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Date : 20181009


Dossier : IMM-4623-17

Référence : 2018 CF 1005

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MUHAMED DRAMMEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un mineur originaire de la Gambie qui demande l’asile au Canada. Il prétend faire face à un risque de persécution parce que son père a travaillé auprès de l’ancien régime gambien. La Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui n’était pas de cet avis, a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention, et qu’il n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La SPR est allée plus loin et a conclu à l’absence de minimum de fondement de sa demande, conformément au paragraphe 107(2) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, puisque les conclusions de la SPR, notamment celle relative à l’« absence de fondement minimum », sont raisonnables.

Contexte

[3]  Le demandeur a présenté une demande d’asile en se fondant sur le travail de son père auprès de l’ancien gouvernement de la Gambie. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, il indique que son père occupait un poste de niveau intermédiaire auprès de l’Agence nationale de renseignement (la NIA) sous l’ancien régime de Yahya Jammeh.

[4]  Toutefois, dans un affidavit fourni par son père aux fins de l’audience de la SPR, ce dernier signale qu’il a été chauffeur pour la NIA, et qu’il a été témoin de certaines des atrocités commises par le régime de Yahya Jammeh, lequel avait refusé de céder le pouvoir après l’élection d’Adama Barrow, en décembre 2016. On aurait enjoint au père de rester fidèle au régime de Jammeh.

[5]  Lorsque Jammeh a finalement concédé le pouvoir, en janvier 2017, le père du demandeur a décidé que la famille n’était plus en sécurité en Gambie, et les membres de la famille ont déménagé au Sénégal, le pays voisin, en février 2017.

[6]  Le demandeur a affirmé avoir été envoyé au Canada parce que son père était préoccupé par sa sécurité en Gambie et au Sénégal. Muni de faux documents, le demandeur s’est rendu au Canada en mai 2017, et il a présenté une demande d’asile.

[7]  Un ami du père du demandeur agit comme son tuteur pendant que le demandeur se trouve au Canada.

[8]  Comme le demandeur est mineur, un représentant désigné a été nommé pour lui en vue de son audience devant la SPR.

Décision de la SPR

[9]  Le demandeur a témoigné que sa famille a dû quitter la Gambie parce que des représentants du nouveau gouvernement saisissaient des biens et de l’argent appartenant à des personnes qui avaient travaillé pour l’ancien président. Même au Sénégal, ils n’auraient pas été en sécurité, parce que le gouvernement sénégalais renvoyait en Gambie des personnes ayant travaillé pour l’ancien régime. Si tel était bel et bien le cas, la SPR a jugé discutable que son père pût rester au Sénégal.

[10]  Le jour de l’audience de la SPR, le demandeur a produit un affidavit provenant de son père. La SPR a souligné que le témoignage contenu dans l’affidavit différait des éléments de preuve précédemment soumis par le demandeur quant à la raison pour laquelle son père était recherché par le régime actuel en Gambie. Auparavant, le demandeur avait affirmé que cela tenait au fait que son père avait occupé un poste de niveau intermédiaire auprès de la NIA; mais selon l’affidavit du père, ce dernier avait été témoin, et peut-être même complice, des atrocités commises par l’ancien régime.

[11]  La SPR a souligné l’absence d’éléments de preuve pour corroborer la nature du travail du père. Le tribunal a fait remarquer que le demandeur lui-même n’avait pas une connaissance directe du travail exercé par son père. Le tribunal a conclu que l’affidavit du père était en soi insuffisant pour permettre de conclure que celui-ci avait travaillé comme chauffeur pour la NIA. Par conséquent, la SPR a déterminé que le père n’était pas employé à ce titre, et donc, que sa vie n’était pas en péril.

[12]  La SPR a également signalé que, si tant est que le père fût un ancien employé de la NIA, il présenterait un intérêt pour le régime actuel en Gambie. Cependant, rien n’indiquait que ce fût le cas et, par conséquent, rien ne laissait croire que le gouvernement avait quelque intérêt que ce soit envers le demandeur, ou que celui-ci serait exposé à un risque advenant son retour en Gambie ou au Sénégal.

[13]  Dans l’ensemble, la SPR a estimé que des aspects importants de la demande n’étaient pas crédibles et, par conséquent, elle a conclu à une absence de fondement minimum de la demande.

Question en litige et norme de contrôle applicable

[14]  L’unique question en litige soulevée par le demandeur en l’espèce concerne la question de savoir si la SPR a été déraisonnable en concluant à une [Traduction] « absence de fondement minimum ».

[15]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

Analyse

[16]  Même si le demandeur concède que les éléments de preuve présentés à la SPR étaient peut-être contradictoires, il fait valoir que la SPR est allée trop loin en concluant à une absence de fondement minimum. Cette conclusion d’[Traduction] « absence de fondement minimum » est importante, puisqu’elle empêche le demandeur d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés.

[17]  Le critère permettant de tirer une telle conclusion est très exigeant, comme il est expliqué dans la décision Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, au paragraphe 51 :

[Traduction]

[L]a Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu’une revendication n’a pas un minimum de fondement lorsqu’elle conclut qu’un revendicateur n’est pas un témoin crédible […] [L]a Commission doit […] examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence de minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié ou revendicateur.

