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Date : 20190124


Dossier : IMM-1893-18

IMM-1894-18

Référence : 2019 CF 101

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Annis

Dossier : IMM-1893-18

ENTRE :

NASTEHO OMAR RIRACHE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-1894-18

ET ENTRE :

ROBLEH RIRACHE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie de demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’encontre de décisions rendues par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) le 9 avril 2018 (les décisions), par lesquelles ont été refusées les demandes de résidence permanente de Nasteho Omar Rirache (la demanderesse) et de Robleh Rirache (le demandeur) présentées au Canada et fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (CH). J’ai instruit les demandes en même temps et les motifs qui suivent se rapportent à ces deux demandes, comme il est précisé dans l’intitulé.

[2]  Dans les décisions qui font l’objet du contrôle, l’agent principal d’immigration (l’agent) a refusé les demandes au motif que les demandeurs n’avaient pas établi leur identité ou leur citoyenneté, de sorte qu’il était impossible de tirer des conclusions concernant les difficultés auxquelles pourraient être exposés les demandeurs s’ils retournaient dans leur pays d’origine, car l’agent ne pouvait pas déterminer dans quel pays ils retourneraient. Par ailleurs, l’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire soulevées par les demandeurs justifiaient l’octroi d’une exemption fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, notamment parce que l’identité des demandeurs posait toujours un problème important.

[3]  Pour les raisons qui suivent, je rejette les deux demandes pour les mêmes motifs.

II.  Contexte

[4]  La demanderesse et le demandeur, qui sont frère et sœur, affirment être nés à Gabiley, en Somalie, en 1984 et en 1986 respectivement.

[5]  Les demandeurs soutiennent que leur père a été assassiné en 1990 en Somalie par les seigneurs de guerre issaqs en raison de ses opinions politiques. À la suite de cette tragédie, leur mère les a confiés à leur tante maternelle, Amina Elmi Ibrahim, et à leur oncle, Abdullahi Megan Guelleh. En 1991, ils ont fui en famille, tous les quatre, en Éthiopie, accompagnés de la mère des demandeurs; ils s’y sont réfugiés pendant neuf ans, sans jamais obtenir un statut quelconque. Peu après, la mère des demandeurs a fui au Yémen. Depuis ce temps-là, ils n’ont pas revu leur mère et n’ont aucune nouvelle d’elle.

[6]  Les demandeurs sont arrivés au Canada le 9 octobre 2000, accompagnés de leur oncle et de leur tante, qui, selon les demandeurs, sont les seuls membres de leur famille.

[7]  Le 17 septembre 2001, la demande d’asile des demandeurs a été refusée au motif que ces derniers et les membres de leur famille n’avaient pas établi leur identité.

[8]  Le 20 décembre 2001, les demandeurs ont présenté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, dans laquelle ils décrivaient leur passé et indiquaient pourquoi ils n’étaient pas en mesure d’obtenir les bons documents pour confirmer leur identité. La tante et l’oncle des demandeurs ont aussi présenté des demandes semblables.

[9]  Le 28 juin 2013, les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs ont été refusées. En revanche, les demandes de leur tante et de leur oncle ont été acceptées le même jour. En juillet 2013, les demandeurs ont présenté une demande de réouverture de leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui a été autorisée. Le 1er septembre 2014, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire faisant l’objet d’un nouvel examen a été rejetée. Aucune demande de contrôle judiciaire de ces décisions n’a été présentée.

[10]  Les demandeurs ont alors présenté chacun une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dont un élément de preuve provenant d’une analyse de l’ADN de la demanderesse établissant à 99 % les probabilités d’un lien de parenté entre les demandeurs et à 95 % le lien de parenté entre la demanderesse et sa tante.

[11]  Le 9 avril 2018, les deuxièmes demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs ont été refusées pour les mêmes motifs que les premières, plus particulièrement le fait qu’ils n’avaient pas établi leur identité ni leur citoyenneté et que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi d’une exemption fondée sur le paragraphe 25(1) de la LIPR. Ce sont ces décisions qui font l’objet du présent contrôle judiciaire présenté par les demandeurs.

