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Date : 20181024


Dossier : IMM‑4605‑17

Référence : 2018 CF 1070

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2018

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

CARRIFT KENTON JONES

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision d’un agent principal d’immigration (l’agent), qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, laquelle était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Le contexte

[2]  Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Il est né le 8 juillet 1983. Enfant, il a été élevé en grande partie par sa grand‑mère. Adopté par sa tante en 1999, il est arrivé au Canada à titre de résident permanent à l’âge de 16 ans. Il n’a pas pu s’adapter aux règles de sa famille adoptive et a rapidement été contraint de quitter son nouveau domicile. Il a ensuite vécu comme sans‑abri. Il s’est engagé dans une relation avec son épouse actuelle en 2001. Ils ont emménagé ensemble en 2004, ont eu une fille en 2006, se sont mariés en 2015 et ont eu un fils en 2017.

[3]  En 2003, un rapport d’interdiction de territoire a été établi, en vertu de l’article 44 de la LIPR, sur le fondement qu’en 2002, le demandeur avait été déclaré coupable, au criminel, d’agression armée. À la suite d’une enquête, une mesure d’expulsion a été prise en 2003. En 2008, le demandeur a été accusé d’homicide involontaire coupable relativement à un décès survenu en 2006, et il a été déclaré coupable de cette accusation en 2011.

[4]  La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, présentée par le demandeur, a été rejetée le 6 octobre 2017. Cette décision est celle qui fait l’objet du présent contrôle. Le 16 février 2016, le juge Diner a rendu une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur en vue de son renvoi le 18 février 2018.

La décision faisant l’objet d’un contrôle

[5]  L’agent a déclaré que le demandeur avait invoqué, dans le cadre de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, des facteurs concernant l’intérêt supérieur de sa fille Tamara; ses liens familiaux au Canada; sa crainte de retourner en Jamaïque en tant que personne expulsée ayant eu des déclarations de culpabilité au criminel; les conditions dans le pays là‑bas.

[6]  L’agent a pris note de l’évaluation psychologique de la fille du demandeur, Tamara, âgée de 11 ans. L’agent a admis que le demandeur pourrait manquer à Tamara s’il retournait en Jamaïque et que le demandeur avait maintenu ses relations avec son épouse ainsi que sa fille pendant son incarcération. Cependant, l’agent a conclu que Tamara bénéficiait de l’amour et du soutien de sa mère ainsi que de ses grands‑parents, et il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’elle ne pourrait pas s’adapter à l’absence du demandeur ou que, si le demandeur quittait le Canada, cela pourrait avoir un effet préjudiciable sur le bien‑être physique ou mental de l’enfant. En outre, bien que Tamara puisse faire face à des difficultés si elle déménage en Jamaïque, elle a l’amour et le soutien de ses parents pour l’aider. De plus, comme elle est citoyenne canadienne, avec le droit de rester au Canada, le lieu de résidence de Tamara serait, en fin de compte, une décision parentale.

[7]  En ce qui concerne les difficultés financières de l’épouse du demandeur si celui‑ci était renvoyé en Jamaïque, l’agent a fait remarquer que l’épouse du demandeur travaillait fort, recevait de l’aide financière de sources gouvernementales et avait une famille au Canada, y compris ses parents dont Tamara était très proche. L’agent a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que l’épouse du demandeur ne continuerait pas à bénéficier d’une aide des mêmes sources. L’agent a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements permettant d’expliquer pourquoi le demandeur ne pouvait pas utiliser les compétences acquises au Canada afin d’atténuer les difficultés auxquelles il serait confronté pour obtenir un emploi en Jamaïque et de réduire le besoin de soutien financier de son épouse. En outre, en ce qui concerne les difficultés que l’épouse du demandeur craignait si elle devait accompagner celui‑ci en Jamaïque, l’agent a déclaré que l’épouse du demandeur ne faisait pas l’objet d’une mesure de renvoi et que la décision d’accompagner le demandeur serait sa décision à elle ou une décision familiale.

[8]  L’agent a pris note des préoccupations du demandeur quant à sa sécurité en Jamaïque en tant que personne expulsée ayant eu une déclaration de culpabilité au criminel, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements selon lesquels les autorités canadiennes identifiaient des rapatriés en Jamaïque comme des criminels ou des expulsés. Les préoccupations du demandeur à ce chapitre étaient donc hypothétiques. En outre, bien que le demandeur ait soumis un rapport à l’appui de cette position, les autres sources documentaires ne faisaient pas état de difficultés en Jamaïque liées au profil d’un rapatrié en tant que personne expulsée ou ayant eu une déclaration de culpabilité au criminel. Cependant, ces rapports indiquaient la disponibilité de services de soutien pour les rapatriés fournis par des organisations non gouvernementales (« ONG »).

