Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190122


Dossier : IMM­2608­18

Référence : 2019 CF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

YOKITHAN JEYAKUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent), datée du 16 avril 2018 (la décision), lequel a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

II.  CONTEXTE

[2]  Le demandeur, Yokithan Jeyakumar, est un citoyen du Sri Lanka. Il s’agit d’un homme tamoul de 24 ans qui est né et a grandi dans le district de Jaffna Nord du Sri Lanka. Cette région était auparavant une forteresse des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (TLET).

[3]  Le demandeur prétend avoir été agressé en 2014 et en 2015 en raison de son origine ethnique tamoule et de ses opinions politiques perçues. Les hommes armés qui l’ont agressé lui ont demandé des renseignements au sujet d’un homme connu sous le nom de « Shanthan ». Le demandeur croit que Shanthan est associé aux TLET.

[4]  Le demandeur a quitté le Sri Lanka avec l’aide d’un passeur. Après être passé par le Qatar, l’Argentine, la Bolivie, l’Équateur, le Panama, le Costa Rica, le Guatemala et le Mexique, le demandeur est arrivé aux États‑Unis, où il a été détenu par les autorités de l’immigration américaines. Il a reçu de l’aide de sa tante et de son oncle qui vivent à Toronto, ce qui lui a permis de se rendre à New York, puis à un point d’entrée canadien.

[5]  Le demandeur est arrivé au point d’entrée canadien et, ne connaissant pas l’Entente sur les tiers pays sûrs, a déclaré son intention de présenter une demande d’asile. Un agent d’immigration a jugé que la demande d’asile du demandeur était irrecevable et a pris une mesure d’exclusion d’un an contre lui.

[6]  Le 12 octobre 2017, le demandeur est entré illégalement au Canada par le Québec. Il a été appréhendé et détenu à Montréal. Le demandeur a ensuite soumis une demande d’ERAR.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]  L’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur et a conclu qu’il ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution et qu’il ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, au risque de persécution ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait être renvoyé au Sri Lanka.

[8]  L’agent a examiné une lettre écrite par le père du demandeur qui décrivait la façon dont des personnes non identifiées avaient agressé le demandeur à de nombreuses reprises en 2014 et en 2015. L’agent a également pris note d’une lettre de la présidente d’une organisation de femmes, qui a déclaré que des personnes non identifiées cherchaient régulièrement le demandeur chez sa famille, et de la preuve médicale selon laquelle le demandeur a été traité à un hôpital au Sri Lanka.

[9]  L’agent a ensuite examiné la preuve objective sur les conditions de vie des Tamouls au Sri Lanka. Il a souligné les observations du demandeur selon lesquelles les demandeurs d’asile tamouls déboutés sont exposés à des risques de détention, de violence physique, d’agressions sexuelles, de mauvais traitements et de torture.

[10]  L’agent a examiné en détail les lignes directrices et renseignements sur le pays du Home Office du Royaume‑Uni concernant le séparatisme tamoul (le rapport du Home Office du Royaume‑Uni) de 2017. Le rapport du Home Office du Royaume‑Uni renvoie à une décision d’un tribunal britannique rendue à 2013 que l’agent a citée. Selon la décision du tribunal britannique, ce ne sont pas tous les Tamouls qui sont en danger à leur retour au Sri Lanka. Le tribunal dit plutôt que le gouvernement du Sri Lanka s’intéresse principalement aux militants tamouls qui font la promotion du séparatisme tamoul. Les personnes qui sont détenues risquent réellement d’être maltraitées. L’agent a conclu que le tribunal a identifié quatre catégories de personnes qui sont les plus à risque de persécution : les séparatistes, les journalistes et les activistes tamouls qui ont critiqué le gouvernement sri lankais, les personnes qui ont été témoins ou qui ont témoigné au sujet de crimes de guerre au Sri Lanka, et les personnes qui font l’objet d’ordonnances judiciaires ou de mandats d’arrestation.

[11]  Le rapport du Home Office du Royaume‑Uni mentionnait également l’élection d’un nouveau gouvernement sri lankais en 2015 et les améliorations qui ont suivi. L’agent a conclu que ces améliorations comprenaient l’affaiblissement du pouvoir exécutif, le rétablissement de commissions indépendantes, la légalisation de certaines organisations de la diaspora et la libération de détenus. De plus, de nombreux rapatriés qui ont déjà été impliqués auprès des TLET peuvent maintenant revenir au pays en toute sécurité. Le gouvernement sri lankais se concentre sur les personnes qui souhaitent toujours promouvoir le séparatisme tamoul ainsi que sur les anciens membres qui ont joué un rôle important dans le conflit séparatiste.

[12]  L’agent a pris acte des rapports du département d’État des États‑Unis, de Human Rights Watch et d’Amnistie internationale qui montrent que les Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET continuent de faire l’objet de surveillance gouvernementale, de détention arbitraire et de harcèlement. De plus, certains corps policiers continuent de torturer, d’enlever et d’agresser sexuellement des personnes soupçonnées d’être associées aux TLET.

[13]  L’agent a mentionné un rapport publié en 2015 par le département d’État des États‑Unis, selon lequel les Tamouls rapatriés qui sont soupçonnés d’avoir eu des liens avec les TLET continuent d’être détenus à leur arrivée aux aéroports sri lankais. Ce rapport indique également que le simple fait d’être d’origine tamoule ou d’avoir des liens passés avec les TLET ne suffit pas pour justifier une demande d’asile.

