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Date : 20181204


Dossier : IMM-2712-18

Référence : 2018 CF 1216

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

ERIC MBUYI TSHIUNZA

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Si la SPR et la SAR avaient cru M. Mbuyi Tshiunza, il est fort possible qu’il serait aujourd’hui au Canada en tant que réfugié. Toutefois, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ont conclu qu’il n’était pas crédible et qu’il ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté ni autrement en danger s’il retournait en République démocratique du Congo.

[2]  La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

I.  L’HISTOIRE DE M. MBUYI TSHIUNZA

[3]  M. Mbuyi Tshiunza, un homme instruit, a commencé à travailler pour une organisation non gouvernementale appelée Réseau Jeunes dans le Monde pour la Paix, en février 2014, dans la Ville de Kananga.

[4]  En janvier 2015, on lui a demandé de participer à une conférence à Kinshasa, située à quelque 900 kilomètres de Kananga. Là-bas, il a été arrêté et torturé sur une période d’environ six semaines avant de réussir à s’en sortir au moyen d’un pot-de-vin. Il s’est ensuite caché dans la maison familiale à Kinshasa. Après un certain temps, il a obtenu un passeport congolais, sous un faux nom, ainsi qu’un visa canadien de visiteur. Il est arrivé au Canada en juin 2016 et il a présenté une demande d’asile.

II.  LA DÉCISION DE LA SECTION DE LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS

[5]  La SPR s’est concentrée sur la crédibilité ainsi que sur le temps qu’a mis le demandeur à quitter la RDC pour venir au Canada. De plus, un article de journal dans le dossier ne correspondait pas au récit de M. Mbuyi Tshiunza.

[6]  La SPR a conclu que M. Mbuyi Tshiunza n’était pas crédible pour un certain nombre de motifs. Son témoignage était incohérent et manquait de spontanéité. Il répétait souvent les questions et il ignorait la composition administrative complète de l’ONG et la terminologie habituelle qu’elle utilisait.

[7]  La commissaire n’a pas été convaincue que M. Mbuyi Tshiunza avait vécu à Kananga. Il s’ensuivait qu’il n’y avait pas travaillé et qu’il n’avait pas assisté à une conférence à Kinshasa.

[8]  De plus, le demandeur est resté dans son pays pendant quelque 15 mois après avoir échappé à sa détention. Il est resté dans la maison familiale à Kinshasa et a attendu cinq semaines après l’obtention de son visa canadien frauduleux avant de quitter la République démocratique du Congo.

III.  LA DÉCISION DE LA SECTION D’APPEL DES RÉFUGIÉS

[9]  La difficulté à laquelle la SAR se heurte constamment est la déférence dont elle doit faire preuve à l’égard de la SPR relativement aux conclusions quant à la crédibilité. La Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93 que la déférence impose lorsque la SPR est mieux placée pour faire une évaluation.

[10]  En l’espèce, la SAR n’a pas fait preuve de déférence et, par conséquent, l’analyse récente et très approfondie effectuée par monsieur le juge Diner dans la décision Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, n’est d’aucune utilité.

[11]  La SAR n’était pas prête à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité au motif que M. Mbuyi Tshiunza avait manqué de spontanéité ainsi que pour d’autres raisons. Toutefois, elle a convenu qu’aucun élément de preuve n’indiquait qu’il avait vécu à Kananga, qu’il y avait des incohérences dans l’article de journal et que M. Mbuyi Tshiunza avait mis du temps à quitter le pays.

IV.  ANALYSE

[12]  M. Mbuyi Tshiunza a témoigné en français. Toutefois, les questions lui avaient été posées en anglais, et tout ce dont nous disposons, c’est un document dans lequel figurent les questions qui ont été posées en anglais et ses réponses traduites du français vers l’anglais. Cela pourrait bien expliquer pourquoi il a demandé que de nombreuses questions soient répétées et pourquoi certaines de ses réponses ne semblaient pas spontanées.

[13]  Il s’agit d’un cas classique où la crédibilité d’une personne est attaquée à l’égard d’éléments secondaires pour ensuite conclure que les événements principaux, soit l’arrestation et les actes de torture subis à Kinshasa, ne se sont jamais produits.

