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Date : 20190130

Dossier : IMM-3085-18

Référence : 2019 CF 131

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2019

En présence du juge en chef

ENTRE :

NOMIDA MALABUNGA URDAS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Mme Urdas est citoyenne des Philippines. Elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des aides familiaux résidents. Sa demande a été rejetée après qu’une agente travaillant pour Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a conclu que son conjoint, Ethel Dela Cruz Urdas, était interdit de territoire au Canada et qu’elle était, par conséquent, également interdite de territoire au Canada.

[2]  L’agente est parvenue à cette conclusion après avoir conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Urdas avait commis à l’étranger un acte qui aurait constitué une infraction de tentative de meurtre s’il avait été commis au Canada.

[3]  Mme Urdas soutient que la décision de l’agente de rejeter sa demande pour ce motif était déraisonnable parce que l’agente avait commis une erreur :

  1. en concluant, en grande partie en raison d’un règlement conclu avec la famille de la victime, que M. Urdas avait commis l’acte reproché;

  2. en écartant certains documents sous prétexte qu’ils étaient « intéressés »;

  3. en s’appuyant sur des hypothèses ou des convictions non étayées concernant le droit aux Philippines.

[4]  Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Contexte

[5]  Au cours du traitement de la demande de résidence permanente de Mme Urdas, le défendeur a demandé à M. Urdas de fournir une explication écrite concernant une attestation qui avait été incluse dans la demande et qui indiquait qu’il n’avait [traduction] « aucun casier judiciaire ». Dans un affidavit d’explication présenté en réponse à la demande du défendeur, M. Urdas a expliqué qu’il avait été accusé de [traduction] « meurtre avorté » en 1989. Il a ajouté que l’affaire au criminel le visant avait été rejetée après que le plaignant, M. Renato Antolin, eut présenté un affidavit de désistement dans lequel il demandait le rejet de l’affaire.

[6]  M. Antolin avait précédemment allégué que M. Urdas, avec son frère et son cousin, l’avait poignardé le 18 septembre 1988.

[7]  Dans son affidavit d’explication, M. Urdas a ajouté [traduction] : « La vérité, c’est que le 18 septembre 1988, au moment où a eu lieu l’agression à l’arme blanche […], j’étais dans notre maison à Centro, Santa Ana, Cagayan, qui est plus ou moins à dix (10) kilomètres de l’endroit où il a été poignardé. Je n’étais pas avec mon frère REY URDAS et mon cousin NELSON LADRIDO à ce moment, puisque je soignais alors mon père malade […] ».

[8]  M. Urdas a joint comme pièces à son affidavit d’explication des documents supplémentaires, notamment les documents judiciaires relatifs à l’affaire criminelle en question. Il n’a toutefois produit que certains de ces documents et a affirmé que le reste avait été détruit lors d’un typhon.

[9]  À la suite d’une entrevue ultérieure de M. Urdas aux Philippines, la demanderesse a présenté une lettre du Bureau national des enquêtes expliquant que l’attestation d’absence de casier judiciaire avait été délivrée à M. Urdas [traduction] « compte tenu du fait que, selon les documents figurant au dossier du Bureau, l’affaire du meurtre avorté, classée comme affaire criminelle no VIII-610, déposée contre lui […] a été rejetée le 5 décembre 1990 ».

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]  La décision visée par le présent contrôle judiciaire comprend une courte lettre, datée du 19 juin 2018, ainsi que des notes que l’agente a saisies dans le Système mondial de gestion des cas tenu à jour par IRCC (la décision).

[11]  Pour parvenir à sa conclusion selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Urdas avait commis aux Philippines un acte qui aurait constitué une infraction de tentative de meurtre s’il avait été commis au Canada, l’agente a tiré plusieurs conclusions. En particulier, l’agente a fait remarquer que [traduction] « tout au long de l’entrevue, le demandeur avait fait de nombreuses déclarations contradictoires en ce qui concerne l’entente de règlement qui avait été conclue, l’endroit où se trouvaient son frère et son cousin et la manière dont il avait obtenu les documents judiciaires qu’il a présentés ».

