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Date : 20181204


Dossier : T-990-18

Référence : 2018 CF 1211

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

STÉPHANE LANDRY

DENIS LANDRY

HUGO LANDRY (MINEUR)

MAXIME LANDRY (MINEURE)

SHANONNE LANDRY

NORMAND CORRIVEAU

NORMAND BERNARD CORRIVEAU

NICOLAS ALEXIS LELAIDIER

RÉAL GROLEAU

demandeurs

et

LE CONSEIL DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK

ET

MICHEL R. BERNARD, RENÉ MILETTE ET

LUCIEN MILLETTE, AGISSANT À TITRE DE CHEF ET CONSEILLERS AU CONSEIL DE BANDE DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Cette demande de contrôle judiciaire s’inscrit dans le cadre d’une longue et malheureuse querelle entre deux factions de la Première Nation des Abénakis de Wôlinak [la Bande] : la famille élargie des Bernard et la famille élargie des Landry.

[2]  Les demandeurs (les Landry), qui sont tous des descendants de Clothilde Metzalabanlette (1879-1944), une Abénakise ayant résidé sur la réserve de Wôlinak, et d’Antonio Landry (dont le statut sera discuté plus loin), contestent un grand nombre de résolutions, décisions et initiatives adoptées par le Conseil de Bande (contrôlé par les Bernard depuis juin 2016), ainsi que certains amendements au Code d’appartenance de la Bande adoptés lors d’une assemblée générale spéciale tenue le 16 décembre 2017. Ces mesures ont toutes comme objectif d’exclure de la Bande quelque 289 membres, dont les demandeurs. Ceux-ci demandent également que l’élection du nouveau registraire de la Bande, lequel a notamment pour mandat de mettre en œuvre l’exclusion des demandeurs, soit déclarée nulle.

[3]  Cette demande de contrôle judiciaire nécessite que soient examinés deux droits distincts dont les demandeurs s’autorisent; celui d’être inscrits sur la liste des membres de la Bande et celui d’être inscrits à titre d’Indiens au registre tenu par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien [ministre], aux termes de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 [Loi].

II.  Faits

[4]  Les demandeurs sont membres de la Bande depuis 1989 (sauf ceux qui n’étaient pas nés à l’époque et qui sont devenus membres par la suite).

[5]  Le Code d’appartenance de la Bande a été adopté en 1987, peu de temps après l’entrée en vigueur des amendements à la Loi qui redonnaient aux bandes autochtones le pouvoir de déterminer l’appartenance à leurs effectifs. Il prévoit ce qui suit à propos de la qualité requise pour devenir membre ordinaire :

art.  8 -

Peut être « membre ordinaire » :

[…]

2.  Si elle souscrit à chacune des dispositions du présent Code, la personne suivante :

a)  Tout Abénakis, descendant d’un Abénakis ayant eu domicile sur la réserve des Abénakis de Wôlinak, qui n’est pas membre d’une autre bande.

[…]

[Je souligne.]

[6]  Les motifs invoqués par les demandeurs à cette époque pour qu’on les reconnaisse comme membres de la Bande ne sont pas des plus clairs, mais la preuve démontre qu’il y en a deux :

Dans une courte lettre du 12 octobre 1989, le chef Noel St-Aubin reconnaissait « que les parents d’Antoine [Antonio] Landry, soit Joseph Landry et Vitaline Bernard, étaient Indiens »;

Clothilde Metzalabanlette (1879-1944), épouse d’Antonio Landry, est une Abénakise ayant résidé sur la réserve de Wôlinak.

[7]  Or, suite à une enquête menée par la Gendarmerie Royale du Canada [GRC] dans les années 1990, il s’est avéré que la mère d’Antonio n’était pas Vitaline Bernard, mais plutôt Marie-Adéline Hébert, la seconde épouse de Joseph Landry, une non autochtone. L’enquête a démontré que les demandeurs et autres descendants de Clothilde Metzalabanlette ont obtenu le statut d’Indien inscrit auprès du ministre sur la base d’un certificat de baptême falsifié et d’affidavits de tiers indiquant faussement que Vitaline, et non Marie-Adéline, était la mère d’Antonio.

[8]  Cette distinction est d’importance pour les demandeurs puisque l’article 6 de la Loi prévoit que les enfants d’une autochtone et d’un non-autochtone peuvent avoir le statut d’Indien, mais ils ne peuvent pas le transmettre à leurs enfants. Puisque les demandeurs sont tous les petits-enfants et arrière-petits-enfants de Clothilde et d’Antonio, le statut d’Indien d’Antonio est nécessaire pour leur conférer le statut d’Indien.

[9]  Forts du résultat de cette enquête, certains membres de la famille Bernard ont demandé au ministre de retirer aux descendants de Clothilde et d’Antonio leur statut d’Indien inscrit. Invoquant le fait qu’ils auraient également obtenu leur inscription en tant que membres de la Bande sous de fausses représentations, ils ont entrepris plusieurs initiatives afin de les faire radier de la liste des membres.

[10]  Le ministre a fait enquête et en 1994, il a informé les Landry descendants de Clothilde et d’Antonio qu’il entendait les radier du registre des Indiens. Les personnes concernées ont déposé une demande de contrôle judiciaire devant cette Cour et le 22 mars 1996, le juge Marc Nadon (alors de cette Cour) rejetait cette demande au motif que la position exprimée en 1994 par le registraire du ministre n’était pas susceptible de contrôle judiciaire. Seule une décision finale, après que les demandeurs eurent exercé leur droit de protester – recours prévu au paragraphe 14.2(1) de la Loi, serait susceptible de leur retirer le droit d’être inscrits au registre des Indiens (Yves Landry et al c Le Registraire du Registre des Indiens, Affaires indiennes et du Nord Canada et al), 118 FTR 184 (CFPI)).