[9]  L’agent a également fait référence aux lettres du frère et de la sœur du demandeur au Canada et les a acceptées comme lettres de recommandation, mais a constaté que les détails relatifs à l’interdépendance familiale étaient rares. L’agent a également mentionné des lettres d’appui, dans lesquelles des amis, des parents et des connaissances du demandeur le dépeignaient comme ayant une personnalité positive, ainsi que les remords du demandeur pour ses activités passées. Toutefois, l’agent a noté la gravité de l’infraction d’homicide involontaire coupable commise par le demandeur et a conclu que ni ses remords ni son éducation ne pouvaient excuser son délit. L’agent a également noté que le demandeur avait été déclaré coupable d’homicide involontaire après sa déclaration de culpabilité antérieure et pendant qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi, et il a accordé beaucoup d’importance à ces facteurs.

[10]  L’agent a conclu que bien que le demandeur résidait au Canada depuis plus de 18 ans, il n’avait fourni que peu d’éléments de preuve donnant à penser qu’il était bien établi. Par conséquent, l’agent a accordé peu de poids à ce facteur. L’agent a déclaré qu’il avait soupesé les considérations d’ordre humanitaire par rapport aux actes illégaux du demandeur. L’agent a conclu que ces actes ne permettaient pas d’apprécier favorablement la moralité du demandeur et en a tiré une inférence défavorable. L’agent a conclu que la situation personnelle du demandeur ne justifiait pas l’approbation de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[11]  Le demandeur ne soulève qu’une seule question, à savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[12]  Les conclusions d’un agent quant aux considérations d’ordre humanitaire sont examinées selon la norme de la décision raisonnable. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [« Dunsmuir »]; Kanathasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 42 [« Kanathsamy »]).

L’intérêt supérieur de l’enfant

[13]  Le demandeur soutient que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent était déraisonnable. L’agent a simplement examiné pour la forme la question de l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas tenu compte de l’arrêt Kanthasamy, ainsi que de la jurisprudence de la Cour, lors de son appréciation. Au lieu de procéder à une analyse des facteurs pertinents pour l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a procédé à une analyse générale qui n’a pas tenu compte de leur situation particulière. La conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait aucune raison pour que Tamara ne puisse pas composer avec la séparation permanente d’avec son père fait fi du rapport du psychiatre, le Dr Parul Agarwal. En effet, l’agent a effectué une analyse relative aux difficultés pour apprécier si les enfants seraient incapables de faire face au renvoi. En outre, l’agent n’a pas envisagé le fait que la situation du demandeur était telle que son renvoi pourrait être définitif. S’il est renvoyé, le demandeur ne peut pas rentrer au Canada tant qu’il n’a pas demandé et obtenu la suspension du casier en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c C‑47; il n’est pas admissible à présenter une telle demande avant que ne soit écoulée la période de 10 ans consécutive à l’expiration de la peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende (alinéa 4(1)a) de la Loi sur le casier judiciaire).

[14]  Je note d’abord que le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit que le ministre peut octroyer le statut de résident permanent à un étranger ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. En l’espèce, le demandeur sollicite ce recours exceptionnel, parce qu’il est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité.

[15]  Dans l’arrêt Kanthasamy, en analysant l’article 25 en général, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’obligation de quitter le Canada comportait inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (au paragraphe 23). Ce qui justifiera une dispense dépend évidemment des faits et du contexte du dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Kanthasamy, au paragraphe 25).

[16]  En ce qui concerne l’exigence, prévue au paragraphe 25(1), de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dépendait fortement du contexte et devait tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (Kanthasamy, au paragraphe 35). Par ailleurs, comme il est indiqué dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (« Baker »), pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent respecte la norme du caractère raisonnable, il devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt (Kanthasamy, au paragraphe 38). Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants (Kanthasamy, au paragraphe 38, citant Baker aux paragraphes 74 et 75). La décision rendue en application du paragraphe 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Kanthasamy, au paragraphe 39, citant Baker, au paragraphe 75). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien identifié et défini, puis examiné avec beaucoup d’attention, eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, au paragraphe 39, citant Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 CF 358 (CA), aux paragraphes 12 et 31; Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 323 FTR 181, aux paragraphes 9 à 12). Et comme les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés, la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées » ne saurait généralement s’appliquer aux difficultés alléguées par un enfant, ou relativement à celui‑ci, à l’appui de la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Kanathasamy, au paragraphe 41, citant Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9).