[14]  L’agent a ensuite tenu compte des caractéristiques personnelles du demandeur et a reconnu qu’il avait été battu par des personnes inconnues en 2014 et en 2015. Il a toutefois fait remarquer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le gouvernement sri lankais avait ciblé le demandeur en raison de liens perçus avec les TLET. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve tendant à indiquer que le demandeur avait été ciblé par les autorités ou avait fait l’objet d’une ordonnance du tribunal ou d’un mandat d’arrestation.

[15]  L’agent a ensuite examiné l’argument du demandeur selon lequel il serait en danger en raison de son origine ethnique tamoule, de son sexe et de son âge. L’agent a souligné que la preuve documentaire établissant le fait d’être un jeune homme tamoul ne suffit pas à elle seule à fonder une demande de protection internationale. De plus, l’agent a souligné que le profil du demandeur ne correspond pas à celui des personnes les plus à risque d’être persécutées par le gouvernement au Sri Lanka. Plus précisément, le demandeur n’a pas démontré qu’il était un partisan actif du séparatisme tamoul, un fugitif ou un critique connu du gouvernement sri lankais. Enfin, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve tendant à indiquer que le demandeur avait exprimé des points de vue antigouvernementaux ou appuyé les TLET pendant son séjour au Canada. Pour cette raison, l’agent a conclu que le demandeur n’attirerait probablement pas l’attention du gouvernement à son retour au Sri Lanka.

[16]  L’agent a conclu que le demandeur ne ferait pas face à plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de son profil de Tamoul et de demandeur d’asile débouté. De plus, l’agent a jugé que le demandeur n’est pas vraisemblablement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités. L’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[17]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[18]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu’une analyse relative à la norme de contrôle n’était pas nécessaire dans tous les cas. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont le tribunal est saisi est réglée de façon satisfaisante par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou lorsque la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit tenir compte des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[19]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait de l’agent d’ERAR, aux conclusions fondées à la fois sur les faits et le droit et à la prise en considération de la preuve (Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 361, aux paragraphes 9 et 10).

[20]  Lors d’un examen d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse du caractère raisonnable s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Se reporter aux arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[21]  Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire :

Mesure de renvoi

Enforceable removal order

48 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

48 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Conséquence

Effect

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

[…]

Demande de protection

Application for protection

112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112 (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

VII.  ARGUMENTATION

A.  Demandeur

[22]  Le demandeur affirme que son profil sur place l’expose à un risque unique s’il est renvoyé au Sri Lanka. Il souligne que son identité, sa nationalité, son origine ethnique tamoule, son incapacité à obtenir l’asile, son statut de rapatrié seul, son voyage au Canada et l’absence d’un passeport sri lankais font tous partie de son profil sur place. Le demandeur soutient que l’agent n’a pas procédé à une évaluation cumulative de ce profil. Il affirme également que l’agent a commis une erreur en évaluant les allégations de persécution passée dans le cadre de son nouveau profil. Des événements passés au Sri Lanka ne sont pas nécessairement liés au profil actuel du demandeur.

[23]  Le demandeur affirme qu’il a fourni des éléments de preuve objectifs importants à l’appui de son allégation selon laquelle il est exposé à un risque important à son retour au Sri Lanka. Il dit que les forces de sécurité vont rapidement se rendre compte qu’il est un demandeur d’asile débouté. De plus, le demandeur affirme avoir entendu de nombreux témoignages de personnes tamoules détenues et torturées en raison de liens perçus avec les TLET. La perception selon laquelle le demandeur a des liens avec les TLET ne sera pas atténuée par le fait qu’il n’a pas participé à des activités antigouvernementales au Canada.

[24]  Le demandeur soutient que l’agent a omis de traiter de plusieurs éléments de preuve importants. Plus précisément, la lettre de son père, la lettre de la présidente de l’organisation de femmes et les documents médicaux ont été mentionnés, mais n’ont pas été analysés.

[25]  Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il était ciblé par les autorités sri lankaises en raison de ses liens perçus avec les TLET. La preuve démontre que le demandeur a été attaqué en raison de son origine ethnique et de ses liens perçus avec les TLET.

[26]  Le demandeur ajoute que la preuve documentaire confirme qu’il risque d’être persécuté en raison de son origine ethnique et de ses opinions politiques perçues. Plutôt que de s’appuyer sur des renseignements récents et pertinents, l’agent s’est fondé largement sur une décision rendue en 2013 par un tribunal britannique. Cette lecture sélective de la preuve documentaire est déraisonnable. L’agent a omis, d’une manière déraisonnable, de tenir compte de la preuve documentaire que le demandeur a présentée.

[27]  Le demandeur fait valoir qu’il doit être fait preuve de peu de déférence à l’égard de l’agent en ce qui concerne la conclusion selon laquelle l’élection d’un nouveau gouvernement sri lankais a entraîné des développements positifs. Cette conclusion ne reposait pas sur des éléments de preuve plus récents et plus fiables. De plus, les développements positifs comme les engagements verbaux ne se traduisent pas nécessairement par des protections réelles pour des personnes comme le demandeur.

[28]  Le demandeur soutient que l’agent n’a pas examiné son profil de façon cumulative. L’agent a plutôt examiné séparément certains aspects du profil du demandeur. En examinant individuellement les éléments du profil du demandeur, comme son origine ethnique et son statut de demandeur d’asile débouté, l’agent a rendu une décision déraisonnable.

B.  Défendeur

[29]  Le défendeur affirme que le demandeur ne correspond pas au profil d’une personne qui serait à risque si elle était renvoyée au Sri Lanka. Il était raisonnablement loisible à l’agent de parvenir à cette décision.

