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Date : 20190122


Dossier : IMM‑2204‑18

Référence : 2019 CF 90

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YANYIN LIANG

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une citoyenne de la Chine. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (LA SPR), selon laquelle elle n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demande d’asile de la demanderesse est fondée sur sa pratique du Falun Gong. Pour les motifs suivants, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la Cour jugeant déraisonnable la décision de la SPR.

Le contexte

[2]  La demanderesse soutient qu’elle a commencé à pratiquer le Falun Gong afin de traiter une dépression liée à l’échec d’une relation, en août 2011. Elle affirme que, alors qu’elle était en Chine, elle pratiquait le Falun Gong tous les jours et toutes les semaines en compagnie d’un groupe.

[3]  Le 2 septembre 2012, la demanderesse affirme que son groupe de Falun Gong a été la cible d’une descente du Bureau de la sécurité publique (le BSP). Une vigie postée à l’avant de la maison a averti le chef du groupe de l’arrivée d’agents du BSP, et la demanderesse a pu s’enfuir par la porte arrière. La demanderesse est alors allée se cacher chez un cousin.

[4]  Alors qu’elle était cachée, des agents du BSP se sont rendus chez ses parents, le 5 septembre 2012, pour l’y chercher. Ils lui ont alors laissé une sommation. Ses parents lui ont dit que les agents du BSP étaient revenus et qu’ils leur avaient demandé pourquoi elle ne s’était pas rendue à leur bureau.

[5]  Grâce à l’aide d’un passeur, la demanderesse a quitté la Chine avec son propre passeport et s’est rendue au Canada en novembre 2012. Elle y a alors présenté une demande d’asile.

[6]  La demanderesse affirme que depuis son arrivée au Canada, elle continue de pratiquer le Falun Gong en public tous les jours et toutes les semaines, en compagnie d’un groupe.

La décision de la SPR

[7]  Dans la décision du 25 avril 2018, la SPR a rejeté la requête de la demanderesse et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’a jamais pratiqué le Falun Gong en Chine ou au Canada, et qu’elle n’a jamais été recherchée par les autorités chinoises pour avoir pratiqué le Falun Gong. Cette conclusion était fondée sur cinq constatations, à savoir : 1) le récit de sa fuite n’est ni plausible ni crédible; 2) la sommation présentée n’était pas authentique; 3) elle n’a pas bien expliqué comment elle a été en mesure de quitter la Chine avec son passeport authentique malgré l’existence du Bouclier d’or; 4) ses connaissances du Falun Gong ne correspondaient pas à celles d’une personne qui a lu le Zhuan Falun, qui a douze ans de scolarité et qui pratique le Falun Gong depuis plus de six ans; 5) aucun élément de preuve crédible n’a été présenté pour justifier la demande d’asile sur place.

[8]  La SPR a conclu que le récit de fuite de la demanderesse n’était ni plausible ni crédible. La SPR a conclu que le BSP aurait encerclé l’immeuble au lieu d’entrer par la porte avant et permettre ainsi aux adeptes de sortir par la porte arrière.

[9]  La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas bien expliqué comment elle avait pu quitter la Chine avec son passeport authentique, alors que le BSP la recherchait et malgré l’existence du Bouclier d’or. La SPR a tenu compte de la jurisprudence contradictoire concernant la façon dont certaines personnes ont réussi à contourner le Bouclier d’or, comme la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762 (Huang), mais a conclu que la description faite par la demanderesse de son vol en provenance de la Chine était incompatible avec les renseignements contenus dans le cartable national de documentation.

[10]  En ce qui concerne sa connaissance du Falun Gong, la SPR a pris note de la jurisprudence de la Cour fédérale, laquelle invite à la prudence pour ce qui est de déterminer l’identité religieuse en se fondant sur la connaissance ou le manque de connaissance. Toutefois, la Commission a souligné que « contrairement aux religions en général, qui sont fondées sur la foi, la preuve objective établit que les connaissances sont une composante importante du Falun Gong ». Les connaissances de la demanderesse à l’égard du Falun Gong n’étaient pas proportionnelles à celles d’une personne qui a lu le Zhuan Falun, qui le pratique depuis plus de six ans et qui a 12 ans de scolarité.

[11]  La demande d’asile sur place de la demanderesse a été rejetée, car les éléments de preuve présentés (deux lettres et des photographies montrant qu’elle pratiquait le Falun Gong au Canada) n’ont pas remédié aux préoccupations quant à la crédibilité; ils n’ont en outre pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse était une adepte authentique du Falun Gong. Les deux lettres que la demanderesse a présentées affirmant qu’elle pratiquait le Falun Gong au Canada ont peu de poids, car les auteurs des deux lettres n’étaient pas présents pour attester de la véracité de leurs déclarations. Les photographies avaient également peu de poids, en partie parce qu’elles avaient été prises dans un lieu public.

Enjeux

[12]  La demanderesse soulève divers enjeux en ce qui a trait à la décision de la SPR, mais l’évaluation de cette dernière relativement aux questions suivantes est concluante :

  1. La SPR a­t­elle raisonnablement pris en compte les sommations?
  1. La SPR a­t­elle raisonnablement pris en compte la capacité de la demanderesse de partir de la Chine?

