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Date : 20181211


Dossier : IMM‑412‑18

Référence : 2018 CF 1243

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

JULIA ONYEBUCHI ONYEME

IFEOMA EMMANUELLA ONYEME

CHUKWUIKE JOSHUA ONYEME

IFEANYI ELIZABETH ONYEME

IFEAKACHUKWU EMELDA‑MARY ONYEME

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR] en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 8 janvier 2018 d’un membre de la Section d’appel des réfugiés (SAR) [la décision de la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a refusé la demande d’asile des demandeurs.

II.  LE CONTEXTE

[2]  Julia Onyebuchi Onyeme [la demanderesse principale] et ses quatre enfants [les demandeurs d’âge mineur] sont citoyens du Nigéria. Les demandeurs ont quitté ce pays et se sont rendus au Canada en 2016.

[3]  La demanderesse principale soutient que la famille de son époux l’a accusée de sorcellerie et, de ce fait, allègue‑t‑elle, cette dernière a exigé que ses filles et elle subissent une mutilation génitale féminine [MGF] ainsi que d’autres rites de purification. La demanderesse principale a refusé que ses filles et elle s’y soumettent. Elle prétend donc que la famille de son époux souhaite la tuer et forcer ses filles à subir une MGF.

[4]  La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs le 3 mai 2017. Elle a décidé qu’il existait au Nigéria, à Port Harcourt, une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable. Elle a pris acte de la criminalité et du militantisme qui régnaient à Port Harcourt en général, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves que les demandeurs seraient expressément ciblés.

[5]  Même si la présence d’une PRI viable était déterminante, la SPR a également traité de la demande d’asile du fils de la demanderesse principale. Étant donné que la demande d’asile des demandeurs était axée sur la MGF et que la demanderesse principale a déclaré que l’on ne ferait aucun mal à son fils au Nigéria, la demande d’asile de ce dernier a été rejetée, même en l’absence d’une PRI viable.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[6]  La SAR a rejeté l’appel le 8 janvier 2018 parce que la présence d’une PRI viable était déterminante.

[7]  Les demandeurs ont présenté devant la SAR un affidavit produit par l’époux de la demanderesse principale à titre de nouvelle preuve. Ce document corroborait les prétentions des demandeurs en décrivant de quelle façon la police, les prêtres et la sœur de l’époux avaient tenté à maintes reprises de retrouver les demanderesses pour les soumettre à des rites de purification et à une MGF. De plus, il est soutenu dans l’affidavit que le fils de la demanderesse principale serait en danger s’il retournait au Nigéria.

[8]  Les demandeurs ont demandé que la SAR tienne une audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR. La SAR a conclu que même si la nouvelle preuve était admissible, il n’était pas justifié de tenir une audience parce que cette preuve n’était pas essentielle pour la prise de la décision relative à la demande d’asile des demandeurs. De plus, elle a conclu que cette nouvelle preuve, même si elle l’acceptait, ne justifierait pas que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

[9]  La SAR a ensuite évalué la décision de la SPR selon laquelle le fils de la demanderesse principale ne risquait pas d’être persécuté au Nigéria. Elle a confirmé la décision de la SPR, qui était fondée sur le témoignage de la demanderesse principale selon lequel son fils ne courrait aucun danger au Nigéria. De plus, elle a conclu que le fils disposait aussi d’une PRI viable à Port Harcourt, avec le reste de sa famille.

[10]  Enfin, la SAR a jugé que la SPR avait conclu avec raison qu’il existait une PRI viable à Port Harcourt pour la demanderesse principale et ses filles. Elle a jugé que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de prouver qu’il y avait une possibilité raisonnable ou sérieuse qu’ils soient persécutés dans la région de Port Harcourt. Pour arriver à cette conclusion, elle a pris en considération l’emplacement des personnes accusées de prendre les demandeurs pour cible. Elle a également pris en compte l’argument selon laquelle la nature du travail que la demanderesse principale accomplissait dans des hôpitaux l’exposerait à ses agents de persécution. Enfin, elle a tenu compte du fait que l’un des présumés agents de persécution voyageait dans tout le pays pour affaires. Aucun de ces facteurs ne l’a amenée à conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait une possibilité sérieuse que les demandeurs soient victimes de persécution à Port Harcourt.

[11]  La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il était possible que la demanderesse principale et son époux refusent que leurs filles soient soumises à une MGF. Pour arriver à cette conclusion, la SAR a pris en compte des preuves documentaires portant sur la MGF forcée, ainsi que de l’existence d’une protection de l’État efficace. De plus, elle a jugé qu’il n’y avait pas assez de preuves pour conclure que le fait de refuser de se soumettre à une MGF entraînerait la mort de l’une quelconque des demanderesses.

[12]  Selon la SAR, il ne serait pas déraisonnable que les demandeurs se réinstallent à l’endroit considéré comme une PRI. Elle a jugé que, pour ces derniers, il serait difficile, mais non déraisonnable, de s’établir à Port Harcourt. Pour arriver à cette conclusion, elle a pris en compte les circonstances personnelles des demandeurs ainsi que la situation à Port Harcourt sur le plan de la sécurité. Elle a conclu que l’existence d’une PRI viable était déterminante quant à l’issue de l’appel.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  • 1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • 2) Une audience était‑elle nécessaire?