[30]  Le défendeur n’est pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle l’agent a choisi déraisonnablement des éléments de preuve documentaire sur lesquels s’appuyer. Il était raisonnable que l’agent s’appuie sur le rapport du Home Office du Royaume‑Uni, qui est une source reconnue, objective et fiable. De nombreuses décisions de la Cour fédérale ont confirmé les conclusions des agents qui se sont appuyés sur ce document du Home Office du Royaume‑Uni. L’agent a bel et bien évalué la preuve documentaire présentée par le demandeur. Il lui était loisible de préférer certains éléments de preuve à d’autres. Il n’a pas commis d’erreur en renvoyant à la décision du tribunal britannique de 2013 parce que ce n’était pas sur la décision, mais sur le document du Home Office du Royaume‑Uni qu’il s’est principalement appuyé.

VIII.  ANALYSE

[31]  La demande porte sur la question épineuse et éternelle de savoir si un jeune Tamoul de sexe masculin sera exposé à de la persécution au sens de l’article 96 ou à un risque au sens de l’article 97 s’il est renvoyé au Sri Lanka.

[32]  Comme c’est habituellement le cas dans de tels dossiers, l’agent a évalué les expériences et le profil allégués du demandeur à l’aide de preuves personnelles et documentaires. Il a conclu que le demandeur ne l’avait pas convaincu qu’il serait personnellement exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de son profil de demandeur d’asile tamoul débouté. Il n’était pas non plus convaincu que le demandeur serait vraisemblablement exposé à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait être renvoyé au Sri Lanka.

[33]  Le demandeur affirme que les conclusions de l’agent sont déraisonnables pour des motifs qui ont été exposés à la Cour dans de nombreuses demandes. La vaste jurisprudence n’a pas donné de réponses cohérentes ou faciles. Tout dépend des particularités de chaque affaire et de la façon dont chaque agent d’ERAR ou dont la Section de la protection des réfugiés traite les éléments de preuve disponibles.

A.  Mauvais profil

[34]  Le demandeur affirme que l’agent a évalué la persécution et le risque sur la base d’un [traduction] « profil global erroné du demandeur » et [traduction] « parfois, il a supprimé certains aspects cruciaux de son profil ». Le demandeur affirme également que l’agent a omis [traduction] « de tenir compte du profil sur place cumulatif et actuel du demandeur par rapport à la preuve documentaire objective ».

[35]  Le demandeur a également décrit ses préoccupations de la manière suivante :

[traduction]

23.  Les observations relatives à l’ERAR portaient judicieusement (compte tenu des renseignements les plus récents et les plus crédibles) sur le profil sur place actuel et unique du demandeur en tant que jeune homme tamoul, demandeur d’asile potentiellement débouté, ayant séjourné au Canada, au sein d’une importante communauté de la diaspora tamoule sri lankaise comptant des sympathisants, des membres et des partisans des TLET.

[…]

27.  Les observations du demandeur à l’égard de l’ERAR portaient plus particulièrement sur ce profil sur place actuel et modifié et non seulement sur le fait qu’il était « un jeune Tamoul de la région du Nord‑Est du Sri Lanka ». Le profil précis a été décrit en ces termes :

(1)  identité;

(2)  nationalité;

(3)  ethnicité (District de Jaffna Nord tamoul, l’ancien « centre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul » (TLET));

(4)  demandeur d’asile débouté;

(5)  rapatrié seul (pas de surveillance);

(6)  en provenance du Canada, centre d’activités des TLET avec une forte concentration de la « diaspora » tamoule sri lankaise;

(7)  absence de passeport sri lankais valide délivré à l’interne.

[Souligné dans l’original, renvois omis.]

[36]  Voici comment le demandeur explique, dans ses observations écrites, en quoi la question du profil dans la décision pose problème :

[traduction]

46.  Tout au long des motifs, il y a des conclusions essentielles qui illustrent la confusion de l’agent quant au « profil » global du demandeur. Aux pages 6 et 10 des motifs, l’agent élimine les facteurs essentiels liés au profil du demandeur, préférant de façon déraisonnable le présenter simplement comme une personne « d’origine ethnique tamoule » et un « jeune homme tamoul de la région du Nord‑Est du Sri Lanka ».

47.  Bien que l’agent aborde d’autres facteurs liés au profil, indépendamment dans les motifs (rapatriés tamouls, résidant au Canada au sein d’une importante diaspora tamoule sri lankaise, etc.), les motifs dans leur ensemble reflètent le fait que l’agent a négligé de tenir compte de tous les facteurs du profil de façon cumulative.

[…]

66.  L’agent d’ERAR évalue ces éléments de preuve crédibles par rapport au mauvais profil du demandeur, concluant à la page 10 que « le fait d’être d’origine tamoule ne justifie pas en soi une protection internationale ».

[…]

68.  L’ERAR du demandeur n’était pas uniquement fondé sur son origine ethnique tamoule. Il était fondé sur les facteurs cumulatifs de sa nationalité, de son origine ethnique, de sa présence au Canada, du fait qu’il était un demandeur d’asile débouté, prêt pour un retour seul.

[…]

71.  Plus bas, l’agent conclut ensuite, séparément, que le demandeur ne sera pas exposé à la persécution en tant que « demandeur d’asile débouté ». La conclusion reflète le fait que l’agent a séparé le profil du demandeur, alors que tous les facteurs à l’appui du profil devaient être évalués ensemble de façon cumulative.

[Souligné dans l’original, renvois omis.]