La norme de contrôle applicable

[13]  La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR et à l’appréciation de la preuve est la norme du caractère raisonnable (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 933, par. 9 (Liu)).

[14]  Une décision est raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

Analyse

I.  La SPR a‑t‑elle raisonnablement pris en compte les sommations?

[15]  La demanderesse fait valoir que la conclusion de la SPR selon laquelle les sommations revêtaient un caractère frauduleux est déraisonnable. Les motifs invoqués par la SPR pour en venir à cette conclusion étaient simplement qu’il existe un grand nombre de documents frauduleux en Chine. Les sommations n’ont pas été analysées.

[16]  Dans Lin c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 157 (Lin), au paragraphe 53, la Cour affirme que la pratique répandue de fabrication de faux documents en Chine n’est pas en soi suffisante pour douter de l’authenticité de tous les documents qui proviennent de ce pays. La Cour ajoute ce qui suit au paragraphe 55 du jugement Lin :

Il se peut bien qu’il soit facile de se procurer des documents frauduleux en Chine. Cependant, il ne s’ensuit pas que tous les documents qui proviennent de la Chine sont nécessairement frauduleux. La SPR était tenue d’examiner et de soupeser les documents précis qui lui avaient été présentés plutôt que de les rejeter tout simplement d’entrée de jeu.

[17]  À tout le moins, la SPR devait examiner et soupeser les sommations, même si les documents faux sont largement accessibles (voir aussi Liu au par. 13).

[18]  En l’espèce, le rejet pur et simple par la SPR de l’authenticité de la sommation était déraisonnable.

II.  La SPR a‑t‑elle raisonnablement pris compte la capacité de la demanderesse de partir de la Chine?

[19]  La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’aurait pas été possible pour elle de partir de la Chine munie de son propre passeport si elle était recherchée par le BSP. La demanderesse soutient également qu’elle a pu quitter le pays sans être identifiée parce qu’elle était accompagnée d’un passeur qui a réussi à contourner les mécanismes de sécurité chinois.

[20]  Les documents de preuve objective du pays font état de la possibilité de corruption en Chine et font remarquer que le système du Bouclier d’or n’est pas infaillible. La SPR s’est fondée sur la décision Huang, selon laquelle les questions de corruption, de passeurs et de corruption doivent être prises en compte dans le cadre de l’évaluation de la capacité d’un demandeur d’asile de partir de la Chine au moyen de son passeport authentique. Dans Huang, le juge Russell a indiqué au paragraphe 68 que, s’il y a suffisamment d’éléments de preuve de corruption et de l’existence d’un système de pots‑de‑vin, une décision raisonnable doit expliquer comment ces facteurs n’auraient pas raisonnablement permis de contourner le Bouclier d’or.

[21]  En l’espèce, bien que la SPR ait tenu compte des points forts du système de sécurité du Bouclier d’or, elle a aussi reconnu qu’il était possible de faire sortir un fugitif de la Chine. Toutefois, ce que la SPR n’a pas expliqué, c’est pourquoi, en l’espèce, le passeur ne pouvait pas raisonnablement contourner le Bouclier d’or et aider la demanderesse à quitter le pays. Au lieu de cela, la SPR déclare avoir constaté que les arguments relatifs à la corruption et aux pots‑de‑vin « ont peu d’incidence » sur l’affaire.

[22]  La SPR a également conclu que la description que la demanderesse a faite de son départ de la Chine était incompatible avec les renseignements figurant dans la preuve documentaire. La SPR a constaté que le cartable national de documentation indique qu’elle n’aurait pas pu partir de la Chine en montrant son passeport seulement une ou deux fois à l’aéroport. Toutefois, cela ne tient absolument pas compte des éléments de preuve de la demanderesse établissant qu’elle s’est fiée à un passeur dans le but de contourner les mesures de sécurité. En l’espèce, la SPR n’a pas déclaré avoir des doutes sur le récit de la demanderesse concernant son départ de la Chine. Par conséquent, la conclusion de la SPR selon laquelle une personne ne peut pas contourner le système de sécurité, sans tenir compte de l’explication de la demanderesse quant à la façon dont elle l’a fait, n’est pas justifiée.

[23]  Toutefois, la SPR a finalement conclu, aux paragraphes 10 et 11 de sa décision, qu’il était peu probable que la demanderesse ait pu partir de la Chine munie de son propre passeport si les autorités la recherchaient, et qu’il était peu probable qu’elle ait utilisé les services d’un passeur, car la SPR doutait de l’authenticité de sa pratique du Falun Gong. Il s’agit nettement, de la part de la SPR, d’un raisonnement circulaire, contenant des conclusions interdépendantes liées à la crédibilité, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer quelles constatations ont servi de fondement à quelles conclusions. Cette conclusion n’est ni justifiée, ni transparente ni intelligible.

[24]  Compte tenu du manque d’intérêt de la SPR à l’égard de la sommation et de son raisonnement circulaire sur la façon dont la demanderesse est partie de la Chine, j’accueille cette demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2204‑18

LA COUR STATUE QUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.

  2. Les parties n’ont soulevé aucune question de portée générale à des fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de février 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2204‑18

INTITULÉ :

YANYIN LIANG c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 JANVIER  2019

COMPARUTIONS :

Olha Senshyn

POUR LA DEMANDERESSE

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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