[11]  Ce n’est que le 28 janvier 2011 que le registraire du ministre émet sa décision finale et confirme la radiation des descendants de Clothilde et d’Antonio du registre des Indiens.

[12]  Lors de l’élection au Conseil de Bande en novembre 2010, Denis Landry est élu chef de la Bande. Cette élection est contestée par le chef sortant Raymond Bernard, qui maintient le contrôle de facto du Conseil de Bande jusqu’à ce que la réintégration des élus soit ordonnée le 17 juin 2011 (Landry c Savard, 2011 CF 720). Denis Landry est réélu chef en juin 2012, élection qui sera également contestée sans succès (Medzalabanleth c Conseil des Abénakis de Wôlinak, 2014 CF 508), de sorte que les Landry contrôlent le Conseil de Bande jusqu’en juin 2016.

[13]  Peu avant l’ordonnance de réintégration de Denis Landry à titre de chef de Bande, Dave Bernard, alors registraire de la Bande, transmet un avis daté du 6 juin 2011 à tous les membres de la Bande les informant que le registraire du ministre avait « radié les membres de la famille Landry de la bande des Abénakis de Wôlinak ».

[14]  Le 21 juin 2011, le registraire Dave Bernard corrige le tir et avise les membres de la Bande, à juste titre, de ce qui suit :

[…]

Par la présente, je désire informer les membres de la bande que la décision du registraire des Affaires indiennes concernait le Registre des Indiens et non pas la liste de bande des Abénakis de Wôlinak. Il y a donc eu erreur, et nous nous en excusons. En effet, l’inscription au Registre des Indiens n’a aucun effet sur la qualité de membre de la bande des Abénakis de Wôlinak, puisque celle-ci contrôle l’appartenance à son effectif.

Je désire aussi confirmer qu’après avoir transmis ma lettre circulaire du 6 juin, je n’ai reçu aucune instruction de rayer de la liste de bande les personnes mentionnées dans cette lettre. Par conséquent, je n’ai pas modifié la liste de bande des Abénakis de Wôlinak et ces personnes y figurent toujours.

[15]  Les défendeurs plaident évidemment que la volte-face du registraire Bernard est due au changement de contrôle du Conseil de Bande. Peut-être, mais il n’en demeure pas moins que la position exprimée le 21 juin 2011 est conforme à la Loi et au Code d’appartenance de 1987 qui prévoit que pour être un membre ordinaire de la Bande, une personne n’a pas à être inscrite au registre des Indiens; il lui suffit d’être le descendant d’un Abénakis ayant demeuré sur la réserve, critère auquel Clothilde répond sans conteste.

[16]  Après les élections au Conseil de Bande de juin 2012, 94 membres de la famille Landry portent la décision du registraire du ministre de les radier du registre des Indiens en appel devant la Cour supérieure du Québec, recours prévu au paragraphe 14.3(5) de la Loi.

[17]  Cette procédure, qui oppose les membres de la famille Landry à la Procureure générale du Canada, se solde par un jugement de Chantal Masse, j.c.s. en date du 7 février 2017 (Landry c Procureur général du Canada (Registraire du registre des Indiens), 2017 QCCS 433 (QL)) [jugement Masse]. La juge Masse conclut que Joseph Landry était un Indien membre de la Bande, indépendamment de son mariage avec Vitaline Bernard, et que le statut d’Indien né d’un père Indien d’Antonio donne aux demandeurs le droit d’être inscrits au registre des Indiens. Elle casse la décision du 28 janvier 2011 du registraire du ministre et lui ordonne de réinscrire les demandeurs au registre des Indiens.

[18]  Le Conseil de Bande, contrôlé depuis juin 2016 par les Bernard, dépose une requête en rétractation du jugement Masse à la demande d’un tiers, mais cette démarche est abandonnée après que la juge Masse ait tenté en vain une conciliation entre les deux groupes.

[19]  Les appelants devant la Cour supérieure ont obtenu du Conseil de Bande, alors qu’il était contrôlé par les Landry, qu’il finance leur recours. Le Conseil de Bande, contrôlé depuis juin 2016 par les Bernard, a institué un recours devant la Cour supérieure du Québec en mai 2017 (dossier 400-17-004526-170), afin de recouvrer la somme de 236 547,85 $ engagée en honoraires extrajudiciaires, plus une perte d’intérêts de 19 929,87 $. Ce fait a bien peu de pertinence dans la présente instance, mais il a certainement contribué à alimenter l’animosité qui divise les deux clans.

[20]  Avant la publication du jugement Masse, le Conseil de Bande élu en juin 2016 et dirigé par Michel Bernard prend un certain nombre de mesures visant à expulser les membres de la famille Landry, dont les demandeurs, de la Bande :

- Résolution RCB-2016-2017-055 du 2 novembre 2016 à l’effet d’« enlever de la liste de bande des Abénakis de Wôlinak tous les noms des personnes n’ayant pas de statut autochtone reconnu par Affaires Indiennes et du Nord Canada ». La résolution prévoyait également « que tous les membres de la Bande sans statut autochtone et présentement sur la liste de bande de Wôlinak soient exclus de tout vote référendaire ou électoral à tenir à Wôlinak ».

- Lettre du registraire de la Bande en date du 7 novembre 2016, adressé [sic] à tous les membres de la Bande et les avisant que les membres non-statués au sens de la Loi n’auraient plus le droit de vote, lors de référendums, d’élections ou de tout autre vote.

