinton aurait dit que 21 affidavits avaient été déposés contre lui, et il a par la suite envoyé un message texte pour dire qu’il craignait que Nisha n’ait pas réellement signé l’affidavit. Selon le témoignage de Nisha, le chef Clinton est venu lui donner une bouteille de 60 onces d’alcool et 50 $ et lui a ensuite demandé de se rendre à Regina avec lui pour déposer un nouvel affidavit. Nisha a affirmé qu’il a pris l’alcool et l’argent, mais qu’il n’a pas déposé de nouvel affidavit, bien que le chef Clinton lui ait envoyé un message texte au cours de la soirée pour savoir s’il buvait. Le 18 mai 2016, suivant les instructions de Mme Good, il s’est rendu à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et a déposé une plainte, dans laquelle il soutient que le chef Clinton [traduction« essayait de faire pression sur lui pour qu’il retire la preuve qu’il a produite dans le cadre de cette demande d’appel ». Il a ajouté qu’il n’avait aucun doute que le chef Clinton continuerait d’essayer de faire pression sur lui.

[105]  Mon examen des messages textes me porte à adopter une interprétation différente. Dans les messages textes déposés en preuve, le chef Clinton demande [traduction« Et bien, avez‑vous déposé cet affidavit? » et Nisha répond [traduction« Je vais sombrer avec vous… Non. » Clinton demande ensuite [traduction« En signeriez‑vous un disant que vous n’avez jamais fait cet affidavit? Je suis en route. » Nisha a plus tard affirmé que la signature [traduction« y ressemblait un peu ».

[106]  Les messages textes réellement échangés n’étayent pas les déclarations faites dans l’affidavit. Aucune mention n’est faite d’une quelconque offre pour savoir si Nisha peut modifier ou non son affidavit. Nisha a texté [traduction« LOL Captain Morgan Spiced. Textez‑moi quand vous arriverez ici », ce à quoi le chef Clinton a répondu [traduction« JNSP parce que… m’apparaît douteux » (« JNSP » étant la forme abrégée de « je ne sais pas »).

[107]  Dans l’affidavit no 4, Nisha rétracte les déclarations qu’il a faites précédemment sous serment dans le but de [traduction« rétablir les faits » et de fournir une explication quant aux raisons justifiant cette rétractation.

[108]  Tel qu’il a été mentionné précédemment, Nisha a déclaré qu’Elsie l’a contacté et lui a dit que le chef et les conseillers avaient l’intention de déposséder les propriétaires de terres ancestrales de leurs biens, et il l’a crue, étant donné qu’elle a de très bons contacts sur la scène politique. Cela l’a mis en colère, puisque sa famille est propriétaire de quelques‑unes de ces terres ancestrales et qu’il ferait n’importe quoi pour protéger les terres de sa famille.

[109]  Elsie lui a donné le numéro de téléphone de Mme Good et il l’a appelée. Mme Good aurait soi‑disant orienté la conversation vers l’achat de votes, et bien qu’il n’ait pas vendu son vote ni été témoin de l’achat de votes lors de cette élection, il était très contrarié à l’idée que le chef ait l’intention de s’emparer des terres ancestrales. Il a déclaré qu’il a menti en affirmant que sa grand‑mère et son oncle n’avaient pas voté et qu’il n’a pas communiqué avec Howard McMaster, le président d’élection, comme il l’avait prétendu. Il a ajouté qu’Elsie lui a donné de l’alcool et de la nourriture, après qu’il eut signé son premier affidavit.

[110]  En ce qui concerne les déclarations qu’il a faites dans son deuxième affidavit, Nisha a indiqué dans l’affidavit no 4 qu’il a bel et bien voté pour Todd Baptiste, mais que personne n’a acheté son vote, malgré ce qu’il avait affirmé dans son affidavit précédent. De plus, Nisha a déclaré n’avoir rien reçu du chef et des conseillers actuels pour retirer ses affidavits précédents.

[111]  Dans l’affidavit no 4, Nisha a affirmé que Mme Good et Elsie lui ont dit de se rendre à la GRC et de déposer une plainte, ce qu’il a fait parce qu’il voulait désespérément sauver leurs terres ancestrales. Nisha a juré qu’il n’a pas subi de pressions de la part du chef Clinton, mais que Mme Good a fait pression sur lui pour qu’il signe les affidavits et qu’il rassemble des gens également prêts à le faire afin de destituer le chef et les conseillers. Il a joint des messages textes pour montrer que Mme Good continuait à faire pression sur lui. Lors du contre‑interrogatoire, il est devenu évident, d’après la preuve, que Nisha souffrait de problèmes de toxicomanie lorsqu’il a signé ses affidavits :

[traduction]

Q. Et maintenant, vous dites que ce n’est pas…

R. Non. Je dis tout cela uniquement parce que j’avais besoin d’argent pour m’acheter de la drogue. C’était là tout l’intérêt de l’affaire.

Q. Je comprends.

Q. Nous en sommes déjà au paragraphe 8, et vous avez convenu que tout est vrai jusque‑là.

R. Oui, mais tout cela… tout cela n’était que des mensonges pour avoir mon… mon argent pour m’acheter du crack. C’était là la seule raison.

[112]  Nisha a plus tard déclaré qu’il a reçu de l’argent du chef et des conseillers et qu’il était pratique courante pour eux de donner de nombreux articles à leurs électeurs, notamment de l’argent pour des voyages, de la nourriture, de l’essence ou des couches pour bébé. Il a demandé de l’argent au chef Clinton pour aller à Regina voir sa petite amie. Il a ensuite affirmé avoir été payé pour le travail qu’il a fait, de même que pour ne pas s’être présenté à l’interrogatoire préalable, après que le chef Clinton l’y eut conduit et lui eut payé une chambre d’hôtel. Plus tard, il s’est avéré que l’argent qui lui a été donné devait servir à payer une amende afin qu’il puisse récupérer son permis et retourner au travail.

[113]  Le contre‑interrogatoire est révélateur, car il est contradictoire et porte à confusion. Au cours de ce dernier, Nisha a admis qu’il était un grand consommateur d’alcool et qu’il souffrait d’une dépendance au crack. Il a indiqué qu’il était prêt à avancer des preuves pour se procurer de la drogue.

[114]  Dans son affidavit, le chef Clinton parle de Nisha et explique exactement quand et pourquoi il lui a fourni de l’argent. En outre, il a confirmé que les problèmes de dépendance à l’alcool et à la cocaïne de Nisha étaient connus. Dans son contre‑interrogatoire, le chef Clinton a admis avoir donné de l’argent à Nisha, à la demande de ce dernier.

[115]  Il convient de souligner qu’Eldon est le cousin de Mme Good et qu’Elsie est sa femme. Dans l’affidavit no 3, Elsie a confirmé que Nisha est vulnérable, qu’il souffre de toxicomanie, qu’il est sans emploi et qu’il vit dans une extrême pauvreté. Eldon a également confirmé dans son affidavit que Nisha a des problèmes de toxicomanie et qu’il a toujours besoin d’argent pour des choses essentielles, comme de la nourriture. À de multiples occasions, Eldon a donné de l’argent à Nisha pour l’aider.

[116]  Lors de son contre‑interrogatoire, Mme Good a affirmé que Nisha lui a dit avoir reçu 2 000 $ pour signer l’affidavit no 4, qui annulait les autres, et qu’elle a accusé Nisha d’avoir accepté un pot‑de‑vin.

[117]  Malheureusement, la preuve démontre clairement que Nisha est prêt à dire et à faire n’importe quoi pour obtenir de l’argent afin d’entretenir ses dépendances. Je n’accorderai aucun poids aux éléments de preuve présentés par Nisha, puisqu’il n’est pas fiable et qu’il souffre de problèmes de toxicomanie, qu’il a lui‑même admis.

[118]  Il est répréhensible que Nisha ait été exploité afin de mettre en relief l’exposé des faits de l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation vulnérable évidente et des problèmes complexes auxquels sont confrontées les collectivités en raison des mauvais traitements systémiques infligés aux peuples autochtones. À la lumière de ce qui précède, je n’accorderai aucun poids à la preuve qu’il a présentée.

(3)  Argent versé pour aider les membres de la bande dans le besoin

[119]  La pratique qui consiste, pour le chef et les conseillers, à donner de l’argent aux membres de la bande transparaît dans l’ensemble de la preuve. Mme Good affirme que cette pratique ne peut pas être considérée comme une façon [traduction] d’« aider les gens », étant donné qu’il s’agit plutôt d’une manœuvre électorale frauduleuse, que ce type de preuve revêt un caractère illicite et qu’un tel comportement est malhonnête.

[120]  D’ailleurs, une des principales allégations qui se retrouve dans plusieurs affidavits tourne autour du fait que de l’argent a été fourni aux membres de la bande par le chef et les conseillers lors de l’élection, de même qu’en lien avec l’appel déposé. Mme Good prétend que tout cela est corroboré par les transferts électroniques enregistrés, de même que par les demandes et les réponses des personnes concernées, comme le démontrent les copies imprimées des messages textes échangés et des conversations entretenues sur Facebook.

[121]  Dans ce contexte, peu de poids peut être accordé aux messages textes et aux conversations tenues sur Facebook, puisque ceux‑ci peuvent donner lieu à diverses interprétations et conclusions. La signification donnée aux messages varie selon les ouï‑dire et l’opinion de chacun, et dans bien des cas, il est impossible de s’y fier.

[122]  Des éléments de preuve m’ont été présentés, aussi bien par les défendeurs que par ceux qui soutiennent l’appel, concernant la pratique qui consiste, pour le chef et les conseillers de la Première Nation de Red Pheasant, à donner de l’argent aux membres de la bande dans le besoin, tout au long de l’année.

[123]  Il s’agit là d’une tradition depuis de nombreuses années, et les deux parties ont démontré que la Première Nation de Red Pheasant n’est pas très riche et que bon nombre de ses membres ont besoin d’aide pour se procurer de la nourriture, de l’essence et d’autres produits de première nécessité.

[124]  Tous les éléments matériels démontrent également que les gens demandent de l’argent au chef et aux conseillers ou leur envoient des messages textes à cette fin; si le chef ou un conseiller juge la demande légitime, il puise généralement l’argent directement dans ses poches ou dans son compte personnel pour le donner à la personne ou le prend, à l’occasion, dans un des comptes de la bande.

[125]  Cette pratique ne cesse pas lors d’une campagne électorale. Ainsi, le fait qu’un conseiller fournit de l’argent à un membre de la bande peut être perçu ou interprété comme une façon d’acheter un vote ou peut effectivement l’être, même si cette pratique a cours régulièrement en dehors de la période électorale.

[126]  Le témoignage de Sandra Arias (Sandra) est pertinent à cet égard. Sandra est une ancienne conseillère, qui soutient l’appel. Au cours de son contre‑interrogatoire, elle a été invitée à dire si des gens lui ont déjà demandé de les aider en leur donnant de l’argent. Sandra a convenu qu’elle a vécu une expérience semblable et qu’elle a aidé des membres de la collectivité, mais a précisé que cela ne voulait pas dire qu’il y avait eu achat de votes :

[traduction]

Q. Laissez‑moi décrire ainsi la situation : c’est un mode de vie pour les membres de la Première Nation de Red Pheasant de demander continuellement un soutien financier aux conseillers, n’est‑ce pas?

R. Oui.

Q. Et cela se produit 24 h sur 24, 365 jours par année, n’est‑ce pas?

R. Oui.

Q. Et peu importe que vous soyez en période électorale ou non, est‑ce exact?

R. Oui.

Q. Vous a‑t‑on demandé de l’argent en période électorale, alors que vous étiez candidate aux élections?

R. Oui.

Q. Avez‑vous donné de l’argent aux gens?

R. Non.

Q. Jamais?

R. Non.

Q. Pas pour…

Q. …Alors que vous étiez candidate au poste de conseiller, avez‑vous déjà donné de l’argent aux gens pour qu’ils achètent de la nourriture, de l’essence, des couches ou des cigarettes?

R. Non.

Q. Personne ne vous a demandé d’argent?

R. Oui, beaucoup de gens m’ont demandé de l’argent, et ma réponse a toujours été qu’il est très dangereux de demander de l’argent à un candidat pour… et de mentionner les élections. Je leur disais toujours que s’ils avaient besoin d’aide pour acheter de l’essence, je pouvais faire le plein pour eux.

Q. Et l’avez‑vous fait?

R. Il m’est arrivé une fois d’aider une dame, oui.

Q. Bien sûr. Mais vous serez d’accord avec moi pour dire que ce n’est pas parce que vous aidiez les membres de votre collectivité

R. Mais ce n’était pas – oui…

Q. …que vous achetiez leur vote.

R. Je suis d’accord avec vous.

[127]  Archie Nicotine (Archie), qui soutient lui aussi l’appel, a déclaré ce qui suit lors de son contre‑interrogatoire :

[traduction]

Q. Êtes‑vous d’accord avec moi pour dire que les conseillers de Red Pheasant se voient régulièrement demander de l’argent par les membres de la bande?

R. Oui.

Q. Avez‑vous demandé de l’argent au chef Wuttunee ou à l’un ou l’autre des conseillers élus?

R. Pour qu’ils m’aident, oui.

[128]  Archie a fourni la preuve qu’il a demandé 150 $ au chef Clinton pour suivre un cours sur la conduite avec facultés affaiblies afin de pouvoir récupérer son permis de conduire. Le chef Clinton lui a donné l’argent, et Archie a affirmé que le chèque provenait du compte destiné au bien‑être des hommes, bien qu’il ait dit qu’il voulait véritablement l’argent pour récupérer son permis de conduire; il s’agissait là d’un abus puisque cela n’avait rien à voir avec sa santé. Bien que cela soit sans rapport avec l’élection, il est pertinent de le mentionner pour démontrer que les gens demandent invariablement de l’argent au chef et aux conseillers, lorsqu’ils ont des besoins à combler et qu’ils n’ont pas l’argent nécessaire.

[129]  Le chef Clinton mentionne ce qui suit au paragraphe 8 de son affidavit no 1 :

[traduction]

Jeffery m’a texté plusieurs fois pour me demander de l’aider financièrement, tout comme le font de nombreux membres de la bande à Red Pheasant. Les étudiants, les mères célibataires et les grands‑mères connaissent tous des difficultés financières et luttent parfois au quotidien, et il arrive souvent que le chef et les conseillers reçoivent quotidiennement des demandes d’aide financière des membres de la bande.

