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Date : 20181128


Dossier : IMM‑3005‑18

Référence : 2018 CF 1191

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

HASSAN MOHAMED ISMAEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur a présenté une requête écrite pour faire annuler l’ordonnance de la Cour, datée du 7 septembre 2018 (l’ordonnance), qui a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (la demande) du demandeur à l’encontre de la décision d’un agent principal, rendue le 18 juin 2018, de refuser l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) du demandeur.

[2]  Le demandeur a présenté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 28 juin 2018. Toutefois, il n’a pas déposé de dossier de demande pendant la période prévue par la loi. Par conséquent, la Cour a rejeté la demande le 7 septembre 2018, soit plus de cinq semaines après la date à laquelle le dossier de demande aurait dû être déposé.

[3]  Le demandeur cherche maintenant aussi à obtenir une prorogation du délai pour déposer son dossier de demande dans l’éventualité où la requête serait accueillie et que l’ordonnance serait annulée.

[4]  Pour les motifs suivants, la requête est rejetée.

I.  La question préliminaire

[5]  L’avocat du demandeur (l’avocat) a déposé un affidavit à l’appui de la requête et cherche à se fonder sur son propre affidavit pour étayer les observations énoncées dans l’exposé des arguments. Comme l’a fait observer le défendeur, cette pratique va à l’encontre de l’article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), qui précisent que « [s]auf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur de l’affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit ».

[6]  L’avocat n’a pas demandé l’autorisation à la Cour pour faire accepter son affidavit et il n’a pas reconnu l’article 82.

[7]  Dans l’arrêt Twinn c Poitras, 2011 CAF 310, 428 NR 219, aux paragraphes 7 et 8, la Cour a expliqué que l’avocat ne pouvait pas présenter une preuve, c’est‑à‑dire intervenir à titre de témoin, aux fins d’une requête à l’égard de laquelle il intervient aussi comme avocat. La Cour a expliqué la pratique acceptable au paragraphe 8 :

[8]  […] Nul ne peut agir en même temps à titre de témoin et à titre d’avocat (article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106). Lorsqu’un avocat doit témoigner, la pratique correcte appelle l’intervention d’un confrère aux fins de la requête; il est souvent acceptable que ce rôle soit joué par un autre avocat du même cabinet (Polaris Industries Inc. c. Victory Cycle Ltd., 2007 CAF 259, (2007), 60 C.P.R. (4th) 194). Une fois qu’il a été statué sur la requête, l’avocat qui a souscrit un affidavit aux fins de la requête peut normalement représenter son client en ce qui concerne les requêtes futures ou lors de l’instruction sur le fond (Viacom Ha! Holding Co. c. Untel, 2002 CFPI 13, au paragraphe 10).

[8]  En l’espèce, l’avocat aurait dû envisager de faire appel à un associé pour représenter le demandeur à l’égard de la requête ou, subsidiairement, fournir l’affidavit d’une autre personne comportant les renseignements nécessaires ou un affidavit du demandeur pour attester ce qu’il sait du statut de sa demande et confirmer sa confiance continue à l’égard de l’avocat.

[9]  La Cour est d’autant plus préoccupée par l’affidavit qu’il n’est pas tout à fait conforme aux observations énoncées dans l’exposé des arguments du demandeur au sujet de l’omission de l’avocat de déposer le dossier de demande.

[10]  L’avocat atteste qu’il n’a pas pu déposer le dossier de demande à temps, parce qu’il prenait des vacances déjà planifiées et que, à son retour, il a dû gérer un volume important de questions urgentes. Il ajoute que, à son retour, son associé était en vacances et [traduction] « qu[‘ils n’étaient] pas en mesure d’achever la demande » dans le délai prévu. L’avocat atteste qu’il a terminé le dossier de demande pendant la semaine du 10 septembre 2018 et qu’il a préparé une requête en prorogation de délai pour déposer le dossier de demande. L’avocat déclare que la requête visant à obtenir une prorogation de délai n’a pas été acceptée pour dépôt. Il ajoute que le demandeur ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé.