[17]  Cependant, comme l’a déclaré le juge Gascon dans la décision Semana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1082 (« Semana »), aucun critère rigide n’est requis pour une analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant. Afin de démontrer qu’un décideur est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, il est nécessaire que l’analyse en cause aborde les conséquences personnelles et uniques que le renvoi du Canada aurait pour les enfants touchés par la décision (Semana, aux paragraphes 25 et 26; voir également Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 25).

[18]  Par conséquent, en se fondant sur la jurisprudence, l’agent devait être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, accorder un poids considérable à cet intérêt, l’examiner avec soin et attention à la lumière de l’ensemble de la preuve, et tenir compte de la situation particulière des enfants. À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants dans la présente affaire.

[19]  L’agent a évoqué l’évaluation de Tamara par le psychiatre, quoique brièvement. Un examen de ce rapport montre que le Dr Agarwal a déclaré avoir rencontré Tamara le 24 avril 2017 dans le but d’évaluer les répercussions de l’absence de son père, en raison de l’emprisonnement, sur son adaptation affective, et les répercussions possibles de l’expulsion de son père sur sa santé mentale ainsi que sur sa croissance et son développement en général. Le rapport décrit le comportement de Tamara, tel qu’exposé par sa mère, au moment de la séparation d’avec son père quand elle était bambine et à nouveau quand elle avait quatre ans. Cela est décrit dans la partie du rapport consacrée à l’évaluation clinique, qui indique ensuite qu’il est bien établi dans la recherche sur le développement de l’enfant que les premières années de sa vie sont très importantes pour sa croissance et son développement globaux et que la présence de fournisseurs de soins réceptifs à l’état émotionnel et responsables est nécessaire au développement. Le Dr Agarwal a déclaré que, même si Tamara avait été séparée de son père à deux reprises, ses contacts téléphoniques quotidiens et ses visites régulières avec lui pendant les fins de semaine prolongées constituaient les facteurs atténuants. Ces facteurs ont contribué à maintenir leur lien et ont aidé Tamara à ne pas présenter de symptômes apparents d’un trouble mental, malgré sa détresse émotionnelle due à l’absence physique de son père dans sa vie.

[20]  Le rapport indique également qu’il est bien établi dans la littérature sur la santé mentale que l’un des facteurs de risque de dépression et d’anxiété à l’adolescence et à l’âge adulte est la séparation permanente d’un parent ou d’un fournisseur de soins sensible avant l’adolescence. Le Dr Agarwal a déclaré que, si le demandeur n’était pas autorisé à vivre au Canada, cela entraînerait une séparation géographique qui fera en sorte qu’il sera difficile pour lui et Tamara de maintenir des contacts fréquents. Cette séparation, à son tour, provoquera une autre rupture dans leur relation et exposera Tamara à un risque élevé de présenter les affections décrites.

[21]  Il est également mentionné dans le rapport que Tamara est une jeune fille innocente qui mérite d’être avec ses deux parents; qu’elle, sa mère et le bébé ont besoin du demandeur dans leur vie pour s’épanouir comme famille; qu’en tant qu’enfant canadienne, Tamara mérite les possibilités auxquelles ont droit les autres enfants qui grandissent ici; que, par conséquent, la réunification de la famille en Jamaïque n’est pas dans son intérêt supérieur. En outre, une telle perturbation dans sa vie deviendra, en soi, un facteur de risque important qu’elle puisse présenter des problèmes de santé mentale à l’avenir. Le rapport conclut que, de l’avis de l’auteur, la seule façon de soulager la détresse émotionnelle de Tamara est que son père soit autorisé à rester au Canada.

[22]  L’intimé soutient, et je partage son avis, que le rapport du Dr Agarwal ne fournit pas de diagnostic ni de traitement recommandé concernant Tamara. Ainsi, contrairement à l’arrêt Kanathasamy, l’agent n’a pas accepté de diagnostic pour ensuite se tromper en demandant de nouveaux éléments de preuve de traitement relativement à la maladie diagnostiquée. Le rapport décrit plutôt les symptômes de détresse émotionnelle déjà ressentis par Tamara lorsqu’elle était séparée de son père – comme le besoin de dormir dans la chambre de sa mère, ses cauchemars, ses pleurs, son retard à l’école et son incontinence nocturne occasionnelle – et indique que l’un des facteurs de risque chez les enfants qui se trouvent dans une situation similaire au début de l’adolescence est la dépression ainsi que l’anxiété et que Tamara présente un risque élevé de souffrir de ces affections si son père est géographiquement séparé d’elle.