[130]  Le chef Clinton a également précisé qu’une telle aide n’est pas offerte uniquement à Jeffery, déclarant ce qui suit au paragraphe 11 de son affidavit :

[traduction]

[…] J’ai eu affaire à ces deux personnes à maintes reprises dans le passé, car elles demandaient toujours une aide financière dans le cadre de mon programme.

[131]  En réponse à l’affidavit de Marie Baptiste (Marie), le chef Clinton a déclaré ce qui suit :

[traduction]

12. Le 19 janvier 2016, Marie m’a texté pour me demander de l’aider financièrement, précisant qu’elle avait vraiment besoin que je l’aide. Je l’ai informée que le chef Stewart Baptiste avait dépensé tout le budget du programme Grandir ensemble en août 2015.

13. Marie a indiqué qu’elle avait seulement besoin de 60 $ pour se rendre au travail et en revenir.

14. Le 9 février 2016, elle m’a texté de nouveau pour me demander de l’argent pour l’aider à ramener sa conjointe de Cold Lake parce que cette dernière était tombée malade, ne pouvait pas travailler et avait été hospitalisée.

15. Le 10 février 2016, elle m’a encore texté pour me demander de l’argent pour de l’essence afin de se rendre à Edmonton pour une entrevue d’emploi. Je l’ai informée que j’allais annoncer ma candidature au poste de chef. Elle m’a téléphoné et je lui ai demandé si sa mère lui avait parlé de mon intention de me présenter comme chef. Elle a répondu par l’affirmative et m’a dit qu’elle m’appuierait. Je lui ai dit que j’accéderais à sa demande, et je lui ai transféré de l’argent par voie électronique pour qu’elle puisse faire le plein et se rendre à Edmonton pour son entrevue.

[132]  À la page 906 de la transcription du contre‑interrogatoire du chef Clinton, ce dernier a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Q. D’accord, alors quand vous dites que Jeffery vous demandait de l’aider en lui donnant de l’argent pour de l’essence, de quelle façon interprétez‑vous cela?

R. Et bien, c’est juste que nous aidons les gens tous les jours, 365 jours par année, vous savez. Comme hier soir, j’ai reçu des messages textes de membres de la bande à 3 h du matin, qui me demandaient un transfert électronique, vous savez, c’est comme ça tous les jours. Il n’est pas rare que nous aidions les gens pour de l’essence ou toute autre affaire urgente, en leur fournissant de l’argent que nous prenons directement dans nos poches. Il y a toutes sortes de situations d’urgence.

Q. D’accord. Alors l’argent qui a été donné pour de l’essence, est‑ce que cela a été fait dans le but d’acheter un vote?

R. Non.

Q. Bien, dans quel contexte alors est‑ce que cet argent a été donné?

R. Et bien, même en période électorale, la situation est la même tous les jours; les gens demandent de l’aide. Et la bande n’est pas très riche; nous n’avons pas, vous savez, de fonds excédentaires pour juste… vous savez, il faut que ce soit prévu au budget, donc nous devons respecter les budgets et, vous savez, bien souvent, nous donnons de l’argent aux gens que nous prenons dans nos propres poches pour les aider à surmonter leurs difficultés quotidiennes… pour répondre à leurs demandes quotidiennes.

[133]  La preuve par affidavit du défendeur Dana Falcon (Dana) est également pertinente à cet égard. Dana a juré ce qui suit :

[traduction]

2. Pour donner suite à l’affidavit de Marie Wuttunee daté du 20 mai 2016, Marie m’a contacté, le 14 mars 2016, pour me demander personnellement de l’aider financièrement afin qu’elle puisse acheter de l’essence pour se rendre au travail. J’étais en mesure de l’aider et je lui ai fait, à sa demande, un transfert électronique d’un montant de 20 $.

3. En aucun temps, avant ou après le transfert de fonds, il n’a été question avec elle de l’achat de votes. L’argent a été donné à Marie pour l’aider, comme elle l’avait demandé.

[134]  La preuve par affidavit présentée par Dana complète et corrobore l’explication avancée par les défendeurs selon laquelle le chef et les conseillers aident couramment les gens avec leurs dépenses quotidiennes, tant en période électorale qu’à tout autre moment.

[135]  Le témoignage sous serment d’Henry Gardipy corrobore plus avant cet exposé des faits. Henry a déclaré ce qui suit, au paragraphe 6 de son affidavit : [traduction« Je répète qu’en ma qualité de conseiller de bande, j’aide de nombreuses personnes de la Première Nation de Red Pheasant. J’ai aidé Marie par le passé et je continuerai à l’aider dans l’avenir. »

[136]  L’affidavit de Mandy Cuthand est également pertinent. La preuve par affidavit jugée à propos est reproduite ci‑dessous :

[traduction]

3. Pour donner suite à l’affidavit de Marie Baptiste daté du 20 mai 2016, nous étions candidats aux élections et nous faisions campagne pour le conseil. Nous aidons les gens qui ont des problèmes, notamment lorsqu’ils n’ont pas d’argent pour acheter de l’essence ou de la nourriture ou pour payer leurs factures. J’aidais, au besoin, mais je ne peux pas dire ce que j’ai fait pour aider Marie. Je crois que c’était pour de l’essence. Je ne lui ai jamais dit de voter pour moi. Elle a fait son propre choix lorsqu’elle s’est présentée au bureau de vote.

[137]  Lors de son contre‑interrogatoire, Lux Benson (Benson) a éclairé plus avant le tribunal sur la question de l’aide financière offerte par le chef et les conseillers à la collectivité, s’appuyant sur ses 18 années d’expérience en tant que conseiller :

[traduction]

Q. Maintenant, pourquoi les gens demandent‑ils de l’argent? Dans quel but?

R. Je vais clarifier cela du mieux que je peux. J’ai vécu là‑bas toute ma vie. Je suis un leader au sein de ma collectivité depuis 18 ans maintenant, et je me suis occupé de différents portefeuilles, dont celui du développement social; j’étais responsable de l’aide sociale. Et je sais… le point est que nous ne recevons pas suffisamment de fonds du gouvernement, dans la mesure où les membres de la bande ne reçoivent que 255 $ par mois, alors que certains d’entre eux ont des enfants, comme trois ou quatre enfants, et qu’ils doivent subvenir aux besoins de ces derniers.

Q. À partir de ces 255 $ par mois?

R. Avec ces 255 $ par mois, ils doivent acheter des couches, de la nourriture et les quelques vêtements qu’ils sont en mesure de se procurer. C’est tout ce qu’ils achètent au cours du mois, ce qui explique pourquoi ils s’adressent au chef et aux conseillers et pourquoi nous donnons… nous leur donnons de l’argent, par pure gentillesse en… en notre qualité de leaders. Il y a longtemps, à l’époque où nos ancêtres étaient des chasseurs, ce qui était le cas de mon… mon défunt père et de mon grand‑père, ceux qui subvenaient aux besoins de la collectivité devenaient des leaders en raison de l’aide qu’ils offraient. Cela s’applique maintenant à nous, à notre génération. Maintenant, plus personne ne chasse, mais nous essayons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider… financièrement parlant. C’est ainsi que nous aidons nos gens parce qu’ils connaissent des difficultés…

[138]  J’estime qu’il existe des éléments de preuve crédibles à l’appui de la pratique selon laquelle le chef et les conseillers pouvaient fournir et fournissaient de l’argent (en espèces ou par transfert électronique) et d’autres formes d’aide aux membres de la bande, au sein de cette nation peu fortunée, en puisant directement dans leurs poches, en plus d’offrir de l’aide à partir des comptes de la bande.

[139]  La question qu’il me faut alors trancher consiste à déterminer, dans chacune des situations décrites dans les affidavits, si les contributions versées par les personnes concernées doivent être considérées comme une activité philanthropique ou si elles ont été payées dans le but de soutenir la campagne électorale ou d’acheter des votes. Les défendeurs ont réfuté de façon méthodique les allégations formulées.

D.  Analyse des questions en litige

La demanderesse s’est‑elle acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver, de façon satisfaisante, que la LEPN a été enfreinte? Si tel est le cas, cela a‑t‑il eu une incidence sur le résultat de l’élection?

a)  Allégation no 1 – Obtenir un appui en remplissant des bulletins de vote en blanc et se joindre à la liste de candidats de l’équipe de Wuttunee (manœuvre frauduleuse)

[140]  Dans son affidavit modifié, Sandra indique que Dana l’a contactée deux semaines avant le 11 mars 2016 pour lui dire que [traduction« l’équipe de Wuttunee allait gagner et qu’ils avaient des candidats partout qui achetaient des votes ». Aucun prénom n’est mentionné, mais je présume que « Wuttunee » fait référence ici au chef Clinton, et non à l’un des autres candidats portant le même nom (comme Keith Wuttunee), qui est également mentionné dans l’affidavit modifié.

[141]  Dans son affidavit modifié, Sandra indique également que le terme « équipes » est utilisé pour désigner les listes de candidats, auxquelles des noms tels que « Team United » sont souvent attribués. Dana a prétendument contacté Sandra pour lui demander de se joindre à leur équipe, ce à quoi Sandra a répondu d’une manière qui ne l’engageait à rien.

[142]  Sandra a déclaré ce qui suit (par. 15­18) :

[traduction]

M. Wuttunee m’a dit qu’il avait besoin de conseillers actifs et que M. Falcon serait son bras droit. Il m’a indiqué qu’il avait 80 bulletins de vote qui n’avaient pas encore été remplis et qu’ils se réunissaient ce soir‑là pour les remplir. M. Wuttunee et M. Falcon m’ont dit que ces bulletins seraient des votes en ma faveur, si j’acceptais de me joindre à leur équipe. Tout ce que j’avais à faire pour obtenir ces bulletins de vote était de convaincre mes supporteurs de voter pour l’équipe de Wuttunee. Encore là, j’ai répondu d’une manière qui ne m’engageait à rien.

Au cours de la dernière semaine avant l’élection, l’offre a d’abord été réduite à 50 bulletins de vote, puis à 30, si je réussissais à convaincre mes supporteurs de voter pour l’équipe de Wuttunee.

Je n’ai pas accepté l’offre. Je n’ai pas réussi à me faire élire au conseil et j’ai perdu par un écart de 30 voix.

[143]  Les arguments avancés par Mme Good concernant cette allégation sont que le chef Clinton et Dana avaient illégalement en leur possession un nombre suffisant de bulletins de vote en blanc pour contrôler le résultat de l’élection. À l’audience, Mme Good a soutenu qu’une telle manœuvre était frauduleuse, que celle‑ci portait atteinte à l’intégrité de l’élection et qu’elle contrevenait aux interdictions énoncées dans la LEPN. Mme Good prétend que cette manœuvre se veut, avant tout, un achat de votes par le chef Clinton, puisque ce dernier a fait appel à un représentant pour le faire à sa place.

[144]  Mme Good a créé et produit un résumé des bulletins de vote de type 8C déposés en personne. J’ai autorisé Mme Good à produire ce résumé, malgré le fait que les défendeurs s’y sont opposés. Au cours des plaidoiries, il s’est avéré que le résumé présenté par Mme Good ne correspondait pas avec les bulletins de vote figurant réellement au dossier. Mme Good a alors choisi de retirer ce résumé.

[145]  Je constate que cette allégation et la prochaine qui sera examinée concernant les bulletins de vote déposés en personne se recoupent.

[146]  Selon la preuve par affidavit présentée par Sandra, le chef Clinton et Dana ont dit à cette dernière que 80 bulletins de vote en blanc seraient remplis en sa faveur, si elle acceptait de se joindre à leur équipe et qu’elle convainquait ses supporteurs de voter pour l’équipe du chef Clinton :

[traduction]

Q. Très bien. Et avez‑vous des preuves que Dana Falcon parlait des bulletins de vote physiques plutôt que de vous donner des votes pour vous appuyer?

R. Ils ont remporté par une assez grande majorité.

Q. Est‑ce là la preuve que vous avez?

R. Il…

Q. Je ne fais que poser la question.

R. J’aurais eu la preuve qu’il fallait si j’étais allée les rencontrer ce soir‑là, plus tard dans la soirée.

Q. J’aurais dû, j’aurais pu, j’aurais eu… mais vous n’avez pas de preuves?

R. Oui.

Q. Est‑ce exact?

R. Oui, c’est exact.

[147]  Lors du réinterrogatoire, Sandra a ajouté que Dana lui a dit qu’il pouvait apporter 80 bulletins de vote en blanc qu’elle pourrait aider à remplir pour soutenir sa campagne.

[148]  En revanche, la position des défendeurs est que l’équipe de Wuttunee voulait que Sandra et son frère se joignent à la liste de leurs candidats et que si elle le faisait, ils pourraient faire basculer des votes en sa faveur, comme ils le faisaient pour tous les candidats faisant partie de leur équipe. Autrement dit, ils soutiennent que l’équipe de Wuttunee n’a pas fourni de bulletins de vote en blanc, mais a plutôt offert la possibilité d’obtenir 80 votes potentiels.

[149]  Lors de son contre‑interrogatoire, Dana a déclaré avoir parlé à Sandra de la possibilité pour elle de travailler avec le chef Clinton et lui, tant avant la campagne électorale que tout au long de la période d’élection.

[150]  Dans son affidavit, Dana a nié avoir jamais discuté avec Sandra de la possibilité de lui remettre 80 bulletins de vote en blanc légaux à remplir, comme cette dernière l’a attesté par déposition. Il a confirmé que Sandra et lui figuraient sur la même liste de candidats lors de la dernière élection et qu’ils ont été élus et qu’il espérait donc qu’ils pourraient encore travailler ensemble.