[11]  Dans l’exposé des arguments, l’avocat soutient que le demandeur ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé pendant la période prévue par la loi. L’avocat soutient également que lui‑même ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé à temps, parce que, lorsqu’il était en vacances, son personnel n’a pas achevé et déposé le dossier de demande. Cette version diffère de celle dans l’affidavit de l’avocat.

[12]  L’avocat déclare aussi qu’il n’était pas au courant que le défendeur avait contesté la requête en prorogation de délai. Toutefois, le défendeur contredit ces propos. Le dossier du défendeur établit qu’il a fourni à l’avocat une copie de son dossier de requête présenté en contestation de la requête du demandeur en prorogation de délai, laquelle avait été signifiée au défendeur, sans être déposée à la Cour. Présenté en guise de réponse, l’exposé des arguments du défendeur souligne, entre autres, qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie quant au retard, que la décision en cause relative à l’ERAR n’était pas incluse dans le dossier de requête du demandeur, qu’aucun élément de preuve n’étayait l’affirmation selon laquelle le demandeur avait une cause défendable et que le défendeur avait subi un préjudice en raison de l’obligation de répondre à des requêtes qui ne respectent pas les Règles et qui sont sans fondement.

[13]  De plus, le défendeur a informé l’avocat du fait que la demande avait été rejetée le 7 septembre 2018 et que, par conséquent, le dossier de requête du défendeur n’avait pas été accepté pour dépôt. Toutefois, le défendeur a remis, par courtoisie, une copie à l’avocat, laquelle informait clairement l’avocat du fait que l’ordonnance avait été rendue pour rejeter la demande et que le défendeur avait contesté la prorogation de délai.

[14]  Si l’affidavit n’est pas accepté, il n’y a aucun élément de preuve pour étayer les observations de l’avocat. Si l’affidavit est accepté, certains renseignements sont incohérents. Toutefois, en essence, l’avocat n’a pas respecté l’échéancier, parce qu’il était en vacances et occupé à son retour. Quoi qu’il en soit, comme il est exposé plus loin, l’explication qu’a fournie l’avocat pour ne pas déposer le dossier de demande pendant la période prévue par la loi ne constitue pas un motif impérieux pour annuler l’ordonnance.

[15]  Le rôle continu de l’avocat soulève aussi des questions, puisque ce dernier reconnaît sa propre erreur et fait valoir que cela ne devrait pas être retenu contre le demandeur et que l’ordonnance devrait être annulée. Cela pose un problème, puisque l’avocat représente toujours le demandeur. Aucun élément de preuve n’appuie l’affirmation de l’avocat selon laquelle le demandeur ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé. Rien n’indique non plus que le demandeur est au courant de l’état actuel de sa demande.

II.  Les observations du demandeur

[16]  L’exposé des arguments reconnaît que toutes les observations sont fondées sur l’affidavit de l’avocat.

[17]  L’avocat affirme qu’il devrait être fait droit à la requête du demandeur visant à faire annuler l’ordonnance, en vertu de l’article 399 des Règles, plus particulièrement des alinéas 399(1)b) et (2)a).

[18]  En ce qui concerne l’alinéa 399(2)a), l’avocat soutient qu’un [traduction« fait nouveau » est survenu après que l’ordonnance de la Cour a été rendue, c’est‑à‑dire que le demandeur ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé pendant la période prévue par la loi. L’avocat soutient également qu’il ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé à temps, parce que son personnel ne l’a pas fait pendant qu’il était en vacances.

[19]  L’avocat affirme qu’il est satisfait au critère établi dans l’arrêt Ayangma c Canada, 2003 CAF 382, [2003] ACF no 121 (Ayangma), pour que la Cour puisse exercer sa compétence en vertu du paragraphe 399(2).