[12]  Durant l’audience, les parties ont convenu qu’il n’y avait qu’une seule question importante, à savoir si l’évaluation de l’agent relativement à l’identité des demandeurs était raisonnable, et que la norme déférente de la décision raisonnable doit s’appliquer à la décision de l’agent : (Okoloubu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 326, au paragraphe 30; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757, aux paragraphes 54 et 55; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61).

[13]  L’article 106 de la LIPR exige expressément que la Section de la protection des réfugiés (SPR), dans l’évaluation d’une demande d’asile, prenne en compte le fait qu’un demandeur n’est pas muni de papiers d’identité pour établir son identité. En voici le libellé :

Étrangers sans papier

Claimant Without Identification

 

Crédibilité

Credibility

 

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[14]  Les demandeurs ont l’obligation fondamentale d’établir leur identité selon la prépondérance des probabilités (Yip c Canada (Emploi et Immigration), au paragraphe 7, Ntsongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 788). Cependant, le tribunal doit, d’une part, tenir compte dans sa décision des raisons pour lesquelles le demandeur n’est pas en mesure de fournir des papiers d’identité ou d’autres éléments de preuve corroborants et des mesures prises pour les obtenir, et, d’autre part, fournir les raisons pour lesquelles il ne considère pas raisonnables les explications du demandeur (Thurairajah c Canada (Emploi et Immigration), [1994] ACF no 322, 46 ACWS (3d) 710, aux paragraphes 11 et 12). Les « mesures voulues » ou les explications permettant de « raisonnablement en justifier la raison » dépendent des circonstances de l’espèce.

[15]  Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, selon la prépondérance de la preuve, ils ont pris les mesures voulues pour se procurer des papiers d’identité et qu’ils ont raisonnablement justifié le fait qu’il n’étaient pas munis de ces papiers, à savoir qu’ils sont arrivés au Canada lorsqu’ils étaient enfants, sans aucun papier d’identité. En raison de la guerre civile qui fait rage actuellement en Somalie, la majorité des documents officiels de ce pays ont été détruits et ne peuvent pas être récupérés.

[16]  Plus précisément, les demandeurs soulignent que le ministre a tiré une conclusion de fait selon laquelle leur tante et leur oncle étaient somaliens dans sa décision du 28 juin 2013 relative aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire de ces derniers et que cette conclusion est incohérente avec le refus de leurs propres demandes. Par ailleurs, les demandeurs ont fait la démonstration du lien de parenté qui les unissait à leur tante, lequel a été établi par un élément de preuve fiable provenant de l’analyse de l’ADN. À ce titre, les demandeurs soutiennent que, selon la prépondérance des probabilités, ils ont expliqué pourquoi ils n’étaient pas en mesure de fournir les papiers d’identité et ont fourni un élément de preuve corroborant qui permet d’établir leur identité, en faisant la démonstration du lien qui les unissait à leur tante maternelle.

[17]  L’agent n’était pas disposé à appliquer les conclusions de son homologue relatives aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, par lesquelles l’identité et l’origine ethnique de la tante et de l’oncle ont été reconnues, mais pas celles des demandeurs. Il a été souligné que la demande a été acceptée sur le fondement d’une simple déclaration solennelle, sans que soit présenté un passeport ou un document substitutif. Il semble également que l’âge avancé de l’oncle, soit 80 ans, et le fait que ce dernier ait pu se procurer une pièce d’identité nationale de la Somalie, document qui n’a été présenté à aucune autre occasion, sont deux éléments ayant permis d’établir sa citoyenneté somalienne.

[18]  Pour ce qui est de l’élément de preuve provenant de l’analyse de l’ADN, l’agent a souligné que le lien de parenté entre le frère et la sœur n’était pas remis en question. Le problème était que, au moyen de l’analyse de l’ADN, il n’était pas possible de confirmer l’identité des demandeurs et leur pays d’origine.