[151]  Dana a indiqué que l’aîné Gerald Wuttunee, l’oncle de Sandra, voulait que Dana contacte Sandra afin que les deux familles puissent travailler ensemble. Il a déclaré ce qui suit, lors du réinterrogatoire :

[traduction]

R. Bien. Nous avons discuté d’un genre de vote bloqué, qui permettrait d’unifier les familles, étant donné que Gerald avait sa part de la famille et qu’il… il voulait que moi, Sandra et le chef Baptiste, nous…. oh désolé, et le chef Wuttunee nous travaillions tous ensemble juste pour assurer une meilleure harmonie avec sa famille, je suppose, et…

Q. Et Sandra faisait partie de cette famille?

R. Oui, c’est sa nièce.

Q. Et a‑t‑il été question des soi‑disant 80 bulletins de vote en blanc?

R. Non, il n’a pas été question de tels bulletins de vote ou de quelconques autres bulletins.

[152]  Dans son affidavit modifié, Sandra a déclaré avoir été victime d’intimidation de la part du chef et d’autres personnes, notamment de Gary.

[153]  Mme Good prétend que Sandra a été victime d’intimidation de la part de Michael Cote, le beau‑fils du conseiller Gary, qui est maintenant décédé. Il a été allégué que Gary pouvait être accablé par le chagrin, étant donné que son beau‑fils avait été incarcéré pour un incident survenu en 2003, dans lequel Sandra était impliquée.

[154]  Toutefois, au cours de son contre‑interrogatoire, Sandra a clairement affirmé que le chef actuel ne l’intimidait pas. Lorsqu’elle a été contre‑interrogée, elle a admis qu’elle n’était pas victime d’intimidation de la part du chef et des conseillers actuels ni des autres défendeurs et que son affidavit faisait référence à un événement survenu aux alentours de 2012 :

[traduction]

Q. L’incident dont vous parlez s’est produit vers 2010 ou 2012?

R. 2012.

Q. Mais rien n’avait trait au chef et aux conseillers actuels ni aux parties nommées dans le cadre du présent litige. Personne n’a essayé de vous intimider, Sandra, pour vous empêcher de parler de cette élection, celle qui fait l’objet de la présente action en justice, soit l’élection de 2016?

R. Je ne pense pas que je… que c’est ce à quoi je faisais référence dans mon affidavit.

Q Et bien, c’est là ce à quoi je pensais que vous faisiez allusion. Donc votre réponse à ma question est non, personne n’a essayé de vous intimider et de vous empêcher de parler de cette élection de 2016?

R. Non.

[155]  D’après la preuve dont j’ai été saisie, il est clair que Sandra ne se fait pas intimider; par conséquent, toute allégation concernant l’intimidation dont elle aurait été victime et qui aurait eu une incidence sur l’élection est sans fondement.

[156]  Lors du contre‑interrogatoire, il a été confirmé que Sandra n’avait aucun problème personnel avec Dana. En fait, Sandra a siégé au conseil avec lui en 2012; ils figuraient sur la même liste de candidats cette année‑là et avaient réussi à se faire élire. Au cours du contre‑interrogatoire, Sandra a affirmé : [traduction« Il est d’un naturel très doux, oui. »

[157]  Sandra a également confirmé ce qui suit lors de son contre‑interrogatoire :

[traduction]

Q. Il insistait donc pour que vous vous joigniez à la liste de candidats dont il faisait partie?

R. Oui.

Q. Et vous avez refusé?

R. J’y ai réfléchi, mais finalement, j’ai refusé, en effet.

Q. Vous êtes‑vous jointe à une autre liste de candidats?

R. Je me présentais déjà, à ce moment‑là, avec un autre groupe de personnes.

Q. Bien, tout cela a du sens, alors. De quel groupe de personnes, équipe ou liste de candidats s’agissait‑il alors?

R. Je me présentais pour le candidat au poste de chef Todd Baptiste et son groupe de supporteurs.

Q. Et votre frère, faisait‑il aussi campagne avec…

R. Mon frère se présentait également, oui.

Q. Nathan?

R. Oh, oui. Effectivement, mon frère, Nathan Arias, avait lui aussi déposé sa candidature.

Q. Et vous n’avez ni l’un ni l’autre été élu, est‑ce exact?

R. C’est exact.

[158]  Dans son affidavit daté du 20 janvier 2018, le chef Clinton a déclaré ce qui suit :

[traduction]

4. …Je nie le fait que Sandra Arias et moi ayons eu des discussions concernant la possibilité que des bulletins de vote illégaux lui soient fournis, comme le prétend la demanderesse. Je nie lui avoir proposé de lui remettre des bulletins de vote en blanc, à quelque moment que ce soit. Nous avons eu une discussion générale au cours de laquelle il a été proposé que nous travaillions ensemble pour nous adjoindre le soutien dont chacun de nous profitait parmi les membres de la bande.

5. J’ai bien demandé à Sandra Arias de travailler avec nous pendant la campagne électorale, mais je nie lui avoir fait une quelconque offre, qui l’aurait amenée à se livrer à des activités illégales ou frauduleuses.

[159]  Sandra a été réinterrogée à cet égard, mais les questions posées par Mme Good étaient subjectives et à certains moments, Mme Good fournissait directement les réponses. Par exemple, Mme Good a demandé ce qui suit :

[traduction]

Q. Et vous avez déclaré… ou vous avez été invitée à indiquer si Dana Falcon vous avait dit qu’il pouvait s’assurer que vous obteniez des votes, que vous obteniez l’appui des électeurs, en veillant à ce leurs supporteurs votent pour vous. Dans votre affidavit, vous jurez que Dana a dit avoir en sa possession 80 bulletins de vote en blanc, qui allaient être remplis ce soir‑là, et que ceux‑ci serviraient à soutenir votre campagne, qu’ils vous seraient remis; est‑ce exact?

R. Oui. Je devais…

Q. Mais ils ne l’ont pas été… vous avez affirmé que les bulletins de vote devaient être remplis ce soir‑là, n’est‑ce pas?

R. Oui et qu’ils m’avaient invitée à les remplir avec eux pour ainsi m’assurer que mon nom y figure et que…

Q. Exact.

[160]  Lorsque Dana a été contre‑interrogé par Mme Good le 29 décembre 2016, aucune question ne lui a été posée concernant cette soi‑disant rencontre ou ces soi‑disant bulletins de vote en blanc.

[161]  J’ai compté les bulletins de vote de type 8C déposés en preuve et je n’ai trouvé que 7 d’entre eux où Dana a solennellement déclaré qu’il avait en main la trousse de vote d’une personne désignée et qu’il l’avait effectivement remise. Même si le décompte des voix s’en trouve légèrement changé, il est loin d’atteindre les 80 prétendus bulletins de vote que Dana était censé avoir en sa possession et avoir remplis et distribués.

[162]  Lors du contre‑interrogatoire, la question de savoir pourquoi elle n’a pas été payée après avoir perturbé la séance du conseil a été examinée. Son manque de franchise à l’égard d’autres questions, ainsi que les preuves corroborantes présentées par Dana et le chef Clinton, me portent à croire qu’il n’y avait pas de bulletins de vote en blanc, qui devaient être remplis.

[163]  Je suis plutôt d’avis qu’il s’agit là d’une femme forte et brillante, qui a été élue en tant que supportrice d’un groupe, mais qui a perdu lorsqu’elle a choisi de ne pas faire partie de cette équipe. Des explications raisonnables ont été données concernant ces allégations par les défendeurs qui étaient également présents à la « rencontre », et je choisis de privilégier le témoignage de ces derniers.

[164]  J’estime que Sandra et son frère ont bien été invités à se joindre à la liste de candidats de l’équipe de Wuttunee, mais je ne crois pas qu’ils auraient eu 80 bulletins de vote en blanc à remplir en son nom. Lors de la dernière élection (2012­2014 par intérim) où Sandra a été élue, elle faisait partie de la liste de candidats de l’équipe de Wuttunee.

[165]  Il n’est pas rare de voir des listes ou des équipes de candidats lors d’élections politiques. Sandra l’a elle‑même confirmé :

[traduction]

Q. D’accord. Maintenant…

R. Cela se fait lors de tout type d’élections : municipales, provinciales et fédérales.

Q. Parce que vous êtes consciente qu’en période électorale, les gens diront souvent qu’ils peuvent vous obtenir 100 voix, n’est‑ce pas? Vous avez entendu ce genre de discours, non?

R. Oh, oui.

Q. Ce n’est pas la même chose ici que de vous remettre des bulletins de vote officiels non signés, n’est‑ce pas?

R. Non, ce n’est pas la même chose.

[166]  Je ne suis pas d’avis qu’inviter quelqu’un à se joindre à une liste de candidats constitue une violation de la LEPN ou de tout autre principe de common law. D’après la preuve dont j’ai été saisie, je conclus que Dana a tenté, au nom d’une équipe de candidats, d’amener Sandra à se joindre à cette équipe. Cette manœuvre politique semble être courante lors de nombreuses élections et fait partie intégrante du processus politique.

[167]  Cette allégation n’a pas été prouvée, selon la prépondérance des probabilités.

b)  Allégation no 2 – Bulletins de vote déposés en personne

[168]  Mme Good prétend que la fraude commise a été facilitée grâce à une utilisation excessive des formulaires 5D ‑ Declaration of Person Delivering a Mail‑in Ballot Package (formulaire de demande d’un bulletin de vote postal) et 8C ‑ Form to Request a Mail‑in Ballot (déclaration de la personne remettant une trousse de vote postale), grâce auxquels des bulletins de vote obtenus illégalement ont pu être déposés dans l’urne, permettant ainsi de contrôler le résultat de l’élection.

[169]  Mme Good a déclaré que les membres qui vivent hors réserve peuvent présenter une demande afin qu’un bulletin de vote leur soit envoyé et que ce dernier leur est alors transmis par la poste par le président d’élection.

[170]  Mme Good a soutenu que le chef Clinton et Dana utilisaient un formulaire 5D pour obtenir un bulletin de vote, qu’ils envoyaient ensuite à quelqu’un d’autre que la personne désignée pour pouvoir récupérer le bulletin de vote en blanc; l’équipe de Wuttunee remplissait alors ce bulletin de vote, puis allait le déposer en personne.

(i)  Jennifer Peyachew et Sam Wuttunee

[171]  Jennifer Peyachew (Jennifer) a déposé un affidavit dans lequel elle indique que le ou vers le 5 mars 2016, Sam Wuttunee (Sam), un candidat au conseil qui travaille avec elle, est venu la chercher. Sam l’a ensuite emmenée chez un autre candidat, soit chez Charles Meechance (Charles). Jennifer a déclaré dans son affidavit que Charles avait chez lui des formulaires 5D non remplis. Elle a affirmé en avoir signé un pour demander des bulletins de vote postaux. Elle a déclaré avoir inscrit sur le formulaire 5D une adresse à Lloydminister qui n’était pas la sienne.

[172]  Jennifer indique dans son affidavit que sa trousse de vote est arrivée à Lloydminister et que Stayce Peyachew (Stayce) a pris une photographie de cette dernière et l’a publiée sur Facebook le 10 mars 2016.

[173]  Jennifer a produit une photographie de la publication de Stayce sur Facebook, ainsi qu’une photo d’une enveloppe sur laquelle il est écrit « Ballots ». Keeshawn Armstrong (Keeshawn) est identiquetée, et Stayce lui demande sur son mur pourquoi Keeshawn a utilisé son adresse, puisque Stayce venait de recevoir un bulletin de vote avec le nom de Keeshawn inscrit dessus. Lorsque Keeshawn a exprimé sa perplexité face à la situation, Stayce a indiqué [traduction« Je vais simplement le jeter! Ha! Ha! » et plus tard, d’autres utilisateurs ont alimenté la chaîne de commentaires sur le mur en disant que Stayce devrait brûler le bulletin de vote et que cela ne valait pas le papier sur lequel il était écrit.

[174]  Jennifer a déclaré dans son affidavit qu’environ une semaine après sa première rencontre avec Sam et Charles, soit le ou vers le 11 mars 2016, Sam l’a rejointe au Tropical Inn et qu’ils sont sortis à l’extérieur pour y rencontrer Todd Baptiste qui, selon elle, a ramassé le bulletin de vote qui avait été envoyé à Lloydminister. Elle a affirmé que Todd Baptiste lui a remis 130 $ et que Sam lui a donné un gramme de marijuana. Elle a déclaré que Sam lui a dit que ce gramme de marijuana provenait d’un autre candidat, soit de Russell Podgurny. Il lui a également promis des couches pour bébé, qu’elle n’a jamais reçues. Elle a indiqué qu’ils ne voulaient pas lui dire en faveur de quels candidats son bulletin de vote avait été utilisé.

[175]  J’attire l’attention sur le formulaire 8C présenté en preuve, qui démontre que Sam a effectivement déposé en personne la trousse de vote de Jennifer le 18 mars 2016.

[176]  J’estime que la publication Facebook fournie en preuve, à laquelle il est fait allusion, concerne le bulletin de vote de Keeshawn et n’a rien à voir avec celui de Jennifer. L’allégation selon laquelle le bulletin de vote de Keeshawn, qui a été affiché sur Facebook et envoyé à Stayce, a un quelconque rapport avec Jennifer repose sur de simples conjectures. Aucune preuve ne m’a été présentée par Stayce pour prouver qu’elle a bien reçu le bulletin de vote de Jennifer. Je n’ai aucune preuve que Todd Baptiste a ramassé le bulletin de vote en blanc de Jennifer ou qu’il est bien le candidat Baptiste qui s’est présenté pour le poste de chef et qui n’est pas visé par la présente demande.

[177]  La demanderesse me demande de me livrer à des conjectures sans les éléments de preuve pertinents. Aucun poids n’est accordé aux éléments de preuve trouvés sur la page Facebook. Ceux‑ci sont sans pertinence et n’étayent pas la preuve produite par affidavit.

[178]  Jennifer n’a pas été contre‑interrogée au sujet de la preuve qu’elle a présentée, et celle‑ci n’a aucun lien avec l’un ou l’autre des défendeurs.

[179]  La preuve présentée par Jennifer montre que cette dernière a reçu de l’argent et de la drogue de certains candidats et que le formulaire 8C indique que Samuel Wuttunee a déposé en personne son bulletin de vote. J’estime que Samuel est le Sam auquel Jennifer fait allusion. En me fondant sur cette preuve, qui est corroborée par des documents importants, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que Sam a effectivement enfreint l’article 16 de la LEPN.

