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Dossier : IMM‑1296‑18

Référence : 2018 CF 1197

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

SALLY SEBIAL GO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si Mme Go, une étrangère, est interdite de territoire pour fausses déclarations. Plus précisément, a‑t‑elle directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à l’endroit où elle a vécu de mars 2011 à août 2012? S’il s’agissait d’un objet pertinent, ou d’une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), elle serait interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a). À trois reprises, il a été conclu qu’elle l’était et une mesure d’expulsion a été prise contre elle en vertu de l’alinéa 229(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

I.  Le contexte

[2]  Mme Go est arrivée au Canada en 2009 à titre d’aide familiale résidante. Le Programme des aides familiaux résidants (PAFR) permettait de faire venir au Canada des travailleurs temporaires qualifiés pour fournir des services de garde d’enfants à domicile, des soins à domicile aux personnes âgées ou des soins à des personnes handicapées. L’une des exigences était qu’ils « résident » dans la maison où ils fournissaient ces soins. Après une période obligatoire, ces aides familiales avaient le droit de présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada.

[3]  Le programme a depuis été supprimé, mais il existait au moment où Mme Go a demandé la résidence permanente en novembre 2012. Elle a présenté un « Formulaire de demande générique pour le Canada ». Elle y a déclaré que la catégorie dans laquelle elle présentait sa demande était le Programme des aides familiaux résidants. L’annexe A du formulaire était intitulée « Antécédents/Déclaration ». Il lui était demandé de répondre à la question « Inscrivez toutes les adresses où vous avez résidé depuis votre 18e anniversaire […] ». Elle a déclaré qu’elle avait vécu à une adresse en Colombie‑Britannique de mai 2009 à mars 2011, puis de mars 2011 à août 2012 à une adresse civique à Kelowna, en Colombie‑Britannique, soit l’adresse domiciliaire de son employeur.

[4]  Pendant de nombreuses nuits, au cours de la période où elle a vécu à Kelowna, elle n’a pas dormi chez son employeur, mais plutôt dans un appartement que son église mettait à la disposition des aides familiaux résidants et des gouvernantes originaires des Philippines. La non‑divulgation de ce fait a été considérée comme un objet pertinent qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[5]  Il est important de souligner qu’il n’a pas été conclu qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences du Programme des aides familiaux résidants. En omettant de divulguer que l’église fournissait un appartement, elle a exclu une voie d’enquête pour l’agent de traitement qui aurait pu adopter une approche souple et constructive à l’égard des conditions de logement comme l’a envisagé la Cour dans Turingan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1234, 72 FTR 316.

[6]  Les deux premières fois où Mme Go a été déclarée interdite de territoire, le ministre a consenti à sa demande de contrôle judiciaire et la Cour a donc renvoyé l’affaire pour nouvel examen.

[7]  Cette fois‑ci, la décision, sur consentement, était fondée sur les dossiers antérieurs. Il y avait des éléments de preuve contradictoires quant à la fréquence à laquelle Mme Go a résidé à l’appartement fourni par l’église. Le commissaire a conclu que l’employeur de Mme Go était plus crédible et a donc décidé qu’elle ne résidait chez l’employeur qu’une nuit ou deux par semaine.

[8]  Même si cette conclusion quant à la crédibilité a été contestée devant moi, je ne crois pas qu’il convienne que j’intervienne. Il convient de faire preuve d’une certaine retenue envers les juges des faits, même à l’égard ceux qui n’ont pas entendu les témoins (N V Bocimar S A c Century Insurance Co, [1987] 1 RCS 1247).

II.  Analyse

[9]  Le paragraphe 16(1) de la LIPR oblige une personne à « répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées [...] ». L’expression « toutes les adresses où vous avez résidé » est très ambiguë. Les mots figurant sur la version française du formulaire sont « toutes les adresses où vous avez résidé ». Selon la version anglaise de l’article 113 du Règlement alors en vigueur, Mme Go devait dire où elle avait “resided”. La version française utilisait le mot « habité ».

[10]  Ceux qui préparent le formulaire que les immigrants doivent remplir auraient dû avoir connaissance de cette ambiguïté. L’alinéa 5(1)c) de l’ancienne Loi sur la citoyenneté exigeait que, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, le demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans. Il y avait trois écoles de pensée parmi les juges de la citoyenneté quant à la façon dont le mot « résidence » devait être interprété.

[11]  Il a été conclu qu’une personne pouvait résider au Canada en pensée, si elle n’y résidait pas physiquement, et que ces jours de résidence étaient comptabilisés lorsqu’il s’agissait de déterminer si l’exigence de résidence était respectée (Re Papadogiorgakis 1978 2 FCT 208). Il a également été conclu que les seuls jours qui comptaient étaient ceux pendant lesquels le demandeur se trouvait physiquement au Canada (Re Pourghasemi (1993) 62 FTR 122). Le troisième critère était de savoir si on pouvait dire que le Canada était l’endroit où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » (Re Koo 1993 1 CF 286).

[12]  Cela a amené le juge Lutfy (plus tard juge en chef) à conclure, dans Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 164 FTR 177, qu’il était loisible à un juge de la citoyenneté de choisir l’un des trois courants jurisprudentiels contradictoires et que, si les faits étaient bien appliqués aux principes du courant choisi, la décision du juge de la citoyenneté ne serait pas erronée.

[13]  Ce n’est qu’en juin 2015 que le législateur a modifié l’exigence relative à la résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Cette modification exigeait initialement la présence effective au Canada pendant au moins quatre ans au cours des six ans qui avaient précédé la date de la demande de citoyenneté, et pendant au moins 183 jours par année civile au cours des quatre années complètement ou partiellement comprises dans les six ans qui précédaient la date de la demande. La première exigence a depuis été réduite à trois ans de présence effective au cours des cinq années précédentes, et la deuxième exigence, soit la présence effective pendant 183 jours, a été supprimée.

III.  La décision

[14]  Le lieu où une personne dort la nuit n’est que l’un des facteurs à prendre en considération. Mme Go n’avait pas sa propre chambre dans l’appartement fourni par l’église; elle n’y laissait pas ses vêtements; l’adresse postale qu’elle a indiquée dans le formulaire de demande était celle de son employeur.

[15]  Il était déraisonnable pour le commissaire de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Go avait fait une présentation erronée quant à ses conditions de logement. Si la Cour pouvait conclure qu’il était raisonnable pour des juges formés de la citoyenneté d’avoir trois points de vue différents sur l’exigence de résidence prévue dans la Loi sur la citoyenneté, comment peut‑on dire que Mme Go n’a pas fourni une réponse raisonnable? Le problème repose dans la question, et non la réponse. La question ne visait pas spécifiquement le Programme des aides familiaux résidants.

IV.  Les questions certifiées

[16]  L’avocat de Mme Go a proposé les deux questions suivantes aux fins de certification :

[17]  Le ministre s’oppose à la certification, essentiellement parce que la question doit être déterminante de l’appel et qu’elle n’est pas de portée générale puisque la disposition du Règlement en cause a été abrogée. Même s’il peut y avoir quelques cas transitoires, il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale.

[18]  Je suis aussi de cet avis et je ne certifierai pas les questions soumises.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1296‑18

LA COUR ORDONNE, pour les motifs susmentionnés, que l’affaire soit renvoyée à un autre commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen.

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de décembre 2018.

Claude Leclerc, traducteur



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