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Date : 20181217


Dossier : IMM‑704‑18

Référence : 2018 CF 1271

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2018

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

CHERRYL RED

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Cherryl Red, sollicite le contrôle judiciaire de la décision (la décision) d’un agent d’immigration (l’agent) qui lui a refusé sa demande de visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des aides familiaux résidants. Cette demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  L’agent a refusé la demande de visa de résident permanent présentée par la demanderesse parce que cette dernière était interdite de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR, au motif qu’elle avait admis avoir signé en janvier 2010, à l’époque où elle vivait aux Philippines, deux chèques qui n’ont par la suite pas été honorés par la banque émettrice. Elle soutient que la décision est déraisonnable, étant donné que l’accusation portée contre elle aux Philippines a été abandonnée et que ses actes ne constituent pas une infraction aux termes du paragraphe 362(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (le Code criminel).

[3]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision était déraisonnable. La demande sera accueillie.

I.  Contexte

[4]  La demanderesse est citoyenne des Philippines. Elle est venue au Canada comme aide familiale résidante en 2012 et elle a demandé la résidence permanente le 30 octobre 2015, après avoir terminé trois années de service.

[5]  Dans une lettre datée du 28 septembre 2017, la demanderesse a été informée par le Centre de traitement des cas (Vegreville) qu’elle était peut‑être interdite de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR, parce qu’elle avait signé deux chèques qui avaient été retournés par la banque émettrice aux Philippines; l’un pour insuffisance de fonds et le second, en raison de la fermeture du compte. La lettre mentionnait que ces actes constituaient une infraction aux termes du paragraphe 362(1) du Code criminel. La demanderesse était invitée à présenter des observations pour expliquer l’allégation et le fait qu’elle avait présenté auparavant un certificat du Bureau national des enquêtes des Philippines (NBI) mentionnant [traduction] « Pas de casier judiciaire » et que plus récemment, elle avait présenté un autre certificat du NBI qui mentionnait [traduction] « Pas de mention défavorable ».

[6]  La demanderesse a répondu à la lettre le 24 octobre 2017. Elle a fourni un affidavit et des documents judiciaires provenant des Philippines. L’affidavit de la demanderesse présente la succession des événements qui ont précédé l’émission des chèques en question. En 2009, l’ex‑petit ami de la demanderesse, Arthur Agag, voulait travailler en Arabie saoudite pour subvenir aux besoins de leur enfant. Il a demandé un prêt de la société AsiaLink Finance Corporation (AsiaLink). La demanderesse et le cousin de M. Agag ont signé à titre de caution du prêt. AsiaLink a ouvert un compte bancaire auprès de la Tanay Rural Bank et a demandé à M. Agag et à la demanderesse de signer une série de chèques en blanc. Il n’y avait pas de fonds dans le compte à l’époque, un fait que connaissaient toutes les parties, y compris AsiaLink. Si les versements mensuels n’étaient pas effectués à temps, AsiaLink aurait ainsi pu déposer un chèque correspondant au montant dû.

[7]  Le 19 janvier 2010, AsiaLink a prêté 60 000 pesos à M. Agag. M. Agag ne s’est pas rendu en Arabie saoudite pour y travailler. Il est resté à Manille et il a dépensé l’argent. La demanderesse a effectué le premier versement de 8 250 pesos (environ 210 $ canadiens). M. Agag a informé la demanderesse qu’il rembourserait le reste des fonds. La demanderesse a appris par la suite que M. Agag n’avait pas effectué les paiements. Lorsqu’AsiaLink a tenté d’encaisser les chèques signés, ces derniers ont été refusés. La demanderesse a accusé réception d’un avis de chèque refusé de la part de la banque le 7 juin 2010, mais elle ne se souvient pas d’avoir reçu l’avis.

[8]  La demanderesse est allée travailler à Hong Kong comme aide‑domestique en août 2010. Dans le cadre de sa demande de visa, elle a présenté un certificat du NBI daté du 24 mars 2010 qui mentionnait [traduction] « Pas de mention défavorable ». En 2010 également, la demanderesse a demandé de participer au Programme canadien d’aide familial résidant et elle a fourni une copie du certificat du NBI de mars 2010, certificat qu’elle a joint à sa demande.