[180]  La prochaine étape pour moi consiste à déterminer si la contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

[181]  À mon avis, il convient de souligner que ni Sam ni aucune des autres personnes concernées ne faisaient partie de la liste des candidats qui, à ma connaissance, se présentaient avec le chef Clinton. En outre, Sam ne fait pas partie des défendeurs dans le cadre du présent appel, et le dossier ne contient aucun affidavit de Sam ou de l’une des autres personnes nommées. Il est également pertinent de mentionner que Sam n’a pas réussi à se faire élire, lors de cette élection, et qu’il n’a jamais été élu auparavant.

[182]  Par conséquent, je conclus que la contravention n’a pas influé sur le résultat de l’élection, puisque le responsable de ce comportement interdit n’était pas un candidat sortant et qu’il n’a pas été élu. De plus, il n’y a pas de nombre magique inversé en cause ici. Pour ces raisons, le résultat de l’élection n’en a pas été affecté.

(ii)  Marguerite Benson et Crystal Baptiste

[183]  Mme Good soutient que la preuve produite par Marguerite Benson (Marguerite) fournit d’autres preuves d’actes frauduleux commis au moyen de bulletins de vote déposés en personne. Marguerite a affirmé que le 18 mars 2016, elle se trouvait à bord d’un véhicule stationné à l’extérieur d’une salle utilisée comme bureau de vote avec son époux, Dwayne Benson (Dwayne), un des candidats à l’élection. Elle a indiqué avoir vu Nola Wuttunee (Nola) arriver en voiture, se garer, puis marcher jusqu’à la voiture de Benson. Marguerite a également déclaré dans son affidavit que Nola s’est penchée à la fenêtre de la voiture et a sorti une pile d’enveloppes blanches de grand format et qu’elle a elle‑même [traduction« déduit qu’il s’agissait d’enveloppes de bulletin de vote ». Nola a ensuite marché jusqu’au bureau de vote.

[184]  Marguerite a affirmé avoir confronté Nola à 7 h 30 (en soirée, je suppose), en lui demandant ce qu’elle manigançait. Marguerite a déclaré ce qui suit : [traduction« Je lui ai dit que je pensais qu’elle était favorable au changement. Je lui ai dit que je l’ai vue prendre les enveloppes de bulletin de vote que détenait Benson. Elle parlait avec Benson au téléphone à ce moment‑là, mais elle s’est tue en entendant cela et m’a regardée d’un air abasourdi, comme si je l’avais démasquée. »

[185]  Marguerite a affirmé que Nola n’a pas répondu et qu’elle est restée silencieuse lorsqu’elle l’a confrontée. Comme Marguerite n’a pas été contre‑interrogée, Mme Good a soutenu que je pouvais m’appuyer sur ce manquement de la part des défendeurs pour conclure à la véracité du contenu des affidavits de Marguerite.

[186]  Je n’accorderai aucun poids à la preuve présentée par Marguerite concernant la personne avec qui Nola s’entretenait au téléphone ou ce que signifiaient les expressions de son visage, dans la mesure où il s’agit là d’une preuve sous forme d’opinion qui n’est pas digne de foi.

[187]  L’époux de Marguerite, Dwayne, qui se trouvait à bord du véhicule avec cette dernière et qui était un des candidats, a déposé un affidavit, mais il n’a rien dit au sujet de cette allégation qui aurait pu corroborer les dires de son épouse.

[188]  Mme Good a soutenu que la preuve produite par Crystal Baptiste, qui a agi à titre d’agente électorale lors de l’élection du 18 mars 2016, étaye plus avant cette allégation. Dans son affidavit, cette dernière décrit certaines conduites observées pendant l’élection qui, selon elle, étaient contraires aux règles électorales. Par exemple, elle affirme que des personnes qui avaient les facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool ont été autorisées à voter et qu’elle a vu Cody Benson (le fils de Lux Benson), René Wuttunee (le frère de Dana), Mandy et Nola se présenter, chacun avec des piles d’enveloppes contenant au moins 40 bulletins de vote au total. Elle a aussi vu son père, Michael Baptiste, déposer 2 bulletins de vote pour le conseiller, alors qu’il aurait dû n’en avoir reçu qu’un seul. Elle a remarqué que ces 2 bulletins de vote ont été mis de côté et que Howard McMaster a refusé que son père en obtienne un autre pour voter.

[189]  Je ne me prononcerai pas sur la preuve produite par Crystal concernant le président d’élection et la conduite de l’élection.

[190]  Je tiendrai compte de la preuve présentée par Marguerite selon laquelle elle a vu Nola se procurer des bulletins de vote dans le véhicule de Benson. Je tiendrai compte également de celle produite par Crystal selon laquelle Nola a déposé en personne un certain nombre de bulletins de vote.

[191]  Les formulaires 8C ‑ Form to Request a Mail‑in Ballot (déclaration de la personne remettant une trousse de vote postale) qui ont été signés démontrent que Nola, qui vit à Calgary, a remis 13 trousses de vote postales. Au total, il y a 209 dossiers contenant des formulaires 8C dans la preuve qui m’a été présentée, laquelle fait également état de plusieurs personnes différentes ayant prêté serment devant le président d’élection ou le président du scrutin. Il est possible que ces données s’écartent quelque peu de la réalité, à un ou deux éléments près, mais cela n’a aucune incidence sur le raisonnement à suivre.

[192]  Je n’en ai trouvé aucune de Mandy ni aucune signée par Cody Benson, mais plusieurs portent le nom de « Benson », avec un prénom différent. Après avoir examiné les formulaires 8C, il est clair qu’un certain nombre de personnes ont remis des bulletins de vote à partir de régions géographiques précises, où elles vivent également. Par exemple, Arlysse Wuttunee en a remis plusieurs depuis Edmonton et Henry, qui vit à Saskatoon, en a déposé 10. René Wuttunee, de Saskatoon, a également déposé 21 bulletins de vote en personne. Il n’est pas très étonnant, compte tenu de ce qui a été observé ici, que Nola, de Calgary, ait déposé en personne plusieurs bulletins de vote depuis cet endroit.

[193]  Dans son affidavit, Dana ne fait aucune mention des bulletins de vote déposés en personne, et ce dernier n’a pas été contre‑interrogé à cet égard relativement à son frère Rene Wuttunee. Dana a rempli sept formulaires 8C.

[194]  En réponse à la preuve présentée par Crystal Baptiste, Mandy a juré que le jour de l’élection, il faisait campagne, qu’il n’a jamais quitté son camion, qu’il n’a pas vu Crystal et qu’il ne savait même pas que cette dernière travaillait comme agente électorale. Il a déclaré : [traduction] « Je n’ai à aucun moment pénétré dans l’édifice et je ne me suis pas présenté à l’arrière avec une pile de bulletins de vote. » Bien que Mandy ait été contre‑interrogé concernant son affidavit, il n’a pas été contre‑interrogé en qui concerne, plus particulièrement, la question des bulletins de vote déposés en personne.

[195]  Le fait de déposer des bulletins de vote en personne ne constitue pas, en soi, une violation d’une interdiction, en particulier dans la mesure où la preuve démontre que la plupart des membres de la bande vivent hors réserve. L’estimation de Crystal du nombre de bulletins de vote qui ont été déposés en personne par les quatre personnes qu’elle a vues n’est pas aussi fiable que les formulaires 8C existants, qui m’ont été présentés en preuve. D’après les éléments de preuve, il est clair, par exemple, que Nola a rempli et déposé 13 formulaires 8C. Mandy a affirmé n’en avoir remis aucun, et il n’y a pas de formulaire 8C à son nom. René Wuttunee a rempli 21 formulaires 8C, et je n’en ai aucun de la 4e personne nommée par Crystal. J’accorderai plus de poids au compte exact des bulletins de vote déposés en personne, ainsi qu’à la preuve présentée par Mandy et Dana, plutôt qu’au nombre estimé par Crystal.

[196]  Je conclus que la preuve examinée ci‑dessus concernant l’allégation de corruption de bulletins de vote déposés en personne ne satisfait pas à la norme de preuve.

(iii)  Elsie Wuttunee

[197]  Elsie, dans son rôle d’agente électorale, a déclaré avoir vu Howard McMaster interdire à Morgan Harrison Payne (Morgan) de voter, dans la mesure où Howard McMaster affirmait que Morgan avait déjà exprimé son vote. Morgan a déclaré que quelqu’un avait dû voler son bulletin de vote, car il n’avait pas voté. Elsie a fourni d’autres preuves sous forme d’opinion concernant les intentions de Howard McMaster, qui ne seront pas prises en considération.

[198]  Lors du vote par anticipation tenu le 10 mars 2016, Elsie a déclaré avoir vu et observé plusieurs candidats se présenter au bureau de vote et y remettre un grand nombre de bulletins de vote. Au paragraphe 4 de son affidavit, elle affirme que Ryan Bugler a remis dix bulletins de vote, que Dana et Sam en ont chacun déposé sept et qu’Henry en a remis dix, et elle nomme également d’autres personnes, au paragraphe 5 de son affidavit, qui sont venues au bureau de vote y déposer un grand nombre d’entre eux. Elle a juré qu’en sa qualité d’agente électorale, elle a pris note des bulletins de vote qui ont été déposés en personne et du nom de ceux qui les ont remis.

[199]  En ce qui concerne la preuve documentaire, les formulaires 8C prouvent qui a déposé en personne quel bulletin de vote, contrairement à la preuve imprécise présentée selon laquelle Elsie a été témoin du dépôt [traduction« ...au bureau de vote d’un grand nombre de bulletins de vote » (par. 3).

[200]  Les formulaires 8C des personnes nommées au paragraphe 4 de son affidavit confirment que Ryan Bugler a remis 10 bulletins de vote et que Dana, Sam et Henry en ont déposé 7, 28 et 10, respectivement. Tel qu’il a été mentionné précédemment, le dépôt de bulletins de vote en personne est autorisé lors d’une élection, et le nombre de formulaires 8C correspond à ce qu’elle a affirmé, à l’exception du nombre de bulletins déposés par Sam Wuttunee. Le fait que des bulletins de vote ont été déposés en personne et que des formulaires 8C ont été remplis ne constitue pas, en soi, la preuve qu’une fraude a été commise.

[201]  Beaucoup de personnes ont déposé un grand nombre de bulletins de vote en personne, ce qui est le cas surtout des personnes vivant hors réserve. Étant donné que Mme Good a admis dans sa plaidoirie que la Première Nation de Red Pheasant compte 2 500 membres, mais que seulement 600 d’entre eux vivent dans la réserve, les 209 bulletins de vote qui ont été déposés en personne représentent un faible pourcentage du nombre total d’électeurs admissibles.

[202]  Je conclus que cette preuve ne satisfait pas à la norme de preuve requise pour prouver qu’il y a eu violation d’une interdiction.

c)  Allégation no 3 – Incitation à retirer des affidavits

[203]  Mme Good a déclaré ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

147. La demanderesse soutient que les éléments de preuve à l’appui des manœuvres frauduleuses doivent être examinés à la lumière du comportement illicite adopté par les membres de Red Pheasant dans le cadre du présent litige.

148. L’intimidation exercée, le refus de fournir des services, les pots‑de‑vin versés directement en espèces et les autres incitatifs offerts aux témoins pour qu’ils se rétractent ou se soustraient aux contre‑interrogatoires démontrent une absence totale de scrupules à s’abaisser à commettre des actes illégaux ou répréhensibles pour en venir à leurs fins.

[204]  Pour prouver les allégations d’achat de votes et d’incitation à retirer des affidavits, Mme Good présente les éléments de preuve produits par Nisha Wuttunee, Marie Baptiste, Langford Wuttunee, Edward Nicotine, Mallory Wuttunee et Chaystin Armstrong, ainsi que la preuve qu’elle a elle‑même déposée. Les allégations d’« achat de votes » sont omniprésentes, d’une manière ou d’une autre, dans les affidavits présentés ici par Mme Good.

[205]  Je remarque que j’ai déjà conclu qu’il n’était pas approprié de tenir compte de la preuve présentée par Nisha Wuttunee, compte tenu du témoignage incohérent et non crédible qu’il a livré et de ses problèmes de toxicomanie. J’attire également l’attention sur le fait que la preuve présentée par Chaystin Armstrong a été retirée.

[206]  Je remarque également que la preuve produite par Marie Baptiste a été examinée ci‑dessus, aux paragraphes 131 et 132. J’estime que la preuve qu’elle a présentée relativement à l’achat de votes montre plutôt qu’il est pratique courante pour le chef et les conseillers de soutenir les gens en dehors de la période électorale, ce qui ne permet donc pas de conclure qu’il y a eu violation de la LEPN, selon la prépondérance des probabilités.

[207]  Par conséquent, je commencerai par analyser la preuve de Langford Wuttunee concernant l’incitatif financier qui lui a été offert.

[208]  De façon plus précise, Mme Good soutient que Langford Wuttunee s’est vu accorder un incitatif pécuniaire offert par le chef Clinton pour qu’il retire son affidavit et qu’il en signe un faux. Selon les observations de Mme Good, la Première Nation de Red Pheasant n’a pas de politique en matière de logement et vit une crise très importante à cet égard. Comme il n’y a pas de titre en fief simple dans la réserve et que la bande n’a jamais élaboré de code foncier ou de politique de logement, toutes les maisons appartiennent théoriquement à la bande. Dans ces circonstances de fait, Langford Wuttunee s’est vu [traduction« ...offrir une RCB lui donnant des droits d’utilisation exclusifs à l’égard de la maison qu’il a achetée ». Mme Good prétend qu’il s’agit manifestement là d’une entente de contrepartie; Langford Wuttunee a même reçu de l’argent comptant, soi‑disant pour acheter de l’essence afin de se rendre chez l’avocat de la bande signer un nouvel affidavit. Toutefois, ce dernier a décidé de ne pas se rétracter et a plutôt signé un affidavit attestant les efforts déployés pour tenter de le soudoyer.

[209]  À l’appui de la preuve présentée par Langford Wuttunee, Mme Good a déposé celle produite par Archie.

[210]  Dans son affidavit et lors du contre‑interrogatoire, Archie a confirmé qu’il fait partie de [traduction« l’équipe à l’appui de l’appel ». Il a affirmé avoir trouvé des personnes prêtes à aider Mme Good et son équipe dans leurs efforts pour faire annuler l’élection.

