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Date : 20181212


Dossier : IMM‑1379‑18

Référence : 2018 CF 1249

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ZAUR FAKHRADDIN OGLU HAJIKHANOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Hajikhanov, citoyen d’Azerbaïdjan, a présenté une demande d’asile fondée sur ses affiliations politiques. À l’audience devant la Section d’appel des réfugiés (laSAR), il a tenté de se fonder sur le témoignage d’un autre citoyen d’Azerbaïdjan, qui avait obtenu l’asile en raison de sa participation aux activités du même parti politique. La SAR a rejeté la demande d’asile, jugeant peu crédibles les éléments de preuve qu’il a produits quant au risque de persécution auquel il serait exposé. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, la Cour jugeant raisonnable la décision de la SAR.

Contexte

[2]  M. Hajikhanov affirme avoir été persécuté par les autorités de son pays à cause de sa participation aux activités du Parti du Front populaire (le « Parti »). Il affirme qu’il a adhéré au Parti en 2009, qu’il a été détenu par les autorités en octobre 2013, puis à nouveau en septembre 2016. Il soutient également qu’en janvier 2016 les autorités l’ont convoqué à un interrogatoire.

[3]  Le 13 janvier 2017, passant par les États‑Unis, il est arrivé au Canada, où il a déposé une demande d’asile.

La décision de la SAR

[4]  Devant la SAR, le demandeur a invoqué le témoignage de M. Musayev, à qui la Section de la protection des réfugiés (la SPR) avait accordé le statut de réfugié. Le demandeur et M. Musayev sont originaires du même pays, et ils ont tous deux invoqué à l’appui de leurs demandes d’asile respectives leurs activités politiques au sein du Parti. La SAR n’a cependant pas considéré que les documents produits à l’appui de la demande en l’espèce étaient pertinents pour les besoins de l’appel interjeté par le demandeur. La SAR a précisé ne pas être liée par les décisions de la SPR relativement à d’autres demandes d’asile, étant donné que chaque demande doit être tranchée en fonction des circonstances qui lui sont propres et qu’il n’y a jamais deux dossiers identiques. La SAR n’a pas vu dans les documents en question de nouveaux éléments de preuve, compte tenu notamment des doutes au sujet de la crédibilité du demandeur.

[5]  La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR concernant le manque de crédibilité du demandeur. Les doutes soulevés à l’égard de la crédibilité des allégations formulées par le demandeur dans sa demande d’asile se rapportent essentiellement à trois points : la détention dont le demandeur affirmait avoir fait l’objet en octobre 2013, sa convocation par les autorités en janvier 2016 et la période de détention qu’il affirme avoir subie en septembre 2016.

[6]  Le demandeur affirme avoir été arrêté par la police le 2 octobre 2013, parce qu’il était à poser des affiches politiques. Il affirme que la police a prévenu son cousin de son arrestation et que celui‑ci a dû verser un pot‑de‑vin pour le faire libérer. Le demandeur a aussi allégué avoir été torturé lors de sa détention et il a produit un rapport d’hôpital à l’appui de cette allégation. Il assure avoir obtenu ce rapport d’hôpital à l’intention du Parti, afin de documenter les soins qu’il avait reçus, mais il a, selon lui, fini par ne pas le remettre au Parti. Ce fait a porté la SPR à mettre en doute sa crédibilité quant à sa mise en détention. La SAR a convenu avec la SPR que les blessures dont il était fait état dans le rapport d’hôpital n’avaient pas été occasionnées par la torture ou la détention aux mains des autorités.

[7]  Le demandeur affirme avoir reçu, en janvier 2016, un appel téléphonique du cabinet du procureur d’Azerbaïdjan, le convoquant à un interrogatoire. La SPR a relevé plusieurs contradictions dans le témoignage du demandeur au sujet de cet appel téléphonique. Comme la SPR, la SAR a émis des doutes au sujet du témoignage du demandeur quant à la date et au destinataire de cet appel. Par conséquent, la SAR a estimé que le demandeur n’a pas été convoqué à un interrogatoire en janvier 2016.