[9]  En avril 2012, pendant qu’elle se trouvait à Hong Kong, la demanderesse a reçu un appel téléphonique de M. Agag, qui l’a informée qu’ils faisaient l’objet d’une poursuite judiciaire pour les chèques refusés. La demanderesse affirme que c’est à ce moment‑là qu’elle a compris que le prêt n’était pas remboursé. M. Agag lui a demandé de l’argent pour qu’il puisse se rendre au tribunal et régler l’affaire. La demanderesse lui a remis 3 000 pesos.

[10]  Pendant cette même période, le certificat du NBI de mars 2010 de la demanderesse a expiré et elle a demandé un nouveau certificat du NBI. Le nouveau certificat du NBI, daté du 9 mai 2012, est légèrement différent sur le plan du format et du libellé, qui mentionnait [traduction] « Pas de mention défavorable ». La demanderesse a pensé que M. Agag lui avait menti au sujet des accusations, et ce, dans le but qu’elle lui envoie de l’argent.

[11]  En fait, une accusation avait été portée contre la demanderesse en juillet 2010 devant le Tribunal municipal de première instance de Tanay, province de Rizal (le Tribunal de première instance), pour violation du Batas Pambansa Bilang 22 (BPB 22), du fait qu’elle avait émis un chèque en sachant qu’elle n’avait pas de fonds suffisants pour en couvrir le montant. La plaignante, AsiaLink, a toutefois déposé un affidavit de désistement daté du 3 septembre 2012, en déclarant que sa plainte contre la demanderesse était due à une [traduction] « ERREUR DE COMPTABILITÉ et MAUVAISE COMPRÉHENSION DES FAITS » de sa part. Le tribunal de première instance a rendu une ordonnance le 3 septembre 2012, par laquelle il prenait acte du retrait de l’accusation.

[12]  La demanderesse a obtenu un autre certificat du NBI le 27 mai 2015 qui mentionnait [traduction] « Pas de casier judiciaire ». Le 20 avril 2016, le défendeur a demandé une explication écrite au sujet de cette mention ainsi que de l’accusation portée contre elle. La demanderesse a transmis les dossiers judiciaires concernant cette accusation.

[13]  La demanderesse a reçu un dernier certificat du NBI le 3 février 2017 portant la mention [traduction] « Pas de mention défavorable ».

II.  La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[14]  La décision est datée du 6 février 2018 et comprend : (1) une lettre exposant la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse était inadmissible aux termes de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR, et (2) les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), qui font partie de la décision (Pushparasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 15).

[15]  L’agent a conclu que la demanderesse avait commis une infraction à BPB 22 lorsqu’elle a signé les deux chèques aux Philippines et que, si la demanderesse avait posé les mêmes gestes au Canada, elle aurait commis une infraction punissable aux termes du paragraphe 362(1) du Code criminel.

[16]  Voici partie pertinente des notes consignées dans le SMGC :

[traduction

Le représentant de la demanderesse fournit une lettre de présentation dans laquelle il affirme que Mme Red n’est pas interdite de territoire parce qu’elle n’a pas été déclarée coupable d’une infraction aux Philippines. Cette affirmation, quoiqu’exacte, n’annule pas son interdiction de territoire aux termes l’alinéa 36(2)c). Je note que la lettre d’équité procédurale du 28 septembre 2017 était claire et précise sur ce point. Mme Red affirme dans son propre affidavit que le dossier avait été classé parce que la plaignante avait déposé un avis de désistement, expliquant que l’accusation était due à un malentendu. La nature du malentendu n’a pas été précisée. Encore une fois, je note que cela ne change pas le fait qu’elle est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)c). Mme Red affirme dans son affidavit qu’elle était une des deux cautions d’un prêt contracté par son petit ami de l’époque, un homme du nom d’Arthur Agag. Les chèques utilisés pour le remboursement du prêt ont été refusés parce que le compte était vide. Elle affirme qu’elle n’était pas responsable de cette situation et que cette responsabilité incombait à Arthur Agag, parce c’est lui, et non elle, qui avait contracté le prêt. Elle a toutefois fourni une copie des chèques qui ont été refusés ‑ et tous les deux portent sa signature. Elle a fourni une copie d’un billet à ordre pour effectuer le remboursement. Ce billet porte son nom et sa signature comme une des trois personnes qui sont « conjointement et solidairement » responsables d’effectuer les versements. Elle a fourni une copie d’un certificat de police NBI qui expirait le 3 février 2018. Ce certificat porte la mention [traduction] « Pas de mention défavorable ». Elle affirme ne pas savoir en quoi cela diffère du certificat précédent, mais elle pense que ce sont les autorités du NBI qui ont pris en compte l’instance judiciaire. Elle ne fournit aucun motif pour étayer cette hypothèse et je ne lui accorde aucune force probante. Quelle que soit la façon dont cela s’est produit, le dernier certificat ne veut pas dire qu’elle n’a pas signé les chèques qui ont été refusés. Je suis convaincue que Mme Red est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 36(2)c). Les documents présentés montrent que deux chèques ont été refusés ‑ l’un daté du 23 mars 2010 et l’autre du 23 avril 2010 – la présomption de réadaptation ne s’applique pas ici. Conformément au sous‑alinéa 72(1)e)(i) des Règles, la demande est rejetée.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[17]  La demanderesse a soulevé trois questions dans ses observations écrites. Elle soutient que la décision était déraisonnable parce que l’agent n’a pas motivé suffisamment les conclusions qu’il a tirées dans la lettre de décision et parce que la conduite de la demanderesse ne témoigne pas de la commission de l’infraction visée au paragraphe 362(1) du Code criminel. La demanderesse soutient également que l’agent a commis une erreur de droit en ne concluant pas que le comportement de la demanderesse constituait une infraction selon le droit philippin. À mon avis, tous les arguments de la demanderesse portent sur la question essentielle qui est celle de savoir si la décision était raisonnable.