[211]  Archie a déclaré que les gens dans la réserve feraient n’importe quoi pour de l’argent. Il a affirmé que Langford Wuttunee était favorable à l’appel et qu’il aurait témoigné à l’appui de ce dernier, mais il ne l’a pas fait. Selon Archie, Langford n’a pas témoigné parce qu’il a été soudoyé au moyen d’une RCB lui octroyant un contrat particulier relativement à la possession d’une maison qu’il cherchait à obtenir.

[212]  En outre, Archie a déclaré avoir vu Langford Wuttunee recevoir de l’argent de Lux, mais il n’a pas dit à quoi cet argent devait servir. Archie a affirmé que Langford Wuttunee lui a dit que Mandy lui obtiendrait une RCB pour la maison, s’il modifiait son affidavit. Il ne s’agit pas là de la meilleure preuve puisque Langford Wuttunee a déposé deux affidavits, malgré le fait qu’Archie a déclaré que ce dernier ne voulait pas fournir d’éléments de preuve.

[213]  Lors du contre‑interrogatoire, Archie a convenu que l’argent remis à Langford Wuttunee n’avait pas pu servir à acheter son vote, dans la mesure où l’incident s’est produit huit mois après l’élection. Une bonne partie de l’affidavit repose sur de simples conjectures et se veut une preuve intéressée.

[214]  Dans son deuxième affidavit, Langford Wuttunee a déclaré qu’il souhaitait obtenir une RCB qui le reconnaîtrait en tant que propriétaire de sa maison. Il a affirmé qu’il savait que le chef Clinton ne l’aiderait pas à obtenir cette RCB, mais qu’il avait su que le conseil de bande avait payé Nisha pour qu’il retire son affidavit. Il a découvert que le chef ne l’aiderait pas quand Graham Wuttunee et lui sont allés à la station‑service de North Battleford. Ils ont vu le chef Clinton et se sont approchés de lui. Langford a activé le haut‑parleur de son téléphone pour que le chef Clinton puisse s’entretenir avec l’agent de la GRC à qui il parlait. Lorsqu’il est entré dans la station‑service pour payer, il a donné son téléphone à Graham Wuttunee pour que le chef Clinton puisse parler à la GRC, mais lorsqu’il est revenu, Graham Wuttunee l’a informé que le chef Clinton avait dit à son compagnon [traduction« allons‑nous‑en d’ici, je ne veux rien avoir à faire avec cela ». Cette preuve repose sur un ouï‑dire, car il s’agit de propos prétendument tenus lors d’un appel téléphonique et transmis après coup à Langford Wuttunee, et sera donc ignorée.

[215]  Langford Wuttunee a indiqué avoir dit au chef Clinton qu’il retirerait son affidavit à la l’appui de l’appel, si le conseil adoptait une RCB attestant son droit de propriété sur sa maison. Il prétend que le chef Clinton lui a dit au téléphone que s’il voulait signer un nouvel affidavit, il devait rencontrer l’avocat du conseil, et qu’ils [traduction« avaient obtenu un très bon affidavit de Nisha Wuttunee ».

[216]  La preuve par affidavit de Langford Wuttunee indique que le ou vers le 22 octobre 2016, ce dernier a appelé le chef Clinton pour savoir si la RCB était prête et a été informé que le chef Clinton était en route pour l’Alberta. Cependant, dans la preuve qu’il a présentée, il prétend s’être fait dire que s’il allait de l’avant et signait l’affidavit, le Conseil signerait alors la résolution. Langford Wuttunee soutient avoir demandé 250 $ au chef Clinton, qui a affirmé qu’il arrangerait le tout avec Cody Benson. Langford Wuttunee a déclaré que lorsqu’il a vu Archie, qui, il le savait, soutenait ardemment l’appel, il s’est senti coupable d’avoir accepté de retirer son affidavit et a donc parlé à ce dernier de son entente concernant la maison et des 250 $. Il a affirmé qu’Archie était présent lorsqu’il a reçu l’argent que lui avait promis le chef Clinton.

[217]  Langford Wuttunee a déclaré que Mandy lui a envoyé un message texte pour savoir s’il avait signé le nouvel affidavit, étant donné qu’il obtiendrait la RCB une fois qu’il aurait signé. Au contraire, dans les messages textes qui ont été joints, Langford Wuttunee affirme avoir besoin d’argent pour acheter de l’essence afin de se rendre à Saskatoon et avoir demandé au chef Clinton de l’argent à cette fin. Il explique le tout en disant qu’il voulait voir la RCB avant d’aller à Saskatoon et qu’il s’est arrangé pour que Mandy remplisse son réservoir d’essence afin qu’il puisse se rendre là‑bas.

[218]  Lors du contre‑interrogatoire de Langford Wuttunee, il a été confirmé que ce dernier s’était présenté pour siéger au conseil et n’avait pas été élu. Il a été invité à dire s’il pouvait être propriétaire de la maison dans la réserve, étant donné que les maisons appartiennent à la bande. Il a précisé qu’il savait qu’il ne pouvait pas l’être, que la maison appartenait à la bande et qu’une RCB ne changerait rien à cela. Langford Wuttunee a confirmé qu’il ne pouvait pas être propriétaire de la maison dans laquelle il habite, dans laquelle son ancien beau‑père a vécu et pour laquelle il a demandé une RCB attestant de sa possession. Il a affirmé avoir versé de l’argent pour la maison le 2 octobre 2016, et lorsqu’il a été interrogé concernant la légalité de ce paiement, il a répondu que comme il n’y a pas de politique de logement dans la réserve, ils procèdent ainsi s’ils veulent se faire quelques dollars, et que la GRC ne peut alors pas venir et mettre quelqu’un dehors. À l’époque, lorsqu’il a acheté la maison, il comptait la démolir pour récupérer le bois. Lors du contre‑interrogatoire, il a déclaré avoir ici acheté la maison de Stan Osecap (Stan) [3 500 $] le 2 octobre 2016 pour que sa fille, Alana Wuttunee, puisse y vivre. Toutefois, des problèmes sont alors survenus, puisque Stan avait conclu une autre entente avec Delphine Nicotine, quelques mois auparavant. Sa position est qu’il était le seul à avoir l’acte de vente, mais qu’un différend a surgi au sujet de qui avait le droit d’utiliser la maison, étant donné qu’il n’avait pas vu les documents de Delphine. Au cours du contre‑interrogatoire, il a admis qu’en raison de ce différend, il a menacé de brûler la maison et que celle‑ci a bel et bien brûlé une semaine plus tard. Langford Wuttunee a affirmé qu’il n’est pas à l’origine de l’incendie. Il a indiqué avoir communiqué avec les agents de la GRC parce qu’il était contrarié, mais que ces derniers ne pouvaient rien faire sans une RCB attestant le changement de possession, étant donné que Delphine Nicotine s’était déjà [traduction« imposée ». Il a confirmé que comme la GRC ne pouvait rien faire, il [traduction« était préférable, je suppose, de procéder ainsi, vous savez, en obtenant une RCB, vous ne croyez pas? »

[219]  Langford Wuttunee a admis qu’il a continué de suivre le chef Clinton et qu’il l’a approché pour lui dire qu’il retirerait son affidavit, s’il obtenait une RCB au sujet de cette maison.

[220]  Je ne trouve pas convaincante la preuve par affidavit produite par Langford Wuttunee concernant l’allégation selon laquelle une RCB a été offerte comme incitatif à la signature d’un affidavit annulant celui déposé. Tel qu’il a été mentionné précédemment, le témoignage corroborant d’Archie a été jugé incohérent. En outre, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les 250 $ remis à Langford Wuttunee étaient nécessaires pour couvrir les frais de déplacement de ce dernier pour se rendre à Saskatoon et en revenir. Ma conclusion est étayée ici par le propre aveu de Langford Wuttunee, qui a admis, lors du contre‑interrogatoire, que les 250 $ lui ont été versés expressément à des fins légitimes. Bien que Langford Wuttunee ait pu conserver les 250 $ sans se rendre à Saskatoon, je conclus, d’après la preuve dont j’ai été saisie, que le témoignage livré lors du contre‑interrogatoire ne concorde pas avec la preuve par affidavit, dans la mesure où rien n’indique que les 250 $ devaient servir des fins illégitimes.

[221]  Comme personne n’a préparé d’affidavit pour lui et qu’il n’a pas obtenu de RCB, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu violation de la LEPN relativement à cette allégation.

d)  Allégation no 4 – Achat de votes en contravention avec la Loi

[222]  Maintenant que j’ai examiné les allégations concernant le dépôt de bulletins de vote pour joindre la liste de candidats du chef Clinton, les bulletins de vote déposés en personne et les mesures d’incitation à retirer des votes, je me pencherai sur l’allégation de fond [alinéa 16f)] formulée par la demanderesse relativement à l’achat de votes.

[223]  Je constate d’entrée de jeu que Mme Good a également déposé une preuve par affidavit en rapport avec cette allégation. La Cour n’accorde aucun poids aux éléments de cette preuve par affidavit produite par Mme Good. Celle‑ci contient un grand nombre de preuves intéressées, de ouï‑dire et de preuves sous forme d’opinion. Par exemple, Mme Good jure dans son affidavit que l’avocat précédent s’est retiré du dossier lorsqu’il a eu connaissance d’un prétendu pot‑de‑vin. Mme Good ne peut pas prétendre connaître l’état d’esprit de l’avocat, et il est inapproprié de sa part d’invoquer des motifs sans autre preuve que la conjecture.

[224]  De même, Mme Good soutient que les pièces jointes à son affidavit comprennent six publications Facebook qui, selon elle, visaient à vendre des bulletins de vote ou à en dénoncer la vente. Mme Good allègue que ces publications démontrent que l’achat de votes est une pratique normalisée au sein de la Première Nation de Red Pheasant.

[225]  Les publications tirées de Facebook ne sont pas des éléments de preuve dignes de foi, et aucun poids ne leur sera accordé. Elles ne sont pas dignes de foi, puisqu’elles sont, de par leur nature même, suspectes. Tel qu’il a été mentionné précédemment, une personne peut affirmer sur Facebook qu’elle a vendu son vote, et une autre peut « corroborer » un récit potentiellement faux d’un événement, sans que l’événement repose sur un quelconque fond de vérité. Ces éléments de preuve sont dénués de toute intégrité. Bien qu’il ait été soutenu que les publications Facebook peuvent, à juste titre, donner lieu à des actions en justice (dans le domaine de l’emploi, par exemple), j’estime que cela est très différent de l’affaire dont je suis saisie, où des personnes ont expressément tenté d’en « piéger » d’autres sur les plates‑formes de médias sociaux pour démontrer la nature frauduleuse des élections au sein de la Première Nation de Red Pheasant.

[226]  Enfin, je remarque que les affidavits de Mme Good tentent d’étayer les affidavits de ses témoins et que cette dernière y formule de nombreuses conclusions et opinions personnelles quant à ce que les gens pensaient et faisaient, sans preuves à l’appui. Mme Good n’était pas présente lors de l’élection proprement dite puisqu’elle se trouvait à l’extérieur du pays, et la seule connaissance qu’elle en a a été acquise en suivant les médias sociaux. Aucun poids n’est accordé à ses affidavits puisqu’ils sont entachés de ouï‑dire, d’opinions et d’arguments contraires aux règles de la preuve.

(i)  Marie Baptiste (alias) Marie Wuttunee; Marie Wuttunee Baptiste

[227]  Marie Baptiste (Marie) a déclaré qu’en échange de son vote, elle a reçu 500 $ du chef Clinton, d’Henry Gardipy, de Mandy Cuthand, de Dana Falcon, de Shawn Wuttunee et de Cody Benson, sous forme de transferts électroniques, entre le 16 février 2016 et le 15 mars 2016. Toutefois, elle a précisé avoir pris l’argent, mais ne pas avoir vendu son vote. Elle a déclaré : [traduction« Il était clair pour moi qu’ils s’attendaient à ce que je vote pour eux en échange de l’argent qu’ils m’ont envoyé. »

[228]  Je constate qu’il n’y a aucune preuve que l’une ou l’autre de ces personnes a bel et bien affirmé vouloir acheter son vote, et que la preuve produite par Marie montre que cette dernière a supposé que telle était l’intention du chef et des conseillers.

[229]  La pièce A, qui a été jointe à son affidavit, contient des copies des transferts électroniques effectués, et la pièce B montre ce qu’elle dit être des exemples de dépôt des transferts électroniques de tous les candidats, à l’exception de Shawn Wuttunee.

[230]  Cette preuve pose problème puisque les documents de la pièce A n’indiquent pas le montant des transferts et que ceux de la pièce B, bien qu’ils fassent état du montant déposé, ne précisent pas la date du dépôt.

[231]  La preuve produite par Marie comprend une répartition montrant qu’elle a reçu trois transferts électroniques d’Henry, huit de Cody Benson, deux de Dana et un de chacun des trois autres candidats.

[232]  Lorsque je mets les pièces en corrélation, celles‑ci révèlent ce qui suit :

a) 2 transferts électroniques de Dana Falcon le 2016­03­15 et le 2016­03­14, mais un seul dépôt de 20 $;

b) 1 transfert électronique de Clinton Wuttunee le 2016­02­29 et 1 dépôt de 50 $;

c) 1 transfert électronique de Mandy Cuthand le 2016­02­25 et 1 dépôt de 60 $;

d) 1 transfert électronique de Shawn Wuttunee le 2016­03­04 et comme l’a mentionné Marie, aucun dépôt correspondant;

e) 4 transferts électroniques d’Henry Gardipy le 2016­02­16, le 2016­03­01 et le 2016­03­15 et des dépôts effectués à 4 occasions.

[233]  Lorsque j’additionne le montant des dépôts, ceux‑ci totalisent 310 $, et non 500 $ comme l’a allégué Marie au paragraphe 6 de son affidavit.

[234]  Ces éléments de preuve posent problème. Ils ne correspondent pas et n’indiquent assurément pas pourquoi elle a été payée. Elle jure, au paragraphe 5, qu’elle n’a vendu son vote à aucun candidat, mais qu’elle a pris l’argent. Les transferts que montre la pièce A s’étalent sur une longue période, mais ont bel et bien cessé trois jours avant l’élection, comme elle l’a affirmé.