[37]  Voici le raisonnement de l’agent concernant le profil :

[traduction]

En ce qui concerne les circonstances particulières du demandeur, les observations démontrent qu’il a été battu par des personnes armées non identifiées en août 2014 et à plusieurs reprises en 2015 avant de quitter le Canada. Je ne dispose toutefois pas de preuves objectives suffisantes démontrant qu’il a été ciblé par les autorités gouvernementales en raison de liens perçus ou réels avec les TLET. Comme je l’ai mentionné précédemment, les preuves objectives montrent que les anciens membres des TLET les plus à risque sont les personnes qui constituent une menace, ou sont ainsi perçues, du fait qu’elles jouent un rôle important, ou sont ainsi perçues, dans le séparatisme tamoul post-conflit. L’expression « rôle important » vise les anciens dirigeants des TLET (combattants ou civils) ou d’anciens membres soupçonnés d’avoir commis des actes terroristes ou des actes criminels graves pendant le conflit, ou d’avoir fourni des armes ou des explosifs. Il y a peu ou pas d’éléments de preuve tendant à indiquer que le demandeur a été ciblé par les autorités parce qu’il correspondait au profil décrit ci‑dessus. En fait, il y a peu ou pas d’éléments de preuve montrant que les autorités gouvernementales officielles se sont renseignées sur le demandeur dans l’exercice de fonctions officielles. Par exemple, il y a peu d’éléments de preuve concernant le mandat d’arrestation dont il aurait fait l’objet ou l’ordonnance qu’aurait rendue un tribunal pour ses activités. Le conseil fait remarquer qu’il était et serait ciblé en raison de son profil en tant que jeune homme tamoul de la région du Nord‑Est; toutefois, la preuve objective actuelle montre que le simple fait d’être un homme tamoul ne justifierait pas une protection internationale. Comme je l’ai indiqué précédemment, les preuves objectives actuelles montrent que les personnes les plus à risque sont celles dont le profil démontre un lien réel ou perçu avec les TLET, celles qui ont fait la promotion ou continuent de promouvoir activement la séparation des Tamouls, celles qui ont critiqué le gouvernement sri lankais comme les journalistes et les défenseurs des droits de la personne, ainsi que ceux qui sont recherchés pour avoir commis un crime au Sri Lanka avant leur départ, y compris ceux qui sont partis illégalement. Je ne suis pas convaincu que le demandeur ait fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que ces facteurs de risque s’appliquent à lui ou que les autorités sri lankaises ont un quelconque intérêt important à le cibler.

De plus, il y a peu d’autres éléments de preuve tendant à indiquer que le demandeur serait considéré comme un partisan ou un sympathisant des TLET et attirerait l’attention des autorités à son retour au Sri Lanka en raison d’une demande sur place. À cet égard, je remarque qu’il y a peu d’éléments de preuve démontrant qu’il a participé à des activités au Canada qui attireraient l’attention des autorités au Sri Lanka. Je remarque qu’il y a peu ou pas d’éléments de preuve démontrant qu’il a exprimé des points de vue défavorables à l’État, qu’il s’est associé à quiconque a exprimé des points de vue défavorables à l’État ou qu’il a offert de l’aide pour appuyer la relance des TLET. Par conséquent, il est peu probable que le demandeur attire l’attention des autorités sri lankaises.

Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur serait personnellement exposé à plus qu’à une simple possibilité de persécution en raison de son profil en tant que demandeur d’asile tamoul débouté. De plus, je ne suis pas convaincu qu’il serait vraisemblablement exposé au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[38]  Je conviens avec le demandeur que l’agent est complètement dans l’erreur à certains égards. Par exemple, le demandeur n’a jamais allégué qu’il serait ciblé [traduction] « en raison de son profil en tant que jeune homme tamoul de la région du Nord‑Est […] » et il ne conteste pas que [traduction] « la preuve objective actuelle montre que le simple fait d’être un homme tamoul ne justifierait pas une protection internationale ». Ce qui est plus pertinent, cependant, c’est ce que l’agent dit au sujet de la demande d’asile sur place du demandeur.

[39]  À la section 4 de la décision, l’agent cite la description que le demandeur a faite de son propre profil :

[traduction] L’ERAR de mon client demeure fondé sur les motifs de la Convention énoncés à l’article 96 de la LIPR, soit l’identité, la race (ou l’origine ethnique), les opinions politiques prêtées ou perçues (existence possible de liens, d’appui ou d’appartenance aux anciens Tigres de libération de l’Eelam tamoul) et l’appartenance à un groupe social particulier.

[40]  À mon avis, la décision devient déraisonnable à partir du moment où l’agent ne traite que brièvement de la demande sur place. Aux fins de cette demande, le profil du demandeur est celui établi au paragraphe 27 de ses observations écrites, que je cite encore une fois par souci de commodité :

[traduction]

(1)  identité;

(2)  nationalité;

(3)  ethnicité (District de Jaffna Nord tamoul, l’ancien « centre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul » (TLET));

(4)  demandeur d’asile débouté;

(5)  rapatrié seul (pas de surveillance);

(6)  en provenance du Canada, un centre d’activités des TLET avec une forte concentration de « diaspora » tamoule sri lankaise;

(7)  absence de passeport sri lankais valide délivré à l’interne.

[Souligné dans l’original.]