[12]  En outre, l’agente a indiqué que les documents présentés par Mme Urdas étaient [traduction] « intéressés et ne fournissaient pas le contexte de la procédure ». À cet égard, l’agente a souligné que M. Urdas [traduction] « avait reconnu que, pour qu’il y ait dénonciation à la Cour en vue d’un dépôt d’accusations, des rapports de police, des affidavits de témoins et/ou des rapports médicaux auraient dû être présentés, mais [il] n’a présenté aucun de ces documents ».

[13]  De plus, l’agente a fait observer que, selon la documentation fournie, plusieurs témoins de l’attaque avaient été identifiés.

[14]  L’agente a ensuite noté que [traduction] « la plupart des cas [aux Philippines] doivent être motivés par un plaignant » et qu’il est possible dans ce pays [traduction] « de faire rejeter des accusations, ou encore d’obtenir un pardon en échange du paiement de dommages-intérêts à la victime ». Ayant cela à l’esprit, l’agente a déclaré que [traduction] « un rejet ne signifie pas nécessairement qu’un client n’est pas interdit de territoire, ni que le client n’a pas commis l’infraction pour laquelle il est accusé ».

[15]  L’agente a en outre noté que M. Urdas avait reconnu que sa mère avait entamé des négociations avec la belle-mère de M. Antolin et avec le juge qui avait rendu l’ordonnance rejetant l’affaire. L’agente a également mentionné que M. Urdas avait indiqué qu’un règlement à l’amiable avait été conclu, et qu’il avait été suivi le même jour par le dépôt d’un affidavit de désistement par M. Antolin.

[16]  Compte tenu de ce qui précède, l’agente a conclu qu’elle était [traduction] « convaincue, pour des motifs raisonnables, que le sujet est interdit de territoire au titre de l’alinéa 36(1)c) de la Loi » et que « cette interdiction rend le reste des membres de la famille visés par cette demande interdits de territoire au titre de l’alinéa 42(1)a) de la Loi ».

IV.  Législation pertinente

[17]  Conformément à l’article 33 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), les faits – actes ou omissions – emportant interdiction de territoire mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[18]  En vertu de l’alinéa 36(1)c) de la Loi, emporte, pour le résident permanent ou l’étranger, interdiction de territoire pour grande criminalité le fait de commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

[19]  En vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi, emporte, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale l’interdiction de territoire frappant tout membre de la famille d’un étranger qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas.

V.  Norme de contrôle

[20]  Les questions soulevées par Mme Urdas peuvent essentiellement être réduites à la seule question de savoir si la décision était raisonnable. Par conséquent, la norme applicable à l’examen de la demande par notre Cour est celle de la décision raisonnable (Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 879, paragraphes 59 à 61; Mansouri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 144, paragraphe 12).

VI.  Évaluation

[21]  La question centrale de la présente demande est de savoir s’il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure, selon la norme de preuve des « motifs raisonnables de croire », que M. Urdas avait commis l’acte reproché, même si les allégations présentées contre lui avaient été rejetées. À mon avis, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

[22]  La norme des « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais moins que la prépondérance des probabilités. « La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, paragraphe 114).

[23]  Pour rendre sa décision, l’agente s’est fondée sur plusieurs conclusions et faits, notamment :

  1. M. Urdas a fourni des déclarations contradictoires au sujet de l’entente de règlement conclue, du lieu où se trouvaient son frère et son cousin et concernant la question de savoir s’il était avec son avocat lorsque ce dernier s’est rendu au palais de justice pour obtenir les documents qui avaient été demandés. En raison de ces contradictions et du fait que M. Urdas semblait réciter des réponses préétablies plutôt que de répondre spontanément à ses questions, l’agente avait [traduction] « de sérieuses réserves » quant à la crédibilité de M. Urdas. Je tiens à faire remarquer que M. Urdas a expliqué certaines de ces contradictions en disant simplement qu’il était [traduction] « très fatigué » et « nerveux » et que les événements s’étaient déroulés « il y a longtemps ».