- Résolution RCB-2016-2017-079 du 2 mars 2017 prévoyant la tenue d’une assemblée générale spéciale pour entériner les amendements apportés au Code d’appartenance de 1987 ne permettant désormais qu’aux personnes ayant le statut d’Indien d’être membres de la Bande. L’avis de convocation à cette assemblée ne visait que les « membres statués des Abénakis de Wôlinak ».

- Suite à l’assemblée générale spéciale du 4 mars 2017 au cours de laquelle les modifications au Code d’appartenance de 1987 sont entérinées (66 pour, 13 contre), la résolution RCB-2016-2017-080 du 6 mars 2017 adopte officiellement le Code d’appartenance de 2017.

[21]  Le 27 février 2017, avant l’expiration du délai pour en appeler du jugement Masse et possiblement avant de signifier sa demande en rétractation de ce jugement, le Conseil de Bande, par l’intermédiaire du registraire de la Bande, transmet aux demandeurs et aux autres membres de la famille Landry un avis de radiation de la liste des membres de la Bande.

[22]  Le 5 avril 2017, les demandeurs déposent une première demande de contrôle judiciaire devant cette Cour dans le dossier T-502-17. Ils y demandent l’annulation des résolutions énumérées plus haut, ainsi que l’annulation des modifications apportées au Code d’appartenance de 1987 lors de l’assemblée générale spéciale du 4 mars 2017. Alors que cette instance est gérée par le juge William F. Pentney, le Conseil de Bande dépose le 15 janvier 2018 une requête en consentement à jugement, tout en informant la Cour que de nouvelles résolutions, sans les vices de procédure invoqués par les demandeurs, ont été adoptées. Le juge Pentney demeure saisi du dossier et accorde aux demandeurs un délai afin de déposer une nouvelle demande de contrôle judiciaire à l’encontre des nouvelles résolutions. Sans grande surprise, les parties ne s’entendent pas sur les frais engagés par la première demande de contrôle judiciaire et le juge Pentney doit rendre jugement sur cette question dans le dossier T-502-17, ce qu’il n’avait pas encore fait au moment de l’audition de la présente demande.

[23]  Quoiqu’il en soit et contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, la présente instance ne concerne pas les résolutions et décisions attaquées dans le dossier T-502-17 qui sont, à toutes fins utiles, annulées par l’effet du consentement à jugement.

III.  Décisions contestées

[24]  Le 5 décembre 2017, le Conseil de Bande adopte une nouvelle résolution modifiant le Code d’appartenance de 1987 et convoque une assemblée générale spéciale pour le 16 décembre 2017 afin d’entériner les amendements. L’avis de convocation à cette assemblée est transmis à quelque 268 membres (sur les 546 membres électeurs que contenait la liste électorale au 1er novembre 2016) que le Conseil de Bande considère alors comme ayant le droit de vote. Le Conseil de Bande offre à tous les membres convoqués un montant de 600 $ provenant du règlement d’une revendication territoriale de la Bande, qui leur sera remis lors de l’assemblée. Il est résolu que les membres ordinaires qui ne sont pas inscrits au registre des Indiens ne sont pas convoqués à l’assemblée générale du 16 décembre 2017 et que les 94 appelants visés par le jugement Masse, incluant les demandeurs, ne sont pas convoqués à l’assemblée générale du 16 décembre 2017 et ne reçoivent pas la somme de 600 $.

[25]  Lors de cette assemblée générale spéciale, 189 des 268 personnes convoquées sont présentes et les amendements au Code d’appartenance sont adoptés à 117 votes pour, 64 votes contre et 8 votes rejetés ou annulés. Le Code d’appartenance de 2017 prévoit que la Bande ne comprend désormais qu’une classe de membres, soit « les Abénakis dûment statués qui sont valablement inscrits sur la liste de Bande des Abénakis de Wôlinak au registre des indiens » Par ailleurs, un Abénakis y est décrit comme étant toute personne de descendance Abénakis. Ce nouveau code modifie également l’article 76 du Code d’appartenance de 1987 et prévoit que la proportion de votes requise pour modifier le Code d’appartenance est désormais de 25%+1, plutôt que de 50%+1.

[26]  Le 20 décembre 2017, le Conseil de Bande adopte la résolution RCB-2017-2018-062 afin de soumettre la question suivante à un vote référendaire:

« Suite au jugement rendu le 7 février 2017 dans l’affaire Landry c. Procureur général du Canada (Registraire du Registre des Indiens) [jugement Masse], êtes-vous en accord avec l’inclusion des appelants à titre de membres de la Première nation des Abénakis de Wôlinak? »

[27]  La liste électorale confectionnée par le Conseil de Bande pour les fins de ce référendum contient 262 électeurs et exclut à nouveau les membres non-inscrits au registre des Indiens et les 94 appelants visés par le jugement Masse, dont les demandeurs. 147 électeurs s’inscrivent et le référendum du 8 février 2018 donne le résultat suivant : 117 « NON », 28 « OUI » et 2 bulletins annulés.

[28]  Lors d’une assemblée générale spéciale tenue le 12 janvier 2018, Cindy Bernard est élue registraire de la Bande. Toutefois, puisqu’elle ne peut occuper ses fonctions dans l’immédiat, Dave Bernard est nommé registraire intérimaire.

[29]  Le 13 février 2018, le Conseil de Bande adopte la résolution RCB-2017-2018-071 qui prévoit la tenue d’une élection pour les postes de conseillers le 10 juin 2018. La liste électorale confectionnée par le Conseil de Bande comprend 257 noms (plutôt que les 546 noms qui s’y trouvaient au 1er novembre 2016) et exclut les membres de la Bande non-inscrits au registre des Indiens et les appelants devant la juge Masse, dont les demandeurs.