[20]  L’avocat fait aussi valoir que, bien que la jurisprudence ait établi que, de manière générale, un demandeur et un avocat devraient être considérés comme une seule personne, une exception est justifiée en l’espèce, car le demandeur ne savait pas que l’avocat avait omis de déposer le dossier de demande et qu’il n’avait pas agi dans l’intérêt du demandeur. L’avocat s’appuie sur la décision Evans c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 654, 458 FTR 196 (Evans), dans laquelle la Cour a annulé une ordonnance, parce que l’avocat n’avait pas agi dans l’intérêt du demandeur.

[21]  Dans l’éventualité où l’ordonnance serait annulée, l’avocat souhaite obtenir une prorogation de délai pour déposer le dossier de demande. L’avocat soutient que le demandeur répond aux critères établis dans Canada (Procureur général) c Hennelly, 244 NR 399, [1999] ACF no 846 (QL) (CAF) (Hennelly), au paragraphe 3; Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] ACF no 144 (QL), 63 NR 106, à 272, 277 et 278; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, [2012] ACF no 880 (QL), au paragraphe 62, notamment parce qu’il avait une intention constante de poursuivre la demande de contrôle judiciaire, qu’il avait une explication raisonnable pour justifier le retard, que sa demande est bien fondée et que le défendeur ne subira pas de préjudice. L’avocat fait valoir que le fond de la demande est solide et que la prorogation pourrait être accordée sur ce fondement, si ce n’est aussi pour les autres critères. L’avocat s’appuie sur le dossier de demande proposé qu’il souhaite déposer si l’ordonnance est annulée et qu’une prorogation de délai est accordée.

III.   Les observations du défendeur

[22]  Le défendeur soutient que, une fois l’affidavit de l’avocat radié, la Cour ne dispose d’aucune preuve, et la requête devrait être rejetée pour ce seul motif.

[23]  Subsidiairement, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas satisfait aux critères pour que l’ordonnance soit annulée en vertu de l’article 399. Aucune explication raisonnable n’a été fournie concernant le défaut de l’avocat de déposer le dossier de demande, et il n’existe aucun motif impérieux pour annuler l’ordonnance.

[24]  Le défendeur fait observer que l’avocat est présumé être celui choisi par le demandeur, et que ce dernier est lié par les actions de l’avocat.

[25]  Le défendeur souligne que la prorogation de délai ne peut être envisagée que si l’ordonnance est annulée. De plus, le demandeur n’a pas satisfait aux critères pour une prorogation de délai. Le défendeur soutient que l’avocat n’a pas justifié adéquatement son retard pour déposer le dossier de demande, en poursuivant la requête antérieure visant à obtenir une prorogation de délai ou la requête en l’espèce, laquelle a été présentée un mois complet après l’ordonnance.

[26]  Le défendeur soutient également que les dépens devraient lui être adjugés dans les circonstances, étant donné qu’il a dû répondre à deux requêtes non fondées et que l’avocat a induit la Cour en erreur en déclarant qu’il ne savait pas que le défendeur contestait la requête antérieure du demandeur pour obtenir une prorogation de délai. Le défendeur a clairement contesté la prorogation de délai et a fourni son exposé des arguments à l’avocat [le 24 septembre 2018], lequel énonce la contestation du défendeur.

IV.  La question en litige

[27]  La question est de savoir si l’article 399 autorise la Cour à annuler l’ordonnance sur le fondement de l’observation de l’avocat selon laquelle il n’a pas représenté adéquatement le demandeur et, dans l’affirmative, si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler l’ordonnance. En d’autres mots, l’erreur ou l’omission de l’avocat quant au dépôt du dossier de demande constitue‑t‑elle une absence de comparution « par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur » comme le prévoit l’alinéa 399(1)b) ou est‑ce que l’erreur ou l’omission de l’avocat fait partie des « faits nouveaux » visés à l’alinéa 399(2)a)? De plus, est‑ce qu’il a été satisfait aux autres critères prévus à l’alinéa 399(2)a)?

V.  La requête est rejetée : le demandeur n’a établi aucun motif permettant à la Cour d’annuler l’ordonnance

[28]  En l’espèce, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve pour étayer les observations selon lesquelles il a été satisfait aux critères de l’article 399 et qu’elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler l’ordonnance. De plus, même si l’affidavit de l’avocat était pris en considération, celui‑ci n’a pas démontré qu’il avait été satisfait aux critères étroits pour annuler une ordonnance en vertu de l’article 399.