[23]  À cet égard, l’agent a reconnu les comportements consignés, mais a souligné que le demandeur avait été emprisonné il y a plus de sept ans, et il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels des traitements médicaux avaient été recommandés ou sollicités.

[24]  Je remarque que, en fait, aucun élément de preuve de traitement ou de recommandation de traitement pour Tamara ne figurait au dossier. Et aucune preuve documentaire n’a été présentée pour étayer qu’elle avait pris du retard à l’école, lorsque son père avait été incarcéré quand elle avait quatre ans ou autrement. Le rapport du Dr Agarwal ne suggère aucune forme de counseling ni qu’il est nécessaire pour Tamara de prendre un médicament afin de gérer sa détresse, qui, selon le Dr Agarwal, était atténuée par ses contacts continus avec son père. De plus, comme l’intimé le soutient, le risque de dépression et d’anxiété est attribué à la séparation géographique. Cependant, le risque futur est hypothétique.

[25]  Selon la conclusion de l’agent, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que, advenant le renvoi du demandeur du Canada, cela pourrait avoir un effet préjudiciable sur le bien‑être physique ou mental de Tamara ni qu’elle ne pourrait pas s’adapter avec le soutien de sa famille. À mon avis, il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion. Le dossier contenait des lettres de Tamara et d’autres personnes au sujet des conséquences du renvoi du demandeur pour elle et sa famille, mais ces lettres n’établissent pas de circonstances autres que les difficultés habituelles d’une séparation lors du renvoi.

[26]  L’agent a également tenu compte de l’âge de Tamara et du fait qu’elle devra s’adapter si elle reste au Canada sans son père, mais qu’elle bénéficiera de l’amour et du soutien de sa mère et de ses grands‑parents. Si elle déménage en Jamaïque, elle aura le soutien de ses deux parents. On ne peut reprocher à l’agent de ne pas avoir fourni une analyse de l’intérêt supérieur du fils à naître du demandeur, car celui‑ci n’a pas présenté d’observations concernant l’intérêt de son fils. En outre, bien que l’agent n’ait pas spécifiquement fait référence à la Loi sur le casier judiciaire, cela n’est pas déterminant, car il ressort clairement de la décision qu’il était conscient des conséquences du renvoi.

[27]  Dans l’ensemble, et compte tenu des documents qui se trouvaient au dossier dont disposait l’agent, je ne suis pas convaincue que celui‑ci n’a pas tenu compte de la situation particulière de Tamara, qu’il a mal interprété la preuve ou qu’il n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants.

[28]  À titre d’observation supplémentaire, et bien que l’agent n’ait pas fait de commentaire à ce sujet, je remarque que le rapport du Dr Agarwal va bien au‑delà d’un avis psychologique. Le Dr Agarwal s’est clairement engagé dans le rôle de défenseur en affirmant notamment que Tamara était une jeune fille innocente qui méritait d’être avec ses deux parents, qu’en tant que Canadienne, elle méritait d’avoir toutes les possibilités qui s’offraient à elle ici et – sans aucun fondement ni analyse psychologique à l’appui – même si les membres de la famille déménageaient ensemble en Jamaïque, Tamara serait exposée à un risque en raison de la perturbation occasionnée par le fait de quitter un endroit familier.

Les difficultés au retour en Jamaïque

[29]  Le demandeur soutient également que l’agent a fait fi des éléments de preuve présentés par le demandeur qui démontrent la stigmatisation et la marginalisation auxquelles sont confrontés les expulsés vers la Jamaïque, ou les a mal interprétés. Il affirme que la décision était contraire à l’ensemble de la preuve présentée à l’agent et qu’aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle ces documents n’avaient pas été pris en considération. En outre, un article récent de M. Luke de Noronha (M. de Noronha) a confirmé que les associations négatives concernant les expulsés sont largement répandues en Jamaïque.