  • 3) La décision est‑elle raisonnable?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[14]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a décrété qu’il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une analyse de la norme de contrôle applicable. Lorsque la question de la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière dont la cour de révision est saisie est réglée de manière satisfaisante par la jurisprudence, la cour peut faire sienne cette norme‑là. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble être incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour se doit de procéder à un examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle à appliquer : Agraira c Canada (Santé publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 48.

[15]  La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAR de ne pas tenir une audience est la norme de la décision raisonnable (Tchangoue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 334, au par. 12). La norme de la décision raisonnable s’applique également aux décisions que rend la SAR sur les questions mixtes de fait et de droit, comme l’existence d’une PRI viable (Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385, au par. 19 [Olalere]).

[16]  Lors du contrôle d’une décision en fonction de la norme du caractère raisonnable, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au par. 47, ainsi que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[17]  Pour ce qui est de la présente demande de contrôle judiciaire, les dispositions législatives de la LIPR qui s’appliquent sont les suivantes :

Éléments de preuve admissibles

 

Evidence that may be presented

 

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

 

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

 

Audience

Hearing

110(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

 

110(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

 

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

 

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

 

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re‑determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

VII.  LES ARGUMENTS DES PARTIES

A.  Les demandeurs

[18]  Selon les demandeurs, la SAR a commis deux erreurs importantes qui font que sa décision est déraisonnable : premièrement, en refusant de tenir une audience, et, deuxièmement, en décidant qu’il existe pour les demandeurs une PRI viable.

[19]  Les demandeurs soutiennent que la nouvelle preuve qu’ils ont soumise à la SAR était essentielle pour la prise de la décision relative à leur demande d’asile. Elle aurait donc dû tenir une audience. Ils font valoir que le refus de la SAR de tenir une audience était déraisonnable et qu’elle n’a pas expliqué cette décision de manière suffisante.

[20]  Les demandeurs disent également que la SAR n’a pas procédé convenablement à l’analyse à deux volets qui est décrite dans la décision Siddique c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 992 [Siddique] pour ce qui est d’une PRI viable. Plus précisément, affirment‑ils, la SAR a omis d’évaluer la crainte subjective qu’ont les demandeurs de vivre à Port Harcourt, de même que la preuve objective concernant le militantisme dans la région. De plus, la SAR a omis d’évaluer convenablement les éléments de preuve concernant le caractère raisonnable de leur réinstallation au lieu qui constitue une PRI.

[21]  Le premier volet du critère énoncé dans la décision Siddique oblige à examiner le risque que présente pour la vie des demandeurs la capacité des présumés agents de persécution de les retrouver à Port Harcourt. Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas examiné convenablement la capacité qu’ont les présumés agents de persécution de les retrouver. La SAR avait besoin d’une preuve définitive qu’il était possible de retrouver les demandeurs à Port Harcourt, plutôt qu’une preuve fondée sur la prépondérance des probabilités.

[22]  Les demandeurs soutiennent en outre que la SAR a omis d’examiner convenablement le second volet du critère énoncé dans la décision Siddique. À leur avis, le coût des logements à Port Harcourt et le manque de services sociaux font en sorte que cette ville constitue une PRI déraisonnable. La SAR n’a pas tenu dûment compte de ces facteurs.

[23]  Les demandeurs allèguent également que la SAR n’a pas pris en compte le témoignage de la demanderesse principale selon lequel, en raison du militantisme qui y a cours, Port Harcourt est une PRI déraisonnable. Ils soutiennent qu’une preuve objective montre l’insécurité qui règne dans la région.

[24]  Les demandeurs disent avoir réfuté la décision de la SAR selon laquelle il est possible qu’au Nigéria des parents refusent que leurs filles subissent une MGF. Cette conclusion découle d’un [traduction« paradigme occidental ». Selon eux, un examen approprié de la question, considéré sous l’angle culturel et social approprié, amène à conclure que les parents ne peuvent pas toujours refuser simplement cette intervention. De plus, d’après eux, la SAR a commis une erreur en concluant qu’il existe au Nigéria une protection de l’État efficace contre la MGF forcée.

[25]  La SAR a également omis d’examiner convenablement la preuve objective concernant le risque que courent au Nigéria les personnes accusées de sorcellerie.

[26]  Enfin, les demandeurs sont d’avis que la SAR a omis d’évaluer le rapport du psychothérapeute qu’ils ont produit.

B.  Le défendeur

[27]  Selon le défendeur, la SAR a expliqué de manière claire et intelligible que la nouvelle preuve ne traitait pas de la question essentielle, soit l’existence d’une PRI viable à Port Harcourt.

[28]  Le défendeur indique que la décision de la SAR selon laquelle il existe une PRI viable était raisonnable et fondée sur tous les éléments de preuve pertinents. En fait, la SAR n’avait pas besoin d’une preuve définitive qu’il était possible de retrouver les demandeurs. Elle a plutôt procédé à cette analyse en se fondant sur la prépondérance des probabilités.

[29]  De plus, la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que le militantisme qui avait cours dans la région ne rendait pas la PRI déraisonnable. Cette conclusion reposait sur l’analyse que la SAR avait faite de la preuve documentaire.

[30]  Le défendeur allègue que la SAR a aussi évalué convenablement les éléments de preuve pertinents quant à la capacité des parents de refuser que leurs filles subissent une MGF. La conclusion de la SAR sur cette question repose sur des éléments de preuve objectifs plutôt que sur une vision du monde occidental. Dans le même ordre d’idées, il allègue que l’analyse que la SAR a effectuée n’a pas fait abstraction de façon injustifiée du risque que courent les personnes accusées de sorcellerie.