  2. Après le dépôt de la plainte criminelle contre M. Urdas, M. Antolin a poursuivi pendant environ deux ans l’affaire. M. Antolin a ensuite soudainement déposé un affidavit de désistement le même jour où la mère de M. Urdas a entamé des négociations avec le juge (qu’elle connaissait) et la belle-mère de M. Antolin, ce qui avait abouti à un règlement. Je tiens à faire remarquer ici qu’en réponse à l’interrogatoire de l’agente, M. Urdas a reconnu qu’avant le dépôt de la plainte, il connaissait M. Antolin et qu’ils [traduction] « se voyaient souvent ». Il convient également de noter que, dans son affidavit de désistement, M. Antolin n’indiquait pas que M. Urdas n’avait pas commis l’acte pour lequel il était accusé. À cet égard, il a simplement déclaré ce qui suit :

[traduction] Après avoir parlé à mes témoins, j’ai réfléchi et je me suis rappelé les événements qui ont conduit à mon agression à l’arme blanche et je ne suis pas moi-même également certain de savoir si les accusés sont ceux qui m’ont infligé des blessures, étant donné qu’il faisait noir, qu’il y avait plusieurs personnes à proximité et que la motocyclette roulait vite. [Non souligné dans l’original.]

En ce qui concerne les témoins, M. Antolin a simplement déclaré que deux d’entre eux l’avaient informé qu’ils ne témoigneraient pas « parce qu’ils n’aiment pas blâmer l’accusé de m’avoir poignardé, puisqu’ils ne sont pas certains que l’accusé l’a réellement fait ». [Non souligné dans l’original.]

  1. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi la famille de M. Antolin conclurait un règlement avec sa mère s’il (M. Urdas) n’avait pas été impliqué dans l’incident allégué, M. Urdas a répondu que le règlement avait été conclu en contrepartie d’une dette envers la mère de M. Urdas, qui avait fourni un moyen de transport pour aider la famille de M. Antolin à ramener à la maison le corps de son beau-frère, après son assassinat. M. Urdas a ajouté que sa mère [traduction] « voulait régler l’affaire avant de mourir, elle voulait s’assurer que tout était réglé ».

  2. La dénonciation qui a été déposée par le procureur provincial désignait de nombreux témoins, dont un médecin et un patrouilleur, de même que M. Antolin.

  3. M. Urdas n’a fourni aucune attestation à l’appui de son affirmation selon laquelle certains documents, notamment des rapports de police, affidavits de témoins et rapports médicaux, avaient été détruits lors d’un typhon, alors que les documents les plus utiles pour lui ne l’avaient pas été.

  4. Aux Philippines, un accusé conclut souvent une entente ou un règlement à l’amiable avec le plaignant, ce qui entraîne le rejet de l’affaire. Ces rejets ne signifient pas nécessairement que l’accusé n’a pas commis l’infraction pour laquelle il a été accusé.

[24]  Compte tenu de ce qui précède, il n’était pas déraisonnable que l’agente conclue qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Urdas avait commis l’acte reproché. Cette conclusion reposait sur plus que de simples soupçons.

[25]  En résumé, l’agente avait des motifs raisonnables d’exprimer [traduction] « de sérieuses réserves » quant à la crédibilité de M. Urdas. En outre, M. Antolin avait déposé une plainte criminelle décrivant l’agression à son encontre et identifiant M. Urdas, qu’il connaissait, comme étant l’un des auteurs. Il y avait également des témoins de cette agression. Bien que M. Antolin ait par la suite déposé un affidavit de désistement, il a simplement déclaré qu’il n’était plus certain que l’accusé était parmi ceux qui l’avaient poignardé. En ce qui concerne les témoins, il s’est contenté d’indiquer que deux d’entre eux ne souhaitaient pas blâmer l’accusé et qu’ils n’étaient pas certains de savoir si l’accusé avait effectivement commis le crime en question. Aucun renseignement n’a été fourni concernant les autres témoins identifiés dans les renseignements déposés par le procureur public.