[30]  Par lettre du 17 avril 2018, le registraire de la Bande avise les membres dont le nom a été radié de la liste de Bande et de la liste des électeurs qu’ils doivent fournir une preuve justifiant leur appartenance à la Bande, mais que dans l’intérim, ils en sont exclus.

[31]  La présente demande de contrôle judiciaire vise donc les décisions suivantes :

Avis de radiation des membres non-statués émis par le registraire de la Bande le 27 février 2017;

Résolution RCB-2017-2018-056 adoptée par le Conseil de Bande le 5 décembre 2017, afin de convoquer une assemblée générale spéciale pour le 16 décembre 2017, afin:

De reprendre le vote de l’assemblée générale du 4 mars 2017 entérinant le Code d’appartenance proposé par le Conseil de Bande par sa résolution RCB-2016-2017-079 adoptée le 2 mars 2017;

D’apporter une modification additionnelle au Code d’appartenance afin de réduire la majorité requise pour l’amender de 50%+1 à 25%+1;

De distribuer 600$ aux membres statués présents, à l’exclusion des appelants impliqués dans le jugement Masse;

Adoption sans quorum, le 16 décembre 2017, par l’assemblée générale des membres considérés comme inscrits au registre des Indiens par le Conseil de Bande, d’un Code d’appartenance modifié;

Élection du registraire de la Bande en date du 12 janvier 2018, en assemblée générale, à laquelle les membres considérés par le Conseil de Bande comme non- inscrits au registre des Indiens ne sont pas convoqués;

Avis du registraire de la Bande transmis le ou vers le 17 avril 2018 à certains membres de la famille Landry inscrits au registre des Indiens, exigeant la preuve de leur appartenance et les informant que leur nom est radié de la liste des membres de la Bande dans l’intérim;

Résolution RCB-2017-2018-071 adoptée le 13 février 2018, aux fins de tenir une élection le 10 juin 2018 pour les postes de trois conseillers statués;

Résolution RCB-2018-2019-004 adoptée le 11 avril 2018, aux fins de tenir l’élection du 10 juin 2018 pour les postes de quatre conseillers ;

Communication d’une liste électorale au président d’élection, de laquelle ont été retranchés 289 électeurs sur un total de quelque 546 électeurs.

IV.  Questions en litige

[32]  Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que les résolutions du Conseil de Bande ont été validement adoptées lors de réunions du Conseil de Bande dûment convoquées?

  2. L’assemblée générale spéciale du 16 décembre 2017 a-t-elle été validement convoquée et tenue et les décisions qui y ont été prises sont-elles valides?

  3. Le vote pour l’élection du registraire du 12 janvier 2018 est-il conforme au paragraphe 2(3) de la Loi?

  4. Le scrutin référendaire tenu le 8 février 2018 est-il conforme au paragraphe 10(4) de la Loi?

  5. Les élections qui devaient avoir lieu le 10 juin 2018 et qui ont été suspendues par ordonnance de la Cour dans la présente instance, auraient-elles été valides?

  6. Les avis de radiation adressés par le registraire le 27 février 2017 et le 18 avril 2018 sont-ils valides et conformes aux paragraphes 10(8) et 10(9) de la Loi?

V.  Questions préliminaires

[33]  Les défendeurs ont soulevé deux questions préliminaires; ils plaident que cette demande de contrôle judiciaire est irrecevable puisqu’elle concerne plus d’une décision et que, de toute façon, le recours des demandeurs est prescrit.

[34]  Outre le fait que cette demande vise plusieurs décisions, elle sollicite des remèdes variés qui visent diverses entités, dont le Conseil de Bande, les membres de la Bande présents à l’assemblée du 16 décembre, le registraire de la Bande ou encore la présidente d’élection. Il ne s’agit donc pas, selon les défendeurs, d’un cas donnant ouverture à l’exception prévue à la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Crowchild c Nation Tsuu T’ina, 2017 CF 861; Whitehead c Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270; Servier Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CF 196; Truehope Nutritional Support Ltd c Canada (Procureur général), 2004 CF 658; James Richardson International Ltd c Canada, 2004 CF 1577; Puccini c Canada (Directeur général, Services de l’administration corporative, Agriculture Canada), [1993] 3 CF 557).

[35]  Lors de l’audience de la cause, la Cour a informé les parties qu’elle n’était pas encline à faire droit à ce moyen compte tenu du temps et des ressources déjà consacrés par les parties et par la Cour à la préparation de cette audience. À mon avis, il s’agit d’un moyen qu’il est préférable de traiter au niveau interlocutoire afin d’éviter une mauvaise utilisation des ressources judiciaires. Le juge Pentney n’a pas jugé approprié d’en traiter en cours de gestion de l’instance, ce qui, à mon sens, milite en faveur du rejet de ce moyen.

[36]  À tout évènement, je suis d’avis que les mesures et décisions attaquées par cette demande de contrôle judiciaire visent toutes à exclure les demandeurs de la Bande, qu’elles sont toutes le fait du Conseil de Bande, qu’elles ont le même fondement factuel, soulèvent les mêmes questions juridiques et visent un même redressement. Il est donc dans l’intérêt de la justice que l’ensemble des mesures puissent être visées par une seule demande de contrôle judiciaire (Whitehead, supra; Servier, supra; Puccini, supra).