[31]  Le défendeur dit que la SAR n’a fait abstraction d’aucun élément de preuve important. Les circonstances précises des demandeurs et les caractéristiques de Port Harcourt, par exemple, ont été prises en compte dans l’analyse relative à la PRI. De la même façon, il soutient que la SAR a bel et bien pris en compte le rapport du psychothérapeute et qu’elle y a fait explicitement référence dans sa décision.

VIII.  AnalysE

[32]  Les demandeurs soulèvent une foule de questions et formulent des affirmations qu’une simple lecture de la décision n’étaye pas. J’analyserai chacune d’elles à tour de rôle.

A.  L’omission de tenir une audience

[33]  Les demandeurs se plaignent que la SPR [traduction« n’établit pas un motif rationnel pour conclure que l’affidavit de M. Onyeme n’est pas un aspect essentiel de la demande d’asile des demandeurs ». Cela veut dire, disent‑ils que le [traduction« raisonnement et l’analyse de [la SAR] au sujet du nouvel affidavit de M. Onyeme sont donc intelligibles [sic] et confus ». Je suis d’avis que les demandeurs veulent dire qu’ils sont « inintelligibles ».

[34]  La SAR analyse de manière très détaillée l’affidavit de M. Onyeme et explique ensuite, de manière claire et raisonnable, pourquoi ce document n’est pas essentiel pour la prise de la [traduction] « décision relative à la demande d’asile et, si ce document était admis, il ne justifierait pas que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas »:

[12]  L’affidavit présenté comme nouvel élément de preuve est postérieur au rejet de la demande d’asile. Il y est également indiqué que Mme Uwa a fait appel à la police pour trouver les appelantes, et que la police a agressé M. Onyeme. L’explication de Mme Onyeme vise à faire des ajouts aux observations et au témoignage quant au risque auquel est exposé Joshua ainsi qu’à la sécurité et au caractère raisonnable de la PRI, qui ont été faits ou auraient pu être faits avant que la SPR ne rende sa décision, et ceux‑ci ne sont pas admis en preuve.

[13]  J’ai examiné soigneusement ce nouvel affidavit et je conclus qu’il est pertinent en ce qui concerne la crainte exprimée et le fait que la famille de M. Onyeme était à la recherche des appelants pour leur causer un préjudice. Pour ce motif, je conclus qu’il est nouveau quant aux critères énoncés au paragraphe 110(4) et qu’il remplit les critères établis dans l’arrêt Singh.

Demande d’audience

[14]  La SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(3) qui, à la fois, soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause, sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile, et, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

[15]  Dans la présente affaire, j’estime que le document susmentionné est admissible, mais il n’est pas essentiel pour la prise de la décision relative à la demande d’asile, et, à supposer qu’il soit admis, il ne justifierait pas que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. La SPR a accepté les allégations de menaces de la part des membres de la famille des appelants, sous réserve de préoccupations importantes sur le plan de la crédibilité, mais elle a conclu qu’ils seraient en sécurité à Port Harcourt. Je ne peux donc pas tenir d’audience en me fondant sur les éléments de preuve concernant la prétendue menace à Lagos et je rejette la demande.

[Non souligné dans l’original, renvois omis.]

[35]  Les demandeurs se trompent tout simplement sur ce que dit clairement la décision de la SAR ainsi que sur la manière dont celle‑ci traite le nouvel affidavit. Les menaces mentionnées dans ce document peuvent, en un sens, être essentielles à la demande d’asile, mais la SPR les a admises. Il se trouve que l’affidavit « n’est pas essentiel pour la prise de la décision », qui est fondée sur une PRI viable à Port Harcourt. Il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle sur ce point.

B.  L’analyse de la crainte subjective et de la PRI

[36]  Les demandeurs formulent les affirmations suivantes :

[traduction]

20.  En l’espèce, le tribunal a omis de procéder à une analyse approfondie de la crainte subjective des demandeurs, fondant ainsi sur des motifs arbitraires et fantaisistes sa conclusion selon laquelle il existe une PRI.

21.  Comme les demandeurs ont déclaré que Port Harcourt n’était pas une PRI raisonnable pour un certain nombre de raisons, le tribunal aurait dû prendre en compte le témoignage des demandeurs sur la question et procéder à une analyse approfondie de leur crainte subjective.

[37]  Les demandeurs semblent laisser entendre ici que, dans une analyse de la PRI, c’est leur crainte subjective qui doit prévaloir. Toutefois, les principes qui régissent une telle analyse sont énoncés dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Emploi et Immigration), [1992] 1 CF 706, à la p. 711 (CAF). Les demandeurs sont tenus de montrer qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution à l’endroit qui offrirait une PRI et que les conditions qui y règnent ne feraient pas en sorte qu’il serait déraisonnable d’y trouver refuge.

[38]  Dans la décision Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] 1 CF 589, le juge Linden a déclaré (au par. 14) :

En conclusion, il ne s’agit pas de savoir si l’autre partie du pays plaît ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s’attendre à ce qu’il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d’aller chercher refuge dans un autre pays à l’autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j’ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s’il n’est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d’obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.

[39]  Comme la décision de la SAR l’indique clairement, la SPR n’effectue pas en fait une [traduction« analyse approfondie » fondée sur la jurisprudence applicable. Il n’y a rien d’[traduction« arbitraire » ou de [traduction« fantaisiste » à propos des motifs que la SAR a invoqués pour conclure que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Port Harcourt.