[26]  Vu ce qui précède, la preuve reposait sur une conviction raisonnable que M. Urdas aurait bien pu participer à l’attaque à l’arme blanche contre M. Antolin, malgré l’affidavit de désistement déposé par ce dernier. Ce contexte est différent du cadre factuel de l’affaire Red c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1271, paragraphes 26 à 28, dans laquelle la plaignante avait déposé un affidavit de désistement après avoir pris connaissance d’une [traduction] « erreur de comptabilité et d’une mauvaise compréhension des faits » de la part de la plaignante et du défendeur.

[27]  Les éléments de preuve permettant de penser que M. Urdas aurait bien pu participer à l’attaque à l’arme blanche contre M. Antolin ont été renforcés davantage par les faits supplémentaires exposés au paragraphe 23, aux points iii) à vi) ci-dessus. En particulier, la belle-mère de M. Antolin a conclu un règlement avec la mère de M. Urdas en contrepartie d’une dette. Ce règlement ne semblait pas avoir de lien avec la conviction que M. Urdas n’avait peut-être pas été impliqué dans l’agression à l’arme blanche de M. Urdas. Or, la plainte contre M. Urdas a été rejetée le jour même où sa mère et la belle-mère de M. Antolin sont parvenues à un règlement. Par ailleurs, M. Urdas, dont la crédibilité avait été sérieusement compromise, n’a pas été en mesure de corroborer son affirmation selon laquelle des documents du dossier de la cour susceptibles de nuire à sa demande de résidence permanente au Canada avaient été détruits lors d’un typhon. Enfin, l’agente savait que le rejet des plaintes au criminel aux Philippines peut être le résultat de règlements à l’amiable avec les plaignants et qu’un tel rejet ne signifie pas nécessairement que l’accusé n’avait pas commis l’infraction pour laquelle il avait été accusé.

[28]  Compte tenu des faits supplémentaires mentionnés au paragraphe précédent, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente de conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Urdas [traduction] « avait commis l’acte pour lequel [il avait été] accusé ». Cette conclusion reposait sur plus que des soupçons. Pris ensemble, les éléments de preuve et les considérations connexes décrits aux paragraphes 23 à 25 ci-dessus constituaient une base objective, fondée sur des renseignements convaincants et crédibles, pour la conclusion de l’agente. En bref, M. Antolin, qui connaissait assez bien M. Urdas, a déposé une plainte au criminel contre lui et l’a poursuivie pendant deux ans, avant de la retirer le jour même où sa belle-mère est parvenue à un règlement avec la mère de M. Urdas. Ce règlement n’était pas fondé sur la conviction de M. Antolin que M. Urdas n’avait pas réellement commis l’infraction reprochée, mais bien sur le désir de régler une dette. D’ailleurs, dans son affidavit de désistement, il n’a pas déclaré que M. Urdas n’avait pas commis l’infraction en question. Il a simplement déclaré qu’il n’en était pas certain et que deux de ses témoins n’étaient pas non plus certains.

[29]  Mme Urdas prétend en outre que l’agente a commis une erreur en qualifiant [traduction] d’« intéressés » les documents judiciaires philippins qu’elle a produits en réponse à la demande, formulée par l’agente, de renseignements supplémentaires concernant l’attestation délivrée à l’égard de M. Urdas indiquant qu’il n’avait [traduction] « aucun casier judiciaire ». Mme Urdas soutient qu’il s’agissait de dossiers de la cour objectifs qui parlaient d’eux-mêmes.