[41]  La réponse de l’agent à cette question est que le demandeur n’a pas démontré qu’il est exposé à un risque parce que :

  • a) il y a peu d’éléments de preuve tendant à indiquer qu’il serait considéré comme un partisan ou un sympathisant des TLET et qu’il attirerait l’attention des autorités à son retour au Sri Lanka;

  • b) il y a peu d’éléments de preuve démontrant qu’il s’est livré à des activités au Canada qui attireraient l’attention des autorités au Sri Lanka;

  • c) il y a peu d’éléments de preuve, voire aucun, démontrant qu’il a exprimé des opinions défavorables à l’égard de l’État, qu’il est associé à quiconque a exprimé des opinions défavorables à l’égard de l’État, ou qu’il a offert de l’aide pour appuyer la relance des TLET.

[42]  Comme la preuve à laquelle je fais référence plus loin l’indique, le demandeur attirera probablement l’attention des autorités dès son arrivée à l’aéroport du Sri Lanka parce qu’il a quitté le Sri Lanka illégalement sans passeport sri lankais valide délivré à l’interne. Pour expulser le demandeur au Sri Lanka, il aura besoin d’un document de voyage quelconque des autorités sri lankaises; elles connaîtront donc le moyen par lequel il arrivera ainsi que le moment de son arrivée.

[43]  La même preuve montre également qu’il fera probablement l’objet d’un contrôle et d’un interrogatoire à son arrivée et qu’il sera révélé qu’il est un demandeur d’asile débouté du Canada, où il y a une importante diaspora de Tamouls sri lankais, et que les autorités voudront savoir quel genre de risque il pose. Je pense que l’agent présume que tout ira bien parce que le demandeur pourra révéler qu’il n’est pas, et n’a jamais été, un partisan des TLET et qu’il ne s’est engagé dans aucune activité qui, selon la preuve objective, amènera les autorités de l’État à lui réserver un traitement sévère.

[44]  J’ai donc l’impression que l’agent ne fait pas nécessairement abstraction du profil complet du demandeur aux fins de la demande sur place. Il suppose simplement que le demandeur ne subira aucun préjudice parce que, une fois que la vérité sera connue à son sujet, les autorités sri lankaises n’auront aucun intérêt à lui causer préjudice. Il suppose également que les techniques d’entrevue des autorités ne porteront pas atteinte au demandeur d’une manière qui équivaudra à de la persécution au sens de l’article 96 ou à des risques au sens de l’article 97. La véritable question qui se pose est de savoir si les éléments de preuve dont disposait l’agent appuient raisonnablement ces hypothèses.

B.  Analyse sélective de la preuve documentaire

[45]  Le demandeur se plaint également que l’évaluation de la preuve documentaire par l’agent est très sélective.

[46]  Dans ses observations écrites, le demandeur explique cette affirmation de la façon suivante :

[traduction]

29.  Les motifs de l’ERAR révèlent que l’agent se fondait largement sur une note tirée des lignes directrices et renseignements sur le pays du Home Office du Royaume‑Uni concernant le séparatisme tamoul au Sri Lanka, document datant de juin 2017.

30.  Or, les sections 7, 8, 9 et 12 de ce document contiennent des renseignements récents et pertinents concernant le demandeur et son profil unique, ainsi que des rapports crédibles sur l’utilisation de la torture, des mauvais traitements et des agressions sexuelles par des agents de l’État sur les personnes qui correspondent à ce profil unique.

31.  L’agent a toutefois préféré (inexplicablement) s’appuyer principalement sur la section « 2 » de ce rapport du Royaume‑Uni et sur une décision du Upper Tribunal du Royaume‑Uni de 2013, GJ + Others.

32.  Cette décision du tribunal datait d’environ cinq ans à la date de la décision d’ERAR rendue en avril 2018 et contenait les conclusions d’un décideur du Royaume‑Uni sur une demande d’asile, dont on ne connaît pas tous les détails.

33.  Il est essentiel que de tels décideurs, dans le cas des demandes où sont en cause des droits de la personne fondamentaux et des risques, de chercher activement au moins une forme quelconque de preuve qui est en fait à la fois contraire à leurs conclusions fondamentales et étaye le risque allégué.

[…]

56.  De plus, l’agent disposait de nombreux éléments de preuve documentaire (d’autres parties du rapport de juin 2017 du Home Office du Royaume‑Uni) qui corroboraient bien l’existence d’actes de persécution commis contre des personnes qui correspondaient au profil même du demandeur en raison de son origine ethnique et de ses opinions politiques perçues.

57.  Aux pages 7 et 8 des motifs, l’agent s’appuie fortement sur une partie du rapport du Home office du Royaume‑Uni. En fait, cette partie du rapport de juin 2017 s’appuie sur une décision du Upper Tribunal du Royaume‑Uni, « OJ and Others », rendue en 2013, soit environ cinq ans avant la décision relative à l’ERAR rendue en avril 2018[.]

58.  Dans ses observations sur l’ERAR, le demandeur a présenté une pléthore d’éléments de preuve récents, fiables, objectifs et crédibles adaptés précisément à sa situation et à celle de personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne.

59.  Pour des raisons inconnues, l’agent d’ERAR s’appuie largement sur la décision d’un tribunal étranger relativement à une ancienne demande d’asile, soit de 2013. L’agent n’explique pas de façon raisonnable pourquoi d’autres éléments de preuve récents et fiables, qui appuient le risque actuel pour le demandeur, sont écartés. Il s’agit d’une analyse très sélective des preuves objectives présentées.

[Souligné dans l’original, renvois omis.]

[47]  Tout d’abord, y a‑t‑il des éléments de preuve dont dispose l’agent qui tendent à indiquer qu’une personne se trouvant dans la situation du demandeur et qui a le profil du demandeur pourrait être exposée à de la persécution au sens de l’article 96 ou à des risques au sens de l’article 97 si elle est renvoyée au Sri Lanka? Il ressort de mon examen du dossier qu’il y en avait beaucoup.