[29]  Une fois que la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, elle est généralement dessaisie. Cela veut dire que la Cour n’a pas d’autres pouvoirs, sauf celui de corriger des erreurs conformément à l’article 397, ou d’annuler ou de modifier une ordonnance en vertu de l’article 399, dans le cas où les critères spécifiques de ces articles sont respectés.

[30]  L’avocat s’appuie sur l’article 399 des Règles, qui est ainsi libellé :

399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

399 (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

(a) ex parte; or

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

[BLANC]

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

(b) where the order was obtained by fraud.

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

(3) Unless the Court orders otherwise, the setting aside or variance of an order under subsection (1) or (2) does not affect the validity or character of anything done or not done before the order was set aside or varied.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  L’ordonnance de la Cour rejetant la demande ne peut être qualifiée d’ordonnance ex parte comme le prévoit l’alinéa 399(1)a) des Règles. Une ordonnance ex parte est une ordonnance rendue en l’absence d’une partie et sans l’en informer. En l’espèce, le demandeur, par l’entremise de son avocat, a déposé la demande, et il lui incombait de déposer le dossier de demande conformément aux Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (les Règles d’immigration). La Cour n’est pas tenue d’aviser le demandeur ou l’avocat que la demande serait rejetée si le dossier de demande n’était pas déposé. Les Règles d’immigration établissent le délai prescrit et d’autres exigences pour la mise en état de la demande. Une ordonnance découlant du défaut d’un demandeur de déposer un dossier de demande conformément aux Règles d’immigration ne peut être qualifiée d’ordonnance ex parte.

[32]  L’alinéa 399(1)b) ne s’applique pas pour les mêmes motifs. L’observation de l’avocat selon laquelle l’absence d’une partie « qui n’a pas comparu » par suite d’une erreur devrait inclure l’omission de comparaître par écrit, c’est‑à‑dire l’omission de déposer le dossier de demande, ne tient pas compte du fait que le demandeur a introduit la demande et devait se conformer aux Règles d’immigration et déposer le dossier de demande à temps. De plus, l’avocat n’a pas établi de preuve prima facie quant à la raison pour laquelle l’ordonnance rejetant la demande n’aurait pas dû être rendue.

[33]  L’observation de l’avocat selon laquelle l’alinéa 399(2)a) s’applique parce qu’un [traduction« fait nouveau » est survenu, à savoir que le demandeur ne savait pas que le dossier de demande n’avait pas été déposé durant la période prévue par la loi, est un argument nouveau, mais étrange, qui ne peut être considéré comme valide. Premièrement, rien ne prouve que le demandeur ne savait pas et ne sait peut‑être toujours pas que le dossier de demande n’a pas été déposé. Si le demandeur ne le sait pas, il n’a toujours pas découvert ce « fait nouveau » allégué. Deuxièmement, l’avocat ne peut s’appuyer sur son propre constat de son omission de déposer le dossier de demande à temps pour que cela constitue un « fait nouveau » qui vient excuser son erreur. Il s’agit d’un argument tortueux qui entraînerait le dépôt d’innombrables autres demandes de redressement fondées sur des erreurs semblables. De plus, comme il est mentionné plus loin, la jurisprudence a clairement établi que l’ignorance de la loi ou du processus n’est pas une excuse.

[34]  Si le demandeur ne sait toujours pas que le dossier de demande n’a pas été déposé, c’est simplement parce que l’avocat ne l’en a pas informé ou que le demandeur n’a pas vérifié les inscriptions enregistrées de la Cour. L’avocat ne peut pas cacher l’information au demandeur, puis s’appuyer sur une révélation tardive ou un manque continu de franchise pour faire passer cela comme un « fait nouveau ».