[30]  À mon avis, le mot choisi par l’agente n’était pas approprié. Cependant, l’utilisation de ce mot ne rendait pas la décision déraisonnable. Il ressort clairement du contexte dans lequel l’agente a utilisé ce mot qu’elle voulait dire que Mme Urdas n’avait fourni que les documents qui allaient dans le sens de la position de son conjoint et qu’elle n’a pas fourni d’autres documents qui auraient pu rendre plus difficile pour son conjoint de soutenir qu’il était ailleurs au moment où a eu lieu l’agression à l’arme blanche. Ces autres documents comptaient [traduction« des rapports de police, des affidavits de témoins et/ou des rapports médicaux [qui] auraient dû être présentés, mais il n’a présenté aucun de ces documents ». Dans ce contexte, l’utilisation par l’agente du terme [traduction] « intéressés » n’empêchait pas la décision d’appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47), d’autant plus que l’agente a rejeté les explications de M. Urdas selon lesquelles d’autres documents qui auraient normalement figuré dans le dossier du tribunal avaient été détruits lors d’un typhon. Compte tenu de la conclusion défavorable quant à la crédibilité rendue à cet égard, il était raisonnablement loisible à l’agente de tirer une conclusion défavorable concernant les documents qui n’avaient pas été fournis (Munoz Tejeda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 421, paragraphe 15).

[31]  Finalement, Mme Urdas soutient que l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur son interprétation du droit aux Philippines pour conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Urdas avait commis l’infraction en question, même si l’affaire avait été rejetée par un tribunal dans ce ressort. Mme Urdas soutient que l’agente a ensuite commis une autre erreur en posant à son conjoint une série de questions qui constituaient essentiellement un [traduction] « nouveau procès » dans un domaine du droit dans lequel l’agente n’avait aucune connaissance spécialisée.

[32]  En ce qui concerne le droit aux Philippines, l’agente a affirmé ce qui suit :

[traduction] Je remarque qu’il existe certaines différences entre le système juridique philippin et canadien. Il est possible aux Philippines de faire rejeter des accusations, ou encore d’obtenir un pardon en échange du paiement de dommages‑intérêts à la victime. Les pratiques juridiques au Canada diffèrent de celles des Philippines puisque, au Canada, le gouvernement est le plaignant dans les affaires criminelles. Ce n’est souvent pas le cas aux Philippines, puisque la plupart des poursuites doivent être motivées par un plaignant. Aux Philippines, un accusé conclut souvent une entente ou un règlement à l’amiable avec le plaignant, ce qui entraîne le rejet de l’affaire. Le plaignant cesse alors de comparaître devant le tribunal ou produit un affidavit de désistement, ce qui entraîne par la suite le rejet de l’affaire. Par conséquent, un rejet ne signifie pas nécessairement qu’un client n’est pas interdit de territoire, ni que le client n’a pas commis l’infraction pour laquelle il est accusé. [Non souligné dans l’original.]

[33]  À une exception près, Mme Urdas n’a pas indiqué quel était l’aspect de la compréhension qu’avait l’agente des différences entre le droit au Canada et aux Philippines qui était inexact. La seule exception est la déclaration selon laquelle la plupart des poursuites aux Philippines doivent être motivées par un plaignant. Mme Urdas soutient que cela est inexact, puisque le document de dénonciation dans lequel son conjoint était accusé du crime de « meurtre avorté » avait été signé par un procureur provincial. Cependant, d’autres documents du dossier certifié du tribunal étayaient raisonnablement la compréhension de l’agente selon laquelle la poursuite contre M. Urdas était motivée par M. Antolin et que la poursuite contre M. Urdas a été rejetée parce que M. Antolin a produit son affidavit de désistement.

[34]  En particulier, dans son affidavit de désistement, M. Antolin a déclaré qu’il [traduction] « ne souhaitait plus continuer la poursuite » contre M. Urdas et ses coaccusés « et c’est pourquoi je demande au procureur public faire rejeter cette affaire pour manque d’intérêt de ma part en raison de l’insuffisance de la preuve » [non souligné dans l’original]. De plus, l’ordonnance rendue plus tard ce jour-là indique que M. Antolin [traduction] « avait insisté pour que l’affaire soit rejetée dans l’intérêt de la justice et de l’équité à l’égard de tous les accusés » et que, par conséquent, l’affaire a été rejetée [non souligné dans l’original]. En outre, une lettre datée du 4 juillet 2018, adressée à IRCC par l’avocat de Mme Urdas, indique que [traduction] « bien qu’une affaire ait été ouverte à l’origine contre M. Urdas, elle a ensuite été rejetée lorsque la victime a volontairement retiré ses accusations puisqu’il était incertain de l’identité des personnes présentes lors de l’incident » [non souligné dans l’original]. À mon avis, les éléments de preuve susmentionnés contenus dans le dossier certifié du tribunal sont tout à fait compatibles avec la description du système judiciaire philippin par l’agente.