C.  L’analyse de la PRI

(1)  Le premier volet

[40]  Pour ce qui est du premier volet du critère relatif à la PRI, les demandeurs disent que la SAR [traduction« a omis de prendre dûment compte la preuve que la demanderesse principale a produite au sujet de la menace à sa vie et à celle des demandeurs d’âge mineur, ainsi que la capacité de leur agent de persécution de les repérer à Port Harcourt, l’endroit où se situe la PRI ». Pour ce qui est des détails, les demandeurs soulèvent les points suivants :

a)  Ibadan

[41]  La demanderesse principale dit que quand elle a témoigné devant la SAI au sujet de la manière dont sa belle‑sœur pouvait la retrouver [traduction« elle faisait référence au fait que l’agent de persécution pouvait facilement la repérer à Ibadan ». Cependant, s’il s’agissait là d’une erreur, les demandeurs n’expliquent pas en quoi cette erreur mine l’évaluation de la PRI à Port Harcourt. À mon avis, cela n’a, en fait, absolument rien à voir avec cette analyse.

b)  L’obligation de fournir une preuve définitive

[42]  Les demandeurs formulent la plainte suivante :

[traduction

27.  Le tribunal a mis l’accent sur une présumée limite de la capacité de l’agent de persécution des demandeurs de les repérer parce que ces derniers n’avaient pas fourni au tribunal une preuve importante pour établir leur influence.

28.  Il est allégué que le tribunal, en tirant la conclusion, semble laisser entendre que l’appelante doit fournir une preuve définitive de l’influence de son agent de persécution pour ce qui est de la capacité de les retrouver à l’endroit considéré comme une PRI. Le tribunal a soumis l’appelante à une norme de preuve plus stricte, qui exigeait qu’elle fournisse une preuve de la capacité de leur agent de persécution de les repérer à l’endroit considéré comme une PRI ou à Port Harcourt : la prépondérance des probabilités.

[…]

30.  Le tribunal a soumis les demandeurs à un critère plus strict en exigeant qu’ils montrent que [l’agent de persécution] serait capable de les repérer à l’endroit considéré comme une PRI, et sa décision ultérieure, à savoir qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse de persécution des demandeurs, est une erreur.

[43]  Nulle part dans sa décision la SAR soumet‑elle les demandeurs à un [traduction« critère plus strict » ou n’exige‑t‑elle une [traduction« preuve définitive ». La SAR indique très clairement dans sa décision quel est le fardeau de preuve. En voici quelques exemples :

[22]  Pour déterminer s’il existe une PRI viable, j’ai tenu compte du critère à deux volets énoncé dans les arrêts Rasaratnam et Thirunavukkarasu de la Cour d’appel fédérale. Les critères pour établir l’existence d’une PRI ont été examinés, et les observations à propos de la capacité de la belle‑sœur de l’appelante principale à trouver les appelants et à les persécuter là‑bas ont été prises en compte. Il incombe aux appelants de prouver qu’ils sont exposés à une possibilité sérieuse ou raisonnable d’être persécutés dans l’ensemble du pays et plus particulièrement dans la région qui pourrait servir de PRI. La PRI doit également être raisonnable dans la circonstance pour les appelants. Pour les motifs suivants, ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau, et Port Harcourt constituerait une PRI appropriée pour ces appelants.

[…]

[24]  Les appelants soutiennent que la SPR a commis une erreur en ne concluant pas que Mme Onyeme, qui travaille dans un hôpital, serait facilement repérée par Mme Uwa ou une connaissance commune. Mme Uwa vend de la farine de manioc dans différents États. Cet argument présuppose que le fait de se trouver dans le même État équivaut à se faire repérer par l’agent du préjudice, et je ne peux pas être d’accord, en particulier étant donné que l’appelante doit établir cette probabilité selon la prépondérance des probabilités. Bien que l’appelante ne soit pas limitée à travailler dans un hôpital à Port Harcourt, elle affirme que des personnes non identifiées l’y retrouveraient par des moyens inexpliqués.

[25]  Aucun élément de preuve n’a été présenté quant à l’influence des agents de persécution à Port Harcourt ou à l’extérieur de cette ville. Seule Mme Uwa et un oncle, Michael, ont été mentionnés dans l’exposé circonstancié des appelants. Aucun élément de preuve ne porte à croire que les membres de la famille Onyeme sont liés à un groupe qui a les moyens et la capacité de chercher et de trouver les appelants, ou qu’ils sauraient où les appelants auraient déménagé, et il n’y a pas le moindre lien entre le domaine de travail de l’appelante et celui de sa belle‑sœur qu’elle craint. Le témoignage ne comporte aucune mention d’une capacité de la famille de l’appelante principale de les chercher. M. Onyeme ne s’est pas senti menacé au point où il a ressenti le besoin de déménager de Lagos, où il prétend que sa famille a fait des menaces, ni n’a signalé d’incidents de corruption de la police à des autorités supérieures. Tout ce qui subsiste est l’affirmation crédible selon laquelle Mme Uwa peut se trouver dans le même État en même temps que les appelants parce qu’elle voyage pour son entreprise de vente de cassava, et cette seule affirmation en soi ne peut pas servir de fondement à une conclusion selon laquelle les agents du préjudice trouveront les appelants et ceux‑ci sont donc exposés à une possibilité sérieuse d’être persécutés pour les motifs invoqués.