[35]  Dans Ayangma, la Cour d’appel fédérale a confirmé les conditions rigoureuses nécessaires pour invoquer l’alinéa 399(2)a) et la nécessité que les jugements de la Cour aient un caractère définitif. La Cour d’appel a déclaré ce qui suit aux paragraphes 2 à 4 :

[2]  Suivant l’alinéa 399(2)a), la Cour peut annuler ou modifier une ordonnance lorsque :

des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue.

[3]  Selon la jurisprudence, trois conditions doivent être réunies pour que la Cour puisse faire droit à une telle requête :

[traduction]

1‑ les éléments découverts depuis peu doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a);

2‑ les « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable;

3‑ les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question.

[36]  Outre le fait de se reporter au critère établi dans Ayangma, l’avocat n’a pas abordé les éléments de ce critère.

[37]  La jurisprudence n’appuie pas une conclusion selon laquelle l’erreur de l’avocat est un « fait nouveau » au sens de l’alinéa 399(2)a). Il n’a pas été statué que l’ignorance de la loi ou du processus était visée par la notion de « fait nouveau ». D’en arriver à une autre conclusion serait contraire aux principes du caractère définitif et mènerait à des requêtes continues au titre de l’article 399, fondées sur des allégations de représentation inadéquate découlant du défaut de l’avocat de se conformer aux Règles ou d’invoquer un argument.

[38]  Dans Collins c Canada, 2011 CAF 171, [2011] ACF no 722 (QL), au paragraphe 12, la Cour d’appel fédérale a insisté sur le principe selon lequel les décisions étaient définitives et qu’il fallait exposer des « motifs exceptionnellement sérieux et convaincants » pour invoquer l’alinéa 399(2)a), et elle a fait remarquer ce qui suit :

[12]  Dans la présente affaire, l’appelante n’a aucunement démontré l’existence d’un fait survenu après l’ordonnance du 30 mars 2011 qui pourrait justifier l’annulation de cette ordonnance. L’alinéa 399(2)a) des Règles ne peut être utilisé comme moyen pour réexaminer des jugements chaque fois qu’une partie est insatisfaite d’un jugement. Selon le principe général, les décisions judiciaires sont définitives, de sorte que l’annulation d’une telle décision en vertu de l’alinéa 399(2)a) des Règles doit être fondée sur des motifs exceptionnellement sérieux et convaincants. Cela est nécessaire pour assurer la certitude du processus judiciaire de même que préserver l’intégrité de ce même processus.

[39]  Dans Fondation Noahs Ark c Canada, 2015 CF 1183, 259 ACWS (3d) 655, au paragraphe 20, la Cour a fait observer ce qui suit :

[…] Ainsi, la jurisprudence démontre clairement que le fait d’ignorer la loi ou de ne pas soulever un argument qui pourrait autrement avoir été présenté devant la Cour n’est pas une raison valable pour annuler une ordonnance de la Cour en application de l’article 399 des Règles (Procter & Gamble, au paragraphe 19; Desouky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 176 FTR 302, 92 ACWS (3d) 674, au paragraphe 17; Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration) [2000] 1 CF 286, 174 FTR 43, au paragraphe 40).

[40]  Dans Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst), [2000] 1 CF 286, 174 FTR 43 (Guzman), la Cour a refusé d’annuler une ordonnance dans un cas où le demandeur, qui se fiait à son avocat, n’avait pas respecté les règles applicables, et elle a fait remarquer ce qui suit, au paragraphe 40 :

Je suis convaincu que le paragraphe 399(2) n’a pas été conçu de façon à permettre la modification ou l’annulation d’un jugement définitif de la Cour parce que l’une des parties au jugement définitif a retenu les services d’un avocat qui, constate‑t‑on subséquemment, ne connaissait pas bien le droit ou les règles de pratique.