[37]  Si la Cour conclut que le Conseil de Bande ne pouvait radier unilatéralement les demandeurs de la liste des membres de la Bande et qu’il ne pouvait amender le Code d’appartenance sans que cette décision ne soit entérinée lors d’une assemblée générale spéciale où tous les membres qui ont droit d’être présents soient dûment convoqués, il s’ensuit que le référendum du 8 février 2018 et l’élection du registraire de la Bande ne sont pas valides, pas plus que ne l’auraient été les élections du 10 juin 2018.

[38]  En ce qui concerne l’argument des défendeurs à l’effet que le recours des demandeurs serait prescrit puisque non exercé dans un délai de 30 jours de la/des décision(s) en cause, je rappelle que les demandeurs ont dû intenter une seconde demande de contrôle judiciaire suite au dépôt par les défendeurs d’une requête en consentement à jugement dans le dossier T-502-17. Suite à cette démarche des défendeurs, le juge Pentney a émis une directive qui prévoit justement que les demandeurs déposeront une nouvelle demande de contrôle judiciaire.

[39]  Je suis donc d’avis que le recours des demandeurs n’est pas prescrit.

VI.  Analyse

A.  Est-ce que les résolutions du Conseil de Bande ont été validement adoptées lors de réunions du Conseil de Bande dûment convoquées?

[40]  Les demandeurs soumettent que toutes les résolutions du Conseil de Bande dont il est fait état dans les présents motifs sont invalides puisque non adoptées lors de réunions du Conseil de Bande dûment convoquées. La procédure généralement suivie par les défendeurs est plutôt de faire signer les conseillers distinctement et lorsqu’une résolution a obtenu trois signatures sur cinq, elle est entérinée par le Conseil de Bande dûment réuni. Cette pratique, plaident les demandeurs, est contraire à l’alinéa 2(3)b) de la Loi :

Exercice des pouvoirs conférés à une bande ou un conseil

Exercise of powers conferred on band or council

(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

(3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

[41]  Les demandeurs soumettent que le non-respect de cette disposition est fatal à la validité des résolutions puisqu’elles n’ont pas été adoptées après délibération à la majorité des conseillers réunis à cette fin (Leonard and the Kamploops Indian Band et al v Gottfriedson, 21 BCLR 326 (BC SC) (QL) aux para 49-50; Heron Seismic Services Ltd c Muscowpetung Indian Band, 74 DLR (4th) 308 (SK QB) (QL) aux para 11-16; Nicola Band et al v Trans-Canada Displays Ltd, [2000] 4 CNLR 185 (BC SC) (QL) aux para 124-126; Balfour c Nation Crie de Norway House, 2006 CF 616 aux para 49-55; Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536 aux para 78-80; Vollant c Sioui, 2006 CF 487 aux para 35-37, 52-53; Première nation Peguis c Bear, 2017 CF 179 aux para 57-60).

[42]  Cependant, la preuve démontre plutôt que les défendeurs ont remédié aux défauts procéduraux identifiés lors de la première demande de contrôle judiciaire des demandeurs et que la plupart des résolutions en cause devant moi ont été adoptées par une majorité de conseillers présents lors de réunions du Conseil de Bande dûment convoquées, conformément à l’alinéa 2(3)b) de la Loi.

[43]  Pour certaines résolutions, la preuve est simplement insuffisante pour me permettre de remettre en cause leur processus d’adoption par le Conseil de Bande.

[44]  Il est vrai que certains procès-verbaux laissent croire qu’il est fréquent que plusieurs résolutions soient adoptées au cours d’une seule courte réunion. Par exemple, pour la réunion du 21 avril 2018, on remarque que huit résolutions ont été adoptées en l’espace de seulement 13 minutes. Cependant, cela n’est pas suffisant, à mon avis, pour remettre en cause la validité de ces résolutions et le processus d’adoption de ces résolutions. Les demandeurs ont d’ailleurs produit un affidavit de Christian Trottier, ancien conseiller de la Bande, et en dépit du fait qu’il était bien placé pour le faire, il ne fournit aucune précision qui me permettrait de conclure que le processus suivi par la Bande est vicié.

[45]  J’en conclus donc que les demandeurs n’ont pas rencontré leur fardeau de me convaincre, par prépondérance de preuve, que les résolutions du Conseil de Bande visées pas la présente demande sont invalides parce qu’elles n’ont pas été adoptées conformément à l’alinéa 2(3)b) de la Loi.

B.  L’assemblée générale spéciale du 16 décembre 2017 a-t-elle été validement convoquée et tenue et les décisions qui y ont été prises sont-elles valides?

[46]  Les demandeurs ont d’abord soumis que l’avis de convocation à l’assemblée générale spéciale du 16 décembre 2017 était insuffisant puisque donné seulement le 13 décembre 2017. Cette question a été rapidement évacuée puisque le représentant des demandeurs a admis que de fait, cet avis avait été donné le 5 décembre 2017, délai convenable au sens du paragraphe 10(1) de la Loi et au sens de la Politique d’assemblée générale de la Bande.

[47]  De façon plus substantielle, les demandeurs soumettent que l’avis de convocation à l’assemblée générale spéciale du 16 décembre est nul puisqu’il n’a pas été transmis à tous les membres de la Bande ayant un droit de vote en vertu de l’article 18 du Code d’appartenance de 1987, ni à tous les membres ayant le droit d’être présents et de prendre parole en vertu de son article 17. Ces dispositions prévoient que :

art.  17 –

  Le membre ordinaire a le droit d’assister à toutes les assemblées générales et spéciales et y a droit de parole.

art.  18 –

  Le membre ordinaire majeur, inscrit au registre des Indiens, et domicilié sur la réserve, a seul le droit de vote aux assemblées générales et spéciales des membres de la bande des Abénakis de Wôlinak.