[8]  Le demandeur a également produit une copie de sa convocation par le Bureau du procureur, mais la SPR a jugé ce document non crédible, compte tenu des conclusions à laquelle elle était parvenue quant à la vraisemblance de l’appel que le demandeur aurait reçu du cabinet du procureur en janvier 2016. La SAR a convenu que, compte tenu des doutes concernant la crédibilité du demandeur, ce document n’avait été produit que pour étoffer la demande d’asile. La SAR s’est fondée en cela sur la décision Granada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766 [Granada], selon laquelle le manque de crédibilité relevé par la Commission peut justifier le rejet d’éléments de preuve documentaire. Aucune valeur probante n’a donc été accordée au document en question.

[9]  Le demandeur affirme avoir, en septembre 2016, pris part à une manifestation, à la suite de laquelle il a été arrêté par les autorités et détenu pendant huit jours. La SPR a rejeté cette allégation, étant donné qu’après l’appel de janvier 2016, le demandeur n’avait pas eu d’autre contact avec les autorités. Autrement dit, le fait de ne pas s’être rendu aux convocations dont il a fait état n’a entraîné pour le demandeur aucune conséquence. Compte tenu des conclusions touchant la crédibilité du demandeur, on a jugé que ce dernier n’avait pas été arrêté en septembre 2016 en raison de sa participation à une manifestation politique.

[10]  Étant donné le manque d’éléments de preuve crédibles, la SAR a, en définitive, conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de persécution en raison de son appartenance au Parti s’il devait être envoyé en Azerbaijan.

Questions en litige

[11]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

    • Le traitement de la preuve documentaire était‑il raisonnable?
    • La SAR a‑t‑elle raisonnablement pris en compte les « nouveaux » éléments de preuve?
    • L’appartenance au Parti suffit‑elle à établir l’existence d’un risque?

La norme de contrôle applicable

[12]  Il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable aux décisions découlant de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sur une question mixte de fait et de droit. La norme de la décision raisonnable est une norme déférente, et le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[13]  En ce qui concerne l’évaluation des éléments de preuve, la norme de contrôle applicable est, là encore, celle de la décision raisonnable (Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, au paragraphe 2).

Analyse

Le traitement de la preuve documentaire était‑il raisonnable?

[14]  Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de rejeter en tant qu’éléments de preuve le rapport d’hôpital et la convocation. Selon lui, la SAR aurait dû apprécier de manière indépendante la valeur probante de ces preuves documentaires.

[15]  Dans ses motifs, la SAR a expressément mentionné le rapport d’hôpital et la convocation avant de leur refuser toute valeur probante. La SPR avait d’ailleurs fait la même chose, compte tenu du manque de crédibilité du témoignage livré à leur sujet. Il était raisonnable de la part de la SAR de n’accorder que peu de valeur probante à ces documents, le juge Martineau ayant énoncé, au paragraphe 13 de la décision Granada, que « […] le manque de crédibilité d’un demandeur peut toucher le poids accordé à la preuve documentaire et permettre à la Section de la protection des réfugiés de ne pas tenir compte de cette preuve lorsque les circonstances le justifient ».

[16]  La Cour fédérale a souscrit à ce raisonnement dans d’autres décisions (Jia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 422, au paragraphe 19).

[17]  Le demandeur invite en fait la Cour à soupeser à nouveau la preuve que la SAR a raisonnablement écartée. Il ne s’agit pas là du rôle de la Cour.

La SAR a‑t‑elle raisonnablement pris en compte les « nouveaux » éléments de preuve?

[18]  Le demandeur a produit devant la SAR de nouveaux éléments de preuve : la décision de la SPR relative à M. Musayev, les notes prises lors de l’entrevue de M. Musayev dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile et un affidavit de M. Musayev.

[19]  Selon le demandeur, ces nouveaux éléments de preuve démontrent que sa demande d’asile repose sur les mêmes éléments qu’une autre demande d’asile à laquelle il a été fait droit. Il fait valoir que ces éléments de preuve, combinés aux renseignements sur les conditions qui prévalent dans son pays d’origine, démontrent que la simple adhésion au Parti suffit à établir l’existence d’un risque.