[41]  Même si le fait que l’avocat a découvert que le dossier de demande n’avait pas été déposé avait pu être considéré comme un « fait nouveau » au sens de l’alinéa 399(2)a) (ce qui n’est pas le cas), ce fait a été découvert avant que l’ordonnance soit rendue. L’avocat savait pertinemment qu’il n’avait pas déposé le dossier de demande pendant la période prévue par la loi, soit avant la fin de juillet, puisqu’il a cherché à déposer une requête en prorogation de délai aux environs du 10 septembre 2018. Les règles qui prévoient les périodes prévues par la loi étaient accessibles et connues de l’avocat, puisque le propre avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur, déposé par l’avocat le 28 juin 2018, énonce que des copies des règles applicables et d’autres renseignements nécessaires peuvent être obtenus auprès des bureaux locaux de la Cour fédérale.

[42]  Dans Cove c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266, [2001] ACF no 482 (QL) (Cove), la Cour a répété la règle générale selon laquelle un client est lié par la représentation et les actions de son avocat. La Cour a souligné la justification pour la règle énoncée dans Williams c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 258 (QL), 74 FTR 34. Dans Cove, la demanderesse s’était référée à un consultant en matière d’immigration; pourtant la même règle a été appliquée. La Cour a fait observer ce qui suit, aux paragraphes 5 à 7 :

5.  La demanderesse a parfaitement le droit de se tourner du côté d’un consultant en matière d’immigration plutôt que d’un avocat spécialisé dans ce domaine pour régler ses problèmes en matière d’immigration. Il se peut qu’en agissant de cette façon, elle ait épargné des frais et des honoraires, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Elle a également parfaitement le droit de se fonder sur l’avis de son consultant au sujet des mesures à prendre pour présenter sa demande. Toutefois, la demanderesse peut difficilement soutenir qu’elle devrait bénéficier d’une dispense de l’application des règles parce qu’elle n’a pas été représentée par un avocat et qu’elle a été mal conseillée.

6.  En général, les demandeurs devront subir les conséquences de leur choix en ce qui concerne le conseiller, même si celui‑ci est avocat. Dans l’affaire Williams c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F no 258, (1994) 74 F.T.R. 34, Madame le juge Reed s’est exprimée comme suit :

[par. 20] ...La règle générale observée par les tribunaux judiciaires pose que le client est réputé avoir autorisé les conclusions faites par son avocat en son nom, lesquelles conclusions l’engagent de ce fait. Le système serait bloqué s’il n’en était pas ainsi. À mon avis, d’ordonner le sursis dans les circonstances où le seul préjudice que le requérant soit en mesure de prouver est qu’il est possible qu’il ait ou n’ait pas des motifs de contrôle judiciaire, mais qu’il ne le sait pas parce que sa première avocate n’a pas convenablement préparé le dossier, créerait un précédent impraticable. C’est aux organismes de réglementation professionnelle, comme le barreau, et non pas aux tribunaux judiciaires, de veiller aux prestations professionnelles de leurs membres.

7.  Dans l’affaire Drummond c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 477, (1996), 112 F.T.R. 33, Monsieur le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a relevé une exception au principe que le juge Reed avait énoncé :

Cependant, dans des cas extraordinaires, la compétence de l’avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que les faits soient précis et clairement prouvés; voir Sheikh c. Canada (1990), 1990 CanLII 8017 (FCA), 71 D.L.R. (4th) 604 (C.A.F.); Huynh c. M.E.I. (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 18 (C.F. 1re inst.); et Shirwa c. M.E.I. (1993), 1993 CanLII 3026 (CAF), 23 Imm. L.R. (2d) 123 (C.F. 1re inst.).

[43]  De la même façon, en l’espèce, le demandeur est réputé avoir autorisé l’avocat à le représenter et est lié par ses actions. Aucun élément de preuve dont dispose la Cour ne lui permet de conclure qu’il s’agit d’un cas exceptionnel.

[44]  L’avocat s’appuie la décision Evans pour soutenir la proposition selon laquelle il existe une exception à la règle générale voulant qu’un demandeur est lié par les actions de l’avocat qu’il a choisi pour le représenter dans le cas où l’avocat a fait complètement défaut de représenter le demandeur. L’avocat semble faire valoir qu’il n’a pas agi dans l’intérêt supérieur du demandeur et que les circonstances sont semblables à celles énoncées dans Evans, où la Cour a annulé l’ordonnance en cause.