[235]  Pour déterminer ce qui s’est passé, j’ai d’abord examiné l’affidavit no 1 du chef Clinton. Ce dernier affirme que Marie est sa nièce, que sa conjointe et elle cherchaient toujours à obtenir une aide financière de son programme et qu’il a [traduction« […] découvert qu’elles utilisaient l’argent pour faire la fête et se procurer de l’alcool et de la cocaïne » (par. 11, p. 3). Il jure que Marie lui a demandé 60 $ pour se rendre au travail et en revenir et qu’elle lui a envoyé un message texte, le 9 février 2016, pour obtenir de l’argent afin d’aider sa femme, Tash Baptiste, à revenir de Cold Lake, étant donné que Tash était hospitalisée et ne pouvait pas travailler. Le 10 février 2016, elle lui a envoyé un message texte dans lequel elle lui demandait de l’argent pour acheter de l’essence afin de se rendre à Edmonton pour une entrevue d’emploi. Lorsqu’elle lui a téléphoné le 10 février 2016, il lui a demandé son appui puisqu’il s’apprêtait à annoncer sa candidature au poste de chef. Elle a affirmé qu’elle l’appuierait; [traduction« Je lui ai dit que j’accéderais à sa demande, et je lui ai transféré de l’argent par voie électronique pour qu’elle fasse le plein et se rende à Edmonton pour son entrevue. Je croyais vraiment que c’était pour cela qu’elle voulait l’argent » (par. 15). Le 14 février 2016, Marie a affirmé qu’elle avait été acceptée pour la deuxième série d’entrevues et qu’elle avait encore besoin d’argent pour de l’essence, mais il n’a pas répondu. Le 22 février 2016, elle lui a de nouveau envoyé un message texte pour lui demander 50 $ pour de l’essence afin de se rendre à Saskatoon, et il a répondu qu’il n’avait pas d’argent. Le 29 février 2016, elle l’a de nouveau texté pour lui demander 50 $ afin de faire immatriculer son véhicule, affirmant qu’elle éprouvait certaines difficultés du fait qu’elle était sans emploi et que le chef Clinton devrait l’aider, étant donné que sa femme et sa belle‑fille étaient toutes deux des électrices. Le chef Clinton lui a dit qu’il pouvait seulement se permettre de lui verser 50 $, et il lui a transféré ce montant par voie électronique pour payer son voyage. Le chef Clinton a affirmé qu’il pensait que Tasha et Marie l’appuyaient, que Marie lui a envoyé un message texte au sujet des commentaires formulés et qu’il lui a dit qu’il ne répondait pas sur Facebook, mais qu’il menait sa campagne en faisant du porte‑à‑porte.

[236]  Le chef Clinton n’a produit aucune autre preuve dans son affidavit no 2 ou son contre‑interrogatoire concernant les allégations de Marie.

[237]  L’affidavit no 1 de Dana indique que Marie l’a contacté pour lui demander personnellement de l’aider financièrement afin qu’elle achète de l’essence pour se rendre au travail, et en réponse à sa demande, il lui a transféré 20 $ (par. 2, onglet 2). Il a déclaré qu’il n’a jamais eu de conversation avec elle au sujet de l’achat de votes et que l’argent ne devait servir qu’à l’aider. Lors de son contre‑interrogatoire, il a affirmé avoir vérifié ses relevés bancaires pour essayer de se rappeler pourquoi il a payé Marie le 14 mars 2016, mais il a indiqué qu’il arrive quotidiennement qu’il transfère électroniquement de l’argent à des gens et qu’il ne se souvenait pas précisément pourquoi il l’a fait ce jour‑là. Dana a bel et bien trouvé un transfert électronique fait à Marie sur ses relevés, mais la pièce montre qu’il lui en a fait deux, bien qu’il n’arrive à se souvenir que d’un seul. Dana n’a pas été contre‑interrogé au sujet de cette preuve.

[238]  Benson ne fait pas référence à cette allégation dans son affidavit, mais au cours de son contre‑interrogatoire, il a confirmé qu’il n’a pas l’habitude de faire des transferts électroniques et qu’il n’a jamais demandé à son fils, Cody Benson, d’en faire en son nom. La preuve qu’il a présentée démontre invariablement qu’il donne bel et bien de l’argent aux membres de la bande pour répondre à leurs besoins. Au cours de son contre‑interrogatoire, Mme Good a admis la possibilité d’un chevauchement des transferts électroniques joints (p. 1 043), lorsque ceux‑ci ont été examinés. Toutefois, la preuve la plus intéressante qui ressort de ce contre‑interrogatoire est que Benson a un neveu qui porte le même nom que son fils. Les deux s’appellent Cody Benson; ils ont à peu près le même âge et sont tous deux amis avec Marie. Benson a laissé entendre que Marie a peut‑être reçu de l’argent de l’un ou l’autre de ses amis, puisqu’ils se fréquentent, mais il ne savait pas pour quel motif (p. 1 046); toutefois, tout cela n’est qu’une pure conjecture.

[239]  Henry a déclaré qu’en sa qualité de conseiller de bande, il vient en aide aux membres de la Première Nation de Red Pheasant : [traduction« J’ai aidé Marie par le passé et je continuerai à l’aider dans l’avenir » (par. 6). Marie et lui sont parents, ils sont unis par les [traduction« liens du sang », et dans le passé, il l’a aidée à se procurer des [traduction« cigarettes » ou de l’essence ou l’a accompagnée dans [traduction« ses déplacements », ce qui s’apparente à ce que la plupart des membres de la bande demandent. Il a indiqué avoir souvent aidé Marie à déménager, mais que depuis le dépôt du présent appel, il ne lui a plus jamais apporté son aide, puisqu’elle lui a bloqué l’accès à son compte Facebook (p. 1 102).

[240]  Enfin, la dernière personne à avoir acheté le vote de Marie, parmi celles qui ont été nommées, est Mandy. Ce dernier affirme qu’il était candidat au poste de conseiller et qu’il aide les gens qui [traduction« n’ont pas d’argent pour acheter de l’essence ou de la nourriture ou pour payer leurs factures. » Il ne pouvait pas dire ce qu’il a fait pour aider Marie et pensait que c’était peut‑être pour de l’essence, mais il a clairement précisé ne jamais lui avoir dit de voter pour lui (par.  3).

[241]  La preuve présentée par Marie a été contredite par les personnes qui, selon elle, l’ont payée pour acheter son vote. Le chef et les conseillers ont constamment soutenu que cette dernière a demandé de l’aide et qu’elle a reçu le soutien demandé sous forme d’assistance. Il n’est pas crédible, selon la preuve, que les paiements qu’elle a reçus visaient à acheter son vote. Même la preuve qu’elle a produite n’est pas digne de foi, étant donné que Mme Good a admis qu’il pouvait y avoir un chevauchement des transferts électroniques et qu’il était impossible de fournir les dates des transferts. Le fait que les dépôts totalisent seulement 310 $, montant qui ne correspond pas à ce qu’elle a juré avoir reçu en échange de son vote, prouve plus avant le manque de fiabilité de la preuve. Je n’arrive pas à faire cadrer les faits allégués avec la preuve qu’elle a déposée. Elle ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, qui consistait à prouver que son vote a bel et bien été acheté par l’une ou l’autre des personnes qui, selon elle, lui ont versé de l’argent à cette fin.

(ii)  Edward Nicotine

[242]  J’en viens maintenant à l’allégation selon laquelle le vote d’Edward Nicotine (Edward) a été acheté. Le 13 avril 2016, ce dernier a signé un affidavit, au nom de la demanderesse, dans lequel il affirme avoir été payé en échange de son vote par Gary, Mandy et Cody Benson, après que le chef Clinton lui eut dit, une fois qu’il eut voté pour lui, qu’il devrait aller voir ces derniers.

[243]  Le 7 juin 2016, Edward a retiré cet affidavit, au motif qu’il était ivre lorsqu’il l’a signé et qu’en réalité, personne ne lui a versé d’argent en échange de son vote. Il a affirmé qu’Archie et Dwayne Benson lui ont donné une bouteille de Wiser Whiskey et qu’une fois qu’il fut ivre, il a reçu 25 $ pour signer un affidavit.

[244]  La preuve présentée par Dwayne (candidat non élu) montre que le 23 mars 2016, son épouse (Marguerite) et lui ont reçu la visite d’Archie, ainsi que de Dennis et Edward Nicotine. Dwayne a affirmé qu’ils discutaient du résultat de l’élection et de l’appel et qu’Edward lui a dit que plusieurs personnes l’avaient payé en échange de son vote et qu’il voulait apporter son aide dans le cadre de l’appel, mais qu’il avait peur de parler (onglet 8, p. 35). Dwayne a indiqué qu’il n’avait pas revu Edward depuis cette rencontre et qu’il ne savait pas que ce dernier avait signé un affidavit. Dwayne a déclaré qu’il n’était pas avec Edward le 13 avril 2016 et qu’il ne lui avait donc pas donné d’argent ni d’alcool. Son épouse Marguerite n’a pas donné suite à cette allégation et n’a pas été contre‑interrogée à ce sujet.

[245]  La preuve produite par Archie Nicotine montre qu’il n’a pas acheté d’alcool à Edward, lorsque son frère, Dennis Nicotine, et lui ont conduit ce dernier à North Battleford pour qu’il signe son affidavit, et qu’Edward n’était pas ivre ce matin‑là.

[246]  Mme Good a soutenu qu’avant d’aller voter, Edward a reçu 40 $, 20 $ et 140 $ des candidats Gary et Mandy et du chef Clinton. Elle a affirmé que le chef Clinton a dit à M. Nicotine de percevoir la somme de 140 $ auprès de Cody Benson, le fils du candidat Benson. Le chef Clinton a indiqué qu’Edward recevrait 200 $ supplémentaires, après avoir voté. Ce déposant a retiré sa preuve, et Mme Good a indiqué qu’il était alcoolique et vulnérable et qu’il [traduction« ferait n’importe quoi pour un verre » (voir p. 1 624, par. 184). Mme Good a déclaré qu’Archie a dit qu’il n’a pas saoulé Edward. Mme Good a soutenu que cela [traduction« dépasse l’entendement de considérer qu’un commissaire accepterait le serment prêté par un individu dans un état d’ébriété tel qu’il en est complètement inconscient ».

[247]  Mme Good prétend que la malhonnêteté du chef Clinton se voit dans la preuve qu’il a produite au sujet d’Edward concernant le 13 avril 2016. Elle affirme que cela se voit dans les propos du chef Clinton, qui a déclaré que le 18 mars 2016 [traduction« Edward s’est arrêté chez mon père, en compagnie de sa mère âgée et de sa nièce. Je les ai invités à manger avec nous. Nous avons bavardé, et j’ai informé Edward de mes plans, si ma candidature au poste de chef devait être retenue. Je ne lui ai pas offert d’argent et je ne lui ai pas dit, non plus, d’aller voir les autres candidats pour en avoir » (affidavit du chef Clinton, par. 2 et 187) [voir le par. 252 ci‑dessous]. Mme Good affirme que cette version des faits est différente de celle d’Edward qui, interrogé à ce sujet, a indiqué qu’ils ont mangé rapidement et qu’ils sont partis et que le chef Clinton n’a même pas été très présent ou qu’il n’a pas pris part à la conversation dont il est question ci‑dessus.

[248]  Je constate que la preuve présentée par le déposant Edward (qui s’est rétracté et a été contre‑interrogé), par Mandy et par le chef Clinton entre en contradiction directe avec celle produite par Archie, Dwayne et Marguerite.

[249]  Au contraire, Edward a déclaré être allé à la rencontre de ses cousins, Archie et Dennis Nicotine, et de Dwayne (p. 962, onglet 48). Edward a affirmé qu’il s’est rendu au magasin d’alcools pour acheter la bouteille (flasque) de whisky avec l’argent qu’ils lui avaient donné et qu’il l’a bue en entier, assis sur le siège arrière de la voiture, avant de se rendre à l’hôtel de ville signer l’affidavit. Il a indiqué qu’il était à moitié ivre lorsqu’il s’est levé après la nuit qu’il venait de passer, puis après qu’il eut bu le contenu de la flasque. Edward a déclaré que les 25 $ devaient lui être remis après qu’il aurait signé son affidavit. Dennis Nicotine est entré dans l’hôtel de ville avec lui pour qu’il signe, mais il était trop intoxiqué et il se souvient à peine de ce qui s’est passé ce jour‑là (p. 972). Edward a déclaré, dans le dossier, que son alcoolisme montrait qu’il était en état d’ébriété lorsqu’il a signé ses affidavits. Il a affirmé, en terminant : [traduction« [...] j’aurais dit n’importe quoi en échange d’un verre ».

[250]  Lors de son réinterrogatoire, Edward a expliqué plus en détail pourquoi il s’est rétracté. Il a affirmé avoir changé d’avis, parce qu’il a dit à sa mère ce qu’il avait fait. Sa mère lui a demandé pourquoi il a fait cela, puisqu’elle savait que c’était un mensonge, étant donné qu’il était avec elle lors de l’élection. Elle lui a dit qu’il ferait mieux d’arranger les choses.

[251]  Lors du contre‑interrogatoire complémentaire, Edward a confirmé qu’il était avec sa mère dans la réserve, le soir de l’élection, et que sur le chemin du retour, il s’est arrêté chez Oliver Wuttunee (le père du chef Clinton) pour y manger en vitesse, car sa mère ne se sentait pas très bien. Il a confirmé la preuve au dossier selon laquelle Archie et lui se trouvaient chez Marguerite et Dwayne, bien qu’il contredise cette preuve en affirmant qu’ils n’ont pas discuté de l’élection.

[252]  Lorsque j’examine le cas de Mandy Cuthand, je constate qu’il nie avoir jamais donné ou promis de l’argent à Edward; en fait, il n’a jamais parlé à Edward ce jour‑là, bien qu’il fût présent et qu’il fît campagne pour sa réélection (p. 18, onglet 7). Lors du contre‑interrogatoire de Mandy (onglet 52, p. 1 119), ce dernier n’a pas été interrogé concernant cette allégation. Il n’y a rien, non plus, à propos d’Edward dans la preuve produite par Benson ou par Gary Sauve.