[30]  À l’inverse, l’intimé soutient que l’agent a examiné une preuve documentaire objective sur les conditions dans le pays et a conclu de façon raisonnable que rien ne dénotait l’existence de difficultés en Jamaïque liées au profil d’un rapatrié en tant que personne expulsée ou ayant eu une déclaration de culpabilité au criminel. L’agent a examiné les services offerts par les ONG pour aider les rapatriés à se réinstaller et a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant pourquoi le demandeur ne pourrait pas recourir à ces services pour faciliter sa réinstallation en Jamaïque. L’intimé affirme que l’agent a mentionné et pris en compte la preuve documentaire soumise par le demandeur, mais l’a comparée à d’autres éléments de preuve documentaire qui n’étayaient pas les observations du demandeur.

[31]  Je suis d’accord avec l’intimé sur ce point. L’agent a expressément évoqué la lettre du père du demandeur en soulignant qu’elle indiquait qu’il craignait que son fils ne soit tué, parce que la plupart des expulsés sont assassinés et qu’il est conscient des difficultés auxquelles le demandeur sera confronté, puisqu’il a lui‑même été expulsé des États‑Unis vers la Jamaïque. L’agent a noté que, bien que le père du demandeur ait déclaré que les occasions d’emploi étaient limitées, qu’il n’existait aucun programme d’aide pour les personnes dans le besoin et qu’il n’y avait ni logement ni soutien, peu de renseignements avaient été fournis en fonction des difficultés causées par le profil du demandeur en tant que personne expulsée. En outre, l’expérience du père était liée à la situation d’il y a 20 ans, et l’agent avait examiné des documents plus récents sur le pays. L’agent a également évoqué un article selon lequel les expulsés ne seraient pas accueillis à bras ouverts; il faisait vraisemblablement référence à un article en ligne de Bernard Headley et Dragon Milovanovic, intitulé « Rebuilding Self and Country: Deportee Reintegration in Jamaica », publié par le Migration Policy Institute (le 16 août 2016) (l’article du MPI), qui avait été soumis par le demandeur. Cet article fait remarquer que plus de 45 000 Jamaïcains ont été expulsés de l’étranger entre 2000 et 2014, et que les expulsés ne sont pas accueillis à bras ouverts, en partie à cause de l’opinion largement répandue, mais non fondée, en Jamaïque selon laquelle les expulsés sont à blâmer pour les problèmes de sécurité publique de la région. L’article décrit ensuite les efforts de l’Organisation nationale des migrants expulsés et d’autres organismes, qui facilitent les services de réinsertion sociale pour les expulsés.

[32]  L’agent semble laisser sous‑entendre, à tort, que l’article du MPI a été rédigé par M. de Noronha, qui est en fait l’auteur d’un autre document soumis par le demandeur et intitulé « Expert Report – Deportees to Jamaica », qui a été, apparemment, préparé comme un document général concernant les Jamaïcains expulsés du Royaume‑Uni. Quoi qu’il en soit, dans la décision, l’agent a fait état des difficultés et des risques résultant d’un manque de soutien familial en Jamaïque, des difficultés de communication, parce que les expulsés ne parlaient plus le dialecte local, et d’une forte incidence de pauvreté en raison du manque de possibilités d’emploi et de ressources – tous des sujets abordés dans le rapport de M. de Noronha –, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant d’expliquer pourquoi le demandeur ne pourrait pas utiliser les compétences acquises au Canada et les services disponibles en Jamaïque pour l’aider dans sa réinsertion sociale.

[33]  Cela étant, je ne suis pas convaincue que l’agent a fait abstraction de la preuve documentaire du demandeur. L’agent a analysé le rapport de M. de Noronha et a également déclaré qu’il avait consulté d’autres sources documentaires qui traitaient des conditions dans le pays en Jamaïque, mais qu’il n’avait pas été en mesure de vérifier, à partir de ces sources, des renseignements faisant état de difficultés en Jamaïque liées au profil d’un rapatrié en tant qu’expulsé et/ou personne ayant eu une déclaration de culpabilité au criminel. Étant donné que les rapports sur les conditions dans le pays indiquent généralement les difficultés, y compris celles auxquelles sont confrontés les rapatriés, il n’était pas déraisonnable que l’agent s’attende à trouver une confirmation du rapport de M. de Noronha dans ces documents. Il était également loisible à l’agent de préférer la preuve documentaire du Home Office ainsi que l’article du MPI au rapport de M. de Noronha.