[48]  À noter que les parties devant moi ont considéré l’exigence de résidence sur la réserve comme non écrite à la lumière de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203. Cependant, elles n’ont pas autrement contesté la validité de ces dispositions en dépit de la mise en garde du ministre au moment de l’adoption du Code d’appartenance de 1987, à l’effet que les dispositions de ce chapitre pourraient porter sur des sujets non reliés à l’effectif de la Bande et, dans certains cas, outrepasser ses pouvoirs. Je ne me prononcerai donc pas sur la validité de l’article 18 et sur sa conformité à l’article 10 de la Loi.

[49]  Cela dit, les défendeurs sont d’opinion que l’avis de convocation est conforme, essentiellement parce que les demandeurs ont été informés de la tenue de cette assemblée par une lettre transmise à leurs procureurs par la juge Masse le 4 décembre 2017, et par un avis publié sur la page Facebook du Conseil de Bande. Dans les deux cas, on ne peut considérer qu’il s’agisse d’un avis de convocation suffisant, ni que les demandeurs – ou ceux qui étaient au courant de la tenue de l’assemblée sans y être convoqués – doivent supporter les conséquences de leur décision de ne pas s’y présenter afin d’éviter toute confrontation.

[50]  Cela dit, les défendeurs ont surtout fait valoir que les demandeurs n’avaient pas le droit d’être convoqués à l’assemblée du 16 décembre 2017 i) parce qu’ils n’avaient pas démontré, au 5 décembre 2017, qu’ils étaient inscrits au registre des Indiens, et ii) parce que de toute façon, ils ont été radiés de la liste des membres de la Bande par avis du registraire de la Bande en date du 27 février 2017 et n’avaient pas démontré, au 5 décembre 2017, leur droit d’y être réinscrits.

[51]  Lorsque la Cour a demandé au procureur des défendeurs à quel moment, selon eux, les demandeurs auraient perdu leur droit d’être inscrits sur la liste des membres de la Bande, ils ont répondu que c’était par l’avis de radiation du 27 février 2017, décision confirmée ou entérinée, ou encore rendue valide par l’adoption, le 16 décembre 2017, du Code d’appartenance de 2017.

[52]  Cet argument est pour le moins circulaire. Le Conseil de Bande a radié unilatéralement près de la moitié de ses effectifs de la liste des membres de la Bande, pour ensuite être en mesure de modifier le Code d’appartenance sans opposition et ainsi justifier la radiation.

[53]  Les défendeurs soumettent également que les demandeurs ne peuvent pas être des membres ordinaires de la Bande inscrits au registre des Indiens, puisqu’ils ont obtenu cette inscription par la fraude.

[54]  Or, ni la GRC, qui a fait enquête dans les années 1990, ni la juge Masse ne concluent que cette fraude aurait été perpétrée par les demandeurs. Rappelons que la Juge Masse a conclu au statut d’Indien de Joseph Landry, indépendamment de son mariage avec Vitaline. Le fait que Marie-Adéline et non Vitaline soit la mère d’Antonio n’a donc aucune incidence sur le statut d’Indien des demandeurs.

[55]  Nous discuterons plus loin du caractère invalide de l’avis de radiation transmis le 27 février 2017 aux demandeurs et autres appelants devant la juge Masse, mais qu’il suffise de dire, à ce stade-ci, qu’en date du 5 décembre 2017, les demandeurs sont des membres ordinaires de la Bande, inscrits au registre des indiens et que la majorité d’entre eux sont majeurs. Ils ont donc non seulement le droit d’être présents et de prendre la parole lors de toute assemblée générale et spéciale de la Bande, mais ceux qui sont majeurs ont également le droit d’y voter.

[56]  La Loi définit un Indien comme étant une « personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être ».

[57]  Le Code d’appartenance de 1987, pour sa part, définit un Indien comme étant un Autochtone, terme lui-même défini comme étant « toute personne qui a droit d’être inscrite sur le Registre des Indiens tenu par le registraire des Affaires Indiennes et du Nord Canadien ainsi que toute personne inscrite sur une liste de bande légalement tenue ».

[58]  Les demandeurs sont des Indiens inscrits au registre des Indiens depuis 1990. Leur radiation temporaire de 1996 à 2017 ne leur a pas fait perdre le droit d’y être inscrits, ce que la juge Masse confirme sans équivoque lorsqu’elle casse la décision du registraire du ministre et lui ordonne de réinscrire les appelants y ayant droit, dont les demandeurs.

[59]  Les demandeurs majeurs et tous les autres membres majeurs de la Bande ayant le droit d’être inscrits au registre des Indiens devaient être convoqués à l’assemblée générale spéciale du 16 décembre 2017; ils avaient droit d’y prendre parole et ils avaient le droit d’y voter.

[60]  En concluant de la sorte, la Cour ne fait pas violence au droit des Abénakis de Wôlinak à l’auto-gouvernance, ni à son droit de déterminer l’appartenance à ses effectifs. Les Abénakis de Wôlinak se sont dotés du Code d’appartenance de 1987 et ils se doivent de le respecter.

[61]  Le procureur des défendeurs a fait valoir qu’à la lecture du Code d’appartenance de 1987, il est évident que la volonté des Abénakis de Wôlinak était de créer deux classes de membres ordinaires, les Indiens inscrits au registre du ministre, qui ont le droit de voter aux assemblées générales et de briguer un poste de conseiller « statué », et les non-inscrits qui n’ont pas ces droits.