[253]  Dans l’affidavit no 1 du chef Clinton, daté du 8 juin 2016, ce dernier affirme qu’Edward s’est arrêté chez son père, en compagnie de sa mère et de sa nièce, pour manger avec eux, après l’élection. Il soutient qu’il s’est entretenu avec lui et qu’il ne lui a pas offert d’argent ni ne lui a dit d’aller voir les autres candidats pour en avoir (onglet 1, p. 2). Lors du contre‑interrogatoire, il a confirmé que son père s’appelle bien Oliver Wuttunee et qu’il a invité Edward et sa famille à venir manger, quelque part entre 14 h et 18 h (p. 870‑871, onglet 46). Il a indiqué que des gens allaient et venaient en permanence ce soir‑là, car c’était le soir de l’élection, et que l’endroit était très achalandé. Tout le monde qui passait se voyait offrir à manger. Il a affirmé avoir parlé à Edward et à sa famille de ses plans, s’il était élu chef (voir le par. 247 ci‑dessus).

[254]  Je n’accorde aucun poids à la preuve produite par Edward, pour des raisons semblables à celles qui justifient l’exclusion de la preuve présentée par Nisha, puisqu’il est, lui aussi, une personne vulnérable. Même si je ne peux pas comprendre exactement ce qui s’est passé ce jour‑là, il est clair qu’Edward a de graves problèmes de dépendance.

[255]  Lorsqu’il a été contre‑interrogé par Mme Good, Edward a admis qu’il a dû demander à sa mère de rédiger son deuxième affidavit, car il tremblait trop pour écrire, étant donné qu’il est alcoolique. Le témoignage qu’il a livré pour le compte des deux parties ne peut pas être jugé crédible, dans les circonstances. Compte tenu de ces faits, j’estime qu’il est inapproprié d’examiner plus à fond la preuve produite par Edward. Cette dernière ne peut pas être jugée crédible, eu égard aux circonstances.

(iii)  Mallory Wuttunee et Marie Baptiste, salle 317, hôtel Ramada, vote par anticipation

[256]  Mallory Wuttunee et Marie Baptiste prétendent qu’il y a eu achat de votes au Ramada Inn, dans la salle de réception mise à disposition par le chef Clinton.

[257]  Mme Good soutient que lors du vote par anticipation tenu au Ramada Inn de Saskatoon, le 10 mars 2016, le chef Clinton a payé des gens afin qu’ils votent pour lui. Mme Good prétend que pour réaliser ce stratagème, le chef Clinton a demandé à Vinny Wuttunee d’escorter les électeurs jusqu’à la salle 317 du Ramada Inn et que Cody Benson, le fils du candidat Benson, payait les gens en échange de leur appui.

[258]  Mallory Wuttunee a déclaré qu’elle a voté pour le chef Clinton. Après avoir voté, elle a été escortée par Vinny jusqu’à la salle 317, où elle a vu Cody Benson sortir une liasse de billets. Elle a affirmé que Cody Benson lui a donné 60 $; bien qu’elle prétende qu’elle savait que ce qu’elle faisait était mal, elle avait besoin d’argent pour de l’essence et les personnes qui s’attirent la faveur du conseil de bande bénéficient du soutien de la bande.

[259]  Marie a déclaré que lors du vote par anticipation au Ramada Inn de Saskatoon, elle a été invitée à se rendre dans une salle de l’hôtel louée par le chef Clinton, où les candidats Gary, Ryan Bugler, Mandy et Dana étaient présents, ainsi que certains membres de leur famille. Elle a juré que de l’alcool était offert et que les gens en consommaient dans la salle. De plus, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

10. […] Quelqu’un est venu me voir et m’a dit que je recevrais de l’argent si j’allais en bas voter, que je prenais une photo de mon bulletin de vote rempli avec mon téléphone cellulaire et que je rapportais la photo dans cette pièce. Je leur ai dit que j’avais déjà voté. [onglet 6, par. 10, p. 23]

11. Ils m’ont dit que je n’obtiendrais jamais l’aide de la bande, ce qui signifiait, à mon avis, que je n’aurais pas droit aux services de la bande, si je ne votais pas pour Clinton Wuttunee et la liste de conseillers qu’il avait choisis.

[260]  Comme Marie n’a pas été contre‑interrogée concernant son affidavit, Mme Good soutient qu’il s’agit là d’une preuve non controversée.

[261]  Au paragraphe 11 cité plus haut pour étayer l’allégation formulée, Marie a donné un sens aux propos qui ont été tenus, mais la conclusion à laquelle elle en est venue est sans fondement et aucun poids ne lui sera accordé. J’attire également l’attention sur le fait qu’elle a déclaré avoir été invitée dans la salle et qu’après qu’elle eut dit qu’elle avait déjà voté, elle n’a pas été sommée de partir ni n’a été victime d’intimidation. En outre, je conclus que les allégations formulées par Marie, qui sont présentées aux paragraphes 226 à 240 (ci‑dessus), et les présentes allégations ne concordent pas. Si elle a voté par anticipation et qu’elle a dit aux candidats présents dans la salle qu’elle avait déjà voté, alors pourquoi aurait‑elle de nouveau été poursuivie et payée par les candidats pour son vote?

[262]  Pour ce qui est de la preuve produite par les personnes accusées, je me tournerai d’abord vers le chef Clinton, qui affirme avoir loué une salle de réception au Ramada Inn et y avoir offert de la nourriture et des boissons gazeuses. Il a ajouté : [traduction« Je n’ai jamais dit à aucun membre de la bande que s’ils ne m’appuyaient pas, je ne les aiderais pas, dans l’avenir, dans les périodes difficiles […] »

[263]  Le chef Clinton ne se rappelle pas avoir vu Mallory Wuttunee dans la salle 317, puisque toute la journée, il allait et venait dans la salle, à la fois pour aller se reposer et pour fournir de la nourriture à sa famille et à ses amis. Lors de son contre‑interrogatoire, il a affirmé que c’était une très longue journée et que les membres de la bande avaient continué de s’attarder dans la salle. Il y avait certains membres de la bande qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant. De plus, comme il n’avait pas d’agent électoral, il ne sait pas qui a voté. Il n’y a rien concernant cette allégation dans l’affidavit no 2 du chef Clinton.

[264]  Dans l’affidavit qu’il a produit en réponse à l’allégation de Marie, Mandy a affirmé qu’il faisait campagne au Ramada Inn le 4 mars 2016, mais qu’il n’a pas vu Marie ce jour‑là. Il l’a vue le jour où il est allé voter, puisqu’elle sortait du bureau de vote et lui a dit bonjour. Il a indiqué qu’il n’aurait pas pu lui offrir quoi que ce soit au Ramada Inn, car il ne l’a même pas vue ce jour‑là et qu’il ne l’a croisée, après cela, que le jour de l’élection.

[265]  Bien qu’il n’y ait rien au sujet de la salle 317 dans les affidavits no 1 et no 2 de Dana, lors du contre‑interrogatoire de ce dernier, Mme Good l’a interrogé au sujet du vote par anticipation tenu au Ramada Inn. Il a affirmé qu’il était là, qu’il faisait campagne et qu’il allait et venait dans la salle 317. En réponse à la question de savoir quels candidats à l’élection se sont présentés dans cette salle, il a nommé Henry et [traduction« les candidats venus s’asseoir et se reposer. Tout le monde prenait du repos, rien de plus. » Il s’agissait ici de la liste de candidats du chef Clinton, à savoir Henry, Lux Benson, Ryan Benson, Ryan Bugler, Mandy, Dana, Larry Wuttunee, Shawn Nicotine, Gary, ainsi que les autres personnes passées faire un tour. Il a affirmé qu’il allait et venait dans la salle et que les seules personnes qu’il était certain d’avoir vues étaient Russell Pogurny et Shawn, étant donné que tout le monde faisait campagne à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôtel. Lors du réinterrogatoire, il a indiqué qu’il n’y avait pas d’alcool dans la salle et qu’il n’avait pas vu Marie. Il a affirmé qu’il n’a vu personne consommer de l’alcool dans cette pièce. Il a également fait observer qu’il ne boit pas et a ensuite déclaré que personne au conseil ne boit. Ce dernier point semble être une déclaration très large et générale, et son témoignage n’est que cela. Gary n’a pas mentionné la salle de l’hôtel dans son affidavit, et il n’a pas été interrogé à ce sujet lors de son contre‑interrogatoire.

[266]  Sans grande surprise, des éléments de preuve contradictoires ont été présentés pour ce qui est de savoir s’il y a eu consommation d’alcool ou non dans la salle 317 et si les gens se voyaient ou non demander de voter pour l’équipe de Wuttunee, puis de prendre une photo et de revenir dans la salle afin de recevoir de l’argent en échange de leur vote.

[267]  La question de savoir s’il y a eu consommation d’alcool ou non n’est pas pertinente, puisque rien dans l’allégation formulée ne s’y rapporte. La preuve présentée par Marie contredit directement celle du chef Clinton et de Dana sur la question de savoir si Dana l’a même vue au bureau de vote par anticipation ou si le chef Clinton lui a dit qu’il ne l’aiderait pas, si elle ne votait pas pour lui.

[268]  Marie a déclaré qu’en tant que personne invitée, après qu’elle eut voté, elle s’est fait dire qu’elle serait payée en échange de son vote, mais en fait, elle ne l’a pas été, puisqu’elle avait déjà voté. Je ne peux pas accepter ses réflexions comme preuve, étant donné qu’elle a seulement déduit qu’elle serait payée pour son vote et qu’elle ne serait pas bien traitée, si elle ne votait pas pour eux. Elle n’a pas été payée en échange de son vote et n’a pas été menacée ou invitée à partir, après avoir dit qu’elle avait déjà voté.

[269]  La preuve qu’elle a produite a été contredite, étant donné qu’elle affirme qu’elle était dans la salle, alors que Mandy a clairement indiqué qu’il ne l’a pas vue et qu’il savait exactement où et quand il l’avait vue en d’autres occasions. Dana ne se rappelait pas, non plus, l’avoir vue ce jour‑là. D’après la preuve qu’ils ont produite, il est tout à fait possible qu’ils n’aient tout simplement pas vu Marie, mais je choisis de privilégier la preuve selon laquelle ils n’ont pas interagi avec elle et ne lui ont pas offert d’acheter son vote. Compte tenu des questions de crédibilité que j’ai soulevées (aux par. 226 à 240 ci‑dessus) à l’égard de la preuve produite par Marie au sujet d’une allégation antérieure, qui contredit directement la présente allégation, je n’accorde aucun poids à la preuve de cette dernière, dans ces circonstances. Cette preuve ne démontre pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu violation d’une interdiction.

[270]  Mallory a déclaré avoir été payée en échange de son vote, étant donné qu’elle avait besoin d’argent pour de l’essence. Lorsque j’examine l’ensemble des circonstances, je constate que cette dernière ne mentionne pas qu’elle devait prendre une photographie de son bulletin de vote, à titre de preuve. Elle n’indique pas, non plus, s’être fait dire au préalable qu’elle serait payée, si elle votait pour ces candidats. Elle a affirmé qu’elle avait besoin d’argent pour de l’essence, et elle savait que les gens qui appuient la personne au pouvoir sont mieux traités. Je dois soupeser cela avec la preuve selon laquelle le chef Clinton ne se souvient pas de l’avoir vue. Personne d’autre ne se rappelle l’avoir vue, et les personnes qui ont prétendument acheté son vote n’ont pas été contre‑interrogées à cet égard. En outre, le fait que Mallory s’est rendue dans la salle, après avoir voté, parce qu’elle avait besoin d’argent pour de l’essence, sans avoir conclu au préalable d’entente de contrepartie, n’a pas été contesté.

[271]  Je comprends qu’il n’est pas inhabituel pour des candidats, au sein de toute tribune politique, d’avoir accès à une salle de réception où les gens « vont et viennent », et je ne crois pas que ces faits démontrent que la salle de réception ou les événements qui s’y sont produits constituent une incitation à acheter des votes.

[272]  Je privilégierai la preuve présentée par les défendeurs plutôt que celle de Mallory, puisque cette dernière avait besoin d’argent pour de l’essence et que c’est exactement là ce qu’elle a obtenu. En outre, dans les motifs qu’elle a invoqués, Mallory a affirmé qu’elle a voté pour le chef Clinton parce qu’elle voulait être mieux traitée, et non parce qu’elle a été payée pour le faire. J’estime que personne ne lui a offert d’acheter son vote ou ne l’a acheté, et je conclus donc qu’il n’a pas été prouvé qu’il y a eu violation d’une interdiction.

[273]  Cette allégation n’a pas été prouvée, selon la prépondérance des probabilités.

e)  Allégation no 5 – Entrer dans l’isoloir avec des bouts de papier

(i)  Bouts de papier

[274]  Mme Good a produit un affidavit de Crystal Baptiste, qui affirme avoir vu des électeurs entrer dans l’isoloir avec des bouts de papier. Cette dernière n’a pas été contre‑interrogée.

[275]  Il n’est pas interdit, en soi, d’entrer dans un bureau de vote avec un bout de papier. Je comprends que son argument est que les gens se sont vu remettre ce bout de papier sur lequel figurait la liste des candidats pour lesquels ils devaient voter, mais je n’ai été saisie d’aucune preuve d’un quelconque poids montrant que tel est bien ce qui s’est passé. Je ne considère pas que cette allégation constitue une violation d’une interdiction.

f)  Allégation no 6 – Tactiques d’intimidation

[276]  Mme Good prétend que les témoins ont été intimidés, en raison de la façon dont se comportent certaines personnes au sein de la Première Nation de Red Pheasant, qui ont menacé de refuser d’offrir des services à ceux qui appuient le présent appel.

[277]  Mme Good a soutenu qu’Heather Meechance a déposé un affidavit dénonçant l’achat de votes, dans le cadre de l’appel des résultats de l’élection de 2012, et que cet affidavit donne un aperçu des abus subis et des services refusés, ainsi que des représailles qui ont été exercées contre elle par le chef de l’époque et le chef Clinton, en raison de cette preuve.

[278]  Aucun poids n’est accordé à cet affidavit dans le cadre du présent appel, puisqu’il ne prouve pas ce qui s’est produit lors de l’élection en cause ici.