[14]  La SPR et la SAR n’étaient pas convaincues que M. Mbuyi Tshiunza avait vécu à Kananga. S’il n’avait pas vécu dans cette ville, il s’ensuivait qu’il n’avait pas travaillé pour l’ONG et que l’ONG ne l’avait pas envoyé à Kinshasa, où il a dit avoir été détenu et torturé.

[15]  Pourtant, une lettre de l’ONG autorisait un voyage aller-retour de Kananga à Kinshasa, et parmi les éléments de preuve fournis, il y avait notamment sa carte d’identité d’employé. La SAR a relevé que cette carte indiquait simplement qu’elle avait été délivrée à Kananga, mais pas qu’il y travaillait et y vivait. Il s’ensuivrait que la lettre autorisant un voyage aller‑retour de Kananga vers Kinshasa était un faux document. Pourtant, les éléments de preuve démontrent clairement que l’ONG était une organisation bien connue.

[16]  Les conclusions sont très ténues et ne justifient certainement pas l’inférence selon laquelle l’arrestation à Kinshasa n’a jamais eu lieu (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum (1989) 99 NR 171, 1989 ACF no 505).

[17]  M. Mbuyi Tshiunza a été critiqué parce qu’il n’a pas été en mesure d’expliquer les incohérences entre son propre récit et l’article de journal. En toute déférence, il lui était demandé d’émettre des hypothèses au sujet des connaissances d’une autre personne, ce qui, au mieux, fournissait des motifs conjecturaux de remettre en question la crédibilité de M. Mbuyi Tshiunza, et non une occasion de tirer une inférence raisonnable (Ukleina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1292, aux paragraphes 12‑14).

[18]  Étant donné la conclusion selon laquelle M. Mbuyi Tshiunza n’était pas crédible, le fait qu’il ait mis 15 mois avant de quitter Kinshasa était une indication claire qu’il n’avait pas une crainte subjective. Les demandes d’asile doivent reposer sur un fondement objectif et une crainte subjective.

[19]  Le temps mis à quitter le pays peut s’expliquer par les démarches effectuées pour obtenir un faux passeport et un visa canadien de visiteur frauduleux.

[20]  Le fait qu’il soit resté dans la maison familiale à Kinshasa, où l’électricité était facturée à son propre nom, soulève certaines préoccupations. Toutefois, si, à ce stade de l’instance, la SAR avait cru à son histoire, elle aurait peut-être été plus ouverte à l’idée qu’en tant que membre moins important de l’opposition il ne soit pas activement recherché dans sa maison familiale à Kinshasa. Par contre, s’il quittait Kinshasa, il serait découvert et détenu dans des points de contrôle.

[21]  Quoi qu’il en soit, la SAR ne pouvait raisonnablement conclure que M. Mbuyi Tshiunza n’avait pas de crainte subjective, simplement parce qu’il a été forcé de demeurer caché dans sa résidence familiale avant de quitter la RDC. Comme il a souvent été précisé en ce qui concerne la question de savoir si un demandeur d’asile a une possibilité de refuge intérieur, il n’est pas approprié de tirer des conclusions qui, essentiellement, obligent le demandeur d’asile à demeurer cacher à perpétuité pour se sentir en sécurité (Offei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1619, aux paragraphes 14‑15; Ako c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 647, aux paragraphes 28‑29).

[22]  Par conséquent, le dossier doit être renvoyé à un autre commissaire de la SAR pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. M. Mbuyi Tshiunza a le droit, s’il le souhaite, de demander un dossier en français.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2712-18

LA COUR STATUE que :

  1. Pour les motifs fournis, il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire et le dossier est renvoyé à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen.

  2. L’intitulé de la cause se lit maintenant ERIC MBUYI TSHIUNZA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION.

  3. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de janvier 2019

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2712-18

 

INTITULÉ :

ERIC MBUYI TSHIUNZA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOmbiE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Erica Olmstead

 

POUR LE DEMANDEUR

Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Sécurité publique, défense et immigration

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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