[48]  Par exemple, il y a un rapport du Guardian du 14 juillet 2017 qui mentionne notamment ceci :

[traduction] Le recours à la torture par les services de sécurité sri lankais est devenu une pratique courante, a conclu un rapporteur spécial de l’ONU après une visite dans le pays.

[49]  Une réponse de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada à la demande d’information du 11 février 2015 indiquait, entre autres, que :

[traduction]

Des sources signalent que les individus qui reviennent de l’étranger sont particulièrement susceptibles de faire l’objet de contrôles (professeur adjoint 20 janv. 2015; Council of NGOs 14 janv. 2015). D’après certaines sources, les autorités ont eu recours à d’anciens cadres et informateurs des TLET pour repérer des individus ayant des liens avec les TLET (anthropologue 8 janv. 2015; professeur auxiliaire 12 janv. 2015), bien que ce phénomène ait « diminué » ou soit devenu « moins évident » que dans le passé (ibid.).

Selon un rapport datant du mois de mai 2012 et publié par Tamils Against Genocide (TAG), organisme dont le siège est situé aux États‑Unis et qui se décrit comme un « organisme non gouvernemental international sans but lucratif de défense des droits de la personne qui se consacre à la défense des droits, à la recherche et au contentieux pour lutter contre le génocide et les violations des droits de la personne qui l’accompagnent » (TAG s.d.),

les demandeurs d’asile déboutés sont plus susceptibles d’être rapidement associés aux TLET, que ce soit parce qu’ils ont demandé l’asile ou parce qu’on présume qu’ils ont participé à des activités de la diaspora tamoule qui, de l’avis du gouvernement du Sri Lanka, soutiennent les TLET. (ibid., mai 2012, paragr. 1.3.3)

[50]  Dans un rapport plus récent publié par le Guardian en novembre 2017, on peut lire, entre autres, que :

[traduction] Piers Pigor, enquêteur sud­africain sur les droits de la personne qui a interviewé des survivants de la torture au cours des 40 dernières années, a déclaré : [«] Les niveaux d’abus sexuels perpétrés au Sri Lanka par les autorités sont les plus flagrants et pervers que j’aie jamais vus. »

[51]  Cela s’ajoute aux informations données par Ann Hannah, dirigeante de la promotion internationale des droits au sein de Freedom from Torture, selon lesquelles, dans certains cas, des personnes à qui on avait refusé l’asile au Royaume‑Uni avaient été renvoyées au Sri Lanka, où elles ont été enlevées et torturées de nouveau.

[52]  Voici un extrait d’un article du Washington Post du 16 novembre 2017 :

[traduction]

La semaine dernière, l’Associated Press a publié un rapport explosif documentant les allégations de plus de 50 hommes tamouls selon lesquelles les forces de sécurité du Sri Lanka les auraient agressés sexuellement et torturés. Leurs récits de viols collectifs, d’humiliation sexuelle et de pénétration au fil barbelé sont étayés par des dossiers médicaux et des évaluations psychiatriques. Les détails sont répugnants. La nouvelle a été dévoilée à un moment inopportun pour le Sri Lanka, qui doit faire l’objet d’un examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme de l’ONU cette semaine. Les assurances données par la délégation du gouvernement au sujet d’une « politique de tolérance zéro » à l’égard de la torture se sont heurtées à des rapports d’abus si choquants qu’un enquêteur sur les droits de la personne les a décrits comme « les plus flagrants et pervers que j’aie jamais vus ».

Mais ce n’est pas seulement la brutalité des agressions qui ressort; c’est aussi leur nature courante. Parce que, et c’est ce qui est troublant, ces allégations ne reflètent pas des anomalies. En 2016, l’organisation britannique Freedom from Torture a signalé que 71 % de ses clients, surtout des hommes tamouls, ont déclaré avoir été violés ou avoir subi d’autres formes de torture sexuelle. Étant donné la stigmatisation que la culture tamoule conservatrice attache au viol, les victimes de sexe masculin sont fortement incitées à garder le silence au sujet de tels crimes. L’incidence réelle est probablement encore plus élevée que le taux déclaré.

[…]

Une grande partie de la violence sexuelle décrite ci‑dessus a probablement été commise de façon opportuniste par des personnes ou de petits groupes qui profitaient d’un environnement permissif. Mais les infractions signalées dans l’article de l’AP semblent être de nature alarmante.

Dans un rapport sur les droits de la personne qui fournit plus de détails, les survivants décrivent les conversations entre les interrogateurs au sujet de l’application du « traitement normal ». Certains se souviennent de la présence de policiers et de militaires ainsi que de hauts gradés. Ce qui est le plus révélateur, c’est que les personnes détenues à différents endroits décrivent des chambres de torture remarquablement semblables, ce qui laisse entendre que ces agressions ne sont pas seulement courantes, mais normalisées.

À ce jour, seuls les auteurs militaires d’un unique viol d’après‑guerre et de deux incidents en temps de guerre ont été reconnus coupables. Et le Sri Lanka n’a aucunement puni ses troupes de maintien de la paix pour leurs crimes en Haïti.

[Souligné dans l’original.]