[20]  L’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, permet à un demandeur de produire de nouveaux éléments de preuve, mais il faut pour cela que le demandeur explique en quoi ceux‑ci répondent aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SAR est alors tenue de prendre en considération tout facteur pertinent, notamment la pertinence et la valeur probante du document, toute preuve nouvelle que le document apporte à l’appel et la possibilité qu’aurait eue le demandeur, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre ces nouveaux éléments avant d’interjeter appel.

[21]  En l’espèce, la SAR a examiné les éléments de preuve produits par le demandeur et elle a conclu qu’ils étaient dénués de pertinence et de valeur probante. Le demandeur soutient que ses antécédents sont intimement liés à ceux de M. Musayev, que les deux dossiers sont semblables; toutefois, cette affirmation n’est étayée par aucun élément de preuve. Comme l’a relevé la SAR, le tribunal qui s’est prononcé sur la demande d’asile de M. Musayev a pu juger crédibles et convaincants les éléments de preuve produits par ce dernier, mais ce ne sont pas les éléments de preuve produits en l’occurrence devant la SAR et, de toute façon, ces éléments de preuve n’écarteraient pas nécessairement les doutes en matière de crédibilité qui affligent la preuve produite par le demandeur.

[22]  Ajoutons que les documents en question portent une date postérieure à celle à laquelle l’appel du demandeur devant la SAR a été finalisé. Ces documents n’ajoutent rien de nouveau à la demande d’asile et le demandeur aurait aisément pu les produire avant d’interjeter appel.

[23]  Pour ces motifs, la SAR n’a pas jugé que ces éléments de preuve répondent aux critères prescrits, car, même s’ils avaient été admis, les doutes concernant la crédibilité du demandeur subsisteraient toujours.

[24]  Il s’agit donc d’une conclusion raisonnable envers laquelle il convient de faire preuve de déférence.

L’appartenance au Parti suffit‑elle à établir l’existence d’un risque?

[25]  Le demandeur prétend que l’appartenance au Parti suffit à elle seule à établir l’existence d’un risque. Il invoque à l’appui de son argument le Cartable national de documentation ainsi que les renseignements contenus dans les réponses aux demandes d’information, qui démontrent, selon lui, que les membres du Parti sont passibles de détention.

[26]  Se penchant sur la question, la SAR a estimé que la simple appartenance au Parti ne suffit pas à établir l’existence d’un risque de persécution aux mains du gouvernement azerbaïdjanais. Selon un principe de droit bien établi, les rapports sur les conditions qui prévalent dans un pays ne permettent pas de conclure à l’existence de persécution, car il faut, pour cela, qu’existe un lien entre la situation dans le pays et les circonstances personnelles du demandeur (voir Oskose c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 372, au paragraphe 19).

[27]  D’après les renseignements sur les conditions dans le pays d’origine, ceux qui risquent la détention en raison de leur appartenance au Parti sont plutôt les journalistes et les personnalités politiques de premier plan. Le demandeur n’a produit aucune preuve selon laquelle il occupait un poste élevé au sein de la hiérarchie du Parti et la SAR a estimé que son profil ainsi que ses activités au sein du Parti n’étaient pas de nature à l’exposer à un risque. Selon la SAR, la preuve concernant la situation dans le pays ne suffisait pas à lever les doutes concernant la crédibilité du demandeur ou à démontrer que ce dernier craignait avec raison d’être persécuté.

[28]  La SAR a raisonnablement pris en compte les éléments de preuve produits par le demandeur, ainsi que ses observations. Le demandeur n’est pas parvenu à démontrer l’existence d’erreurs; par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUDGMENT dans le dossier IMM‑1379‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de janvier 2019.

Maxime Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1379‑18

INTITULÉ :

ZAUR FAKHRADDIN OGLU HAJIKHANOV c 
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 OCTOBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Aparna Das

POUR Le demandeur

Hillary Adams

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aparna Das

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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