[26]  La SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que les appelants soient persécutés dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI. La SAR estime que les appelantes mineures ne risqueront pas sérieusement de subir une MGF à Port Harcourt, et que Mme Onyeme et Emmanuella ne seront pas exposées à une possibilité sérieuse d’être soumises de force à des rituels de purification parce qu’elles sont soupçonnées de sorcellerie si elles y déménagent.

[Renvois omis]

c)  L’omission de prendre en compte les militants

[44]  Les demandeurs disent ce qui suit :

[traduction

31.  De plus, le tribunal n’a pas pris en compte le témoignage de la demanderesse principale au sujet de la raison pour laquelle elle ne pouvait pas se réinstaller à Port Harcourt, ce qui, essentiellement, mettrait sa vie en danger. La demanderesse principale a répondu qu’elle ne pouvait pas se réinstaller à Port Harcourt à cause des agissements des militants à cet endroit.

[…]

33.  Le tribunal a fait abstraction du témoignage de la demanderesse principale à propos de son incapacité à se réinstaller à Port Harcourt en raison du degré d’insécurité qui règne à cet endroit, et il s’agit là d’une omission.

[45]  Comme l’illustre la décision de la SAR, cette question a été examinée en détail :

[42]  Mme  Onyeme a également déclaré ne pas pouvoir vivre à Port Harcourt en raison notamment du radicalisme qui y sévit. La SPR a estimé que le prétendu caractère déraisonnable relatif au radicalisme dans la capitale était fondé sur des conjectures. La preuve sur les conditions dans le pays en ce qui a trait à la hausse du nombre d’enlèvements partout au pays en 2011 de la part de gangs pour obtenir un gain financier, particulièrement à Lagos, où les appelants ont vécu pendant un certain temps, est le seul argument invoqué en appel à cet égard.

[43]  Les appelants attirent l’attention sur une RDI de 2014 selon laquelle les enlèvements avec demande de rançon sont devenus « changeants, diffus, imprévisibles et répandus dans le Sud du Nigéria ». Des rapports décrivent le crime comme « opportuniste » et indiquent que les enlèvements sont commis par des organisations criminelles en vue d’obtenir une rançon et un gain financier. Les principales cibles des enlèvements sont les personnalités politiques, les personnes nanties et les étrangers, bien qu’il y ait eu une hausse du nombre de Nigérians issus de la « classe moyenne » ciblés en 2013, en particulier à Lagos. Les personnes prises pour cible en vue d’un enlèvement avec demande de rançon comprennent : les Nigérians connus et les membres de leur famille; les ressortissants étrangers; les familles nanties ou les « cibles perçues comme ayant une grande valeur »; les politiciens et les membres de leur famille; les représentants du gouvernement; les proches de personnes célèbres; les étrangers du milieu des affaires ou les employés d’entreprises « influentes »; les médecins, les enseignants, les résidents étrangers; les chefs religieux. Des sources signalent que les travailleurs de l’industrie du pétrole et du gaz de la région du delta du Niger sont la principale cible de tels enlèvements, en particulier les expatriés travaillant dans l’industrie du pétrole. Étant donné que les appelants retourneraient à Port Harcourt, et non à Lagos, et qu’ils n’ont pas le profil des personnes les plus à risque d’être enlevées, la SAR estime qu’ils n’ont pas établi que la PRI n’est pas raisonnable dans leurs circonstances particulières.

[Renvois omis]

d)  L’omission de prendre en compte les éléments de preuve objectifs

[46]  Les demandeurs se plaignent que la SAR a omis de prendre en compte des [traduction« éléments de preuve objectifs à l’appui du témoignage de la demanderesse principale quant aux activités menées dans le delta du Niger […] ». Cependant, la SAR analyse en détail le rapport sur lequel les demandeurs se sont fondés. Voir le paragraphe 43 de la décision de la SAR, cité plus tôt. Les demandeurs n’affirment pas qu’il y a dans cette analyse des éléments lacunaires ou déraisonnables.

e)  La MGF

[47]  Les demandeurs disent que la SAR a négligé de prendre en compte de preuves que la MGF [traduction« pourrait quand même être pratiquée si la famille du père y est favorable ». Il n’a pas été fait abstraction de cette preuve. La SAR reconnaît précisément (au par. 28) que [traduction« [...] le conseil des appelants souligne une preuve [le cartable national de documentation] et un témoignage qui ne corroborent pas son affirmation selon laquelle il y a un risque de MGF quand les deux parents s’y opposent. »

[48]  La SAR analyse ensuite en détail ce que révèle la documentation sur cette question et elle arrive aux conclusions suivantes :

[33]  Reconnaissant que, selon la région et les pratiques culturelles, les rituels de purification peuvent comprendre l’excision, je souligne que la majorité des sources dans la preuve documentaire indiquent que les conséquences du refus de la MGF traditionnelle se limiteraient à l’ostracisme et à la pression des pairs. Je n’ai relevé aucune mention dans la preuve documentaire accessible selon laquelle des fillettes sont enlevées de force pour subir une MGF dans les cas où les deux parents refusent. En outre, Mme Onyeme décrit qu’elle et Emmanuella sont recherchées parce qu’elles doivent subir une MGF comme rituel de purification parce qu’elles ont été accusées de sorcellerie. Mme Onyeme n’a cependant subi aucun préjudice grave depuis son accusation en octobre 1993 ou après le décès de ses beaux‑parents en 2011 et en 2016, bien qu’elle ait été accessible à ses deux oncles et à la famille de son époux à Lagos. Elle a déclaré que Mme Uwa était venue se disputer avec elle à plusieurs reprises au fil des ans, mais elle ne croyait pas que sa vie était menacée pour ce motif et elle ne mentionne pas une telle crainte pour sa fille.