[18]  Il en résulte que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de la décision (Farenas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 660, au paragraphe 21). Par conséquent, la décision ne sera annulée que si elle présente des lacunes sur le plan de la justification, de la transparence ou de l’intelligibilité, ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits particuliers du dossier de la demanderesse et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.  Le contexte législatif

[19]  Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR (article 33 et paragraphe 36(2)) ainsi que du Code criminel (paragraphes 361(1) et 362(1)) sont reproduites à l’annexe I au présent jugement.

V.  Analyse

Les observations de la demanderesse

[20]  Les observations de la demanderesse portent principalement sur le caractère insuffisant des motifs fournis par l’agent dans sa décision et elles sont résumées au paragraphe 9 de son mémoire supplémentaire présenté à la Cour :

[traduction

À part expliquer qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu déclaration de culpabilité pour étayer une conclusion relative à l’alinéa 36(2)c) LIPR (ce qui est exact), l’agent n’a fourni aucun motif pour appuyer sa conclusion selon laquelle la conduite de la demanderesse a) constituait une infraction aux Philippines ou b) constituait une infraction au Canada. Il n’y a pas eu d’examen des éléments constitutifs de l’une ou l’autre infraction, d’explication au sujet des faits qui correspondaient à ces éléments constitutifs et, en réalité, il n’y a aucune précision quant à la partie du paragraphe 362(1) du Code criminel qui est invoquée.

[21]  La demanderesse soutient que l’alinéa 36(2)c) de la LIPR oblige l’agent à constater ce qui suit : l’acte en question a été commis; l’acte constituait une infraction dans le lieu où il a été commis et, s’il avait été commis au Canada, il aurait constitué un acte criminel prévu au Code criminel. La demanderesse soutient qu’une décision raisonnable aurait contenu une analyse des éléments constitutifs des infractions en question dans le droit canadien et dans le droit philippin et relié ces éléments aux faits du dossier. Elle soutient que ce n’est pas ce qu’a fait l’agent. En fait, l’agent semble avoir conclu que le fait de signer deux chèques qui ont été refusés par la suite était suffisant pour constituer une infraction dans chacun des deux pays. L’agent n’a fait aucune référence au droit ou aux dispositions aux termes desquelles il estime que les actes en question constituaient une infraction selon le droit philippin. L’agent n’a pas tiré de conclusion au sujet des faux semblants ou de l’intention qu’aurait eue la demanderesse, un élément essentiel de l’infraction au Canada, aux termes du paragraphe 362(1). L’agent a aussi omis de tenir compte du fait que l’accusation portée contre la demanderesse aux Philippines avait été retirée par AsiaLink, en raison d’un malentendu quant aux faits. La décision manque donc d’intelligibilité et n’est pas justifiée.