Les éléments de preuve relatifs à la réhabilitation et à l’établissement

[34]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve relative à sa réhabilitation et à son degré d’établissement. En outre, l’agent a axé son analyse, de manière déraisonnable, sur les motifs de son interdiction de territoire, ce qui est contraire à la jurisprudence de la Cour, et il a négligé de donner effet à l’objet de l’article 25 de la LIPR. Le demandeur souligne qu’il a travaillé d’arrache‑pied pour changer sa vie depuis 2006, lorsqu’est survenu le décès qui a entraîné la déclaration de culpabilité pour homicide involontaire coupable. Il souligne les nombreuses lettres de soutien d’amis, de membres de la famille, de responsables de l’administration pénitentiaire, de surveillants, de collègues et des imams de sa mosquée qui appuient toutes ce changement. Il souligne également son engagement dans la collectivité et ses remords.

[35]  L’intimé soutient que le demandeur est simplement en désaccord avec la conclusion de l’agent et qu’il demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve (Chaudhary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 128, au paragraphe 25 [« Chaudhary »]).

[36]  Je conviens avec le demandeur que l’agent a, de façon déraisonnable, écarté l’ensemble très important d’éléments de preuve ayant trait à la réhabilitation et à l’établissement du demandeur. L’agent a mentionné les nombreuses références morales favorables, mais a omis de traiter des renseignements qu’elles contenaient; il a plutôt mis l’accent sur la gravité de l’infraction et a déclaré que les remords du demandeur ou son éducation [traduction] « ne [pouvaient] excuser son délit ». Toutefois, le demandeur avait été déclaré coupable par un tribunal et avait purgé les peines qui lui avaient été imposées pour les infractions qu’il avait commises. Le rôle de l’agent consistait à apprécier la preuve présentée par le demandeur, afin d’établir si elle justifiait la dispense exceptionnelle qui peut être octroyée au titre de l’article 25 de la LIPR. À mon avis, il ne l’a pas fait.

[37]  Comme l’a déclaré le juge Grammond dans la décision Sivalingham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 :

[9]  Premièrement, l’analyse de l’agent est axée d’une façon déraisonnable sur le motif qui a entraîné l’interdiction de territoire de M. Sivalingam. Ce faisant, l’agent n’a pas donné effet à l’objectif de l’article 25 de la LIPR, qui est de permettre de mitiger « la sévérité de la loi selon le cas » (Kanthasamy, au paragraphe 19). Une interprétation de l’article 25 qui est axée de façon excessive sur la raison qui a rendu le demandeur interdit de territoire en vertu d’une disposition de la LIPR renforce la sévérité de la loi plutôt que de la mitiger et contrecarre l’objet de l’article 25 (Kobita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1479 (CanLII), au paragraphe 29). L’interprétation d’une disposition législative peut être déraisonnable si elle va à l’encontre de l’objectif poursuivi par le législateur en adoptant la disposition : Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14 (CanLII), [2010] 1 RCS 427, au paragraphe 42.

(Voir également Gregory c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 585, aux paragraphes 68 à 71.)

[38]  En l’espèce, la preuve dont disposait l’agent comprenait les éléments suivants :

‑ En prison, le demandeur avait terminé ses études secondaires et obtenu son diplôme d’études secondaires de l’Ontario;

‑ Une lettre du 6 juin 2017 de M. Craig Chinnery, directeur adjoint, Opérations, CORCAN – Établissement de Collins Bay (l’ECB) (unité à sécurité moyenne), indiquant que le demandeur avait travaillé à l’atelier de fabrication de CORCAN du 4 novembre 2013 au 31 août 2015, lorsqu’il avait été transféré à l’unité à sécurité minimale de l’ECB. Il était ponctuel, avait d’excellents antécédents d’assiduité, un vif intérêt pour son travail et une solide éthique de travail. Même après son transfèrement à l’unité à sécurité minimale de l’ECB, il a continué à se rendre à l’unité à sécurité moyenne d’ECB une fois par semaine afin de terminer son programme d’apprentissage et d’obtenir des certifications supplémentaires en matière de soudage. Il a terminé avec succès le programme d’apprentissage pour les soudeurs de niveau 1 et, au moment de la rédaction de la lettre, était inscrit au programme de niveau 2. On s’attendait à ce qu’il poursuive le programme et termine le niveau 3 de l’apprentissage, qui était le dernier volet du programme en salle de classe. Les programmes de certification sont reconnus par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle (le MESFP). Le demandeur s’était également inscrit en tant qu’apprenti soudeur auprès de l’Ordre des métiers de l’Ontario, parallèlement à sa participation au programme. Une fois qu’il aurait atteint un nombre d’heures de production suffisant et achevé le programme d’apprentissage de niveau 3, le demandeur aurait la possibilité de passer l’examen en vue de l’obtention du Sceau rouge de soudeur par l’intermédiaire du MESFP. Cette désignation le rendrait éminemment apte au travail et lui permettrait de chercher un emploi à l’échelle du Canada en tant que compagnon soudeur. En plus du programme d’apprentissage, le demandeur a obtenu un certain nombre de certifications relatives au soudage par l’intermédiaire du Bureau canadien de soudage dans une variété d’alliages. M. Chinney a déclaré qu’il convient de noter que le demandeur avait fait preuve d’un excellent esprit d’initiative en poursuivant le programme d’apprentissage malgré sa présence à un niveau de sécurité supérieur;