[45]  Dans Evans, la Cour a reconnu que le rejet de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre d’une ordonnance, qui reposait sur la conclusion selon laquelle il y avait eu désistement de la demande du statut de réfugié de M. Evans, devait être annulé. Dans cette affaire, M. Evans, qui était mineur, n’avait absolument aucune connaissance de la procédure en raison de la conduite de sa mère, qui était sa représentante légale, et de l’avocat de celle‑ci. Personne n’avait tenté de le joindre pour recueillir de l’information ou pour l’informer de la procédure, et par conséquent, il n’avait pas comparu comme il devait le faire. La Cour a conclu ce qui suit, au paragraphe 22 :

22  […] Le fait nouveau était l’omission complète de la mère de Dequan et de son avocat d’agir dans son meilleur intérêt en tout temps. Leurs omissions étaient telles que Dequan n’avait aucune idée des dates d’audience fixées par la SDP, du fondement de la demande d’asile faite en son nom, du contenu de son FRP, ou de l’exposé circonstancié déposé en son nom.

[46]  La Cour a ensuite conclu que ce fait n’aurait pas pu être découvert avant le jugement antérieur, et que le résultat aurait possiblement été différent si les intérêts du demandeur avaient été mis de l’avant.

[47]  En l’espèce, le demandeur a retenu les services de l’avocat et savait manifestement que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire était déposée et qu’il y avait des étapes à suivre au‑delà du dépôt de l’avis de demande. Cela est évident, étant donné que l’affidavit du demandeur est inclus dans le dossier de demande proposé que l’avocat veut déposer si l’ordonnance est annulée et que la prorogation de délai est accordée. Par conséquent, il semble que le demandeur soit au courant de la nécessité de présenter un dossier de demande. Il n’y a pas d’affidavit du demandeur à l’appui de la présente requête pour soutenir l’observation selon laquelle le demandeur n’est pas au courant que le dossier de demande n’a pas été déposé, mais le dossier révèle que le demandeur connaît la procédure de manière plus générale.

[48]  Dans la décision Evans, la Cour a conclu que le « fait nouveau » était non pas l’incompétence de l’avocat, mais plutôt l’ « omission complète » des personnes responsables du demandeur mineur de présenter sa demande. Les faits en l’espèce diffèrent de ceux dans l’affaire Evans. De plus, l’avocat continue de représenter le demandeur. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer la prétention selon laquelle l’avocat avait complètement omis de représenter les intérêts du demandeur.

[49]  Dans Chin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1033 (QL), 69 FTR 77 (Chin), l’avocate du requérant avait manqué le délai pour déposer le dossier de demande, la demande avait été rejetée, et l’avocate avait présenté une requête pour faire annuler l’ordonnance rejetant la demande et pour obtenir une prorogation de délai afin de déposer le dossier de demande. La Cour a conclu que l’explication de l’avocate, selon laquelle elle devait accomplir des tâches concurrentes, n’était pas un motif suffisant pour annuler l’ordonnance, soulignant ce qui suit, au paragraphe 10 :

10  Je sais que les tribunaux hésitent souvent à désavantager les individus parce que leurs avocats n’ont pas agi dans les délais. Par ailleurs, dans les affaires de ce genre, l’avocat agit au nom de son client. L’avocat et le client ne font qu’un. Il est trop facile pour l’avocat de justifier son inobservation des règles en alléguant que son client n’est nullement responsable du retard et que si une prolongation de délai n’est pas accordée, il subira un préjudice. Revenons à la question de l’équité. Il est inéquitable que certains avocats agissent en tenant pour acquis que, sauf imprévu, les délais doivent être respectés et que d’autres présument qu’ils n’ont qu’à plaider la surcharge de travail, ou n’importe quel autre événement contrôlable, et qu’ils obtiendront au moins une prolongation de délai. En l’absence d’une règle expresse s’appliquant dans ces derniers cas, je considère que la première attitude est celle qu’il faut adopter.