Les observations du défendeur

[22]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable. Le défendeur soutient que l’agent a examiné la preuve et les observations que la demanderesse avait fournies en réponse à la lettre d’équité procédurale de septembre 2017, mais qu’il n’était pas convaincu que l’explication qu’elle avait donnée au sujet des chèques refusés était raisonnable. L’agent a suffisamment motivé sa décision puisque sa lettre venait compléter les notes consignées dans le SMGC et qu’elle était conforme à la preuve contenue dans le dossier certifié du Tribunal. Les motifs expliquent pourquoi la demande de la demanderesse a été refusée et ils ne l’ont pas empêché de solliciter le contrôle judiciaire de la décision. L’agent n’était pas tenu de fournir un raisonnement aussi approfondi que celui qui est exigé d’un tribunal administratif (Ozdemir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CAF 331 (Ozdemir)). Enfin, le défendeur affirme que l’argument de la demanderesse selon laquelle il n’y a pas eu fraude parce que les deux parties savaient qu’il n’y avait pas de fonds dans le compte est fallacieux. C’est précisément parce que la demanderesse savait qu’il n’y avait pas de fonds dans le compte que son comportement était frauduleux.

Analyse

[23]  Je juge que la décision n’était pas raisonnable. L’agent n’a pas effectué une analyse détaillée des faits et des éléments de preuve présentés, ni des deux critères ou éléments de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR.

[24]  Dans la lettre de décision, l’agent énonçait :

[traduction

« Vous n’avez pas démontré que vous êtes en mesure de respecter cette exigence [alinéa 36(2)c) de la LIPR] parce que vous avez fourni des documents qui indiquent que vous avez signé deux chèques qui ont été refusés par la banque. Ceci est une infraction au Batas Pambansa Bilang 22 des Philippines (loi sur les chèques refusés). Si ces faits avaient été commis au Canada, ils constitueraient des infractions punissables aux termes du paragraphe 362(1) du Code criminel du Canada.

[25]  Je conviens avec le défendeur que l’agent n’était pas tenu de fournir des motifs aussi détaillés que ceux d’un tribunal administratif (Ozdemir, au paragraphe 11). Je conviens également qu’il est bien établi que les notes consignées par l’agent dans le SMGC font partie de la décision. Il en découle que l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent n’a aucunement motivé sa décision est exagéré. Néanmoins, l’agent était tenu de mentionner le raisonnement essentiel sur lequel reposaient ses constatations et ses conclusions. Autrement dit, l’agent était tenu d’examiner chacun des éléments de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR et de les relier aux faits et aux éléments de preuve fournis par la demanderesse à l’égard de chacun de ces éléments. Je conclus qu’il ne l’a pas fait.  

[26]  Premièrement, l’agent s’est fondé d’une façon générale sur BPB 22 pour étayer sa conclusion selon laquelle le fait que la demanderesse ait signé les deux chèques refusés constituait une infraction selon le droit philippin. L’agent n’a pas relevé une disposition précise de la loi et il semble s’être basé uniquement sur le fait qu’une accusation avait été portée initialement contre la demanderesse. La dénonciation déposée contre la demanderesse devant le tribunal de première instance fournit une certaine indication selon laquelle l’accusation était fondée sur BPB 22, et faisait référence à l’émission volontaire et illégale d’un chèque sachant que les fonds étaient insuffisants pour couvrir le montant du chèque. Malheureusement, ces aspects ne sont aucunement examinés dans la décision relative à l’affidavit de désistement signé par AsiaLink et accepté par le tribunal de première instance. L’affidavit se lit en partie ainsi :

[traduction

La plaignante et l’intimée ont soigneusement examiné la question, et après mûre réflexion, l’intimée a conclu que la plainte avait été déposée en raison d’une ERREUR DE COMPTABILITÉ et d’un MALENTENDU SUR LES FAITS de la part de la plaignante et de l’intimée, fait qui a été constaté une fois l’accusation déposée pour violation du B. P. 22;

En raison du motif énoncé ci‑dessus, le plaignant dans la présente ne peut plus aller de l’avant dans la poursuite du dossier et est maintenant contraint de retirer la plainte déposée contre l’intimé pour ce qui est de l’accusation pénale de violation du B. P. 22 mentionnée dans la plainte.

[27]  L’accusation a été retirée par ordonnance du tribunal de première instance, conformément à l’affidavit de désistement.

[28]  L’affidavit de désistement et l’ordonnance du Tribunal de première instance sont dépourvus d’ambiguïté. Les éléments de l’infraction prévue par le BPB 22 ne pouvaient être démontrés en se fondant sur les actes posés par la demanderesse. La plaignante, AsiaLink, déclare sous serment dans l’affidavit qu’elle avait mal compris les faits et que les accusations ne pouvaient se solder par une déclaration de culpabilité. Le tribunal de première instance a pris acte de l’affidavit de désistement et a retiré l’accusation. Je sais que l’article 33 de la LIPR exige uniquement que l’agent ait des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise par la demanderesse à l’extérieur du Canada. Cependant, l’agent était tenu d’expliquer de façon relativement détaillée sa conclusion selon laquelle une infraction avait été commise, étant donné la preuve à l’effet contraire qui figure au dossier. L’affirmation de l’agent qui figure dans les notes consignées dans le SMGC selon laquelle la demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer le malentendu d’AsiaLink n’est pas une explication suffisante.