[35]  Quoi qu’il en soit, les principales conclusions tirées par l’agente dans l’extrait reproduit au paragraphe 32 des présents motifs sont que le rejet de la poursuite contre M. Urdas ne signifiait pas nécessairement qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada ni qu’il n’avait pas commis l’infraction pour laquelle il a été accusé. Compte tenu des faits exposés aux paragraphes 23 à 25 ci-dessus, ces conclusions n’étaient pas déraisonnables. 

[36]  Il est bien établi en droit qu’« il n’y a rien de fautif à prendre acte des accusations déposées, même lorsque telles accusations ne débouchent pas sur une déclaration de culpabilité, et en particulier même lorsque l’accusé a consenti à une transaction pénale menant à un abandon des accusations initiales » (Naranjo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1127, paragraphe 15; Radi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 16, paragraphes 17 à 22). Comme l’a expliqué la juge Gauthier, « [c]ela paraît logique étant donné que les inculpations peuvent être rejetées pour diverses raisons, notamment des questions de procédure, le rejet de preuves essentielles pour des raisons procédurales ou simplement parce que l’accusé a soulevé un doute raisonnable » (Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, au paragraphe 25).

[37]  En comparaison, une conclusion selon laquelle une personne est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)c) de la Loi peut être tirée sur le fondement de l’existence d’un motif raisonnable de croire qu’un résident permanent ou un étranger a commis, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Dans ce contexte, la question est de savoir s’il y a un fondement objectif pour une telle croyance, reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi. Le fait qu’un tel élément de preuve « ne satisfasse pas à la norme de preuve appliquée dans les affaires criminelles est sans importance » (Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, au paragraphe 23).

[38]  Dans le contexte particulier de l’espèce, le rejet de l’accusation portée contre M. Urdas obligeait l’agente à faire preuve de prudence et s’assurer qu’il existait en fait des motifs raisonnables de croire qu’il avait commis l’acte reproché, même si l’accusation avait été rejetée. Pour les raisons exposées aux paragraphes 23 à 25 des présents motifs, l’agente était raisonnablement disposée à tirer une conclusion positive à cet égard. Cette conclusion était dûment justifiée, transparente, intelligible et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[39]  L’obligation qu’avait l’agente d’être convaincue de l’existence de motifs raisonnables de croire à la situation visée à l’alinéa 36(1)c) de la Loi lui donnait le droit d’explorer en profondeur avec M. Urdas tous les faits et toutes les circonstances entourant le dépôt de la plainte initiale et de l’accusation contre lui, ainsi que le règlement ultérieur et le rejet quasi simultané de l’accusation en question. Contrairement à l’affirmation de Mme Urdas, l’agente n’a commis aucune erreur à cet égard.

VII.  Conclusion

[40]  Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[41]  À la fin de l’audience, les avocats des parties ont confirmé que la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale au sens de l’alinéa 74d) de la Loi. Je suis d’accord.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3085-18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’existe aucune question grave de portée générale à certifier au sens de l’alinéa 74d) de la Loi.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


ANNEXE 1 – Dispositions législatives pertinentes

Interprétation

33 Les faits – actes ou omissions – mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

Rules of interpretation

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

[…]

[…]

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

Serious criminality

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

[…]

 

[…]

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[…]

[…]

Inadmissibilité familiale

42 (1) Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

Inadmissible family member

42 (1) A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

[…]

[…]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-3085-18

INTITULÉ :

NOMIDA MALABUNGA URDAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Nilufar Sadeghi

Pour la demanderesse

 

Michel Pépin

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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