[50]  La justification fournie par la Cour dans Chin s’applique également en l’espèce.

[51]  L’argument de l’avocat donne à penser qu’un avocat devrait être autorisé à s’appuyer sur ses propres erreurs pour étayer une demande visant à faire annuler ou modifier une ordonnance. Comme il a été mentionné, la jurisprudence n’appuie pas cet argument (voir, entre autres, Chin, Cove et Guzman). De plus, une telle stratégie aurait des conséquences sur la réputation de l’avocat.

[52]  Malheureusement pour le demandeur, aucun élément de preuve n’a été fourni pour étayer les observations énoncées dans la requête en ce qui concerne la compétence ou le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’annuler l’ordonnance aux termes de l’article 399, d’après l’interprétation qui en est faite dans la jurisprudence. L’explication fournie quant à l’omission de déposer le dossier de demande pendant la période prévue par la loi — à savoir que l’avocat était simplement en vacances et trop occupé avec d’autres questions urgentes à son retour — est bien loin de constituer un motif impérieux pour annuler l’ordonnance.

[53]  En ce qui concerne la requête en prorogation de délai pour le dépôt du dossier de demande, aucune prorogation ne peut être envisagée, sauf si l’ordonnance qui rejetait la demande est d’abord annulée. La Cour a expliqué ce qui suit dans l’affaire Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2013 CF 335, 227 ACWS (3d) 4, au paragraphe 6 :

La requête en prorogation du délai imparti pour déposer le dossier de la demande soumise par le demandeur ne peut être entendue. L’ordonnance que j’ai rendue le 5 décembre 2012 est une décision finale par laquelle la demande est rejetée. Si cette ordonnance n’est pas d’abord annulée, rien ne peut plus être fait pour mettre en état le dossier : voir Bergman c Canada, 2006 CF 1082 (CanLII), [2006] ACF no 1360, et Boubarak c Canada, 2003 CF 1239 (CanLII), [2003] ACF no 1553. Aucun élément de preuve ne justifie qu’un redressement soit accordé aux termes de l’article 397 ou 399 des Règles des Cours fédérales. […]

[54]  Toutefois, compte tenu des circonstances inhabituelles et de l’absence d’éléments de preuve de la part du demandeur, la décision de la Cour à l’égard de la requête en l’espèce est sans préjudice au droit du demandeur de retenir les services d’un autre avocat et de présenter une requête subséquente visant à obtenir le même redressement, si des motifs suffisants ainsi que des éléments de preuve peuvent être fournis à des fins d’examen par la Cour. Une telle requête doit être déposée dans les 30 jours suivant la réception de la présente ordonnance et de ses motifs.

[55]  Quant à la demande de dépens présentée par le défendeur, l’article 22 des Règles d’immigration prévoit que « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens ». Dans l’affaire Adewusi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 75, 403 FTR 258, aux paragraphes 23 à 25, la Cour a fait observer que le critère permettant d’établir l’existence de raisons spéciales est rigoureux et a fourni quelques exemples de la jurisprudence où le critère avait été respecté, y compris en raison d’une mauvaise foi ou d’une inconduite qui prolonge inutilement l’instance.

[56]  Le défendeur a dû répondre à des requêtes non fondées et que l’avocat n’a pas été honnête avec la Cour en ce qui a trait à la position du défendeur, je ne suis pas convaincue que ces circonstances constituent des « raisons spéciales » permettant d’adjuger des dépens au défendeur.


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑3005‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. que la requête du demandeur visant à faire annuler l’ordonnance de la Cour datée du 7 septembre 2018 et à obtenir une prorogation du délai pour lui permettre de déposer un dossier de demande soit rejetée.

  2. qu’aucuns dépens ne soient adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de janvier 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :  IMM‑3005‑18

INTITULÉ :  HASSAN MOHAMED ISMAEL C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA, ONTARIO, EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :  LA JUGE KANE

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :  Le 28 novembre 2018

Paul Dineen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chapnick & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pOUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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