[19]  L’agent a aussi relevé qu’il n’y avait aucun élément de preuve documentaire corroborant fiable permettant d’étayer les demandes. Entre autres, il a été mentionné que, compte tenu du fait que les demandeurs étaient au Canada depuis un certain nombre d’années, ils ne semblaient pas faire preuve d’honnêteté, ne révélant pas tous les aspects de leur passé. Par conséquent, beaucoup d’information manquante aurait dû être à leur disposition. Plus précisément, l’agent a souligné qu’en aucun temps les demandeurs n’ont présenté un document concernant le statut de réfugié ni une photographie, un témoignage ou un autre document pertinent pouvant attester de leur séjour dans un camp de réfugiés somalien, ou même un document de voyage qui pourrait permettre de croire que les demandeurs provenaient de la Somalie.

[20]  Les demandeurs soutiennent que, comme ils étaient enfants à l’époque, ils n’auraient pas dû être tenus de fournir les papiers d’identification demandés. Je ne suis pas convaincu de souscrire à cet argument, compte tenu du nombre d’années qu’ils ont passé au Canada et du fait qu’ils auraient pu demander l’aide d’autres personnes. Plus particulièrement, comme ils étaient accompagnés de leur tante et de leur oncle, cet argument n’a guère de poids. Par ailleurs, il est exigé des demandeurs qu’ils expliquent pourquoi aucun papier d’identification ne peut être fourni et qu’ils fournissent des éléments de preuve relativement aux mesures voulues prises pour se procurer ces papiers. Même s’ils ont vécu au Canada pendant plus de 17 ans et savaient que la question de leur identité avait posé problème à d’autres occasions, les demandeurs n’ont pas présenté de tels éléments de preuve.

[21]  Les demandeurs ont aussi invoqué les décisions Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1164 (la décision Abdullahi), et Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 598 (la décision Mohammed). Cependant, à mon avis, ces décisions ne sont pas particulièrement pertinentes en l’espèce, étant donné que la décision Abdullahi concerne une conclusion relative à l’« absence de minimum de fondement » au sens du paragraphe 107(2) de la Loi, et la décision Mohammed traite d’un cas où la Section d’appel des réfugiés a refusé de façon déraisonnable d’admettre les éléments de preuve présentés par le demandeur.

[22]  L’agent a accordé peu de poids aux documents fournis par le président de l’organisme Ottawa Somaliland Community Service et à ceux présentés par un témoin et la sœur de celui-ci, où il est attesté que les demandeurs sont nés en Somalie. Je suis d’avis que ces documents ont une faible valeur probante, car ils ne contiennent que de très brèves déclarations et aucune explication des motifs sur lesquels se fondent ces déclarations ni aucun élément de preuve corroborant. En outre, l’agent a souligné qu’il existait des contradictions entre ces documents et les lettres de ces témoins figurant dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. De même, je conclus qu’il était raisonnable pour l’agent de n’accorder que peu de poids à deux autres affidavits dans lesquels les souscripteurs ont déclaré avoir rencontré les demandeurs en Somalie, puisque ces documents ne contenaient aucune indication au sujet du contexte ou du lieu exact où les souscripteurs ont rencontré les demandeurs et ils étaient trop vagues pour être véritablement utiles.

[23]  Finalement, je conclus que l’agent a pris en considération tous les renseignements que lui ont présentés les demandeurs avant de conclure que ces derniers n’avaient pas établi leur identité et leur nationalité. La décision de l’agent était raisonnable, justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, les demandes doivent être rejetées. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1893-18 et le dossier IMM-1894-18

  LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de février 2019.

Nicolas Bois, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1893-18

 

INTITULÉ :

NASTEHO OMAR RIRACHE c MCI

ET DOSSIER :

IMM-1894-18

INTITULÉ :

ROBLEH RIRACHE c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 14 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE :

LE 24 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

Gordon Campbell

POUR LES DEMANDEURS

 

Adrian Johnston

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gordon Campbell

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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