[29]  Le défendeur se fonde sur la décision Magtibay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 397 (Magtibay), à l’appui de son argument selon lequel l’agent pouvait raisonnablement conclure en l’espèce que la demanderesse avait commis une infraction aux Philippines. Dans cette décision, le juge Blais a indiqué clairement que l’alinéa 36(2)c) de la LIPR [à l’époque l’alinéa 36(1)c)] n’exigeait pas qu’il y ait eu une déclaration de culpabilité relativement aux événements en question, mais simplement qu’il y ait eu perpétration de l’infraction. Ce point n’est pas contesté par les parties. Si on examine le dossier au sujet de la question de savoir si une infraction a été commise, il est important de noter que les assises factuelles de la décision Magtibay sont très différentes de celles de la présente affaire. Au paragraphe 5 de sa décision, le juge Blais a déclaré, « le tribunal, même s’il a acquitté le mari, a conclu que l’infraction avait effectivement été commise; il n’a toutefois pas prononcé de déclaration de culpabilité parce que la victime avait pardonné à son agresseur » [non souligné dans l’original], (voir également Magtibay, aux paragraphes 12, 17 et 21). Dans Magtibay, la question en litige mettait l’accent sur le rôle du pardon. Les éléments sous‑jacents de l’infraction avaient été établis par la poursuite. En l’espèce, le tribunal de première instance n’a jamais examiné les éléments de l’infraction prévus par BPB 22.

[30]  Je passe maintenant à l’examen par l’agent du deuxième élément de l’alinéa 36(2)c) de la LIPR, soit la question de savoir si les actes de la demanderesse, s’ils avaient été commis au Canada, constitueraient une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation, à savoir le paragraphe 362(1) du Code criminel. Dans sa lettre de décision, l’agent a déclaré ceci : [traduction« Si ces faits avaient été commis au Canada, ils constitueraient des infractions punissables aux termes du paragraphe 362(1) du Code criminel du Canada ». Les notes consignées dans le SMGC ne contiennent aucune analyse du paragraphe 362(1), de ses alinéas constitutifs ou infractions ou des actes de la demanderesse par rapport aux éléments constitutifs énoncés dans le paragraphe. De façon plus remarquable, comme le soutient la demanderesse, l’agent n’a fourni aucune explication de la conclusion qu’il semble avoir tirée selon laquelle la demanderesse avait l’intention frauduleuse requise ou l’intention de faire profiter une autre personne d’une fausse déclaration.

[31]  Le paragraphe 361(1) du Code criminel définit « faux semblant » comme étant une « représentation d’un fait présent ou passé, par des mots ou autrement, que celui qui l’a fait sait être fausse et qui est fait avec l’intention frauduleuse d’induire la personne à qui on l’adresse à agir d’après cette représentation ». Les divers sous‑alinéas du paragraphe 362(1) font référence à l’obtention de crédit par un faux semblant et au fait de faire une fausse déclaration par écrit dans le but d’obtenir un prêt. À l’époque où elle a signé les chèques, la demanderesse pensait que son ex‑petit ami rembourserait son prêt et que les chèques ne seraient pas encaissés. En outre, toutes les parties à la transaction savaient qu’il n’y avait pas de fonds dans le compte au moment où les chèques ont été signés par la demanderesse. Cette preuve n’est pas contestée par le défendeur. Il n’y a eu aucun acte, déclaration ou intention de la part de la demanderesse visant à inciter AsiaLink à se fonder sur une fausse affirmation ou déclaration.

[32]  L’agent n’a pas effectué une analyse de fond susceptible d’appuyer sa conclusion selon laquelle les actes de la demanderesse, s’ils avaient été commis au Canada, auraient constitué une infraction aux termes du paragraphe 362(1). Il en résulte que la décision manque de transparence et d’intelligibilité. La demanderesse comme la Cour ne peuvent qu’émettre des hypothèses sur le raisonnement de l’agent.