[279]  Mme Good indique qu’Henry a menacé Jeffery, après que ce dernier eut décidé d’appuyer l’appel des résultats de l’élection, et que Jeffery a déménagé à Edmonton, car il craignait que du mal ne soit fait à lui et à sa famille. Comme je l’ai déjà dit, je n’accorde aucun poids à la preuve présentée par Jeffery.

[280]  Il n’y a aucune preuve à l’appui de cette allégation, et en fait, une des personnes qui soutient l’appel, en l’occurrence Sandra, a déclaré qu’elle n’était pas victime d’intimidation de la part du chef ou des conseillers actuels.

[281]  Par conséquent, je conclus qu’aucune contravention à la LEPN n’a été prouvée, selon la prépondérance des probabilités.

g)  Allégation no 7 – Diverses violations alléguées

(i)  Langford Wuttunee

[282]  Langford Wuttunee est un des candidats non retenus pour siéger au conseil de bande. Dans son premier affidavit, Langford a déclaré qu’au bureau de vote par anticipation, à Saskatoon, il y avait une grande pancarte indiquant [traduction« Votez pour Clint » et que Quinn Moosomin serrait la main des gens dans le hall et distribuait des cartes semblables à des cartes de visite portant la mention [traduction« Votez Clint ».

[283]  Langford Wuttunee a également affirmé que le jour de l’élection, des véhicules tapissés d’affiches électorales étaient stationnés à l’extérieur de la salle du conseil de bande, près de l’entrée. Langford Wuttunee a déclaré, dans son affidavit, qu’Howard McMaster est sorti et lui a dit de déplacer son véhicule ou d’enlever les affiches qui s’y trouvaient. Langford Wuttunee a dit à Howard McMaster que lorsque les affiches apposées sur les autres véhicules stationnés plus près de l’entrée seraient enlevées, il retirerait également les siennes. Il s’est fait dire qu’il n’y avait aucun problème avec les autres véhicules et qu’Howard McMaster n’avait pas demandé aux autres de déplacer leurs véhicules.

[284]  Je ne tiendrai pas compte de la preuve sous forme d’opinion qu’il a présentée au paragraphe 12 de son affidavit. Je ferai également abstraction de la preuve produite concernant Howard McMaster.

[285]  Les éléments de preuve restants ne démontrent pas qu’il y a eu violation de la LEPN et, subsidiairement, ceux‑ci n’ont assurément aucune incidence sur le résultat de l’élection.

(ii)  Cecelia Knight

[286]  Dans son affidavit, Cecelia Knight prétend avoir dit à Sandra et à Elsie qu’elle voulait voter, mais que comme elle est âgée, elle leur a demandé de s’informer si un bulletin de vote pouvait lui être apporté chez elle. Une femme lui a bel et bien apporté un bulletin de vote dans une enveloppe non scellée. Cecelia Knight a affirmé qu’elle a rempli son bulletin de vote, mais qu’elle n’a pas signé d’autre document à joindre à ce dernier, puis que la femme est partie avec celui‑ci.

[287]  Cette allégation n’a pas été formulée par la demanderesse dans son mémoire des faits et du droit ni lors de l’audience. Les défendeurs ont donc subi un préjudice, étant donné qu’ils n’ont pas pu présenter une défense pleine et entière en réponse à cette allégation. Pour ce motif, je conclus qu’il n’y a pas eu ici violation de la LEPN.

(iii)  Trousses de vote non récupérées

[288]  Dans son affidavit, Sandra Furrie a déclaré qu’elle a rempli sa trousse de vote et qu’elle l’a retournée, mais qu’Howard McMaster ne l’a jamais récupérée et que son droit de vote lui a donc été refusé. Cette allégation contre Howard McMaster n’a pas été soulevée lors de l’audience et ne sera donc pas prise en considération.

[289]  Trina Kent a formulé une plainte semblable à celle de Sandra Furrie, alléguant que le président d’élection, Howard McMaster, n’a pas réclamé son bulletin de vote rempli. Mme Good n’a pas donné suite à cette allégation lors de l’audience, étant donné que l’action intentée à l’égard d’Howard McMaster a été abandonnée.

[290]  Darcie Wuttunee a indiqué qu’il a demandé et reçu le bulletin de vote de son fils et le sien, et que le 2 mai 2016, les enveloppes lui ont été retournées avec la mention [traduction« non réclamée ». Cette allégation entre dans la même catégorie que celles de Trina Kent et de Sandra Furrie, étant donné qu’elle n’a pas été portée plus avant contre Howard McMaster.

(iv)  Matériel agricole

[291]  Archie a présenté des éléments de preuve concernant un cas où la bande a acheté du matériel agricole, sans que le conseil ait tenu de réunion au sujet de ce matériel, ce qui démontre, selon lui, que la corruption est omniprésente au sein de la collectivité. Je n’accorderai aucun poids à ces éléments de preuve, puisqu’ils n’ont aucun rapport avec l’élection et qu’ils ne peuvent, autrement, être considérés comme une preuve convaincante.

[292]  Il y a plusieurs autres affidavits que je n’examinerai pas, plus particulièrement, puisque les éléments de preuve se rapportent à des questions qui ne sont pas pertinentes ou qui n’ont pas été soumises à la Cour.

[293]  La présente demande est rejetée.

VII.  Conclusion

[294]  Cette élection présente un tissu complexe d’intrigues. Chaque élection récente tenue au sein de la Première Nation de Red Pheasant a fait l’objet d’un appel. Il est clair que la bande est divisée dans son allégeance, et ce climat nocif ne pourra jamais servir au mieux les intérêts de la bande.

[295]  Cela m’amène à formuler une observation non sollicitée, soit que les défendeurs se sont mis dans des situations qui remettent en question leurs actions, en donnant, pendant la campagne électorale, de l’argent à des gens qui en ont fait la demande, alors qu’ils étaient dans le besoin. Bien que je reconnaisse que les membres de la bande ont toujours besoin de soutien, même en période électorale, de nombreuses solutions peuvent être adoptées. Par exemple, un moratoire sur l’octroi d’une aide financière par les candidats, pendant les élections, pourrait être imposé et compensé par la création d’un fonds distinct et la nomination d’une personne indépendante chargée d’administrer la distribution des fonds lors de telles situations d’urgence.

[296]  Je ne peux pas admettre la pratique démontrée dans la preuve selon laquelle des gens affichent leur désir de vendre leur vote. Cela est désolant, en fait, compte tenu de l’importance de tenir un vote et des élections justes et démocratiques. Cette pratique aussi doit cesser. Je ne peux pas non plus fermer les yeux sur l’opération menée à l’aveuglette pour tenter de vendre des votes afin de recueillir des preuves contre un candidat se présentant comme chef ou comme conseiller. De nombreux incidents sont moralement inacceptables, mais ceux‑ci ne satisfont pas non plus à la norme de preuve qui permettrait de conclure à une violation d’une interdiction.

[297]  Je ne peux pas raisonnablement et rationnellement conclure, d’après la preuve produite, qu’il a été prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu contravention à la Loi ou au Règlement, si ce n’est de la violation qui a été établie au paragraphe 178 et qui a été commise par une personne ne faisant pas partie des défendeurs. Dans ce cas particulier, j’ai conclu que cette contravention n’a pas influé sur le résultat de l’élection.

[298]  La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver, de façon satisfaisante, que la LEPN a été violée, et même si une contravention avait été relevée dans la preuve, il est peu probable que celle‑ci aurait influé sur le résultat de l’élection de 2016.

[299]  Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas eu d’incidence sur le résultat de l’élection de 2018, et je rejette le présent appel.

VIII.  Dépens

[300]  Lors de l’audience, les parties se sont vu accorder jusqu’au 1er mai 2018 pour parvenir à une entente concernant les dépens.

[301]  La PG a renoncé aux dépens que je devais adjuger en lien avec la requête déposée en vertu de la règle 302, puisque Mme Good s’est désistée de la demande déposée à son endroit. La PG demande l’allocation des dépens; par conséquent, je n’adjugerai pas de dépens payables à cette dernière.

[302]  La demanderesse et les autres défendeurs (le chef élu Clinton Wuttunee et les conseillers élus Lux Benson, Mandy Cuthand, Dana Falcon, Henry « Boss » Gardipy et Shawn Wuttunee) ont présenté à la Cour une entente écrite, qui a été jointe à l’annexe B. En résumé, les parties ont convenu que des frais et dépens d’un montant forfaitaire de 100 000 $ devraient être adjugés à la partie obtenant gain de cause, en l’occurrence les défendeurs.



ANNEXE A

AFFIDAVIT

SIGNÉ

STATUT EN TANT QUE PREUVE

CONTRE‑INTERROGATOIRE MENÉ À L’ÉGARD DES AFFIDAVITS

Sandra Arias

2017‑02‑09

Conformément à l’ordonnance rendue le 3 avril 2018, l’autorisation a été accordée de déposer l’affidavit et la transcription du contre‑interrogatoire.

Le 29 janvier 2018

Chastin Armstrong

VIDE

RETIRÉ

VIDE

Crystal Baptiste

2016‑04‑25

VIDE

VIDE

Edgar Baptiste

VIDE

RETIRÉ

VIDE

Marie Baptiste (Wuttunee)

2016‑05‑20

VIDE

VIDE

Michael Baptiste

2016‑05‑09

VIDE

VIDE

Dwayne Glen Benson

2016‑06‑14

VIDE

VIDE

Marguerite Nicotine Benson

2016‑04‑28

VIDE

VIDE

Marguerite Nicotine Benson, no 2

2016‑06‑14

RETIRÉ

VIDE

Sandra Furrie

2016‑04‑28

VIDE

VIDE

Michelle Good*

2016‑05‑13

VIDE

Le 11 juin 2016

Le 5 janvier 2017

Michelle Good, no 2

2016‑06‑08

RETIRÉ

VIDE

Michelle Good, no 3

VIDE

DÉCISION DU PROTONOTAIRE

VIDE

Michelle Good, no 4

2016‑06‑15

RETIRÉ

VIDE

Michelle Good, no 5 (maintenant no 6)

2016‑11‑10

Conformément à l’ordonnance rendue le 3 avril 2018, l’autorisation a été accordée de déposer l’affidavit et la transcription du contre‑interrogatoire de Mme Good no 5, qui est maintenant le no 6.

Le 29 janvier 2018

Michelle Good, no 6

2017‑01‑17

VIDE

VIDE

Trina Kant

2016‑05‑04

VIDE

VIDE

Cecilia Knight

2016‑04‑22

VIDE

VIDE

Heather Meechance

VIDE

RETIRÉ

VIDE

Archie Nicotine*

2016‑05‑30

VIDE

VIDE

Archie Nicotine, no 2

2016‑05‑24

VIDE

VIDE

Archie Nicotine, no 3

2016‑06‑14

Autorisation de déposer, mais les paragraphes 8 et 9 ont été retranchés en vertu d’une ordonnance rendue par P. Lafrenière le 2 août 2016.

VIDE

Archie Nicotine, no 4

2016‑10‑25

VIDE

VIDE

Dennis Russel Nicotine

2016‑05‑25

RETIRÉ LORS DE L’AUDIENCE

VIDE

Edward Roy Nicotine

2016‑04‑13

VIDE

VIDE

Jennifer Peyachew

2016‑04‑22

VIDE

VIDE

Jeffery Meechance Tisnic (joint en tant que pièce H à l’affidavit no 2 de MG et seul à la pièce AR, onglet 29, page 718).

2016‑04‑18

VIDE

Le 10 février 2018

Alice Margaret Wuttunee

2016‑04‑14

VIDE

VIDE

Darcie Wuttunee

2016‑05‑11

VIDE

VIDE

Eldon Wuttunee

2017‑01‑16

VIDE

Le 29 janvier 2018

Elsie Marie Wuttunee

2016‑04‑18

VIDE

VIDE

Elsie Marie Wuttunee, no 2

2016‑05‑31

VIDE

VIDE

Elsie Marie Wuttunee, no 3*

2017‑01‑17

Conformément à l’ordonnance rendue le 3 avril 2018, l’autorisation a été accordée de déposer l’affidavit et la transcription du contre‑interrogatoire.

Le 29 janvier 2018

Langford Wuttunee

2016‑05‑03

VIDE

VIDE

Langford Wuttunee, no 2

2016‑10‑25

VIDE

VIDE

Mallory Wuttunee

2016‑04‑25

VIDE

VIDE

Nisha Wuttunee

2016‑04‑25

VIDE

VIDE

Nisha Wuttunee, no 2

2016‑04‑27

VIDE

VIDE

Nisha Wuttunee, no 3

2016‑05‑18

VIDE

VIDE

Nisha Wuttunee, no 4

2016‑09‑14

VIDE

Le 30 octobre 2017

Tammy Wuttunee

2016‑05‑03

VIDE

VIDE

Linda Whitford

2016‑04‑14

VIDE

VIDE

Violet Kayseass

2016‑06‑09

VIDE

Le 11 juillet 2016

(Chef) Clinton Wuttunee, no 1

2016‑06‑08

VIDE

Le 28 décembre 2016

Dana Falcon, no 1

2016‑06‑09

VIDE

Le 29 décembre 2016

Edward Roy Nicotine

2016‑06‑07

VIDE

Le 28 décembre 2016

Gary Suave Nicotine

2016‑06‑08

VIDE

Le 29 décembre 2016

Lux Benson

2016‑06‑08

VIDE

Le 29 décembre 2016

Henry Boss Gardipy

2016‑06‑08

VIDE

Le 29 décembre 2016

Mandy Cuthand

2016‑06‑08

VIDE

Le 29 décembre 2016

Howard McMaster

VIDE

RETIRÉ

Le 11 septembre 2017

Clinton Wuttunee, no 2*

2018‑01‑22

Conformément à l’ordonnance rendue le 3 avril 2018, l’autorisation a été accordée de déposer l’affidavit et la transcription du contre‑interrogatoire.

Le 31 janvier 2018

Dana Falcon, no 2

2018‑01‑22

Conformément à l’ordonnance rendue le 3 avril 2018, l’autorisation a été accordée de déposer l’affidavit et la transcription du contre‑interrogatoire.

Le 31 janvier 2018




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.