[53]  Ces signalements de torture courante doivent être pris en compte conjointement avec la preuve figurant au rapport de juin 2017 du Home Office du Royaume‑Uni sur lequel l’agent s’est largement appuyé pour déterminer comment les demandeurs d’asile renvoyés sont traités à leur arrivée au Sri Lanka :

[traduction]

8.2.4 Le même rapport ajoutait toutefois que :

Le rapporteur spécial note toutefois avec inquiétude que ni le Code pénal ni la Loi sur le Code de procédure pénale ne précise qu’un mandat d’arrestation doit être autorisé par un juge, ce qui donne à la police des pouvoirs extraordinaires d’arrestation et augmente le risque de détention arbitraire, de torture et de mauvais traitements. En outre, le rapporteur spécial a reçu des témoignages crédibles selon lesquels les suspects sont souvent d’abord détenus pour interrogatoire dans des lieux de détention officiels ou non officiels sans être enregistrés pendant les premiers jours ou heures et sans être amenés devant un juge, en particulier les détenus sous le régime de la Loi sur la prévention du terrorisme, qui sont détenus sans contact avec l’extérieur. Cela facilite la torture et d’autres mauvais traitements et peut constituer en soi un tel traitement.

[…]

12.2.1 La People for Equality and Relief in Lanka (PEARL), organisation à but non lucratif dirigée par des militants des droits de la personne préoccupés par la situation au Sri Lanka, a consigné dans son rapport, Withering Hopes: Historic window of opportunity for reconciliation will close if Sri Lanka fails to act on accountability and militarization (les espoirs s’envolent : une occasion historique de réconciliation disparaîtra si le Sri Lanka n’agit pas en matière de responsabilisation et de militarisation), avril 2016 :

Les Tamouls qui reviennent de l’étranger, en particulier ceux qui reviennent suite à un emploi au Moyen‑Orient et qui sont déportés d’autres pays, continuent d’être interrogés et parfois détenus à leur arrivée. Au moins 19 Tamouls revenant de l’étranger ont été arrêtés en 2015. En janvier 2016, un journaliste tamoul revenant d’Australie a été arrêté et détenu. Des Tamouls déportés de pays comme la Turquie et l’Australie ont également été arrêtés à leur arrivée. Il y a au moins un cas signalé d’enlèvement et de meurtre d’un Tamoul qui est revenu d’Arabie saoudite en 2015.

[…]

12.2.5 Le Guardian a ajouté : « En général, les demandeurs d’asile qui sont renvoyés au Sri Lanka sont détenus par la police ou dans la prison de Negombo. Ils font face à une cour de magistrats et sont habituellement condamnés à une amende pour avoir quitté le pays illégalement. Certains passent des semaines, voire des mois en prison, et les amendes peuvent atteindre 100 000 roupies (930 $ AU). »

[…]

12.2.7 Le rapport du département des Affaires étrangères et du Commerce (le DAEC) de l’Australie sur le Sri Lanka, daté du 24 janvier 2017, a fait remarquer ce qui suit :

La plupart des rapatriés sri lankais, y compris ceux en provenance de l’Australie, sont interrogés (habituellement à l’aéroport) à leur retour et, lorsqu’un départ illégal du Sri Lanka est soupçonné, ils peuvent être accusés en vertu de la Loi sur les immigrants et les émigrants de 1949. Le DAEC comprend que, dans la plupart des cas, ces personnes sont arrêtées par la police à l’aéroport international Bandaranaike de Colombo. Dans le cadre de ce processus, la plupart des rapatriés se feront prendre leurs empreintes digitales et seront photographiés. À la première occasion après la fin des enquêtes, la personne serait transportée par la police à la cour des magistrats la plus proche, après quoi la garde et la responsabilité de la personne seraient transférées aux tribunaux ou aux services correctionnels. Le magistrat détermine ensuite les prochaines étapes pour chaque personne.

[…]

12.2.10 La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a déclaré ceci en février 2015 : « Les sources indiquent que les personnes qui reviennent de l’étranger sont particulièrement sujettes à un contrôle. » Dans un rapport publié en juillet 2015 par l’International Truth & Justice Project (ITJP) au Sri Lanka sur les survivants de la torture et de la violence sexuelle de 2009 à 2015, on peut lire ce qui suit : « Un membre de la force de sécurité a témoigné que depuis l’élection présidentielle de 2015, les responsables du renseignement militaire du Joseph Camp cherchent activement des Tamouls qui reviennent de l’étranger pour les interroger. Le témoin a déclaré que l’intention était de les enlever, de les détenir et de les torturer. »

[…]

12.2.12 L’International Crisis Group a indiqué dans un rapport d’août 2015 que : « Les Tamouls qui reviennent de l’étranger continuent d’être arrêtés en vertu de la PTA (Prevention of Terrorism Act) parce qu’ils soupçonnent une ancienne affiliation aux TLET. Selon certains rapports, après la détention par la police, beaucoup sont envoyés au programme de réadaptation dirigé par les militaires. Les politiciens et les militants tamouls allèguent que des centres de détention secrets établis par l’ancien gouvernement continuent d’être exploités, bien que les fonctionnaires le nient. »

[Renvois omis.]

[54]  Sur la base de ce type de preuve, et il y en a plus dans les documents qui ont été soumis à l’agent, je ne pense pas que l’agent puisse simplement présumer, comme il semble l’avoir fait dans la décision, que le demandeur ne fera pas l’objet de persécution au sens de l’article 96 ou ne sera pas exposé à des risques au sens de la section 97 s’il est renvoyé au Sri Lanka simplement parce qu’il n’a aucun lien avec les TLET et ne présente pas certains des autres profils expressément mentionnés dans la décision.