[34]  L’information et les conseils sur le pays du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni indiquent que, en général, l’État offre une protection efficace contre les MGF forcées et que les lois sont plus facilement appliquées dans les zones urbaines. Dans l’État de Rivers, il est signalé dans une étude sur la démographie et la santé que 13 p. 100 des femmes ont subi une forme de MGF, après l’adoption de la loi sur l’excision (Female Circumcision Law) de 2001. L’étude indique aussi que parmi les femmes ijaw au Nigéria, âgées entre 15 et 49 ans, 11 p. 100 avaient subi la pratique. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que, comme les deux parents s’opposent à la MGF et étant donné qu’il est plus fréquent que le contraire pour les femmes et les jeunes filles ijaw et celles vivant à Port Harcourt de ne pas être impliquées dans la procédure, il y a moins qu’une simple possibilité que cela ne se produise au retour des appelants. En outre, il n’y a aucun élément de preuve crédible selon lequel un membre de la famille serait assassiné par suite du refus. Je ne trouve aucun élément de preuve indépendant pour corroborer cette allégation.

[Renvois omis]

f)  Les perspectives culturelles

[49]  Les demandeurs se plaignent de plus que le [traduction« tribunal n’a pas considéré le témoignage de la demanderesse principale selon son point de vue culturel et social » et qu’il a [traduction] « considéré son témoignage sous l’angle du paradigme occidental ». En outre, disent‑ils [traduction] « le tribunal, à l’instar de la SPR, a imposé des notions, une logique et une expérience occidentales sans tenir compte du contexte sociopolitique et culturel, fondé sur le contexte particulier des demandeurs ».

[50]  Cette simple affirmation n’est pas corroborée par les demandeurs, et il ressort d’une lecture de la décision de la SAR que celle‑ci s’est clairement fondée sur une preuve documentaire objective qui contredit les croyances et les affirmations des demandeurs. Rien ne donne à penser que l’on s’est fondé sur des paradigmes occidentaux.

g)  L’affidavit de l’époux

[51]  Les demandeurs allèguent que l’affidavit de l’époux de la demanderesse principale (qui dit que la vie de leur fils serait en danger) et le [traduction« contenu de l’affidavit de la demanderesse principale » ont été pris hors contexte [traduction« afin de conclure que les demandeurs n’étaient pas dignes de foi ».

[52]  La décision de la SAR repose sur la preuve objective de l’existence d’une PRI viable. Elle ne repose pas sur des questions de crédibilité, et les demandeurs n’expliquent pas en quoi n’importe quelle erreur alléguée au sujet de la teneur des affidavits aurait pu changer l’issue de leur appel devant la SAR.

h)  L’examen du passé

[53]  Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur parce que [traduction« étant donné [qu’ils] n’ont subi aucun préjudice dans le passé, elle a inféré qu’ils n’en subiraient aucun ». Les demandeurs font remarquer que [traduction« la question n’est pas de savoir si le demandeur avait des motifs valables de craindre d’être persécuté dans le passé, mais si, à l’époque où la demande d’asile a été évaluée, il avait de bonnes raisons de craindre d’être persécuté dans l’avenir ». Autrement dit, les demandeurs disent que la SAR s’est concentrée déraisonnablement sur la persécution antérieure des demandeurs, alors qu’elle aurait dû se concentrer sur leur crainte future.

[54]  Pour évaluer le risque futur, il fallait examiner le conflit familial antérieur, de pair avec toute autre preuve de risque futur. C’est ce qui ressort clairement du raisonnement de la SAR, qui traite du risque futur dans le contexte de l’analyse de la PRI.

i)  Les accusations de sorcellerie

[55]  Les demandeurs sont d’avis que [traduction« le tribunal a omis d’examiner convenablement les preuves concernant le risque que courent les personnes accusées de sorcellerie, ce qui inclut la mort ». Ils soutiennent également qu’en concluant qu’ils ne feraient face qu’à de l’ostracisme pour ne pas avoir permis que leur fille subisse une MGF, la SAR a fait abstraction de la preuve qu’ils pourraient être tués.

[56]  Là encore, ces simples affirmations sont contredites par l’analyse complète qui est faite sur la question dans la décision de la SAR :

[28]  Le conseil des appelants attire l’attention sur des éléments de preuve et un témoignage qui ne corroborent pas son affirmation selon laquelle il y a un risque de MGF lorsque les deux parents la refusent. Les documents contenus dans le cartable national de documentation (CND) mentionnés dans le cadre de l’appel traitent d’une situation où seule la mère s’oppose à la MGF et de statistiques sur la prévalence. Le témoignage cité confirme que les deux parents ne consentent pas à ce que leurs filles subissent une MGF et traite vaguement des croyances de la famille de Mme Onyeme dans la pratique des MGF comme tradition.

[29]  Lorsqu’elle a été questionnée par son conseil à l’audience de la SPR à propos de la documentation contenue dans le CND, Mme Onyeme a précisé que, en guise de conséquence engendrée par le refus des deux parents de soumettre leurs filles à une MGF, [traduction] "le dieu" leur jettera un mauvais sort ainsi qu’aux générations futures. Elle croit que cela s’est produit, comme en témoigne la baisse des activités commerciales de son époux. J’estime que ce témoignage et le nouvel élément de preuve de la part de M. Onyeme selon lequel il y a eu une tentative d’enlèvement des appelantes pour les forcer à subir une MGF ne cadrent pas avec les craintes exprimées d’être assassinées parce qu’elles n’ont pas subi de MGF en guise de rituel de purification.