[18]  En l’espèce, les éléments de preuve présentés à la SPR étaient les suivants : (i) l’affidavit et le témoignage du demandeur, (ii) le témoignage du tuteur et (iii) l’affidavit du père.

[19]  Plusieurs incohérences se sont dégagées de l’affidavit et du témoignage du demandeur par rapport aux autres éléments de preuve soumis à la SPR. Cependant, la SPR a reconnu que le demandeur était un mineur dont la demande reposait entièrement sur les activités et la situation de son père, et non pas sur sa propre situation personnelle. La SPR a donc tenu compte des autres éléments de preuve à l’appui de la demande.

[20]  En ce qui concerne le témoignage du tuteur, la SPR a conclu qu’il était incohérent et qu’il ne corroborait pas la demande du demandeur. En particulier, la SPR a noté que le tuteur n’avait pas une connaissance directe de l’emploi du père auprès de la NIA.

[21]  Le seul élément de preuve susceptible d’appuyer la demande du demandeur et de dissiper toute préoccupation en matière de crédibilité était le témoignage de son père. La SPR a examiné les renseignements fournis dans l’affidavit du père et les a comparés à ceux de la demande du demandeur. Relativement à cet affidavit, la SPR a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité, en raison de l’absence de tout élément de preuve documentaire pour confirmer que le père avait effectivement travaillé auprès de la NIA. Même s’il a été allégué que les renseignements n’étaient pas disponibles en raison de la nature secrète du travail accompli à la NIA et de la crainte de représailles, la SPR n’a tout simplement pas admis l’absence d’élément de preuve corroborant l’affirmation du père selon laquelle il avait travaillé pour la NIA.

[22]  La conclusion de la SPR sur cette composante fondamentale de la demande du demandeur est raisonnable. Peu importe les circonstances qui ont amené le père du demandeur à quitter la Gambie, le fait que la SPR ait insisté sur la nécessité de quelque preuve corroborante de son emploi auprès de la NIA (p. ex. un talon de chèque, des documents, des photos en uniforme) n’était pas déraisonnable.

[23]  La SPR a également tiré une conclusion négative en matière de crédibilité relativement à la demande du demandeur selon laquelle des menaces directes avaient été proférées contre sa famille. Dans son témoignage, le père n’a pas fait allusion à de telles menaces. La SPR a reconnu que de nombreux Gambiens s’étaient enfuis du pays en raison des tensions politiques qu’il y avait là-bas, et que les personnes associées à l’ancien régime pourraient faire face à un risque de persécution si elles devaient retourner en Gambie. Toutefois, le tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve convaincant qui indiquerait que le demandeur lui‑même serait personnellement exposé à un risque de persécution.

[24]  La position de la SPR sur cette question est ainsi énoncée au paragraphe 56 de la décision :

[Traduction]

Qui plus est, le tribunal estime que la crédibilité de l’allégation selon laquelle le demandeur est exposé à un préjudice est minée par le fait que le père du demandeur est celui qui se trouve dans l’embarras, et que pourtant, il a choisi d’envoyer son fils au Canada pendant que lui-même restait au Sénégal, où le gouvernement arrête et renvoie prétendument en Gambie des employés de l’ancien gouvernement afin qu’ils y soient punis. Si c’est exact, le père du demandeur fait face à un risque d’expulsion vers le pays même où il risque de graves ennuis. Même si le demandeur a expliqué que le souhait de son père était de faire sortir toute la famille du Sénégal, ce qu’il n’avait pas réussi à faire, le tribunal ne voit aucune raison pour laquelle il n’aurait pas cherché d’abord à se mettre en sécurité lui‑même pour ensuite prendre des dispositions pour le demandeur et le reste de la famille. Le tribunal estime que l’omission d’agir en ce sens mine la crédibilité de l’allégation selon laquelle le père — et par conséquent le demandeur mineur — est exposé à un risque de préjudice en Gambie.

[25]  Dans l’ensemble, la SPR a conclu que, si quiconque présentait un intérêt pour les autorités de la Gambie, cette personne était le père du demandeur. Le fait que le demandeur soit le fils aîné, qu’il porte le même nom de famille et qu’il ressemble physiquement à son père n’était pas suffisant pour l’exposer à un préjudice. Il n’y avait tout simplement aucun élément de preuve attestant que qui que ce soit en Gambie portait un quelconque intérêt au demandeur.

[26]  La SPR a conclu que la demande était dépourvue de minimum de fondement. La SPR a tenu compte des éléments de preuve, tels qu’ils ont été présentés, mais elle a conclu qu’ils n’étaient ni crédibles ni fiables. La décision de la SPR appartient aux issues raisonnables, et elle appelle donc à faire preuve de retenue. Dans la mesure où la crédibilité était la question déterminante en l’espèce, et où le demandeur ne peut relever d’erreur commise par la SPR, la Cour n’est pas fondée à intervenir.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4623-17

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 octobre 2017 par la Section de la protection des réfugiés est rejetée.

2.  Aucune question grave n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de janvier 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4623-17

INTITULÉ :

MUHAMED DRAMMEH c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AOÛT 2018

JUGEMENT et motifs :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 9 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Ian Sonshine

POUR LE DEMANDEUR

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian Sonshine

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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