[62]  Certes, mais il se dégage également du préambule du Code d’appartenance de 1987 que les Abénakis de Wôlinak voulaient être très inclusifs, et qu’ils désiraient regrouper, à l’intérieur d’une même bande, tous les descendants d’Abénakis dispersés sur le territoire par l’arrivée des Allochtones.

[63]  Ils ne pouvaient pas, sans respecter les règles dont ils se sont dotés, éliminer une ou des catégories de membres, comme ils ont tenté de le faire par l’adoption du Code d’appartenance de 2017.

[64]  Il s’ensuit que l’avis de convocation à l’assemblée du 16 décembre 2017 aurait dû être transmis à tous les membres de la Bande (inscrits ou non au registre du ministre) et que les demandeurs majeurs et tous les appelants majeurs dont la juge Masse a confirmé le statut d’Indien, avaient le droit de voter. Le quorum requis pour que le vote tenu lors de cette assemblée soit valide est d’au moins la moitié des membres admissibles à voter. Compte tenu du nombre de personnes dûment convoquées par rapport au total des membres de la Bande (avant que la liste des membres ne soit illégalement tronquée), il n’y avait pas quorum et le vote pris est invalide.

[65]  Le Code d’appartenance ne pouvait être modifié autrement que par la majorité des membres ayant le droit de vote, réunis en assemblée générale convoquée à cette fin. Les amendements apportés n’ont donc pas été adoptés validement.

[66]  En ce qui concerne la distribution d’un montant de 600 $ à chacun des membres de la Bande convoqués et présents lors de l’assemblée du 16 décembre 2017, les défendeurs ont admis que les appelants devant la juge Masse auront droit à cette somme s’ils sont reconnus comme membres de la Bande.

[67]  En conséquence, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’intervenir spécifiquement à cet égard.

C.  Le vote pour l’élection du registraire du 12 janvier 2018 est-il conforme au paragraphe 2(3) de la Loi?

[68]  L’article 40 du Code d’appartenance de 1987 prévoit que le registraire de la Bande est élu lors d’une assemblée générale spécialement convoquée à cet effet.

[69]  Puisque les défendeurs admettent à nouveau que l’avis de convocation à l’assemblée générale spéciale du 12 janvier 2018 n’a été transmis ni aux demandeurs ni aux autres appelants devant la juge Masse à l’égard desquels elle a confirmé le statut d’Indien, je suis d’avis que cette assemblée fût irrégulièrement convoquée et tenue, et que le vote qui y a été pris est invalide.

D.  Le scrutin référendaire tenu le 8 février 2018 est-il conforme au paragraphe 10(4) de la Loi?

[70]  En plus de leur Code d’appartenance de 1987, les Abénakis de Wôlinak se sont dotés d’un Code électoral qui définit un électeur comme étant « une personne qui a) est inscrite sur la liste de bande de la Première nation des Abénakis de Wôlinak ou qui a droit de l’être; b) a dix-huit ans (18) révolus, le jour du scrutin, et c) n’a pas perdu son droit de vote aux élections de la Première nation ».

[71]  Contrairement à l’article 18 du Code d’appartenance de 1987 en ce qui concerne les assemblées générales, nul besoin d’être inscrit au registre des Indiens tenu par le ministre pour avoir droit de voter aux élections.

[72]  Il importe peu de savoir lequel du Code d’appartenance ou du Code électoral s’applique à la tenue d’un référendum puisqu’au minimum, les demandeurs majeurs et tous les appelants majeurs visés par le jugement Masse qui étaient inscrits sur la liste des membres de la Bande ou qui auraient dû l’être au 8 février 2018 devaient être invités à voter sur la question référendaire formulée par le Conseil de Bande.

[73]  Puisqu’ils ne l’ont pas été, le vote est invalide.

E.  Les élections qui devaient avoir lieu le 10 juin 2018 et qui ont été suspendues par ordonnance de la Cour dans la présente instance, auraient-elles été valides?

[74]  Puisque j’ai conclu que le Code d’appartenance de 2017 n’a pas été validement adopté, les membres ordinaires majeurs de la Bande sont tous des électeurs aux termes du Code électoral des Abénakis de Wôlinak. Tous les membres majeurs de la Bande, indépendamment de leur statut d’Indien inscrit, doivent donc être inscrits sur la liste transmise par le registraire de la Bande au président d’élection.

[75]  Si les élections du 10 juin 2018 avaient eu lieu sur la base de la liste électorale préparée à cette fin, la tenue et le résultat de ces élections auraient été invalides.

F.  Les avis de radiation adressés par le registraire le 27 février 2017 et le 18 avril 2018 sont-ils valides et conformes aux paragraphes 10(8) et 10(9) de la Loi?

[76]  Les demandeurs soumettent que les avis de radiation du 27 février 2017 et du 18 avril 2018 sont illégaux et qu’ils sont contraires au paragraphe 10(8) de la Loi. Ils ne respectent pas les dispositions du Code d’appartenance de 1987 et contreviennent aux droits acquis établis par les paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi.

[77]  Le pouvoir d’ajouter ou de retrancher un nom de la liste de Bande revient à la Bande en vertu de l’alinéa 2(3)a) et du paragraphe 10(10) de la Loi. La Bande a choisi de déléguer cette fonction à un registraire élu en conformité avec l’article 40 du Code d’appartenance de 1987, mais le registraire n’a aucun pouvoir discrétionnaire; il ne fait qu’appliquer les règles d’appartenance dûment adoptées par la Bande.