‑ Une lettre du 12 juillet 2017 de M. Ken Wilkenson, superviseur des services publics de l’Établissement de Collins Bay, affirmant qu’au cours des 17 mois précédents, il avait supervisé le demandeur en tant qu’employé à l’installation de chauffage central de l’Établissement de Collins Bay, où il occupait un poste d’aide‑mécanicien, dont les fonctions étaient décrites. M. Wilkinson a déclaré que le demandeur avait démontré une éthique de travail remarquable, s’était toujours présenté au travail et était ponctuel. Il était prêt à travailler dur, qu’il s’agisse d’un travail qui lui était demandé ou d’une tâche de maintenance qu’il assumait de son propre chef. M. Wilkinson a déclaré qu’il croyait que le demandeur aurait un impact positif sur la société et la main‑d’œuvre au Canada, quel que soit le domaine qu’il choisirait pour subvenir aux besoins de sa famille;

‑ Une lettre du 11 mai 2017 de M. DeVoe Dyette, agent correctionnel à l’unité à sécurité minimale de l’Établissement de Collins Bay, affirmant que, pendant que le demandeur purgeait sa peine à cet établissement, il avait eu une attitude positive, avait fait preuve de respect et d’un engagement comportemental à l’égard des règles de l’établissement, avait démontré une capacité de fonctionner sans incident et s’était conduit de manière appropriée;

‑ Une lettre datée du 19 mai 2017, d’Islam Ali, aumônier à l’unité à sécurité minimale de l’ECB, indiquant qu’il était aumônier depuis avril 2016, époque à laquelle il a connu le demandeur, et le décrivant comme un jeune homme agréable, engagé envers sa famille et dans sa foi;

‑ Un affidavit de l’épouse du demandeur décrivant l’engagement de celle‑ci à l’égard du mariage et attestant que, malgré son incarcération, le demandeur n’avait jamais cessé d’être le père de Tamara; qu’elle et Tamara lui avaient rendu visite régulièrement et avaient participé à des visites familiales privées; qu’ils avaient également maintenu le contact au moyen d’appels téléphoniques quotidiens et de lettres. Elle a décrit la vie du demandeur pendant son enfance en Jamaïque, où il avait été laissé à lui‑même pendant de longues périodes; sa lutte pour s’adapter lorsque sa tante l’avait adopté au Canada; sa dérive l’ayant mené à des démêlés avec la justice; la conviction de l’épouse que son époux avait appris une dure leçon et avait vu les conséquences que des actes imprudents pouvaient avoir sur les familles, de toute évidence pour la famille de la victime;

‑ Deux lettres d’anciens employeurs du demandeur déclarant qu’ils seraient disposés à le réembaucher après sa mise en liberté;

‑ Une lettre de soutien datée du 31 mai 2017 du frère du demandeur, Neville Soloman, pasteur depuis huit ans au sein des Ministères mondiaux de Siloam et employé à plein temps à la Société d’aide à l’enfance de Durham depuis 11 ans;

‑ Une lettre non datée de la sœur du demandeur décrivant les antécédents du demandeur et les changements positifs qu’elle a observés en lui;

‑ La lettre du 20 septembre 2016 du demandeur décrivant ses antécédents, admettant ses erreurs, exprimant ses remords et expliquant les mesures qu’il avait prises pour apporter des changements positifs dans sa vie.

[39]  En résumé, ces éléments de preuve indiquaient que le demandeur avait travaillé fort pour changer sa vie et qu’il avait réussi à le faire. Pendant son incarcération, il avait terminé ses études secondaires, s’était perfectionné et avait maintenu les liens de son mariage ainsi que son rôle de père de Tamara. Cependant, l’agent n’a pas analysé et apprécié correctement cette preuve et s’est plutôt concentré principalement sur les facteurs à l’origine de l’interdiction de territoire du demandeur.