[55]  Bien entendu, il incombe à l’agent d’évaluer et de soupeser la preuve, et je ne peux pas intervenir, même si j’avais tiré une conclusion différente. La Cour a cependant toujours jugé que l’omission de traiter des éléments de preuve qui entrent en conflit avec les conclusions d’un agent ou de la Section de la protection des réfugiés est une erreur susceptible de contrôle.

[56]  Par exemple, dans la décision récente Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, le juge en chef Crampton a donné les conseils judicieux suivants :

[25]  Ce faisant, l’agent n’a pas tenu compte de documents plus récents, rédigés en 2015 et 2016, rapportant que des personnes d’origine tamoule avaient été [traduction] « détenues, torturées et/ou abusées sexuellement » à leur retour au Sri Lanka. Le fait que l’agent n’avait pas pris concrètement l’initiative de consulter ces renseignements plus récents, lesquels contredisaient directement ses conclusions, rend déraisonnable son évaluation des risques encourus tels que rapportés par Mme Jesuthasan si elle devait retourner dans ce pays (Cepeda­Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17).

[57]  Les observations de la juge McDonald dans la décision Kailajanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 970, s’appliquent également en l’espèce :

[18]  Le demandeur fait valoir qu’il est un Tamoul qui retourne au Sri Lanka après le rejet de sa demande d’asile. Le demandeur invoque la preuve documentaire qui concerne le traitement général des Tamouls qui retournent au Sri Lanka, non seulement ceux qui ont un lien avec les TLET.

[19]  L’agent avait l’obligation d’examiner cette preuve. Les agents doivent examiner cumulativement les facteurs de risque avancés par un demandeur (K.S. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 999, au paragraphe 42). L’agent ne peut examiner séparément ces risques.

[20]  Une telle erreur a été examinée dans le contexte de la SPR dans Suntharalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987 aux paragraphes 47 à 50. Dans cette affaire, la Cour a rejeté une décision de la SPR qui avait conclu que, puisque le demandeur n’était pas ciblé par les autorités pour avoir fait partie des TLET, il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le demandeur était exposé à un risque selon la preuve. La Cour a noté ce qui suit :

[47] De plus, la SPR semble affirmer que, du fait qu’elle n’a pas cru que le demandeur était ciblé par les autorités en raison de son association présumée avec les TLET, il n’est pas nécessaire qu’elle examine s’il court un risque selon la preuve documentaire objective.

[...]

[49] En toute déférence, les préoccupations de la SPR liées à la crédibilité ne permettent pas de trancher la question de savoir s’il y a un risque grave que le demandeur soit persécuté en sa qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié. Le statut du demandeur à cet égard est établi de façon objective comme demandeur d’asile débouté ­ sa demande d’asile a été rejetée par la SPR. Cela n’a rien à voir avec la crédibilité.

[50] L’examen du dossier présenté à la SPR a démontré que des demandeurs d’asile déboutés et rapatriés au Sri Lanka avaient été détenus et torturés (Freedom from Torture Report au par. 7; principes directeurs du HCR au par. 8; risque auquel sont exposés les demandeurs d’asile d’origine ethnique tamoule déboutés qui sont rapatriés au Sri Lanka,). La SPR n’a fait référence à aucun document particulier à cet égard. De plus, elle n’a pas répondu à la préoccupation particulière d’un demandeur d’asile débouté qui est ensuite rapatrié. En toute déférence, la SPR était tenue de déterminer s’il y avait un risque grave de persécution du demandeur en qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié.

[21]  La présente affaire est analogue et comporte la même erreur. L’agent a conclu que le rapport était probant. Toutefois, l’agent n’a pas tenu compte de tout le rapport, qui documente les risques importants pour les Tamouls qui retournent au Sri Lanka. L’agent, bien qu’il ait reconnu ces risques, ne les a pas évalués par rapport au profil du demandeur et s’en est plutôt remis aux conclusions de la SPR sur la crédibilité.

[22]  L’agent ne peut pas simplement s’en remettre à ces conclusions sans faire un examen complet de la preuve. Cette erreur indique que l’agent n’a pas tenu compte du profil cumulatif du demandeur, en particulier en ce qui concerne son statut de Tamoul qui retourne au Sri Lanka, séparément des autres profils de risque.

[58]  Le juge Diner a fait valoir un point semblable dans la décision Thevarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 458 :

[11]  Enfin, la SPR n’a pas abordé de façon utile le risque que courrait M. Thevarajah au Sri Lanka à titre de demandeur d’asile débouté, aspect principal de son dossier ne dépendant pas de sa crédibilité (Shanmugarajah c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 987, au paragr. 49 [Shanmugarajah]. La SPR s’est plutôt concentrée sur un document de 2012 du Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui suggérait qu’il n’existait une possibilité sérieuse de persécution pour les jeunes hommes tamouls que s’ils avaient participé de façon active et officielle aux activités des TLET ou qu’un membre de la famille immédiate l’avait fait. Comme l’a conclu le juge Brown dans Shanmugarajah, la SPR a le devoir de déterminer s’il y a possibilité sérieuse de persécution du demandeur spécifiquement en tant que demandeur d’asile débouté (voir aussi par analogie, Vilvarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 349), ce qu’elle n’a pas fait.

IX.  CONCLUSIONS

[59]  Le demandeur a soulevé plusieurs autres questions, mais il n’est pas nécessaire de les examiner. Compte tenu de ce qui précède, l’affaire doit être renvoyée pour réexamen par un autre agent.

[60]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM­2608­18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie. La décision est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de mars 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM­2608­18

 

 

INTITULÉ :

YOKITHAN JEYAKUMAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 janvier 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russel

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Robert Blanshay

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blanshay Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.