[78]  La preuve devant moi démontre que depuis le 30 mai 1994, aucun registraire n’a été élu conformément à la procédure prévue au Code d’appartenance de 1987 et que la liste des membres de la Bande n’a jamais été tenue avec rigueur, en ce sens que la date d’inscription, le statut ou l’absence de statut d’Indien inscrit au registre du ministre et le nom des ascendants des membres n’ont pas été adéquatement colligés.

[79]  Les dispositions pertinentes de la Loi prévoient ce qui suit :

Date d’entrée en vigueur des règles d’appartenance

Effective date of band’s membership rules

(8) Lorsque la bande décide de l’appartenance à ses effectifs en vertu du présent article, les règles d’appartenance fixées par celle-ci entrent en vigueur à compter de la date où l’avis au ministre a été donné en vertu du paragraphe (6); les additions ou retranchements effectués par le registraire à l’égard de la liste de la bande après cette date ne sont valides que s’ils sont effectués conformément à ces règles.

(8) Where a band assumes control of its membership under this section, the membership rules established by the band shall have effect from the day on which notice is given to the Minister under subsection (6), and any additions to or deletions from the Band List of the band by the Registrar on or after that day are of no effect unless they are in accordance with the membership rules established by the band.

[…]

Additions et retranchements

Deletions and additions

(10) La bande peut ajouter à la liste de bande tenue par elle, ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes des règles d’appartenance de la bande, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans la liste. (je souligne)

(10) A band may at any time add to or delete from a Band List maintained by it the name of any person who, in accordance with the membership rules of the band, is entitled or not entitled, as the case may be, to have his name included in that list.

[Je souligne.]

[My emphasis.]

[80]  Puisque la Cour a conclu que les règles d’appartenance de la Bande sont demeurées inchangées, le statut d’Indien inscrit au registre du ministre n’est pas un prérequis pour être membre de la Bande. Il s’ensuit qu’en tout temps pertinent, les demandeurs avaient droit d’être membres ordinaires de la Bande, notamment du fait qu’ils sont tous les descendants de Clothilde Metzalabanlette, et les demandeurs majeurs étaient des électeurs au sens du Code électoral de la Bande.

[81]  À cela s’ajoute le fait qu’aux termes du jugement Masse, ils sont également des membres ordinaires inscrits au registre des Indiens, qui ont le droit de voter aux assemblées générales de la Bande et de briguer un poste de conseiller « statué » au Conseil de Bande.

[82]  J’en conclus qu’une radiation contraire au Code d’appartenance de 1987 est tout simplement illégale.

[83]  Les défendeurs ont tout le loisir de faire élire un registraire, de lui donner le mandat de compléter la ou les liste(s) des membres de la Bande (incluant le retranchement de toute personne n’ayant pas le droit d’y être inscrite), d’amender les règles d’appartenance à la Bande, de procéder à un vote référendaire ou à l’élection de son Conseil de Bande, dans la mesure où ils respectent les règles dont la Bande s’est dotée, que l’on retrouve au Code d’appartenance de 1987 et au Code électoral.

[84]  Contrairement à ce que soumettent les défendeurs, les demandeurs n’ont pas à présenter une demande pour être membres de la Bande avec preuve documentaire à l’appui, puisqu’ils sont sur la liste de Bande depuis plusieurs années, qu’ils ont droit d’y être en vertu du Code d’appartenance de 1987 et que les avis de radiation qu’ils ont reçus sont invalides.

VII.  Conclusion

[85]  Pour les motifs contenus aux présentes, je conclus que les avis de radiation de la liste de Bande transmis aux demandeurs sont invalides, et qu’en conséquence, tant l’avis de convocation que les décisions prises lors de l’assemblée générale spéciale du 16 décembre 2017 sont invalides. L’élection du registraire du 12 janvier 2018 et le vote référendaire du 8 février 2018 sont également invalides et les élections du 10 juin 2018, si elles avaient été tenues telles que planifiées, auraient été invalides.


JUGEMENT au dossier T-990-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

  2. Les résolutions RCB-2017-2018-056 du 5 décembre 2017 et RCB-2017-2018-059 du 12 décembre 2017 sont déclarées invalides;

  3. Les décisions prises lors de l’assemblée générale spéciale du 16 décembre 2017 et la résolution RCB-2017-2018-066 du 23 janvier 2018, modifiant le Code d’appartenance de 1987 des Abénakis de Wôlinak, sont déclarées invalides;

  4. La résolution RCB-2017-2018-062 du 20 décembre 2017 et le référendum du 8 février 2018 sont déclarés invalides;

  5. L’élection du registraire de la Première Nation des Abénakis de Wôlinak, en date du 12 janvier 2018, est déclarée invalide;

  6. La résolution RCB-2017-2018-071 du 13 février 2018 est déclarée nulle, tout comme l’auraient été les élections prévues pour le 10 juin 2018;

  7. Les avis de radiation transmis aux demandeurs le 27 février 2017 et le 18 avril 2018 sont déclarés invalides et les défendeurs sont tenus de réinscrire les demandeurs sur la liste des membres de la Première Nation des Abénakis de Wôlinak;

  8. L’intitulé de la cause est modifié pour y retirer les adresses des parties;

  9. Les procureurs des parties disposent d’un délai de 30 jours de la date des présentes afin de produire leurs observations écrites d’au plus cinq pages quant aux dépens qui devraient être accordés dans cette affaire.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-990-18

INTITULÉ :

STÉPHANE LANDRY ET AL c LE CONSEIL DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Paul Yvan Martin

Pour leS demandeurS

Sébastien Chartrand

Philippe Larochelle

Pour leS défendeurS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin, Camirand, Pelletier, s.e.n.c.

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Roy Larochelle Avocats Inc.

Montréal (Québec)

Pour leS défendeurS

 

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