[33]  Une dernière remarque. L’analyse effectuée par l’agent au sujet des divers certificats NBI obtenus par la demanderesse ne renforce pas la décision. Cette série de certificats reflète la progression de l’accusation portée contre la demanderesse aux Philippines. Le dernier certificat du NBI de février 2017 confirme qu’il y a eu retrait de l’accusation (avec la déclaration [traduction] « Pas de mention défavorable ») ce qui est conforme aux éléments de preuve fournis à l’agent.

VI.  Conclusion

[34]  La demande est accueillie.

[35]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑704‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agent d’immigration est annulée et le dossier est renvoyé à un autre agent pour nouvelle décision.

2.  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de janvier 2019

Maxime Deslippes


ANNEXE I

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/93‑47 :

Article 33

Section 33

 

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

[…]

[…]

 

Paragraphe 36(2)

Subsection 36(2)

 

36(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

 

36(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

 

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament; or

 

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

 

(d) committing, on entering Canada, an offence under an Act of Parliament prescribed by regulations.

 

Code criminel, LRC 1985, c Ch‑46 :

Article 361

Section 361

 

361(1) L’expression faux semblant ou faux prétexte désigne une représentation d’un fait présent ou passé, par des mots ou autrement, que celui qui la fait sait être fausse, et qui est faite avec l’intention frauduleuse d’induire la personne à qui on l’adresse à agir d’après cette représentation.

 

361(1) A false pretence is a representation of a matter of fact either present or past, made by words or otherwise, that is known by the person who makes it to be false and that is made with a fraudulent intent to induce the person to whom it is made to act on it.

[…]

[…]

 

Article 362

Section 362

 

362(1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :

362(1) Every one commits an offence who

 

a) par un faux semblant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un contrat obtenu par un faux semblant, obtient une chose à l’égard de laquelle l’infraction de vol peut être commise ou la fait livrer à une autre personne;

(a) by a false pretence, whether directly or through the medium of a contract obtained by a false pretence, obtains anything in respect of which the offence of theft may be committed or causes it to be delivered to another person;

 

b) obtient du crédit par un faux semblant ou par fraude;

(b) obtains credit by a false pretence or by fraud;

 

c) sciemment fait ou fait faire, directement ou indirectement, une fausse déclaration par écrit avec l’intention qu’on y ajoute foi, en ce qui regarde sa situation financière ou ses moyens ou sa capacité de payer, ou la situation financière, les moyens ou la capacité de payer de toute personne ou organisation dans laquelle il est intéressé ou pour laquelle il agit, en vue d’obtenir, sous quelque forme que ce soit, à son avantage ou pour le bénéfice de cette personne ou organisation :

 

(c) knowingly makes or causes to be made, directly or indirectly, a false statement in writing with intent that it should be relied on, with respect to the financial condition or means or ability to pay of himself or herself or any person or organization that he or she is interested in or that he or she acts for, for the purpose of procuring, in any form whatever, whether for his or her benefit or the benefit of that person or organization,

 

(i) soit la livraison de biens meubles,

(i) the delivery of personal property,

 

(ii) soit le paiement d’une somme d’argent,

 

(ii) the payment of money,

 

(iii) soit l’octroi d’un prêt,

(iii) the making of a loan,

 

(iv) soit l’ouverture ou l’extension d’un crédit,

(iv) the grant or extension of credit,

 

(v) soit l’escompte d’une valeur à recevoir,

(v) the discount of an account receivable, or

 

(vi) soit la création, l’acceptation, l’escompte ou l’endossement d’une lettre de change, d’un chèque, d’une traite ou d’un billet à ordre;

 

(vi) the making, accepting, discounting or endorsing of a bill of exchange, cheque, draft or promissory note; or

 

d) sachant qu’une fausse déclaration par écrit a été faite concernant sa situation financière, ou ses moyens ou sa capacité de payer, ou la situation financière, les moyens ou la capacité de payer d’une autre personne ou organisation dans laquelle il est intéressé ou pour laquelle il agit, obtient sur la foi de cette déclaration, à son avantage ou pour le bénéfice de cette personne ou organisation, une chose mentionnée aux sous‑alinéas c)(i) à (vi).

(d) knowing that a false statement in writing has been made with respect to the financial condition or means or ability to pay of himself or herself or another person or organization that he or she is interested in or that he or she acts for, procures on the faith of that statement, whether for his or her benefit or for the benefit of that person or organization, anything mentioned in subparagraphs (c)(i) to (vi).

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑704‑18

 

INTITULÉ :

CHERRYL RED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

le 17 décembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Jared Will

 

pour la demanderesse

Neeta Logsetty

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will et associés

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

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