[30]  La SPR a conclu, et je suis d’accord, que la famille est en droit de simplement refuser que Mme Onyeme et ses filles ne subissent une MGF sans encourir les graves conséquences mentionnées. L’appelante principale a déclaré qu’elle et son époux sont tous les deux contre la pratique de la MGF et qu’ils l’ont refusée, et qu’ils ont donc été maudits. Son témoignage comporte une variante, à savoir que, en raison de leurs traditions familiales, leurs filles seront forcées de subir une MGF et qu’elles seront toutes assassinées. Emmanuella a déclaré comprendre qu’elle a quitté le Nigéria parce qu’elle sera assassinée étant donné qu’elle n’a pas subi de MGF. Je partage la conclusion de la SPR, à savoir que ce témoignage est fondé sur des conjectures et qu’il n’est pas corroboré par la preuve objective.

[31]  Selon une réponse à une demande d’information (RDI) sur la question visant à savoir si des parents peuvent refuser que leur fille subisse une MGF, plusieurs sources ont souligné que les parents peuvent refuser que leur fille subisse une MGF, surtout lorsque les deux sont d’accord, et que « "personne n’entrera dans la maison de quelqu’un d’autre" pour procéder à la mutilation des organes génitaux des filles qui y habitent, et que "les parents sont libres de refuser" », car ce sont les parents qui sont responsables de cette pratique. Bien que ce document indique que certains couples moins instruits se soumettront à l’autorité de la famille élargie, cela n’est pas pertinent dans les circonstances actuelles, car les appelants adultes sont tous les deux instruits et indépendants et ils ont refusé la pratique au fil du temps, après s’être également mariés dans le contexte d’une forte opposition familiale.

[32]  Il est également mentionné dans un deuxième document contenu dans le CND, qui traite des conséquences du refus de se soumettre à cette pratique, que, si les époux appuient leur épouse, une femme n’est pas forcée de subir une MGF. Une troisième source, organisation non gouvernementale de défense des droits des femmes, précise que, même si des rituels de purification étaient effectivement pratiqués, en particulier dans les régions rurales du Sud du Nigéria, pour les femmes, les rites de purification constituent des rites qui doivent être accomplis avant le mariage, et qu’il est « extrêmement rare » que l’excision fasse partie des rituels de purification. Des femmes, surtout des veuves plus âgées, peuvent, dans certains groupes ethniques, particulièrement dans les régions rurales, être accusées de sorcellerie lorsque surviennent des décès inexpliqués. Elles peuvent alors être expulsées de leur village et de leur communauté, être exclues ou forcées de vivre dans l’isolement, et, dans des cas extrêmes, être assassinées.

[Renvois omis]

j)  Les preuves contraires

[57]  Les demandeurs font référence à diverses sources objectives qui, disent‑elles, n’ont pas été prises en compte au moment d’évaluer la protection de l’État contre la MGF forcée. Cependant, comme le montrent les paragraphes précités, les problèmes généraux sont constatés, mais on aurait préféré des preuves plus précises. Rien n’indique que des preuves contraires ont été négligées ou que l’on se soit fondé de manière sélective sur ces preuves.

(2)  Le second volet

[58]  En ce qui concerne le second volet du critère relatif à la PRI, les demandeurs disent que le [traduction« tribunal a omis de considérer convenablement la preuve de la demanderesse principale au sujet du caractère raisonnable d’une réinstallation à l’endroit considéré comme une PRI » et que le [traduction] « tribunal n’a pas examiné de manière holistique les détails contenus dans le Cartable national de documentation concernant le Nigéria et Port Harcourt, comme cela a été fait devant la SPR, où la demanderesse principale a témoigné à l’audience ».

[59]  Les demandeurs soulignent précisément des informations selon lesquelles [traduction« les logements coûtent cher à Port Harcourts » et [traduction« il n’y a pas de services sociaux d’établis ». Dans l’ensemble, ils disent que le caractère raisonnable de la réinstallation n’a pas été [traduction« examiné de manière holistique » et que la SAR n’a pas [traduction« évalué les variables qui jouent contre les demandeurs s’ils sont tenus de se réinstaller à Port Harcourt […] ».

[60]  Les demandeurs peuvent ne pas être d’accord avec les conclusions de la SAR, mais la décision de cette dernière révèle qu’elle a pris acte des facteurs qui, d’après les demandeurs, ont été négligés et qu’elle y a accordé une attention particulière. Par exemple, la SAR a traité du coût des logements en ces termes :

[38]  D’après le témoignage de l’appelante selon lequel les affaires de son époux ont connu un déclin, son conseil lui a demandé si M. Onyeme et elle auraient les moyens de louer une maison s’ils déménageaient à Port Harcourt. Elle a simplement répondu [traduction] « non ». Mme Onyeme a clairement affirmé ne pas pouvoir vivre à Port Harcourt notamment parce qu’elle n’a personne pour les héberger, elle et ses enfants, et que le logement est cher. Compte tenu des voyages récents à l’étranger, soit en Afrique, en Europe et au Canada, de la décision d’envoyer certains de ses enfants à l’école privée et des perspectives d’emploi de Mme Onyeme et de son époux susmentionnées, j’estime qu’il n’a pas été démontré que le coût financier du déménagement était déraisonnable dans les circonstances.