[40]  L’agent a également conclu que, bien que le demandeur ait résidé au Canada depuis plus de 18 ans, il n’avait fourni que peu d’éléments de preuve donnant à penser qu’il était bien établi. Par conséquent, l’établissement n’a guère eu de poids dans l’appréciation de la demande par l’agent. Toutefois, l’agent n’a pas traité du fait que le demandeur était arrivé au Canada à l’âge de 16 ans et que bon nombre des autres lettres de soutien émanant de membres de la famille et d’amis attestaient son établissement avant et pendant son incarcération. Cela comprend notamment une lettre de Mme Juliza Saunders décrivant le rôle de mentor que le demandeur avait joué dans sa vie et combien il lui manquait lors d’événements familiaux; une lettre de M. Rohan Jones indiquant qu’il avait toujours entretenu et entretenait toujours une relation étroite avec son cousin, le demandeur, et sa famille; une lettre de Mme Danisha Jack indiquant qu’elle connaissait le demandeur depuis qu’elle était arrivée au Canada en 2011 et qu’il était comme un oncle pour elle; une lettre de Mme Sarah Ramcharan indiquant qu’elle connaissait le demandeur depuis le début de la relation du demandeur avec son épouse et qu’elle avait gardé contact avec lui par téléphone; une lettre de M. Yasmin Burt indiquant qu’il connaissait le demandeur depuis 15 ans et que celui‑ci avait été accepté dans sa famille comme l’un des leurs; une lettre de M. Afzal Hawaldar indiquant qu’il connaissait le demandeur depuis 17 ans et avait maintenu sa relation avec lui par des communications téléphoniques régulières; une lettre de Mme Jannet Da Rocha indiquant que le demandeur disposerait d’un système de soutien complet pour garantir que sa réinsertion sociale dans une vie positive se déroule sans encombre et qu’il serait bien soutenu par sa famille ainsi qu’un cercle d’amis proches.

[41]  L’agent avait connaissance de ces lettres, mais il a conclu que le demandeur était peu établi au Canada, sans expliquer pourquoi ces éléments de preuve étaient insuffisants. Il a plutôt écarté la preuve relative à l’établissement en se fondant sur la gravité des infractions du demandeur.

[42]  L’intimé invoque la décision Chaudary à l’appui de la proposition selon laquelle l’agent avait le droit de se concentrer sur les antécédents criminels du demandeur et de conclure que ceux‑ci l’emportaient sur toute considération d’ordre humanitaire. Cependant, comme l’a souligné le demandeur, il peut être fait une distinction d’avec les faits de cette affaire. Dans l’affaire Chaudary, il y avait peu d’éléments de preuve quant au rôle de la demanderesse pendant les années de développement de ses enfants, et elle n’avait pas assumé la responsabilité de ses crimes. En outre, dans la décision Chaudary, la Cour a conclu que l’agent avait apprécié la preuve de manière raisonnable, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.

[43]  Enfin, je suis troublée par l’énoncé final de l’agent, selon lequel il avait soupesé les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant, à l’établissement et aux difficultés du retour [traduction] « par rapport actes illégaux du demandeur qui, selon [lui], ne permett[aient] pas d’apprécier favorablement sa moralité, et [il] en tir[ait] une inférence défavorable ». Il ne fait aucun doute qu’il était loisible à l’agent de conclure que les antécédents criminels du demandeur l’emportaient sur les considérations d’ordre humanitaire, y compris la réhabilitation. Cependant, le passé criminel du demandeur a été admis. L’ensemble de la preuve dont disposait l’agent révélait le caractère extrêmement positif des mesures de réhabilitation prises par le demandeur depuis son incarcération et ses remords face à ses actes. Rien dans le dossier ne pouvait appuyer une appréciation défavorable de sa moralité depuis son incarcération. En outre, l’objet même de la demande du demandeur fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était justement de mettre fin à l’interdiction de territoire qui le visait pour cause de grande criminalité. Par conséquent, je ne comprends pas du tout comment cette inférence défavorable quant à la moralité du demandeur s’intègre dans l’analyse relative aux considérations d’ordre humanitaire qui était requise de la part de l’agent. Cela est inintelligible et donne à penser, encore une fois, que l’agent a mal compris son rôle ou mal interprété la preuve.

[44]  Par conséquent, la décision était déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens;

  3. aucune question de portée générale n’a été proposée ni n’est soulevée en vue de la certification.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de janvier 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑4605‑17

 

INTITULÉ :

CARRIFT KENTON JONES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 OCTOBRE 2018

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 24 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Nicole Guthrie

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Flemingdon Community Legal Services

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

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