[39]  Il faut « placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. » Bien que je sois consciente du fait que le déménagement est difficile en soi, les appelants n’ont pas fourni de tels éléments de preuve.

[Renvois omis]

[61]  Les demandeurs n’ont pas montré que cette analyse était déraisonnable.

(3)  Le rapport du psychothérapeute

[62]  Enfin, les demandeurs se plaignent que la SAR, en évaluant le caractère raisonnable d’une PRI à Port Harcourt, [traduction« a omis de prendre en considération le rapport du psychothérapeute de la demanderesse principale et il s’agit là d’une omission considérable ».

[63]  Cette « omission considérable » est en fait précisément mentionnée par la SAR, qui a tenu compte de ce que dit le rapport :

[35]  La situation dans la partie du pays envisagée à titre de PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles particulières aux appelants, pour eux d’y chercher refuge. La SPR a conclu qu’une PRI à Port Harcourt était raisonnable d’après le profil personnel et familial de Mme Onyeme. Les motifs invoqués pour affirmer qu’elle n’était pas raisonnable n’ont pas été acceptés. Ils comprenaient le coût financier, le fait qu’ils n’étaient pas autochtones et le témoignage d’un psychothérapeute selon lequel Mme Onyeme aurait de la difficulté à retourner au Nigéria.

[36]  Je suis d’avis qu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel l’appelante principale et ses enfants vivraient séparés de son époux; au contraire, M. Onyeme a été continuellement en contact avec ses enfants, et il a affirmé récemment qu’il craint de perdre les membres de sa famille, car il les aime très profondément, alors cette réunion est supposée, comme l’a fait la SPR, dans l’analyse suivante.

[Renvois omis]

[64]  À l’audition de la présente demande, les demandeurs ont changé de position et dit que le rapport n’avait pas été examiné de manière adéquate. Le rapport du psychothérapeute énumère les symptômes que présente la demanderesse principale et indique ensuite : [traduction« [j]e crois qu’un retour au Nigéria, où Mme Onyeme et ses enfants s’exposeraient à des dangers et à des difficultés sérieuses, sera préjudiciable à eux tous. Il est manifestement dans leur intérêt de rester au Canada ». Le rapport énumère ensuite la liste des [traduction« soins médicaux et thérapeutiques » dont les demandeurs disposent au Canada.

[65]  La SPR a pris le rapport en compte et en a traité comme suit :

[traduction

Le tribunal est conscient qu’il existe dans le dossier une preuve psychologique, mais il ne conclut pas qu’à cause de cela une réinstallation serait déraisonnable pour la demandeure principale. Cette dernière a consulté un psychothérapeute agréé, qui a conclu qu’elle manifestait des symptômes concordant avec un trouble de stress post‑traumatique, un trouble anxieux général et un trouble dépressif sérieux et que ces symptômes pouvaient s’aggraver si elle retournait au Nigéria. Le psychothérapeute a signalé que la demandeure pourrait régler ses symptômes grâce à des soins médicaux et thérapeutiques et, même si ces derniers seraient potentiellement plus difficiles à obtenir au Nigéria, le tribunal ne conclut pas qu’à cause de cela sa réinstallation serait déraisonnable.

(Dossier certifié du tribunal, à la p. 400)

[66]  Les demandeurs invoquent la décision que j’ai rendue dans l’affaire Olalere, précitée, où j’ai déclaré (au par. 60) :

Il me semble qu’il sera nécessaire, dans chaque cas, d’examiner le contenu du rapport psychologique et de rechercher s’il soulève des questions qu’il y a lieu d’aborder au second volet de l’analyse relative à la PRI.

[67]  La situation dont il était question dans l’affaire Olalere est différente. Dans cette affaire, la SAR n’avait même pas tenu compte de la preuve psychologique. En l’espèce, la décision de la SAR prend en compte le rapport du psychothérapeute et en analyse la pertinence au regard du second volet de l’analyse de la PRI.

[68]  Nul ne conteste qu’il serait « au mieux des intérêts » des demandeurs qu’ils restent au Canada, comme le rapport le recommande, mais ce n’est pas la question qui est en litige en l’espèce. Le rapport ne dit pas que les demandeurs ne peuvent pas retourner au Nigéria pour des raisons d’ordre médical, et il ne traite pas de l’effet qu’aurait leur réunification avec leur époux et père. Compte tenu du fondement de la décision de la SAR et de la teneur du rapport, je ne pense pas que l’on puisse dire que la SAR a traité ce document de manière déraisonnable.

IX.  CONCLUSION

[69]  Les demandeurs sont clairement en désaccord avec la décision de la SAR et pensent que celle‑ci aurait dû leur être favorable. Un désaccord n’est pas un motif de contrôle judiciaire et les demandeurs n’ont pas corroboré les nombreuses allégations de caractère déraisonnable qu’ils soulèvent.

[70]  Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et j’y souscris.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑412‑18

LA COUR STATUE que :

  1. Le nom exact du défendeur aux termes de la loi est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et, de ce fait, l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

  2. La demande est rejetée.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de janvier 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑412‑18

 

INTITULÉ :

JULIA ONYEBUCHI ONYEME ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 OctobrE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 DÉcembrE 2018

 

COMPARUTIONS :

Dotun Davies

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

Brampton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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